Où il y a du fumigène…

Dessin d’en-tête : Copyright Pad’r. Dessin paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) du 15 avril 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Genk, leader autoritaire depuis pratiquement le début du championnat, donne masterclass sur masterclass, la joue taille patron et domine à ce point les playoffs  qu’on ne voit pas comment le titre pourrait échapper aux Limbourgeois qui, à mi-parcours, continuent de creuser l’écart. Pourtant, la compétition a jusqu’ici surtout été marquée par une partie qui, en temps de jeu réel, n’aura duré que treize minutes. Le temps que de sinistres crétins vêtus de mauve et de blanc pour mieux usurper le titre de supporters ne sabordent consciencieusement un match en exploitant un règlement complice à son corps défendant, obligeant l’arbitre à mettre fin aux débats. Du côté d’Anderlecht, en effet, on se morfond. Plus rien ne va depuis le rachat du club au printemps 2018, au point que le Sporting risque, très, très, très fort d’être privé de compétition européenne pour la première fois depuis 1962.  L’entraîneur intérimaire a été démis de ses fonctions avant la fin de sa mission et la direction s’en prend plein la tronche.

12 avril, 20h30

Un épais nuage de fumée retarde le coup d’envoi du clásico. En cause, le tifo impressionnant déployé par les supporters du Standard avant la montée des équipes sur le terrain. Standard-Anderlecht, ce n’est pas rien. C’est une opposition de styles et de mentalités. Aux Liégeois la hargne, la rage et la résistance au mal héritée des métallos qui suaient sang et eau dans les usines situées de l’autre côté du fleuve, en face du stade. Aux Bruxellois cette tradition de football élégant, léché et racé censé traduire sur un terrain de football la supposée arrogance des gens de la capitale. C’est une rivalité farouche qui remonte aux années 1950, époque à laquelle les deux équipes ont commencé à se forger un palmarès. Ce fut longtemps, dans les tribunes du moins, éminemment folklorique. En coulisses, on en était déjà à couteaux tirés. Deux capitaines d’industrie se disputaient le rôle de grand manitou de l’Union belge de football. Le Bruxellois prit le dessus et l’amertume – doux euphémisme – fit son entrée. L’eau a évidemment coulé sous les ponts de la Meuse et même si aujourd’hui, business oblige, les dirigeants des deux clubs se parlent et font aimablement affaire dans les salons feutrés après un parcours de golf, on sent tout de même que ce ne sera jamais la franche camaraderie.

Et donc le match commence avec sept minutes de retard.

12 avril, 20h43

Alen Halilovic enroule une frappe exquise des 25 mètres. Impuissante, la défense anderlechtoise contemple les dégâts. Bien que justement annulé pour hors-jeu d’un demi-pied, le but met littéralement le feu aux poudres. Sportivement, le ton est donné : les Bruxellois vont se faire manger tout cru. En tribune, certains ne l’entendent pas de cette oreille. Frustrés par le lamentable départ des leurs dans ces playoffs (un formidable 0/9 à ce moment, 1/15 à l’heure d’écrire ces lignes), quelques hooligans bruxellois lancent une première salve de fumigènes sur la pelouse. L’action est entièrement préméditée, elle vise à « sanctionner » les dirigeants du club, et dès cet instant, on a compris que cette poignée de mous du bulbe n’ont qu’un objectif : faire arrêter la partie. Le règlement de la ligue pro est, en effet, très clair à cet égard : au premier jet d’engins pyrotechniques sur le terrain, le speaker du stade lance un appel/avertissement. Au second, l’arbitre interrompt la partie pendant 10 minutes histoire de calmer les esprits (pour autant qu’il y ait des esprits, il y a des gens dans les gradins, tu as l’impression que leur seul neurone n’est là que pour les empêcher de chier en marchant – puissent les chevaux me pardonner) et au troisième, il arrête définitivement la partie. Et c’est exactement ce qui s’est produit. Aussitôt après les deux buts liégeois, les décérébrés du camp d’en face redoublent d’ardeur incendiaire, balançant des fumigènes introduits dans le stade avec la probable complicité plus ou moins active des stadiers qui les accompagnent, endommageant gravement la pelouse au passage.

Tu veux peut-être une médaille, enfoiré ? (Capture d’écran Facebook)

12 avril, 21h08

L’arbitre prend la seule décision qui s’offre à lui et renvoie les deux équipes aux vestiaires. Le règlement ne laisse planer aucun doute : Anderlecht perdra le match par forfait en raison du comportement de ses « supporters », se voit infliger une amende immédiate de 50.000 €  par la ligue pro (ce qui, incidemment, constitue une somme importante, même pour le plus gros budget du foot belge) et attend maintenant, la sanction de l’Union belge (théoriquement un match à huis clos, mais c’est peu probable vu l’absence d’antécédents, et une autre amende probablement salée). Les incidents se poursuivent en dehors du stade : échanges de pétards et de projectiles divers entres débiles des deux camps, caillassage du bus des joueurs dont une vitre vole en éclat, rapatriement dare-dare de l’équipe vers un hôtel de la grande banlieue liégeoise histoire d’éviter d’autres mésaventures en cas de retour immédiat à Bruxelles, bref, un boxon chimiquement pur.

Copyright Pad’r. Dessin paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) du 15 avril 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Ces faits de hooliganisme du plus bas étage seraient malheureusement presque anecdotiques (et on se dit rétrospectivement que ça aurait pu être pire) s’ils ne concernaient pas le Sporting d’Anderlecht et s’ils ne traduisaient pas le profond malaise qui règne autour du club. Anderlecht, c’est objectivement le plus beau palmarès du football belge. C’est le plus grand club du pays depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Depuis que le club a été racheté quasiment dans la précipitation par le multimilliardaire Marc Coucke, l’ancienne direction souhaitant vendre la maison pour des raisons d’échéances fiscales (si j’ai bien compris), le navire prend l’eau de toutes parts. On pourrait synthétiser le machin en disant que depuis le rachat par un homme qui a fait fortune dans la parapharmacie, Anderlecht prend pilule sur pilule.

Par ailleurs, la gestion tant sportive qu’administrative du club pose question : vague de licenciements (du responsable de la billetterie au directeur sportif en passant par le chef kiné), intégration de novices dans l’organigramme, engagement de « responsables sportifs » dont certains touchent de plantureux salaires en s’interrogeant chaque jour sur la nature exacte de leurs fonctions, etc. Le recrutement estival s’avère, à une ou deux exceptions près, calamiteux et aussi ruineux que le Brexit pour l’économie anglaise, certains joueurs engagés à prix d’or peinant à trouver une place sur le banc ou disparaissant purement et simplement de la circulation.

Le Sporting est devenu une poule sans tête et si ça fait rire de bon cœur au début – on ne va pas se priver, faut pas déconner –, ça amène quand même à se poser des questions. Parce que tout le foot belge de haut niveau a besoin d’un Sporting d’Anderlecht sain et costaud. Un Sporting d’Anderlecht sain et costaud, c’est partout l’assurance de la plus belle recette de l’année et la promesse, dans les plus petits clubs, de longues conversations nostalgiques à se remémorer l’exploit « d’il y a trois ans quand on les a battus ». Qu’on le veuille ou non, Anderlecht est, avec le Standard et Bruges (n’en déplaise aux autres) une des locomotives du foot belge au niveau national et, même si son étoile a pâli ces dernières années, LA locomotive du foot belge sur la scène européenne. Ça me fait mal au cul de le dire, mais c’est comme ça. Ce n’est pas pour ça non plus que je vais pleurer, il ne faut pas exabuser.

 

Copyright Pad’r. Dessin paru dans « La Dernière Heure » du 20 avril 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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