On vous en remet encore une petite C(r)ouch ?

C’est l’histoire d’une asperge goûteuse, l’une des rares qui a réussi à sortir des sables peu fertiles de Macclesfield dans le Cheshire anglais. Une asperge soi-disant mal formée qui, malgré une frêle constitution, a péniblement appris à se faufiler entre les rocks et aspérités qui bloquaient sa progression inéluctable vers les sommets. Certes, elle aurait pu finir en 3ème choix chez Lidl, mais Harry, le bon Prince des Saints passa par là et sut mettre en valeur la délicieuse saveur de cette nouvelle variété d’asperge au nom saugrenu de « Pierre le Robot ».

Contées par Amazon, les péripéties de Peter Crouch, puisque c’est de lui dont il s’agit, auraient pu être valorisées plus subtilement par la production. Les répétitions et le montage aussi alambiqués que les manuels IKEA pourraient en laisser plus d’un sur sa faim. Toutefois, même si Amazon n’a pas réussi à faire prendre la mayonnaise, ruez-vous tout de même sur le documentaire « The Peter Crouch Story ». L’ex-coéquipier de Xherdan Shaqiri manie l’humour avec brillance, slalomant entre l’autodérision et un regard émotionnel sur les multiples obstacles qui ont contredit sa carrière. Les éclats de rire de Crouchie arriveraient même à décaper Hans-Rudolf Merz, alors rien que pour ça, faites le détour.

Hooligans un jour, hooligans toujours

Pour atteindre les sommets de la Premier League (plus de 700 matches disputés durant sa carrière), rien ne fut simple pour Crouchie. Le pauvre dut endurer de telles avalanches d’attaques vicieuses au sujet de son physique élancé et atypique qu’il faudrait désormais ajouter un C au sigle LGBTQ pour faire une jurisprudence Crouch afin qu’aucun autre sportif n’ait à subir le traitement abject dont il fit l’objet.

Des travées de West Brom à celles de Millwall, les mêmes insultes étaient vociférées: « Espèce de monstrueux pantin désarticulé, individu génétiquement modifié, all elbows and ugly, est-ce que le cirque est au courant que tu t’es échappé ? Tiens voici idiot du village……» La palme de la malséance revient toutefois à un magazine de foot spécialisé qui ne mérite pas d’être nommé ici: « Crouch n’est qu’un grotesque échalas en bois qui tente d’impersonnifier un footballeur avec sa taille anormalement disproportionnée et une qualité de finition devant le but qu’on qualifiera d’Heskeyesque ».

Certes rien ne le prédestinait à devenir footballeur du haut de ses 2 mètres 02. « Il ne ressemblait pas à un footballeur», disait de lui Sven-Göran Eriksson, alors sélectionneur de l’équipe d’Angleterre. Son coach et meilleur ami Harry Redknapp renchérit sur son physique: « Portsmouth a payé un million pour un joueur de basket».

Au passage de l’an 2000, qui aurait encore pensé qu’il ne faisait décidément pas bon d’être différent physiquement sur un terrain de foot ? Cette question tourmenta le jeune Peter durant des années et sans aucun doute ralentit son avancée dans le monde impitoyable du football professionnel anglais.

La Bande de Gazza

Ce barrage d’adversité aurait pu décourager Peter Crouch, mais il en eut fallu plus pour le désarçonner car ce faux basketteur vouait une obsession quasi maladive au football: « Je me rappelle qu’à 12 ans, je me levais secrètement à 5h30 du matin pour revoir en boucle sur une vieille cassette VHS les exploits de Gazza et Gary durant la Coupe du Monde 1990 ».

Le documentaire d’Amazon met aussi en lumière contrastée un autre contributeur au succès du petit Pierre : son père Bruce, dont le look ressemble à l’ex-caïd de West Ham John Hartson et l’approche éducative au rigoriste Philippe de Villiers. L’influence positive de Bruce Crouch sur la carrière de son fils est fortement ébranlée par l’équipe de production : « Tu es beaucoup trop gentil sur le terrain, tu n’y arriveras jamais, tu dois apprendre à devenir méchant ». Comme lui ? D’ailleurs, Peter raconta de manière poignante qu’un jour autour de ses 16 ans et après une performance en-dessous des attentes de son père, il dut rentrer à pied depuis le centre d’entrainement de Tottenham.

Aussi rapide que Daniel Brélaz sur un 100 mètres et doté d’une musculature d’un végan anorexique, le Crouch en devenir réussit contre toute attente à décrocher pour ses 19 ans un premier contrat à QPR, dans la banlieue de Londres. Après de bons débuts en Championship, le jovial Crouch prit le chemin de la côte pour rejoindre le Portsmouth FC. Vivant sur des meubles gonflables tout en invitant ses potes à des soirée pâtes au pesto, le joyeux drille avait encore bien du chemin à faire pour devenir un homme.

Mais ce qu’on Harry !

Mais sacrebleu, la suite de sa jeune carrière se gâta. Transféré sur le banc d’Aston Villa pour 5 millions (ça fait un peu cher le coussin de banquette), Crouchie ne fit pas long feu du coté de Birmingham et pris le chemin de Southampton. Chez les Saints, il remit l’ouvrage sur le métier et dupliqua son expérience du maudit banc de touche. Certains prétendirent que la carrière du longiligne attaquant anglais avait subi de sérieuses anicro(u)ches et sans l’arrivée du bon Prince Harry (ndlr : Redknapp), elle aurait pu partir en eau de haggis. En vrai maverick, le coach anglais identifia le problème fondamental de Peter Crouch : la confiance. Remis en selle à la suite d’entrainements spécifiques axés sur l’amélioration de la force mise dans ses coups de tête, l’attaquant anglais enquilla pas moins de 16 buts lors du deuxième tour. « Crouch is aiming for the heights » titra le Sunday Times pour souligner l’émergence définitive du futur attaquant des Trois Lions. D’ailleurs, alléché par le prospect, Liverpool posa une peccadille (7 millions de livres) pour signer l’attaquant des Saints.

Ses débuts chez les Reds furent un ouch pour Crouch car il lui fallut 18 matches pour marquer son premier but à Anfield. En panne de confiance (thème décidément récurrent dans sa carrière), Crouchie déprima allant jusqu’à penser : « I’m a clown on a global stage». Malgré l’ire compréhensible du kop, Rafa Benitez continua contre vent et mar(r)ée de croire en son longiligne numéro 15 et finalement, un rotoillon contre Wigan ouvrit le compteur de Peter Crouch. Et dès ce jour pluvieux de novembre, il n’allait plus s’arrêter. Et la raison de cette métamorphose comme disait Talleyrand ? : « Derrière chaque grand homme se cache une femme ».

A bout d’Abbey

De sa propre admission, le géant de Macclesfield était doté durant sa jeune carrière pro d’un sexe appeal aussi développé que celui des frères Bogdanoff. « Till 21, I had a low level of success with girls, I couldn’t even pull a hamstring! » Son coup de foudre pour Abbey Clancy fut donc aussi spectaculaire que ses mythiques reprises de volée.  La délicieuse top modèle anglaise se rappelle assez précisément de cette fameuse rencontre: «Je lui ai simplement demandé son numéro de natel et je l’ai même engueulé quelques minutes plus tard car il essayait de draguer une autre fille ». Sa future épouse contribua de manière spectaculaire à stopper la longue traversée du désert de Crouchie devant les buts adverses et il la remercia à sa manière : «OK, I wasn’t Pierce Brosnan. I was a rather a rough diamond and she polished me ! »

Apres cette rencontre avec Abbey, l’ex-attaquant des Reds ne put s’arrêter de scorer (tout au moins sur les gazons verts), rendant la pareille à Eriksson qui continua de lui faire confiance malgré ses spectaculaires passages à vide. Steven Gerrard ajouta également son admiration pour l’élancé Peter : « C’est une personnalité dont on veut s’entourer et qui a toujours amené la bonne humeur dans les vestiaires. »  Son sens pour l’autodérision émergea au grand public en 2006. Crouchie participait à la Coupe du Monde en Allemagne où il patenta sa brillante invention: la danse du robot. Le brand « Peter Crouch » était né.

Un géant sort toujours par le haut

Au moment de sa retraire sportive en 2019, Peter Crouch décida de rester proche du monde du football, ne se voyant pas passer ses journées à la gym avec Abbey. Un peu de nulle part, le néo-retraité fut approché par le journaliste de la BBC Chris Stark qui lui proposa de lancer son propre podcast. La première réaction de Crouchie fut : « C’est quoi un podcast ? ». Cinq ans plus tard, «That Peter Crouch Podcast» est l’émission la plus écoutée sur la BBC avec 2.8 millions de fans qui se régalent de ses anecdotes et de ses idées farfelues comme celle de remplir Wembley Arena pour un live podcast, le « Crouchfest ». Avec plus de 700 matches comme professionnel et son record du plus de buts marqués de la tête dans le championnat d’Angleterre (55), Peter Crouch aura laissé une trace remarquable dans le foot anglais. Mais cette trace est désormais largement passée en arrière-plan grâce à son nouveau job de thérapeute radiophonique. De vilipendé au Hawthorne Park au statut de Trésor National à Wembley, Peter aura réussi à prouver à tous ses détracteurs que la vie peut être magnifique quand on la prend de haut.

A propos Paul Carruzzo 207 Articles
Elle est pas un peu belle notre Nati et tout le bonheur qu’elle nous amène ? Alors, Rickli et compagnie, si vous ne vibrez pas devant cette équipe, vous n’êtes pas non plus monstrement obligés de regarder. Profitez d’un bon match de hornus et foutez la paix à nos joueurs, qui comme vous, ont un joli passeport rouge à croix blanche.

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