Devoirs de rentrée

C’est reparti ! La CAN, le championnat d’Europe U 21, la Copa America, tout ça, c’est fini. À l’exception de ceux qui étaient occupés par ces trois compétitions, les joueurs ont repris depuis un bon moment le chemin des entraînements. Le mercato bat son plein, les clubs fourbissent leurs armes en vue de la prochaine saison. Même si le coup d’envoi du championnat de Belgique sera déjà donné le 26 juillet, c’est encore l’heure de pointe pour les agents, les managers et tous les intermédiaires qui gravitent autour du foot. Le Footbelgate a enfin trouvé son épilogue sportif. Pour le volet judiciaire, il faudra encore attendre et c’est normal, vu l’ampleur du dossier. Mais en attendant, de rebondissement en baudruches qui se dégonflent, la première conclusion qui vient à l’esprit c’est « tout ça pour ça ».

Les chaînes télés qui ont obtenu les droits de diffusion ont mis l’entre-saison à profit pour de préparer le nouvel habillage de leurs émissions-phares. Une fois encore, le téléspectateur aura du mal à savoir où donner de la télécommande, se demandant vers quel distributeur se tourner pour suivre ses compétitions préférées. Mais que sont exactement les droits de retransmission ? Qui les détient et qui les achète, selon quels mécanismes et selon quelles règles ? Et qui sont les agents, ces acteurs discrets de ce mercato qui tient les supporters en haleine jusqu’à la fin août? Ébauches de réponses ci-dessous.

En tant qu’ancien directeur des programmes de Canal + Belgique (aujourd’hui BeTV) devenu consultant indépendant, Pierre Maes en connaît un sacré rayon sur les droits télévisés sportifs. Son bouquin, un des rares sur le sujet, est une enquête sur les origines et les acteurs d’un marché qui pèse plus de 20 milliards d’euros et qui constitue, selon lui, une bulle qui pourrait exploser à tout moment.

Le marché des droits télévisés du football remonte aux années 80, quand les chaînes commerciales (TF 1, par exemple) et à péage – Canal + et Sky pour citer les deux pionnières – ont commencé à s’y intéresser et quand la Commission européenne, avec la louable intention de faire bénéficier les téléspectateurs du meilleur deal possible, a imposé l’ouverture du marché à la concurrence. On verra qu’au final c’est, comme d’hab, le consommateur qui se fait couillonner, mais on y reviendra. Avant cela, du temps du monopole des chaînes publiques, c’est un peu comme dans les Shadoks : il n’y avait rien. Depuis lors, le marché s’est emballé, le développement technologique (câble et satellite) permettant la multiplication des chaînes et la diffusion d’images de meilleure qualité (les plus de 40 ans se souviennent peut-être de ces commentaires qui ressemblaient à un appel téléphonique, friture sur la ligne comprise). Les montants versés par les opérateurs crèvent tous les plafonds, notamment en Angleterre. Pourquoi l’Angleterre ? Tout d’abord, parce que les Anglais sont historiquement de grands consommateurs de foot, mais aussi et surtout parce qu’en créant la Premier League, les clubs ont superbement flairé le coup et se sont, au début des années nonante, organisés pour vendre au mieux ces droits de manière collective. La tactique s’est révélée payante, au point qu’aujourd’hui, les clubs relégués en Championship touchent à eux seuls un « parachute » supérieur à ce que tous les clubs réunis percevaient il y a trente ans. Avant le nouveau contrat signé l’été dernier, les deux précédents appels d’offres avaient permis à la Premier League de voir ses droits augmenter chaque fois de 70% ! Sky, qui y voyait un produit de différenciation, a injecté tellement d’argent que cela a renforcé les clubs qui ont pu attirer les meilleurs joueurs, ce qui a rendu le championnat très attractif et lui a assuré son rayonnement planétaire, particulièrement en Asie.

Si, au départ, les droits se négociaient entre les détenteurs, c’est-à-dire les ligues et les fédérations, d’une part, et les chaînes et les opérateurs, d’autre part, un troisième larron est arrivé : les agences. Celles-ci se chargent de négocier les droits auprès des vendeurs pour les revendre aux acheteurs intéressés en promettant des sommes parfois faramineuses aux premiers, mais en prenant un risque énorme. Il suffit de demander à MP & Silva, qui avait acheté les droits de la dernière Coupe du monde pour le marché italien avant même que l’équipe nationale italienne ne soit qualifiée. Or, la Squadra s’est fait dégager en barrage et MP & Silva a dû mettre la clé sous le paillasson en laissant une ardoise de 700 millions d’euros, ne trouvant aucune chaîne disposée à payer une fortune pour diffuser un spectacle que les tifosi ne regarderaient pas.

Selon Maes, ça sent le sapin pour le système. Un premier signal a été donné l’an dernier lorsqu’en Angleterre, BT et Sky ont décidé de ne plus se tirer la bourre. Ils se sont partagé les droits, chacun diffusant les programmes de l’autre. Résultat : moins 10% pour la Premier League. Il reste encore Mediapro qui a acheté l’an dernier la Ligue 1 française pour près d’un milliard par saison (Putain ! 1 milliard pour Lorient-Montpellier et Dijon-Monaco ! Je rêve !) Le plus rigolo, c’est que les propriétaires de ces deux agences sont chinois, mais que l’un n’a apparemment rien compris aux raisons des emmerdes de l’autre. Sinon, ailleurs, en Belgique notamment, des espèces de cartels – théoriquement interdits, mais les autorités compétentes semblent fermer les yeux – se forment pour faire baisser la note.

Et le téléspectateur, là-dedans ? Eh bien, le téléspectateur qui paie sa redevance mensuelle à son opérateur privé pour voir du foot en direct continue de payer cher et vilain, sauf quand il décide de ne plus être un con-sommateur et de passer par le piratage ou par les offres IPTV (télévision par Internet), dont l’impact financier pour les fédérations est impossible à chiffrer. Et avec l’amélioration constante des connexions et des débits, ça risque de continuer un moment, peut-être jusqu’au jour où les vendeurs proposeront une offre Internet OTT (sans passer par les opérateurs, donc) et vendront directement les programmes aux spectateurs lassés d’un foot devenu impayable.

Pierre Maes, Le Business des Droits TV du Foot, FYP Éditions, ISBN 978-2-36405-184-3, 20 € (prix en Belgique)

 

Romain Molina est journaliste indépendant, correspondant notamment du New York Times et biographe d’Unai Emry et de Edinson Cavani. Il se penche ici sur le monde trouble des agents, qu’il désigne comme les véritables patrons du foot mondial.

Prenez des faits que tout le monde soupçonnait et qui ont été confirmés par les Football Leaks : Pini Zahivi, grand manitou des agents dans le monde, tire les ficelles en étant présent dans l’organigramme de clubs un peu partout sur terre (dont Mouscron en Belgique) alors que c’est interdit. Jorge Mendes (agent de Romelu Lukaku, mais aussi de dizaines d’autres vedettes planétaires) organise, comme ses confrères, des montages financiers plus que borderline et d’une opacité éprouvée via des sociétés écrans enregistrées dans des paradis fiscaux style Îles Vierges. Ce n’est pas en vendant des missels ou juste du pétrole que Abramovich a bâti son immense fortune. Pour contourner certains règlements, des joueurs obscurs sont transférés à vil prix d’un club brésilien à un club uruguayen et y transitent quelques heures avant de signer pour un club européen en échange de mucho dinero et on ne sait pas exactement d’où vient ni où passe le pognon. Il y a des avocats spécialisés dans ce genre de combine. On a été obligé de plafonner la répartition entre le salaire et les droits à l’image des joueurs à un ratio de 80/20 parce qu’il y avait de l’abus (jusqu’à la proportion inverse) à des fins d’évasion fiscale. Le foot est devenu une arme géopolitique. Le foot regorge de personnages peu recommandables et incroyablement discrets – je me souviens, à cet égard, que mon cousin, juge d’instruction à Liège, a demandé à ne plus être magistrat de garde les soirs de match au Standard de Liège, parce qu’il avait « l’envie et les moyens de décerner un mandat d’arrêt à un tiers des personnes présentes dans les salons VIP ». Prenez des dizaines de faits comme ceux-là, tous avérés . Tirez ensuite sur les petits fils qui dépassent et vous entrez dans un monde sombre, glauque, dans lequel se rejoignent mafia tchétchène, porte-flingues albanais, Vladimir Poutine et décès troublants, si bien que « on se croirait plongés dans l’univers de John Le Carré, ou personne ne peut faire la part des choses entre fiction et réalité, ce qui est vrai et ce qui est inventé » (p. 192).

C’est là pour moi le vrai problème de ce bouquin, par ailleurs pas désagréable à lire. Conçu comme une enquête aux allures de roman dont le fil conducteur serait une série de on-dit impossibles à vérifier (et pour cause, puisque les protagonistes sont muets comme des tombes ou ne ne s’expriment que par bribes peu révélatrices), ça peine à convaincre faute d’être solidement étayé. Il y a trop de « mais ça doit être juste une coïncidence », de « nous confirme un informateur soucieux de préserver son anonymat », de « nous n’en saurons pas plus ». Au final, on n’arrive pas à distinguer le plausible de l’incroyable, le vraisemblable de l’affirmation rocambolesque. Ça tire dans tous les sens et ça sent la théorie du complot à plein nez. Mais lisez-le et faites-vous votre religion. Pour ma part, j’ai du mal à avaler.

Romain Molina, La Mano Negra, ces Forces obscures qui Contrôlent le Football mondial, Hugo Poche, ISBN 9782755641912, 7,60 € (prix en Belgique)

 

Bon allez ! On sort de la bibliothèque et on se retrouve au bord du terrain !

Chute de dominos sur les bancs de touche. Comme on s’y attendait, Philippe Clément a quitté Genk auréolé d’un titre national et s’en va entraîner Bruges. Il est remplacé par Felice Mazzù, qui quitte Charleroi (dont le patron, Mehdi Bayat, vient d’être élu président de l’Union belge de football) et laisse la place à Karim Belhocine, qui avait terminé la saison à la tête d’Anderlecht.

Rayon transferts, ça a beaucoup bougé du côté de Liège : le Standard a officialisé les arrivées de Oulare (déjà présent en prêt de Watford), de Amallah et Vojvoda (tous deux de Mouscron), de Boljevic (Waasland-Beveren), d’Anthony Limbombé (Nantes) et du jeune colombien Costa (19 ans), qui s’entraînait au club depuis le mois de mars déjà. Il s’agit d’un pari sur l’avenir. Nicolas Gavory, un arrière gauche français actif aux Pays-Bas (Utrecht) a signé en bord de Meuse et les négociations qui se sont longtemps poursuivies avec l’Inter pour rapatrier définitivement Zinho Vanheusden ont été menées à bien. Les Italiens avaient besoin de cash en raison de soucis avec le fair-play financier et un montage financier complexe a été mis sur pied à la satisfaction de toutes les parties. Rayon départs, outre Luyindama (Galatasaray), Marin (Ajax) et Djenepo (Southampton), dont les transferts rapporteront au club des sommes plus que rondelettes (plus de 40 millions d’euros à eux trois), l’Ukrainien Luchkyevich, qui ne s’est jamais imposé en trois ans de présence, retourne au pays, au FK Oleksandria, où il séjournait déjà en prêt. Memo Ochoa veut partir et un remplaçant (Milinkovic-Savic, de Torino) a été trouvé, mais aucune offre n’est parvenue à ce jour pour le gardien mexicain et le géant serbe ne s’est guère montré convaincant durant les matches de préparation. Comme il est peu probable qu’Ochoa reprenne place entre les perches, le staff liégeois devra choisir entre le vétéran Jean-François Gillet (40 ans) ou le néophyte Arnaud Bodart (21 ans). Désireux de faire bonne figure sur trois tableaux, le club reste à l’affût d’une bonne affaire. Enfin, à peine ses crampons raccrochés, le Sénégalais M’baye Leye (Mouscron) est devenu l’adjoint de Michel Preud’homme en remplacement de Manuel Ferrera, parti tenter sa chance comme T 1 à Dudelange.

À Bruxelles, on semble surtout soucieux de dégraisser l’effectif. Le problème, c’est que les unijambistes recrutés à prix d’or la saison dernière ne semblent guère intéresser le chaland et que les indemnités demandées pour laisser partir ceux qui en vaudraient la peine font reculer les amateurs potentiels en raison des gros salaires. Vincent Kompany aura bien du mal à remotiver les déçus et à faire progresser des joueurs manifestement pas taillés pour porter la vareuse mauve. Samir Nasri (dont on se demande comment il va faire pour se motiver un vendredi soir pluvieux dans un stade d’Eupen à moitié vide) a été recruté, tout comme l’international néerlandais Vlap et le jeune Philippe Sandler (Man City), mais c’est à peu près tout pour le moment. Autre gros changement : la nouvelle direction s’efforce de rayer des mémoires toute référence au passé du club. Ainsi le « Stade Constant Vanden Stock », du nom du président sous la houlette duquel le Sporting a forgé près de 90 % de son palmarès, a-t-il été rebaptisé « Lotto Park ».

 

Copyright Pad’r. Dessin paru dans « La Dernière Heure » du 13 juillet 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Mais ce sont bien sûr les interminables rebondissements du Footbelgate qui ont monopolisé l’attention. On allait voir ce qu’on allait voir! Grande opération « mains propres » à tous les étages ! Au final, comme souvent, ça fait pschittttt ! Malines et Waasland-Beveren, tricheurs confirmés, ne seront pas sanctionnés sportivement en tant que clubs en raison d’une vide juridique dans les règlements de l’Union belge. En effet, on ne peut pas sanctionner un club pour des faits commis au cours d’une saison révolue. Les deux clubs sont donc totalement blanchis par la Cour belge d’arbitrage pour le sport (CBAS) après des mois d’enquête, d’interrogatoires et d’accumulation de preuves accablantes, qui ont néanmoins permis de condamner (toujours sportivement, au civil, ça suit son cours et ça risque de faire du bruit) des dirigeants des deux clubs à des suspensions de fonctions allant de 7 à 10 ans, parfois assorties d’une interdiction de réaffiliation dans un autre cercle.

On a beau savoir que le droit n’a que faire de l’éthique, on ressort de tout ça avec la triste impression qu’en Belgique on peut tricher, corrompre et falsifier une compétition tant qu’on ne se fait pas démasquer avant un certain moment « T » du championnat (idéalement, si on ne se fait choper qu’après Noël, ça passe crème), puisque la CBAS est d’avis, selon le communiqué officiel, « qu’une sanction de dégradation ne peut pas être infligée à charge de Malines et de Waasland-Beveren après la fin de la saison durant laquelle les faits ont été commis ». L’interprétation strictement littérale par l’unique prisme du calendrier a donc prévalu et le public, grugé, ne peut que rester pantois d’incompréhension.

Le Beerschot, qui se voyait déjà en D 1 et Lokeren, qui espérait son maintien, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer, tout commune toute une série de clubs dont la relégation vers les mouroirs des divisions inférieures était suspendue à la décision définitive de la CBAS. Seule issue « éthique » à tout ce foutoir : l’UEFA a, elle, sanctionné Malines qui, en tant que vainqueur de la coupe de Belgique, aurait dû entrer directement en phase de poules de l’Europa League. Les Malinois sont exclus de la compétition et seront remplacés par le Standard en phase de groupe. Par effet de cascade, l’Antwerp évite un tour préliminaire et La Gantoise entre dans la danse. De même, un moment menacée en raison des tergiversations de sa justice sportive, la Belgique conserve finalement ses cinq places dans les différentes compétitions européennes. De quoi bien imbroglioter la préparation des uns et des autres à ce moment de l’avant-saison quand même.

Brèves

  • À peine arrivé à Genk, Felice Mazzù a souhaité inviter au restaurant l’ensemble de son staff. Il a dû douiller l’addition pour 23 personnes. Ça dû le changer de Charleroi, où le personnel directement placé sous l’autorité du coach est réduit à la portion congrue.
  • Find-yourmatch.com, c’est le nom de la nouvelle application qui va aider tous les clubs du monde à mettre sur pied des matches amicaux.  Elle permet de mettre en relation des formations de n’importe quel pays de façon immédiate et de situer géographiquement les adversaires potentiels pour jouer un match amical à une période précise. Les créateurs de cette appli sont Belges.
  • Robert Waseige, alias Bob-le-coach, alias le mage de Rocourt, qui avait dirigé les diables lors de la coupe du monde 2002 au Japon et en Corée, est décédé à l’âge de 79 ans. Modeste défenseur, il était devenu entraîneur à Winterslag (ancêtre du RC Genk), avant d’entamer une carrière qui l’a emmené au Standard à trois reprises, à Charleroi deux fois, au FC Liège (9 saisons), à Lokeren, au Sporting Lisbonne et à la tête de la sélection algérienne. Personnage affable, truculent, à l’humour dévastateur, au regard malicieux et à l’analyse toujours pertinente et éloquente, mais également à la rancune tenace (il avait conservé une grosse amertume vis-à-vis de la presse flamande, qui lui avait reproché son néerlandais approximatif durant ses trois ans au service des Diables), il était resté viscéralement attaché à ses racines liégeoises et son quartier natal. Européen avec tous les clubs qu’il a dirigés – sauf Winterslag, qu’il avait quand même conduit de la D3 à la D1 -, il ne lui aura manqué que des trophées (une seule coupe de Belgique). Un grand Monsieur du football belge.

Copyright Pad’R. Dessin inédit reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Une dernière pour la route (si j’ose dire), qui m’a bien fait rigoler

Fin mai, un joueur de Chelsea a été condamné à 20 mois de retrait de permis et à 70 heures de travaux d’intérêt général pour conduite en état d’ivresse. Son nom ? Danny Drinkwater, ça ne s’invente pas !

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