L’enfer du dimanche

Jamais à court de reportages de proximité, la rédaction de CartonRouge.ch était présente au Texas afin de vivre l’expérience unique d’un match de NFL, qui plus est dans l’une des arènes les plus récentes de la ligue. Au cœur de l’Amérique ultrareligieuse et conservatrice, du royaume du Dieu pétrole et de la Déesse bagnole, retour sur une journée passée dans un autre monde.

Houston, Texas. Quatrième ville des Etats-Unis, détentrice du record mondial en terme d’étalement urbain, une atmosphère suffocante même en décembre. La ville texane symbolise à elle seule la société de consommation made in America. A moins d’y être expédié pour raisons professionnelles, on ne va jamais à Houston de son propre gré. Jamais. Antithèse de la ville durable, ouverte, accueillante, culturelle, touristique, historique, cosmopolite et remplie d’intérêt, la mégapole demeure toutefois une curiosité, sorte de penchant sudiste de la délabrée Detroit, dotée d’un centre-ville – Le Business Center – qui prend des allures de zone sinistrée sitôt la nuit tombée. Entre parkings démesurés et gratte-ciels vertigineux, le centre névralgique de l’industrie pétrolière dégage une fascinante austérité dans un univers qui brasse quotidiennement des milliards de dollars.

Choc thermique

Dans cet Etat, le football US est une véritable institution, le berceau de ce sport méconnu en Europe est considéré à tort comme ennuyeux et rébarbatif. Fin novembre, nous nous étions gelé les miches en pleine tempête de neige à Québec lors de la finale de la Coupe Vanier (la finale du championnat universitaire canadien) qui avait vu les locaux l’emporter, ô surprise, contre Calgary dans un stade comble de près de 20’000 spectateurs. Une semaine plus tard, c’est l’heure de voir le même sport (à quelques règles près) dans un contexte radicalement opposé. Moins populaire, Plus commercial, plus professionnel, plus structuré, beaucoup plus cher, plus américain; bref, complètement différent. L’affiche de ce dimanche de Thanksgiving met aux prises les Texans de Houston aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre, dénomination qui regroupe les états originaux du nord-est des Etats-Unis, soit le Vermont, le New Hampshire, le Connecticut, le Maine, le Massachusetts et Rhode Island, et dont le fief se situe à Foxboro, dans la banlieue de Boston.

Sur le papier, on ne peut pas dire que la rencontre promette d’être équilibrée. Du côté des Texans, la confiance est totale. Après une brillante saison 2012-2013 et deux victoires à leurs deux premiers matchs au cours de cet exercice, les Taureaux ont poursuivi avec une séquence de neuf défaites de rang, le quart-arrière (ou quarterback) partant Matt Schaub s’est fait éjecter de son poste par Case Keenum, un jeune «du cru» mais jamais repêché par une organisation professionnelle, et l’entraîneur-chef a été victime d’un malaise sur le terrain il y a près d’un mois avant de se faire immanquablement virer sept jours plus tard. Tout va donc pour le mieux pour une équipe de Houston qui avait réussi l’exploit de perdre à la maison la semaine d’avant contre les terrifiants Jaguars de Jacksonville, pire équipe de la ligue à ce moment, et ce sans marquer le moindre touché, ou touchdown. Dans l’optique d’affronter les Patriots, la situation des Texans est donc idéale.
Les Pats, eux, connaissent une saison classique en affichant un bilan de neuf victoires – la plupart arrachées dans les dernières secondes – pour trois défaites. Le début de saison fut toutefois compliqué à négocier pour la Nouvelle-Angleterre qui a vu ses trois receveurs principaux quitter l’équipe tout en déplorant l’absence de l’indispensable Rob Gronkowski pour cause de bras en compote. Le temps de faire un peu n’importe quoi, de se faire peur contre des équipes moisies (mes plates excuses envers les fans des Bills, des Buccaneers et des Falcons), le temps que Tom Brady trouve ses marques et ses nouveaux potes, le diesel des Pats semble désormais lancé, confirmé par son impressionnante remontée contre les Broncos de Peyton Manning lors de la semaine 12. Bien que leur alignement défensif ne s’avère pas toujours séduisant et compte tenu de la dynamique des deux formations, il y avait de bonnes chances de voir les locaux se prendre une raclée monumentale dans l’atmosphère huileuse de Houston.

Don’t mess with Texas

Tout miser sur le transport individuel possède de nombreux avantages par rapport à l’idéologie réactionnaire des intégristes écolos qui voudraient sacrifier la liberté individuelle, droit humain inaliénable, sur l’autel du transport en commun: les autoroutes à huit pistes permettent justement de pouvoir se rendre au stade sans problème de circulation et de congestion routière. D’autant plus que c’est le dimanche de Thanksgiving. En sortant de l’interstate highway, il faut encore passer au travers des 21 parkings gigantesques peuplés à la fois de chars d’assaut rutilants et pimpés, de campements sauvages de fans qui n’ont pas de billet et qui regardent le match sur leur écran plat 60 pouces de leur mobil-home pendant que les barbecues XXXXL crachent leur fumée noire aux alentours. Ici, pas de boissons alcoolisées puisque l’Etat du Texas en interdit strictement la consommation sur la voie publique. Et au Texas, on ne badine pas avec la loi.

Une fois monté les six étages pour entrer dans l’enceinte, des écrans géants placés tous les 3 mètres dans les couloirs du stade nous indique que les Texans mènent déjà 10-0 au milieu du premier quart. C’est bien connu, lorsqu’on a l’occasion de vivre une grande première, quel que soit l’événement, il faut toujours arriver à la bourre et si possible en ayant oublié le maximum d’objets indispensables. Ce fut toutefois la déception au moment de voir les panneaux interdisant explicitement de fumer à l’intérieur du complexe et, surtout, d’y entrer avec un flingue. J’ai donc été contraint de déposer mon AK-47, mon Magnum 357 et mes ceintures de cartouches dans l’un des compartiments prévus à cet effet.
Une fois assis, reconnaissons le talent des Américains pour bâtir des arènes fonctionnelles où tu vois parfaitement le terrain, où que tu te situes. Le Reliant Stadium et son toit rétractable est un stade ultramoderne, la franchise texane est la plus jeune de la NFL; il y manque une âme comme cela pourrait être le cas à Green Bay, Pittsburgh, ou dans les domilices des équipes qui ont marqué l’histoire de la ligue. C’est froid, l’ambiance est convenue, méthodiquement initialisée par les animations du super écran géant et les annonces du speaker. Mais la configuration évite au moins d’avoir une atmosphère aseptisée, aidée par la très bonne tenue des Taureaux en quête de rédemption au cours d’un match de très grande qualité.
Las, il y a toujours ce traditionnel abus de pauses publicitaires, dénominateur commun de tout sport professionnel aux Etats-Unis. Certaines sont ponctuées de séquences émotions à la gloire des soldats américains blessés au combat et revenus en héros. Deux éclopés se sont même vu offrir en direct une maison sur le plateau télé situé entre le 1er et le 2e anneau du stade avec en prime le gros plan sur leurs femmes fondant en larmes sur l’écran géant avec, bien entendu, le logo des Texans et des commanditaires dans le coin inférieur droit. D’un seul trait, les 71’769 spectateurs se sont levés d’un seul homme pour applaudir ces héros de la Patrie, moi y compris. Je ne suis pas venu ici pour avoir des emmerdes. Donc que Dieu les bénissent, tout ça…
C’est vrai, on ne peut pas faire n’importe quoi ici. Il est fortement conseillé de suivre scrupuleusement les règles rabâchées sans cesse par J.J. Watt – le charismatique défenseur numéro 99 des Texans – qui interdisent d’avoir «un comportement illégal et perturbateur, de consommer de l’alcool de manière excessive, d’interférer avec le jeu, d’harceler les fans adverses, de s’asseoir sur le siège de quelqu’un d’autre, de tenir un langage inapproprié et de ne pas suivre toutes ces recommandations (sic!)» sous peine de se faire jeter hors du stade. Autant dire qu’en Suisse (et ailleurs en Europe), tous les matchs se joueraient à huis clos.

Notons aussi la forte proportion de fans des Patriots. En tant que l’une des équipes les plus titrées de la ligue et possédant en Tom Brady, le visage de la concession, l’un des meilleurs quart-arrière de la NFL depuis plusieurs années, les Pats drainent un très grand nombre de partisans bien au-delà des frontières de la Nouvelle-Angleterre. Les succès et la régularité des Patriots contribuent évidemment à générer cet intérêt chez une grande partie des footix suivant de près ou de loin le football américain.
La mi-temps est sifflée – pardon, annoncée sur le score de 17 à 7 en faveur des Texans sans complexe et marque l’annonce du show très attendu d’un certain Young MC, sorte de croisement entre LL Cool J et CeeLo Green. Histoire de faire de plein de sucre et de gras trans, j’ai l’obligation de courir vers l’un des 839 magasins de fast-food situé sous les gradins et donc de manquer ce spectacle très important. Question de survie aussi. L’attente est interminable, les serveuses, volontaires mais empotées, sont complètement à la ramasse. Derrière-moi, un groupe donne un concert en reprenant tous les principaux tubes disco-funk des années 70 et 80. Pas mal, mais Young MC a lui obtenu le droit d’être filmé en direct et d’avoir une grappe de cheerleaders customisées à ses pieds au centre du terrain. Chanceux.

«Quiet please, Texans’ offense in progress»

Sitôt mon plat gastronomique obtenu, les Patriots ont l’idée géniale de réduire le score au tout début de la seconde mi-temps, au moment même où j’inondais mon cheeseburger tex-mex de ketchup. Et encore un jeu de raté, un. Au retour dans l’arène, un élément intéressant apparaît sur le méga-jumbotron du Reliant Stadium: après les animations qui exhortent les spectateurs à faire du bruit lorsque Tom Brady orchestre le jeu de la Nouvelle-Angleterre, il y en a d’autres qui, au contraire, imposent aux fans de se la boucler quand les Texans sont à l’attaque. Même les partisans des Pats suivent le conseil. C’est marrant, une arène de plus de 70’000 où t’entends les mouches voler. C’est un peu comme se retrouver à la Praille, à la Pontaise ou à la Postfinance Arena de Berne lorsque le SCB se prend une dérouillée.

Hélas pour les Texans, ces précieux conseils ne portent pas leurs fruits. Les Patriots enclenchent la seconde et transpercent de plus en plus facilement l’unité défensive de Houston en dépit du «hat-trick» de Tate qui a multiplié par 102 son nombre de yards parcourus par rapport au naufrage texan de la semaine précédente. Après avoir manqué une première tentative de placement (field goal dans le texte) de 52 yards (ou verges, mais là on va plutôt conserver le terme anglais), le botteur Gostkowski a insisté avec succès dans la filière risquée des tentatives de longue distance. Avec deux très longs placements consécutifs de 53 yards bottés avec succès, le numéro 3 des Pats a scellé le sort de la rencontre en faveur de visiteurs pas forcément dominateurs, mais bien plus réalistes. Sitôt la dernière possession des Texans avortée, la totalité des fans locaux se sont précipités hors de l’enceinte bien avant la rencontre, à la manière de ce qui se fait habituellement au Centre Bell de Montréal. Au pays du pick-up, il est important de pouvoir sortir le plus rapidement du parking afin de rejoindre les splendides cités-dortoirs impersonnelles de la capitale du pétrole. Ici, pas de débriefing d’après-match sous fond de théories de femmes saoules dans quelque troquet de la ville: la NFL est un spectacle où les clients viennent s’y divertir et repartent chez eux sitôt le show terminé. Même si cette conception du sport se situe à mille lieues de celle que je défends, l’expérience devrait être vécue.

Houston Texans – New England Patriots 31-34 (10-7, 7-0; 7-14, 7-13)

Reliant Stadium, 71’769 spectateurs.
1er quart :
6:16 Tate (touché de 8 yds à la course) 7-0
10:50 Bullock (placement de 43 yds) 10-0
13:35 Gronkowski (touché de 23 yds à la passe) 10-7
2e quart :
13:13 Tate (touché de 20 yds à la course) 17-7
3e quart :
2:19 Develin (touché de 1 yd à la course) 17-14
6:54 Vereen (touché de 9 yds à la passe) 17-21
12:49 Keenum (touché de 5 yds à la course) 24-21
4e quart :
1:51 Blount (touché de 7 yds à la course) 24-28
3:25 Tate (touché de 10 yds à la course) 31-28
7:44 Gostkowski (placement de 53 yds) 31-31
11:48 Gostkowski (placement de 53 yds) 31-34
Houston :
Keenum:  15/30, 272 yds, 1 passe de touché
Tate: 22 courses, 102 yds, 3 touchés
Johnson: 8 réceptions, 121 yds.
New England :
Brady: 29/41, 371 yds, 2 passes de touché
Blount, 12 courses, 44 yds, 1 touché
Gronkowski, 12 réceptions, 127 yds, 1 touché

Écrit par Mathieu Nicolet

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5 Commentaires

  1. Très bon article, et assez similaire de ce que j’avais vécu au Madison Square Garden pour un match de NBA.

    Un petit bonus aurait été d’indiquer le prix des places. Au Madison, une place sur le parquet, à 5m des joueurs et du bancs des remplaçants se monnaie à plus de 3000$…

    Payer une telle somme pour se divertir et rentrer chez soi sans émotion… Vive l’Amérique !!

  2. Je suis allé voir les Astronauts de Houston (baseball) en Septembre et force est de constater que c’est bien pareil que pour le foot. Supermarchés, stade de 55’000 personnes climatisé entièrement, locomotive à taille réelle qui fait un aller retour sur un des murs du stade à chaque home run…

    Mais rien que pour aller tirer au flingue et à la mitraillette de la WWII en short-tongs à un prix défiant toute concurrence, Houston mérite qu’on s’y attarde quelques heures, hors profession… Sans parler du T-Bone de chez Saltgrass à faire tomber par terre…

    ‘Murica!!!

  3. Cool, rafraichissant, drôle. Quand vous voulez pour un match à l’ Arrowhead Stadium de KC (apparemment le plus bruyant du monde en nombre de décibels) ou au Ralph Wilson chez mes chers Bills sous la neige à -20°

  4. Le prix n’était étrangement pas si choquant que cela: environ 50$ pour une place à l’avant-dernier anneau. Bon, il fallait multiplier par 10 pour une place tout en bas au niveau de la ligne médiane.

    En revanche, il faut casquer bien plus pour aller voir un match au Lambeau Field (Packers) ou au Gillette Stadium (Patriots). Il me semble que ça peut monter facile à 1000$…

    Pour le boeuf, je confirme. Laissons cela aux Texans: ils sont imbattables dans ce domaine !

  5. La question essentielle que je me pose est de savoir si M. Nicolet a manger les fameux 2kg de steaks pour avoir le repas offert!

    Expérience faite à Dallas, je citerai un ami tenancier de Kebab:

    « Tout ce qui rentre d’un côté doit sortir de l’autre et ça fait mal! »

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