Bruges et Liège qui courent, Bruxelles qui boîte

Passé le cap du tiers du championnat, les premières tendances lourdes commencent à bien se dessiner. Si le scénario actuel se confirme, la lutte pour le titre  pourrait se circonscrire à un mano a mano entre le Club de Bruges et le Standard qui s’affrontaient dimanche dernier dans un duel au sommet, les Brugeois, toujours invaincus, étant légèrement favoris à ce stade, d’autant qu’ils ont livré un match de moins. Le duo de tête est actuellement  suivi de près par d’étonnants Malinois, La Gantoise, l’Antwerp et le RC Genk, mais ça devrait logiquement se décanter d’ici Noël vu les calendriers respectifs. Zulte, Charleroi et Mouscron se tiennent en embuscade. Surprise de taille : Anderlecht honore la deuxième moitié du classement de son auguste présence. Les choses devraient évidemment finir par s’arranger pour les Mauves, au mépris cependant d’une profession de foi dans le système prôné par Vincent Kompany clamée urbi et orbi en début de saison. Tout en bas du tableau, le sort du Cercle de Bruges semble déjà scellé, à moins que le nouveau coach et le mercato hivernal ne viennent métamorphoser une équipe d’une faiblesse insigne.

Philippe Clément, l’entraîneur brugeois, avait déclaré à qui voulait l’entendre que la dégelée subie en semaine face au PSG (0-5) n’avait pas laissé de traces dans l’esprit de ses joueurs. De son côté, Michel Preud’homme, son homologue liégeois, redoutait que les efforts consentis deux jours plus tôt à peine à Francfort ne pèse dans les jambes de son équipe. Oui, mais voilà, ils se trompaient tous les deux. Bien en place et rendus confiants par une défaite « encourageante » (étrange concept) à l’issue d’un déplacement dont ils seraient rentrés avec un point, voire trois, s’ils ne s’étaient montrés aussi prodigues devant le but allemand, les Standardmen ont rapidement pris l’avance grâce à l’excellent Samuel Bastien, qui s’affirme de plus en plus comme la révélation de la saison des Rouches (avec Amallah, qui est tellement épatant que les supporters ne devraient plus tarder à le surnommer « Amallah u Akhbar ») et auraient pu (dû?) rentrer aux vestiaires avec un avantage plus large s’ils avaient fait preuve de plus de lucidité au moment de conclure. Bruges, de son côté, livrait une prestation faiblarde, empruntée, dépourvue d’imagination et de conviction. Il a fallu une petite erreur de placement pour que les Blauw en Zwart égalisent immédiatement après la reprise et en profitent pour rééquilibrer les échanges, proposant enfin un football à peu près digne de leur rang, sans toutefois arriver à venir à bout de l’excellente organisation liégeoise.

Dessin de Pad’r paru dans « La Dernière Heure » du 28 octobre 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Le résumé du match

Chose que l’on imaginait donc pas il y a quelques semaines encore, Bruges a trouvé quelqu’un à qui parler. Le Standard suit une courbe nettement ascendante. Les jeunes pousses confirment tout le bien qu’on pensait d’elles. Bastien prend peu à peu le relais de Razvan Marin parti l’été dernier à l’Ajax, Vanheusden a repris là où sa grave blessure l’avait laissé à la fin de la saison dernière et s’affirme à 20 ans à peine comme l’indiscutable patron de la défense. Arnaud Bodart, pur produit de la maison comme les deux premiers, tient son but avec l’aplomb d’un chevronné. Preud’homme, qui en connaît un bout sur le métier de gardien de but et qui ne jette pas les compliments à la tête des gens dit de lui qu’il a tout pour devenir le numéro un du Standard de Liège. Selim Amallah, pour sa part, se révèle un maître achat. Maxime Lestienne, après un long passage à vide, a retrouvé toute sa vivacité frappe à nouveau à la porte des Diables et n’a loupé les deux derniers rendez-vous internationaux qu’à cause d’une petite blessure survenue quelques jours avant les promenades de santé contre Saint-Marin et le Kazakhstan. Les seules déceptions ont pour nom Milinkovic-Savic et, dans une moindre mesure,  Avenatti. Le premier, prêté par Torino pour 3 millions d’euros, fait trembler le stade et ses équipiers dès qu’il prend place dans les buts. La Meuse voisine cesse de couler quand il joue le ballon au pied. Il est arrivé en net surpoids et, imaginant sans doute qu’il n’aurait qu’à paraître pour s’imposer dans une compétition qu’il a probablement sous-estimée (et il n’est pas le premier), s’est fait damer le pion par Bodart. Pour le moment, il ne joue qu’en coupe de Belgique et en Europa League, mais on doute que Preud’homme continue à lui accorder longtemps sa confiance, surtout après le match à Francfort où sa responsabilité est engagée sur les deux buts allemands. Le second a au moins l’excuse d’avoir manqué la totalité de la préparation en raison d’une opération. Son apport est néanmoins insuffisant. Reste l’énigme Carcela. Le petit international marocain est certainement le joueur le plus naturellement doué du championnat. Ce n’est cependant un secret pour personne, il n’est pas à l’aise dans le système de jeu mis en place par le coach. Il n’est plus que rarement titulaire. Quand il vient du banc, il s’arrache, travaille comme un fou, s’époumone, tacle, bouffe le terrain et montre parfois un éclair de génie, mais il ne s’amuse plus, c’est une évidence. On ne serait qu’à moitié surpris qu’il quitte une nouvelle fois le club quand l’hiver sera venu.

Les écarts ne sont cependant pas creusés et si Bruges et le Standard sont relativement autoritaires en haut de la hiérarchie, ils n’ont surtout pas intérêt à desserrer l’étreinte. Malines, qui – rappelons-le – n’aurait jamais dû monter pour cause de tricherie, est un étonnant troisième, Gand est à sa place et digère bien le fait de jouer sur trois tableaux (championnat, coupe et Europa League) malgré un effectif relativement restreint, l’Antwerp peut également espérer rester dans le top 6 mais ferait bien de se méfier des tensions qui règnent ouvertement dans le vestiaire et sur le terrain, pendant que Genk, champion en titre, est en pleine transition après avoir perdu ses trois meilleurs éléments et accueilli un nouvel entraîneur.

Passons rapidement sur le ventre mou du classement et venons-en au Sporting d’Anderlecht. Là, je rigole sous cape, mais la cape est mal insonorisée. La venue de Kompany allait tout arranger. On allait voir ce qu’on allait voir. L’enfant du pays était de retour, il allait faire confiance aux jeunes et proposer un système de jeu inspiré, toutes proportions gardées, de celui de Pep Guardiola. Pschittttt ! Après 10 matches, les Mauves avaient royalement glané 10 points, dont 3 très flattés contre le Standard étonnamment amorphe ce dimanche-là. Si le credo avait été jusque là « Trust the process » (les jeunes vont vite apprendre et le système va s’imposer de lui-même), il est évident que dans un contexte de dictature du résultat, la direction n’allait pas rester les bras croisés. Sans être ouvertement désavoué, Kompany a dû faire un pas de côté et Franky Vercauteren a été rappelé au chevet d’une équipe quasi moribonde pour redresser la barre. Oui, les jeunes Anderlechtois ont du talent à revendre. Oui, les dirigeants ont réalisé un coup fumant en transférant un Chadli qui est nettement au-dessus du lot dans cette compétition et dont l’équipe est devenue complètement dépendante. Oui, le transfert de Nasri avait de quoi faire saliver et Van Crombrugge devait ramener la sérénité entre les poteaux.

Dessin de Pad’r paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) du 30 septembre 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Seulement voilà. Kompany, qui devait guider les gamins sur le terrain a repris, une fois encore, le chemin de l’infirmerie. Les jeunes sont encore en phase d’apprentissage et ne peuvent pas tout faire. Chadli, Trebel et Nasri (en surpoids, à court de compétition et ceci cela, voir Milinkovic-Savic évoqué plus haut) sont blessés eux aussi, tant et si bien que l’infirmerie du Sporting ressemble de plus en plus en à coffre-fort dans lequel dorment (si on prend les chiffres de Transfermarkt) environ 45 millions d’euros. L’international néerlandais Vlap se montre bien discret après des débuts prometteurs, l’Anglais Roofe, venu de Leeds United, peine à trouver ses marques et seul Van Crombrugge répond à l’attente. Résultat des courses : 14 points sur 39 et, fait rarissime pour un Anderlecht habitué à dominer, c’est le gardien qui sauve les meubles et tient l’édifice à peu près debout. Quant au credo, on oublie. Vercauteren est autant adepte du football spectaculaire que moi de la danse classique. Anderlecht s’est récemment déplacé  chez l’antépénultième Eupen et a aligné trois (!) demis défensifs, subi le jeu pendant 90 minutes et n’a dû son salut qu’aux prouesses répétées de son gardien, sans quoi les Bruxellois seraient rentrés à la maison nantis d’une nouvelle humiliante défaite. L’équipe est en devenir, c’est certain, mais elle manque actuellement de talent collectif, d’intelligence et d’inspiration pour assimiler les préceptes que Vince the Prince voudrait mettre en œuvre. Le football réaliste à la Vercauteren devrait permettre au Sporting de retrouver des couleurs et un classement plus conforme à son standing, mais il va falloir cravacher sévère pour recoller au peloton de tête. Quitte à ce qu’on s’emmerde.

Le comble, cependant, c’est l’incroyable amateurisme dont a fait preuve le président Coucke, qui a confié les clés du vestiaire à Kompany alors que celui-ci ne possède pas la licence UEFA indispensable pour coacher à ce niveau (c’est d’ailleurs une des raisons du rappel de Vercauteren, car le club aurait très bien pu, à terme, perdre sa licence). Il devait tout de même bien le savoir ! Le Sporting a été sanctionné d’une amende ridicule – 5’000 euros, une paille – par la Ligue pro, mais risque un très sympathique redressement fiscal. En effet, si les joueurs bénéficient d’un régime particulier et très avantageux, il n’en va pas de même pour les entraîneurs. Or, Kompany, pourtant annoncé à grands renforts de publicité comme joueur-entraîneur, n’est officiellement salarié que comme joueur. Cherchez l’erreur. Ajoutons que les caisses bruxelloises semblent accuser un déficit de 27 millions d’euros. Dame ! Trente-sept gusses sous contrat – dont Nasri, Kompany, Chadli, Trebel, Vlap et Roofe qui, à mon avis, ne sont pas là à titre bénévole – auxquels s’ajoutent la totalité ou une partie des joueurs prêtés à d’autres cercles, les sommes à verser aux entraîneurs licenciés ou rétrogradés dans des fonctions subalternes (4 en 18 mois !) et les indemnités de licenciement de deux ou trois directeurs sportifs alors que le club ne peut compter sur aucune recette européenne, ça coûte un pont. Bref, il y a du taf du côté de la Proximus Arena.

Dessin de Pad’r paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) du 29 octobre 2019 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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