Monnet sous une bonne étoile

Avec son costard, sa barbe de trois jours et ses lunettes de hipster, Thibaut Monnet était assurément le joueur suisse le plus stylé en tribunes lors des fameux Mondiaux du printemps dernier. Au moins ça. Mais le Valaisan n’est pas qu’un médaillé surnuméraire. C’est aussi un hockeyeur au palmarès plutôt fourni. Retour sur la carrière d’un type doué, entre buts en cascade, abonnement aux séries de play-out, titre de champion d’Europe et salutations d’Arnold Schwarzenegger.

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Avant les années de 1ère ligue, avant la promotion-gag de 2005 et la figuration en LNB, avant la fusion entre Martigny et Verbier en 2008, prélude à la nouvelle direction qu’a prise le club du coude du Rhône avec son rebranding improbable (HC… Glace Rouge, vraiment ??), il y avait le Hockey Club Martigny. Celui des années 1980-90. Une équipe de losers romantiques, rarement première dans la hiérarchie valaisanne, emblème d’une LNB bancale et bricolée (spéciale dédicace aux échafaudages du poussiéreux Forum) et dont les plus grands exploits se résument à trois participations au tour de promotion en LNA (89-90-92), des batailles épiques contre son meilleur ennemi le Lausanne HC, un groupe de guggenmusik assourdissant en période de carnaval et l’outrageuse domination de son duo slave Rosol/Fedulov.
C’est dans cet environnement convivial et villageois que Thibaut Monnet a parfait ses gammes de hockeyeur. Son père Philippe fut le vénérable capitaine du HC Martigny pendant presque une décennie, quand le club a échoué six fois de suite au pied de la LNB avant d’y accéder enfin à Bülach au soir du 14 mars 1987. Le France 98 des Martignerains, en quelque sorte. Trop jeune pour en garder une idée précise, Thibaut s’est rattrapé devant les VHS de l’armoire familiale. Flashback. « Un truc un peu bête qui me reste de ces vidéos, c’est de voir les supporters en train de pisser, tous alignés devant les buissons sur une aire de repos au retour du match. Ils ont certainement dû bien fêter ! Autrement, les quatorze cars de fans, l’ambiance à Bülach, c’était la folie de voir ça ! Et Clément Bohnet, le chef du kop, qui faisait le con accroché aux filets de protection, avec un balai dans les mains. Je sais pas ce qu’il faisait avec, mais bon… Voilà un peu ce qui m’a marqué à propos de cette promotion. » Une époque aux maillots Adidas Originals où les vingt joueurs (gardien remplaçant compris) sautaient sur la glace à chaque but pour féliciter le marqueur.
Avec un papa joueur (et entraîneur) et une maman employée à la buvette de la patinoire, le petit Thibaut pense, rêve et vit hockey. Et ça commence tôt. Très tôt. Durant les vacances scolaires, il se lève aux aurores pour profiter de la glace… dès 6h30. « Comme mon père était aussi entraîneur des Juniors, il avait les clés du vestiaire. Je le traînais à la patinoire pour m’ouvrir la porte et je sautais sur la glace dès que les lumières s’allumaient. Mais Michel Gollut, un voisin qui habitait juste à côté, avait appelé la commune de Martigny pour se plaindre du bruit que je faisais en tirant contre les bandes tous les matins. L’heure officielle du hockey public, c’était 7h30 et pas 6h30 ! Alors j’ai dû me résoudre à attendre… »
Dans les rangs des jeunes du HC Martigny, Thibaut apprend vite. Il évolue chaque saison dans deux catégories et montre très tôt des signes évidents d’une facilité déconcertante. Son premier souvenir de joueur de hockey est limpide. « C’était en Moskitos. On jouait un match de barrage contre le Star Lausanne pour ne pas descendre d’une classe. Je m’en rappelle parce que c’était vraiment important et je pensais que si on perdait, ce serait la fin du monde ! On a gagné 4-2, j’ai marqué deux buts et Bastien Casanova, un de mes amis d’enfance, a mis les deux autres. Après ça, on a fait la fête comme si on était champions de Suisse ! L’année suivante, avec René Quiros comme entraîneur, on termine au deuxième rang derrière La Chaux-de-Fonds, où jouait alors un certain… Thomas Déruns. Et vingt ans plus tard, on se retrouve lui et moi coéquipiers aux Jeux Olympiques ! Quand on y pense, c’est fou, non ? » Pas tant que ça. Réunissez les entraîneurs de Thibaut à Martigny, le légendairissime Alain Gay-Crosier en tête, et le constat est unanime : on n’a pas vu un jeune joueur aussi doué sous le maillot martignerain depuis un certain Christian Dubé.


Les jeunes Monnet et Métrailler (à gauche) avec la sélection valaisanne à Bienne.
Les plus attentifs reconnaîtront également… Paul Savary (tout à droite), capitaine de la sélection genevoise.

Ray-Ban, buts en altitude et chasse aux grenouilles

Christian Dubé, justement. Sans le savoir, le Canadien à licence suisse a joué un rôle déterminant dans la carrière du jeune Monnet. Sous le maillot d’Octodure en 1ère ligue (sorte d’équipe réserve du HCM à l’époque), Dubé, 15 ans à peine, devient un peu malgré lui la lumière au bout du tunnel. « Quand mon père a arrêté avec Martigny, il a rejoint Octodure, détaille Thibaut. Il arrivait en fin de carrière et jouait aux côtés de deux jeunes, Cédric Lovey et Christian Dubé. Quand j’ai vu que des adolescents évoluaient déjà avec des adultes, j’ai eu comme un choc. J’ai réalisé que c’était possible, que si je travaillais, je pourrais moi aussi jouer un jour avec les "grands". En fait, mon rêve de gosse, c’était simplement de jouer dans la première équipe à Martigny. »
La réalité rattrape très vite la fiction : cinq ans plus tard, Monnet participe à ses premiers entraînements en LNB avec le HC Martigny. Il a 14 ans, la gorge sèche, les jambes qui tremblent et salue timidement ses héros. L’accueil est plutôt déconcertant : à l’échauffement, Thibaut assiste, incrédule, à la course-poursuite entre le gardien Patrick Grand et le défenseur Aycholos Escher, qui venait de lancer une rondelle un peu trop près des oreilles du portier. « Patrick lui a lancé sa canne, sa plaque, tout ! Après ça, je me suis promis de toujours tirer dans les jambières en face de lui… Je me suis demandé où j’avais atterri, parce qu’aussi dans le vestiaire, le petit Italien Martino Soracreppa se promenait en peignoir, avec des Ray-Ban sur le nez ! » Oui, comme Tony Montana dans Scarface.
Dès la saison 1997/98, Thibaut est membre à part entière du contingent de la « Une ». Entre hockey et apprentissage de vendeur, les semaines sont pleines, mais il aime ça. Novices, Juniors, LNB, 1ère ligue (avec le partenaire Sion) et équipe nationale U16 : en une saison, il porte le maillot de pas moins de cinq équipes différentes ! « Bon, je jouais principalement avec les Juniors et le HC Sion, tempère-t-il. J’allais parfois avec les Novices et en première équipe uniquement pour faire le nombre, sans vraiment jouer. Mais une fois, sur le banc, l’entraîneur Pochon m’a tapé dans le dos et m’a dit d’embarquer au prochain shift. Je me suis levé, j’ai regardé à côté de moi et j’ai vu… Petr Rosol et Igor Fedulov. J’allais effectuer ma toute première présence en LNB avec les étrangers qui battaient tous les records ! J’aimerais dire que j’ai assuré, mais j’ai patiné de la ligne rouge à la ligne bleue et je suis revenu au banc. C’est tout. J’étais tellement tétanisé que j’ai rien pu faire ! » La barrière de la langue, on présume.


Métrailler et Monnet, courtiers en assurances.


Quand Doug McKay reprend l’équipe l’année suivante, il fait clairement comprendre à Monnet qu’il n’aura pas beaucoup de glace en LNB. Ce dernier saisit alors l’opportunité de s’aguerrir chez un autre partenaire du HCM, le HC Nendaz (2ème ligue). Pour son premier match dans la station du Valais central, le gamin de 16 ans plante… quatre buts. « À la fin, j’ai demandé si je pouvais revenir et les gars m’ont regardé en éclatant de rire. Je pense que ça voulait dire oui ! Nendaz, c’était vraiment bien. J’ai pu progresser avec des adultes et parfois, pendant certains matchs, on avait même le joueur du FC Sion Sébastien Fournier qui venait sur le banc avec nous parce qu’il était pote avec l’entraîneur. J’étais plus intimidé par lui que par les adversaires ! C’était quand même un joueur du grand FC Sion des années 90, juste là, à côté de moi, sur un banc à Nendaz ! Ça m’a vraiment marqué. » Un FC Sion en mode cheveux longs et paniers garnis qui était alors un récent champion de Suisse et vainqueur de la Coupe. Autres temps, autres mœurs.

Le printemps 1999 est chargé. Thibaut participe d’abord au Festival Olympique de la Jeunesse Européenne (FOJE) avec l’équipe suisse U18 en Slovaquie (« Je dis rien, mais si tu le croises une fois, tu demanderas juste à Paul Savary pourquoi il a une gueule de déterré sur la photo d’équipe le dernier jour… »), il est ensuite sacré champion de Suisse avec les Juniors A1 du HC Martigny et termine enfin par une quatrième place au championnat du Monde U18 à Füssen en Allemagne. Souvenirs, souvenirs. « À Füssen, on avait un hôtel dans la campagne avec des étangs autour et je partageais une chambre avec Valentin Wirz, Sébastien Reuille et David Jobin. Un jour, on s’emmerdait et on est parti… à la chasse aux grenouilles ! Une lubie, comme ça. On en a pris une ou deux, on les a posées dans la baignoire et quand on en a eu marre on les a relâchées. Ne me demande pas pourquoi on a fait ça… Et le titre de champion de Suisse avec Martigny, ça restera particulier. Ma première coupe, avec mes copains de toujours ! On avait vraiment une volée extraordinaire, on a fait toutes nos classes depuis les Piccolos et là on terminait au sommet, tous ensemble. Pour moi, c’était aussi une manière de quitter Martigny sur une bonne note. »

En effet, la pénible fin de saison 98/99 voit la faillite et la relégation administrative d’un HCM financièrement à l’agonie, et les appels du pied sont nombreux. D’ailleurs, à Noël déjà, l’inénarrable président René Grand avait actionné la sonnette d’alarme. Thibaut se marre. « Il est rentré dans le vestiaire, il nous a regardé et a dit que le seul moyen qu’il avait de payer les gars, c’était de me vendre ! J’ai jamais eu autant la trouille de ma vie ! Finalement, ça ne s’est pas fait et on a terminé la saison. » Avec onze joueurs pros, des juniors pour compléter l’effectif et des gradins quasiment vides. Triste.


Les Frogbusters : Sébastien Reuille, Valentin Wirz, Thibaut Monnet et David Jobin.

Zinédine « Zirom »

Parmi une demi-douzaine de prétendants, c’est le Lausanne Hockey Club qui obtient les faveurs de Monnet. La proximité avec le Valais, la ville et les structures professionnelles convainquent le jeune joueur de tenter le coup. À 17 ans, il effectue ses premiers pas dans la vie d’homme. Ou presque. « Au début, c’était surtout un défilé de Tupperware que ma maman me préparait ! J’avais pas le permis et je partageais mon appartement avec Mark Bastl. Alors si tu veux, c’était un peu mon chauffeur privé ! Et on passait notre temps à jouer à « Metal Gear Solid » sur la PlayStation. Attention, je te parle de la console grise, la toute première qui est sortie ! » Associé à Thierry Bornand et Valentin Wirz, Thibaut est assurément plus à l’aise sur la glace que devant les fourneaux, présentant une fiche honorable de 24 points (dont 14 buts) en 39 matchs, ce qui fait de lui le meilleur compteur suisse du LHC derrière l’indéboulonnable Max One Timer Lapointe.
Une saison plutôt réussie pour Monnet, qui côtoie alors Monsieur Vyacheslav Bykov. Une expérience forcément inoubliable. « Un joueur incroyable et surtout un type en or !  À Lausanne, il avait longtemps été blessé et quand il est revenu, on jouait à Sierre. Dans le vestiaire, il était vraiment tendu, il s’excusait presque d’être là, il avait peur de pas avoir le niveau et nous demandait d’être indulgent avec lui. On a gagné 7-1 et il a fait cinq assists ! Je crois qu’il était bien rétabli… » Avec les salutations de Slava, sa Busch interminable et ses Tacks Pump aux lames noires.
Lausanne se fait sortir des playoffs par Genève dans un best of five, puis Thibaut prend le chemin de Kloten pour son deuxième championnat du Monde U18. L’occasion pour lui de retrouver une vieille connaissance en la personne du joyeux drille sierrois Cédric Métrailler. Adversaires durant leur enfance, coéquipiers en sélection (Valais, Suisse romande, Suisse U16, FOJE), les deux compères prouvent qu’en hockey sur glace, une entente sierro-martigneraine n’est pas vraiment une utopie. « Bon, on s’envoyait quand même des bonnes vannes, avoue Thibaut. Enfin, surtout lui parce qu’à l’époque Martigny était en 1ère ligue et Sierre au sommet de la LNB. Mais on a tout de suite eu un bon feeling ensemble. Lui, c’était la déconne à fond, moi j’étais plus réservé et on se complétait bien sur la glace. Cédric, c’est un de mes bons amis dans le hockey. »
La Suisse perd en demi-finale sur un autogoal « à la Philipp Furrer » de Beat Gerber, puis échoue au pied du podium contre la Finlande. Mais cette année-là, l’essentiel est ailleurs : sur la console, Solid Snake est remplacé par Zinédine Zidane (ou plutôt « Zirom », puisque le jeu ne possède pas de licence pour les noms des joueurs et des clubs) et les parties de l’anciennement nommé ISS Pro Evolution (aujourd’hui PES) sont endiablées. « Le problème numéro un quand on voyageait en équipe, c’était de vérifier la compatibilité de la PlayStation avec la télé de la chambre d’hôtel, assure Thibaut. Ça, et faire le plein de nourriture au supermarché. Chacun emmenait sa console et c’était l’émeute ! Je me faisais presque plus de souci pour ma demi-finale de Coupe du Monde de foot contre le Brésil que pour la nôtre sur la glace ! » C’est sûr, rien ne procure autant d’émotions qu’un coup franc de 25 mètres parfaitement dosé : une parabole qui, bien exécutée, envoie n’importe quel gamer au nirvana.


Fils de pub : affiches pour des vêtements…

Avec Thomas Déruns, Fabian Guignard et… Werner Günthör

Après l’aventure lausannoise, Monnet tente le grand saut en LNA avec le tout juste promu HC La-Chaux-de-Fonds, vaincu par Coire en finale de LNB mais repêché en LNA dans le cadre d’un élargissement à douze équipes. Certain d’avoir du temps de jeu, entouré de jeunes joueurs (Déruns, Romy, Brusa, Thalmann, Maillat, Türler), le Valaisan y voit un bon moyen de gravir un échelon de plus dans sa progression. Si le rendement personnel de Thibaut est satisfaisant (participation au championnat du Monde U20 à Moscou, permis de conduire brillamment passé, achat d’une Opel Kadett du plus bel effet et obtention du titre de Recrue LNA de l’année avec 15 goals), la saison du HCC vire au naufrage collectif : quatre minuscules victoires en championnat et une bataille interminable de 18 matchs contre la relégation pour finalement s’incliner en série de barrage contre le champion de LNB, un certain… Lausanne HC, que Monnet a quitté douze mois auparavant.

Mais, entre les « chauffées du Pod » dans la bagnole customisée de Thomas Déruns, les pâtes à la carbonara du père spirituel Fabian Guignard, les conseils avisés de Valeri Chiriaev (« Fais passe sur la canne, fais plaisir public. »), les t-shirts improbables de Steve Aebersold et la vie en colocation avec Sven Helfenstein, tout ne fut certainement pas à jeter pour Thibaut. « On était une équipe de potes qui découvraient la LNA. C’est vrai que c’était pas facile, on se serrait les coudes et parfois ça devenait pesant de perdre. Guignard et Chiriaev ont même lâché les gants une fois à l’entraînement ! Dans l’ensemble, c’était une bonne expérience et je me suis bien plu. Mais je commençais aussi à me poser des questions… En trois saisons complètes, j’avais vécu deux relégations et une faillite ! »
Dans la même logique chaux-de-fonnière (temps de jeu conséquent, progression par paliers), Monnet signe alors une entente avec Fribourg-Gottéron. Il change de voiture, s’offre une Seat Ibiza d’occasion légèrement pimpée qui lui vaudra le surnom de « Dragomir » (merci Geoffrey Vauclair) et participe à ses premiers playoffs de LNA en fin de saison contre Kloten. Une série perdue en cinq matchs, au délicieux parfum gris-vert. « J’ai fait mon école de recrues en février à la caserne de la Poya. J’étais employé de bureau et les chefs me laissaient partir pour les entraînements et les matchs. Ensuite, j’ai passé les six dernières semaines à Macolin. Je partageais une chambre avec Oleg Siritsa d’Ambri, on s’entraînait toute la journée et Werner Günthör était notre instructeur. Ça nous faisait marrer parce que tous les matins on le voyait monter… en Smart ! Mais comment il arrivait à rentrer dans une voiture pareille ?? »

Le slashing de Stephan

Entre temps, Thibaut glane une deuxième médaille en chocolat à Pardubice avec l’équipe suisse pour le championnat du Monde U20, au cours duquel il prépare ses matchs en mangeant des raclettes à l’hôtel avec Lukas Gerber, Thomas Déruns et Raffaele Sannitz. « Gerber avait emmené un four et mes parents le fromage depuis la Suisse, détaille Thibaut. On était à la maison ! Comme d’habitude, on s’était ravitaillés au magasin du coin, mais cette fois c’était un vrai Carrefour avec des produits qu’on connaissait, alors c’était vraiment le top. Patrik Bärtschi avait même acheté… une télé parce qu’il trouvait celle de la chambre trop petite pour jouer à la PlayStation ! » Tout simplement.
Sur la glace, le spectacle est tout aussi invraisemblable. Le quart de finale contre la Slovaquie se décide aux tirs au but. Après son essai réussi, le premier tireur slovaque nargue le gardien Tobias Stephan, dont le sang ne fait qu’un tour : slashing impeccable dans les mollets de l’adversaire et deux minutes de prison pour le rempart suisse. Or, selon le règlement, la pénalité doit être purgée par le joueur suivant sur la liste des tireurs, en l’occurrence… Thibaut Monnet. « Personne ne comprenait ce qu’il se passait ! J’ai traversé la glace et j’ai traité l’arbitre de tous les noms. Résultat : je me suis assis, j’ai pas pu tirer le pénalty et en plus j’ai pris 10’ de méconduite.» Un grand moment de solitude.
En 2002/03, Thibaut rempile à Fribourg mais Gottéron, victime de son « affaire Abplanalp » (problème de licence, protêt, points retirés), termine neuvième d’une saison qui voit les séries contre la relégation simplement annulées à la suite de cet incident. Une cacophonie qui envoie le capitaine Mario Rottaris, légende du hockey fribourgeois, à la retraite du jour au lendemain.
Thibaut se souvient : « Cette saison-là, on savait que ce serait la dernière pour Rottaris. On voulait lui offrir une place en playoffs pour finir en beauté, avec plein d’émotions. Là, le protêt éclate et tout à coup la saison est terminée. L’équipe s’entraînait quand même et Mario arrive au vestiaire, fait son sac, nous dit au revoir et s’en va. Il est parti le long du couloir, dans l’anonymat complet, avec son équipement, ses cannes, comme un mec des ligues corporatives qui finit son match le dimanche soir alors qu’il terminait quand même vingt ans de carrière en LNA ! C’était vraiment un moment irréel. »


…et du vin.

Des Tigres et des Ours

Laissé libre par le club fribourgeois qui souffre au niveau administratif, le Bas-Valaisan rejoint en 2003 les… SCL Tigers. Quoi ?? Un club perdu au beau milieu des fermes de la campagne bernoise ? Une équipe bancale qui n’a jamais atteint les séries depuis son retour dans l’élite et qui joue avec des casques violets ? Indeed. Thibaut rigole, puis se justifie : « Bon, c’est vrai, pendant deux saisons, j’ai encore fini sous la barre ! Mais on avait tout de même une bonne équipe et des ambitions ! J’ai pu jouer avec Pierre-Alain Ançay, Matthias Lauber et aussi Cédric Métrailler pendant quelques matchs. Ça reste quand même une bonne expérience pour moi : j’avais de la glace, la région était belle, les gens accueillants et j’ai pu découvrir la culture suisse-allemande. »
Et quelle culture ! Celle des meilleures frites épicées aux herbes de tout le championnat suisse, des fans aux sabots en bois et aux gilets en denim d’un autre âge, avec écussons des clubs et franges de rigueur, sans oublier la boucherie du mythique ancien joueur local Michael Horisberger et les succulentes légendes urbaines rattachées au personnage (la rumeur raconte qu’il buvait du sang de bœuf avant les matchs et qu’il déposait des carcasses d’animaux dans les poubelles autour de la patinoire pour intimider les adversaires). Une mythologie bien particulière qui n’a quand même pas empêché les Tigres de terminer deux fois au fond du classement et de mettre… 17 étrangers sous contrat durant l’année de la grève en Amérique du Nord. Un record inégalable. Les quarante buts sur deux saisons de Thibaut attirent tout de même l’attention du voisin bernois et après quelques années focalisées sur le développement personnel, Monnet veut connaître l’expérience d’un club qui joue le titre. Il a 23 ans et s’engage pour trois ans avec le SC Bern.

Après cinq saisons de LNA et des sélections de plus en plus régulières en équipe nationale, Thibaut a confiance en ses capacités. L’encadrement très professionnel du SCB et son public légendaire devraient lui permettre d’atteindre une nouvelle dimension. Au vrai, c’est surtout la réalité d’un monde ultra compétitif et la pression d’un prétendant au titre qu’il recevra en pleine figure. « Je l’avoue sans honte et sans gêne : ça ne s’est pas vraiment passé comme je l’aurais souhaité. Je jouais dans la troisième ligne vouée à un rôle défensif et ce n’est pas ce que j’espérais. Mais si je dois retenir une chose de cette expérience, c’est qu’elle a "tourné le bouton" dans ma tête et depuis lors, je n’ai plus jamais abordé mon métier de la même manière. »
Quand il voit des routiniers comme Christian Dubé (celui-là même qui jouait avec Monnet Père à Octodure) ou Ivo Rüthemann multiplier les séances de musculation, Thibaut a comme une révélation. « Si des joueurs comme eux se remettent toujours en question et font deux fois plus que ce qui est demandé, c’est qu’il n’y a qu’un seul moyen pour réussir et durer : bosser, et bosser pour toi uniquement. Pas simplement soulever des poids parce que quelqu’un te dit de le faire. Grâce à ça, j’ai vraiment modifié mon approche mentale et appris progressivement à "aimer" m’entraîner davantage et toujours en faire plus en dehors de la glace. » Thibaut remonte gentiment la pente et gagne du temps de jeu, mais les Bernois se font sortir dès le premier tour des playoffs par Kloten. Malgré une saison mi-figue mi-raisin, il est prêt à relever le défi pour l’automne suivant.
Et là, coup de théâtre : le manager Sven Leuenberger l’appelle et l’informe que suite au changement d’entraîneur, il n’y a plus de place pour lui dans l’effectif. Concrètement, il est jugé trop fort pour les deux derniers trios d’attaque, mais pas assez pour les deux premiers. Le coup est rude. L’option d’un prêt est évoquée et Thibaut choisit de retourner à FR Gottéron. « Quitte à partir, autant aller dans un environnement connu. Et ça ne chamboulait pas tout pour ma copine Jessica (ndlr : devenue depuis sa femme). Ça s’est plutôt bien passé pour moi. Bon, j’ai encore une fois terminé en play-out, mais j’ai retrouvé le goût de jouer dans une super ambiance ! » Invité chez le spécimen Adam Munro pour les repas d’avant match, Thibaut découvre les joies des pâtes au ketchup et du pain trempé dans un mélange peu ragoûtant de parmesan et d’huile d’olive (« Une horreur. Et son appart était un vrai dépotoir ! »). En série contre la relégation, face à… Langnau (décidément, l’histoire est cyclique), il évolue dans une ligne redoutable avec Caryl Neuenschwander et le transfuge sierrois Derek Cormier, puis marque deux fois dans la série de tirs au but pour offrir le gain du quatrième match décisif à Fribourg.


Batman et Robin.

Sur le toit de l’Europe

À partir du moment où il a été prêté une première fois par Berne, il a toujours été clair que Monnet ne reviendrait pas jouer dans la capitale. Un peu par fierté (« Tout à coup j’avais de la valeur et Berne tenait à moi, alors que douze mois auparavant le club voulait me prêter… »), il décide de ne pas continuer l’aventure. Seule condition pour les Bernois : il faut qu’une équipe rachète sa dernière année de contrat. Zurich se propose et les deux parties tombent d’accord. Un bail de trois ans est signé (renouvelé pour trois années supplémentaires en 2010) et le CV du Valaisan va alors joliment gonfler dans les saisons à venir.
De 2007 à 2013, il y aura dans l’ordre : un titre de champion de Suisse en 2008, une Champions Hockey League en 2009 (victoire contre les Russes de Magnitogorsk dans un tournoi rassemblant pour la première fois les meilleures équipes européennes, sur le modèle de le Ligue des Champions en football), une Victoria Cup en 2009 (victoire honorifique face à une équipe de NHL – Chicago cette année-là – et le champion d’Europe) et enfin un deuxième titre national en 2012.
Pour Thibaut, c’est le temps du trio d’attaque Bastl-Pittis-Monnet, des tribunes du Hallenstadion à quatre mètres des bandes, du casque de Top Scorer, des bas McDonald’s et du but du titre de McCarthy à 2.5 secondes de la fin du match no 7 de la finale de 2012 (le temps restant est d’ailleurs symboliquement inscrit sur la bague de champion). Mais c’est aussi l’époque d’une peu reluisante période de disette – Monnet vit un calvaire hallucinant de… 22 matchs sans but en hiver 2011 ! – et des méthodes à l’américaine de l’entraîneur Bob Hartley. « À Zurich, j’ai tout vécu ! J’ai gagné des titres, joué devant 12’000 personnes, voyagé à travers l’Europe, marqué des goals, fait du banc, évolué en quatrième ligne et une fois j’ai même été prié de rester à la maison ! Ça restera quand même six années exceptionnelles. »

Pas faux. Entre les leçons extra-sportives de Jan Alston qui contrôle la nourriture du Valaisan et lui montre en salle de force « qu’est-ce que ça prend d’être un pro » [sic], les épopées européennes du mardi soir en Finlande, Suède ou Russie avec son pote Bastl, les élans gastronomiques de Bob Hartley (« Il interdisait au cuisinier de nous préparer autre chose que du saumon ! ») et les entraînements au centre sportif d’Oerlikon, seul endroit au monde où des hockeyeurs professionnels doivent traverser un passage piéton en protège-lames pour rejoindre la patinoire, Monnet possède assurément des souvenirs pour la vie.
« Avant Zurich, j’avais rien gagné. Je dois vraiment beaucoup à ce club. Quand je suis parti après six ans, j’ai tenu à écrire aux supporters via la page Facebook de l’équipe. Les réponses que j’ai reçues ont été incroyables ! J’en avais les frissons, vraiment ! J’ai plein de petites anecdotes, des moments qui reviennent de temps en temps et qui me font mesurer après coup à quel point ça paraît improbable de les avoir vécus. Par exemple, avant le match contre les Chicago Blackhawks, les titulaires étaient présentés sur le rond central. Là, je me retrouve au milieu des projecteurs, sans le casque, dans une patinoire comble, en train de jouer au type serein alors que je suis à un mètre de Duncan Keith ! C’est dingue. Pareil avec les Jeux Olympiques et le dernier championnat du Monde. Il t’arrive des trucs et tu te dis que c’est pas possible. »


Checking Line.

Pavel, Arnold et Jaromir

Retour en arrière. Quand le facteur arrive au matin du 28 décembre 2009, les nouvelles sont réjouissantes : en sueur, Thibaut apprend par courrier qu’il participera bel et bien aux Jeux Olympiques de Vancouver au mois de février suivant. « Je sais que ça sonne comme un cliché, mais c’est vraiment comme dans un rêve. Tout tourne autour du sport, l’engouement est incroyable et pour un joueur de hockey, il n’y a pas de meilleur endroit que le Canada pour ça. » Au Village Olympique, Thibaut prend des photos avec Didier Cuche, se remémore les souvenirs du FOJE avec le patineur saxonain Stéphane Lambiel (présent lors de la fameuse dernière soirée avec Paul Savary…) et profite pleinement de l’évènement.
D’autres rencontres sont pour le moins inattendues. Thibaut hoche la tête, sourit et explique : « Il y avait une immense salle de détente à disposition de tous les athlètes. Avec Sannitz, Sprunger et Déruns, on était seuls, à jouer à la NHL sur la PlayStation. Tout à coup arrivent deux types. Ils se postent derrière nous, regardent un moment l’écran, puis font un signe de la tête et repartent. Sidney Crosby et Jonathan Toews venaient de nous saluer et on jouait avec eux sur l’écran ! Incroyable ! Une autre fois, j’arrive à la patinoire d’entraînement, j’ouvre la porte et j’aperçois quelqu’un qui sort au même moment. C’était Pavel Datsyuk. J’étais là, complètement tétanisé, la main sur la poignée, en train de faire des politesses avec le meilleur joueur du monde pour savoir qui laisserait passer l’autre en premier ! » Il garde pour la fin le moment le plus improbable de son séjour et peut-être même de sa vie. « Avec Sprunger, on sort de la salle à manger après le déjeuner. Dans le couloir, un type costaud marche en direction du réfectoire et nous gratifie, sourire aux lèvres, d’un cordial "Hey guys !" Et ce type, c’était… Arnold Schwarzenegger ! » Il est donc de retour.
À part ça, la Suisse a perdu en quart de finale contre les USA et Thibaut, entre deux virées shopping en famille, récoltera un assist. « Sur la glace, le niveau était incroyable. Tu affrontes les meilleurs du monde, alors tu essaies d’appliquer le système et de ne pas être trop ridicule. Mais j’ai eu mes moments… Contre le Canada, j’arrive à la ligne bleue et je prépare un slap. C’était sans compter sur la canne interminable de Chris Pronger : il a juste dévié le puck et j’ai fini mon immense mouvement dans le vide ! Contre les USA, j’ai voulu jouer au dur, mettre une grosse charge et je me suis retrouvé… sur le banc des joueurs. J’ai connu des situations moins pénibles. »
Concernant les rencontres fortuites, les championnats du Monde ont également révélé quelques agréables surprises avec des monuments du hockey sur glace. À Québec en 2008, Monnet se retrouvera seul dans une salle d’entraînement avec ni plus ni moins que son idole de toujours, le joueur russe Sergei Fedorov (« Une chose est sûre: ce jour-là, j’ai pas eu besoin de faire de vélo pour faire monter mes pulsations ! »). Deux ans plus tard, à Mannheim, Thibaut échange quelques timides mots avec… le légendaire Jaromir Jagr. « Dans la patinoire, notre vestiaire était juste à côté de celui des Tchèques. Une fois, je faisais du vélo dans le corridor, tout à coup apparaît Jaromir Jagr en face de moi ! Il me croise et me demande juste si on joue le soir. J’ai seulement réussi à balbutier un pâle "Euh… non, non… mais demain oui…" dans un anglais approximatif. On n’a malheureusement pas gardé contact après cet échange chaleureux… » Il éclate de rire.

Lunettes et pop-corn

Le plus grand exploit de l’équipe nationale reste sans doute la médaille d’argent obtenue à Stockholm en mai de cette année. Une médaille qui couronne le parcours presque parfait d’une sélection décomplexée sur laquelle, avouons-le, personne n’aurait misé un sou au début du tournoi. Le maillot de Thibaut, gardé en souvenir, ne sent pas beaucoup la transpiration : surnuméraire, le Martignerain n’a enfilé son uniforme qu’une seule fois, lors du quart de finale contre la République tchèque. Bilan personnel : zéro minute de jeu, zéro but, zéro assist, zéro minute de pénalité.
Satisfaisant ? « Il faut être honnête. Entre jouer et regarder les coéquipiers, je préfère jouer. Mais comme tous les autres sélectionnés, j’étais au courant des règles. Il faut accepter les décisions et faire au mieux. Certains n’ont même pas eu la chance d’être du voyage ! Sean Simpson avait ses lignes en tête, j’étais là en tant que remplaçant et c’était mon rôle durant ce tournoi. Mais je fais partie du contingent, donc cette médaille, même si je n’y suis pas pour grand-chose, je la prends volontiers ! » Un peu comme Lionel Charbonnier, donc.
En tribunes avec Dario Bürgler et Tobias Stephan, Monnet, lunettes épaisses sur le nez, mange du pop-corn et fait office de correspondant de luxe pour la RTS. Une expérience comme une autre dans la vie du seul Romand de l’équipe en compagnie de Julien Vauclair. « C’est un peu bizarre comme situation. Tu es dans le truc, tu participes à tout, aux entraînements, aux réunions, mais quand arrive le moment de jouer, le moment qui compte, ben tu dois laisser les autres et les regarder depuis les tribunes. C’est comme ça. Je partageais ma chambre avec Morris Trachsler et forcément j’étais aussi souvent avec Julien. On était comme un vieux couple et un soir sur deux on mangeait des sushis ! Je suis content pour lui et sa sélection dans le All-Star Team du tournoi. Un super joueur et un super gars. Mais les autres étaient aussi des bons types ! Si t’avais vu le bordel qu’a fait Roman Josi dans l’avion du retour ! Il chantait dans le micro des hôtesses et a fait le con durant tout le trajet ! » Le tout à 23 ans, avec déjà deux saisons de NHL au compteur et un trophée de MVP du tournoi sous le bras. Like a Boss.
Le Valaisan a donc choisi de retourner à Gottéron pour la saison 2013-2014. Sentant la fin d’une ère et éprouvant un besoin de changement après six saisons zurichoises, il retrouve pour la troisième fois St-Léonard (BCF Arena pour les plus jeunes), où il a signé un contrat de trois ans. De quoi nourrir de légitimes ambitions et inscrire quelques lignes supplémentaires à un palmarès déjà bien garni. À condition, bien sûr, que Christian Dubé continue indirectement de lui montrer le chemin à suivre…
Photos pub de Céline Ribordy, copyright Les Vins du Valais

Écrit par Benjamin Moret

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20 Commentaires

  1. La série continue ! Superbe article avec encore une fois plein d’anecdotes marrantes.
    Maintenant, c’est le titre avec Gottéron ! Allez Thibaut !

  2. Oui, vraiment super, ces papiers. Des articles comme aucun journal n’en propose. Magnifique. On découvre l’envers du décor, on devine l’homme derrière le casque.
    Je dois dire que j’ai toujours été un peu jaloux de la vie des sportifs; je le suis encore plus quand on lit toutes les anecdotes de leurs folles années de jeunesse!

    Allez Benjamin, un par mois comme ça jusqu’à la fin de la saison, ce serait super.

  3. Benjamin je suis fan de toi,extraordinaire.
    En lisant l article, j ai pu resentir ce que Thibaut avait vraiment vecu des bons comme des mauvais moments….

  4. Thibaut est un prince qui fait honneur au hockey suisse et Benjamin, désormais, est le Fedorov du grand entretien. Magnifique, messieurs, et merci à tous les deux!

  5. Juste grandiose, impossible à décrocher de cet article ! L’écriture est parfaite et on est vraiment transporté par toutes ces anecdotes qu’on n’aurait jamais eu l’occasion de lire dans la presse traditionnelle. Merci à Thibaut de s’être livré avec autant d’authenticité et à l’auteur pour avoir retranscrit cet interview de manière aussi vivante 🙂

    Bref, sans doute le meilleur article que j’ai pu lire sur CR. Bravo, rien à rajouter.

  6. Super plaisant à lire, bravo pour le boulot que demande un tel portrait!

    La façon dont Rottaris part à la retraite est juste mémorable!

    Est-ce que ces portraits restent pour les hockeyeurs ou vont-ils s’étendre au foot ou à d’autres sports? Un Tibert Pont ou Ludo Magnin à cette sauce pourrait nous offrir quelques perles!

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