La Pontaise et De Kuip, même combat ?

Habitué aux assistances confidentielles et à l’atmosphère… feutrée de la Pontaise, je me réjouissais de découvrir un stade qui passe pour être l’un des plus bouillants d’Europe : De Kuip, enceinte mythique et fief rouge et blanc du Feyenoord Rotterdam. « Tu verras, c’est une ambiance britannique à l’ancienne », m’avait vanté mon ami Mike, inconditionnel du club depuis quelques années. Pas de supporters ventrus à moitié à poil sur les grillages donc, ni d’ultras qui te serinent la même litanie dans les oreilles pendant 25 minutes, mais de bonnes grosses poussées vocales quand le match s’emballe, et une cuvette (le surnom du stade, donc) qui chavire complètement quand les locaux plantent un goal.

Enfin, c’est ce que je croyais.

Petite explication en préambule : atterré par « l’affaire du logo » qui secouait alors le Lausanne-Sport, mon club de cœur dont j’avais décidé de boycotter les matchs, je m’étais résolu, à la fin du mois de janvier, à aller voir si l’herbe d’autres pelouses était plus verte que celle des Plaines-du-Loup. Par un glacial après-midi d’hiver, j’ai donc mis le cap sur les Pays-Bas avec ma doudoune sur le dos, quelques euros dans le crapaud et même une boîte de boules Quies au cas où. Faut dire que Mike avait réussi à nous dégotter, de haute lutte, deux billets pour un gros match : Feyenoord-PSV Eindhoven. Soit le champion en titre contre le leader de l’Eredivisie, un affrontement chargé d’histoire, une rencontre qui se jouerait évidemment à guichets fermés, et que seul le Klassieker opposant le Feyenoord et l’Ajax pouvait supplanter au niveau des décibels. Het Legioen (les légions) rotterdamoises allaient retourner le stade, mes tympans de Vaudois étaient promis à un véritable traitement de choc et j’allais oublier, pendant 90 minutes, les barbouillages d’Ineos sur l’écusson du LS.

C’est, du moins, ce que j’espérais.

25 février, j’arrive au Stadion Feijenoord une bonne heure avant le coup d’envoi. Pelouse impeccable, bise glaciale, techno sautillante dans les haut-parleurs et Heineken dans tous les gobelets. Les courbes du stade inauguré un jour de mars 1937 évoquent bien celles d’une bassine, les deux étages de tribunes cernent littéralement le gazon et l’enceinte est flanquée de quatre mâts d’éclairage d’un autre âge. Y a pas à dire, ça a de la gueule. On croise un Anglais avec un bonnet de West Ham vissé sur la tête; les Britanniques sont, paraît-il, nombreux à venir goûter ici à l’atmosphère des matchs d’antan. Quand Highbury chantait et que les travées d’Old Trafford n’étaient pas encore colonisées par des touristes asiatiques plus friands de selfies que de meat pies

Bientôt le coup d’envoi, la cuvette est maintenant pleine à ras bord, le millier de fans du PSV situé dans le bloc visiteurs, juste en dessus de nos places, se chauffe la voix. L’occasion d’apprendre que les Eidhovenois sont surnommés Boeren (paysans) ou, plus rigolo, Lampjes (lampes), en raison d’une part de leur situation géographique à l’écart des grands centres urbains, et des origines du club, fondé par les usines Philips en 1913. Les supporters du Feyenoord sont, eux, surnommés Kakkerlakken (les cafards) par les fans adverses. Parce qu’à l’instar de ces bestioles, ils grouillent dans tout le pays, parce que Rotterdam, ville autrefois ouvrière, compte quelques vilaines banlieues réputées insalubres, et parce que quand il s’agit d’user de métaphores animalières, les supporters de foot surnomment rarement leurs homologues rivaux « les chatons abyssins » ou « les dauphins roses ». Encore que j’ai bien connu un fan club dont l’emblème était le dauphin, mais je m’égare.

Les équipes entrent sur le terrain, mais à l’exception des autres rouges et blancs donc, et contre toute attente, De Kuip reste étrangement silencieux.

En revanche, les Rotterdamois aphones tendent diverses banderoles un peu partout dans les tribunes. Vu que la plupart des inscriptions sont en néerlandais, leur contenu m’échappe. Je m’en doutais un peu avant de m’envoler pour les Pays-Bas, j’en ai eu la confirmation sitôt atterri à Amsterdam : le hollandais est une langue qui ferait passer le dialecte haut-valaisan pour du Schubert. Plus limpides, d’autres pancartes brandies par les spectateurs disent simplement: « I love De Kuip ».

Le match démarre, les gradins restent muets. Le PSV presse et marque à la 24e minute. C’est la fête à l’étage en dessus, et on ramasse une douche de bière sur la tête. Les Lampjes  sont survoltés (ha ha ha), enfoncent le clou avant la pause, et dans la tribune, on remonte vite nos capuchons pour se protéger de la deuxième rincée au houblon. 

« Walk on », chante Bono dans les enceintes à la mi-temps. Las, la foule restera toujours aussi amorphe après le retour des vestiaires, et le 1-2 de la 54e minute ne génère qu’un léger frémissement. Je regarde autour de moi, incrédule. C’est quoi cette arnaque? J’ai connu des LS-Lugano avec plus d’ambiance. Les boules Quies ne quitteront pas ma poche et mon ami Mike, incrédule lui aussi, me jure qu’il n’a jamais vu pareille apathie ici. 

Coup d’oeil vers le banc de touche : chasuble orange sur le dos et chaussures jaune fluo aux pieds, Robin Van Persie se chauffe le long de la ligne de touche. Il ne rentrera pas avant le coup de sifflet final d’un match qui s’achèvera par une défaite (méritée) de Feyenoord 1-3.

C’est donc complètement dépité, non par le score mais par l’atmosphère moisie de ce soi-disant choc au sommet, que je rejoins un tram peuplé de fans maussades et silencieux pour le trajet de retour au centre-ville. Et c’est là que je comprends ce qui s’est vraiment passé. « Il y a deux jours, la direction du club a obtenu un crédit de 17 millions d’euros de la part de la banque d’investissement Goldman Sachs pour financer l’étude préliminaire du futur stade de Feyenoord. En échange, les dirigeants ont mis De Kuip en caution, ce qui fâche les supporters », m’explique un supporter. Ce nouveau stade, véritable bijou architectural de 63’000 places estimé à 422 millions d’euros est prévu pour 2023. Pour protester contre la décision de leurs dirigeants, les légions blondes ont donc fait la grève des encouragements ce jour-là. 

Un mois après avoir pris la décision de boycotter les matchs du Lausanne-Sport, je me suis donc retrouvé au cœur d’un nouveau boycott, celui de 47’500 supporters (moins quelques centaines de Lampjes) viscéralement attachés à leur vieux stade.

A croire que je les attire. 

A propos Raphaël Delessert 7 Articles
Après plus de 300 matchs du LS, je continue à monter à la Pontaise.

Commentaires Facebook

5 Commentaires

  1. Très sympa, cet article !

    Sinon, qu’en est-il de ce nouveau logo du LS, soit-disant présenté hier par les nouveaux propriétaires ? On en entend très peu parler, je trouve…je lance donc le débat…

  2. @ Raphael (et aussi @ Paul Carruzzo) : Christophe, pas Christian. Je m’en voudrais de porter le même prénom que la machine-à-éjecter-les-entraîneurs là bas à Sion ! 😉

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.