Winter is coming

Dans la grisaille du Ruhrpott, le Borussia Dortmund s’est incliné sans gloire, sans révolte et sans émotion contre le Bayer Leverkusen au terme d’un match tellement insipide que le Westfalenstadion n’a même pas vibré. L’hiver est bel et bien tombé sur les ambitions dortmundoises en Bundesliga.

Le 10 août dernier, dans le train qui m’emmenait à Augsburg pour l’ouverture du championnat du Borussia Dortmund en Bundesliga, j’entamais la lecture de la saga Game of Thrones. Il faisait beau et chaud, le BVB l’emportait 4-0 et nous étions plein d’illusions et d’espoirs pour la saison en devenir. Quatre mois plus tard, j’arrive au terme du quatorzième des quinze volumes écrits à ce jour par George R. R. Martin. Et il n’y a pas que sur le royaume magique de Westeros que, selon la devise de la maison Stark, l’« hiver vient » : la mauvaise saison tombe également sur Dortmund. La pluie, la neige et le brouillard ont envahi le Ruhrpott et l’hiver est également en train de geler les ambitions du BVB en Bundesliga, reléguant les joies et espoirs du début de saison au rang de lointains souvenirs.

La boulette de Friedrich

Pourtant, l’après-midi avait plutôt bien commencé avec les Glühweine du Weinhachtsmarkt, ma tournée électorale des Biergarten, une grosse ambiance d’avant-match et une bonne entame de rencontre du Borussia Dortmund. Conquérant, le BVB s’installe dans le camp du Bayer Leverkusen et se procure la première occasion lorsque Lewandowski se heurte au gardien Leno. Mais ce ne sera qu’un feu de paille sans lendemain. Le match va basculer sur une relance calamiteuse de Manuel Friedrich directement sur Gonzalo Castro qui lance Heung-Min Son, lequel n’a aucune difficulté à éliminer Weidenfeller pour marquer dans le but vide. Déjà auteur de cinq buts avec le HSV lors des deux matchs contre le BVB de la saison passée, le Coréen confirme son statut de bourreau numéro 1 du vice-champion d’Europe. Quant à Manuel Friedrich, après des débuts encourageants contre le Bayern, il démontre pourquoi Leverkusen n’avait pas souhaité prolonger son contrat en juin passé. On ne lui jettera pas la pierre : il était au chômage et présentait l’avantage d’être immédiatement disponible pour pallier à l’avalanche de blessures dans l’arrière-garde dortmundoise mais ça reste une solution de fortune provisoire. Comme l’absence de Neven Subotic va se prolonger jusqu’en juin et que la date du retour de Mats Hummels demeure incertaine, le BVB serait bien inspiré de se pencher durant l’hiver sur le dossier d’un gamin de 19 ans nommé Matthias Ginter qui fait des étincelles du côté de Freiburg.      

Sans réaction

Ceci dit, on ne va pas faire porter la responsabilité de cette défaite au vétéran Friedrich. Une erreur, cela peut arriver, il restait plus de septante minutes à jouer pour réagir. Mais la réaction n’est jamais venue. Il faudra attendre la 86e pour voir un tir cadré, une frappe de Lewandowski bloquée par Leno, et les arrêts de jeu pour une occasion de but, un essai de Reus détourné par le portier de la Werkself. Mais sinon, rien, le néant absolu, le BVB a joué sans rythme, sans émotion, sans idée, sans envie : c’est comme si l’on avait débranché la prise après le 0-1 pour ne jamais la réenclencher. Habituellement, surtout à domicile, le BVB joue avec l’engouement et l’appui de son public pour retourner des matchs mal engagés mais le lien et l’osmose entre les joueurs jaunes et noirs et leur fameux douzième homme ont paru rompu et le stade ne s’est jamais enflammé. Cela fait très longtemps que l’on n’avait aussi peu vibré lors d’un match au Westfalenstadion. Lors de la défaite contre le Bayern, on était repartis déçus mais au moins l’équipe avait tenté crânement sa chance, il lui avait juste manqué un peu de réussite. Là, en revanche, l’équipe n’a rien tenté et n’a jamais donné l’illusion de pouvoir quitter le terrain autrement qu’avec une défaite. On sait que le jeu prôné par Jürgen Klopp n’est pas spécialement construit ni élaboré mais repose en premier lieu sur l’émotion, le dynamisme, l’enthousiasme et le pressing, autant d’éléments complètement absents samedi. Et quand l’encéphalogramme dortundois reste désespérément plat, le Borussia devient facile à contrôler.    

Les chevaliers du beau temps

On a souvent raillé le Bayer Leverkusen pour son incapacité à gérer les matchs importants, on l’a encore vu récemment en Ligue des Champions contre Manchester United. Mais là, la Werkself était parfaitement en place et s’est montrée suffisamment solide et roublarde pour contrer sans difficultés les timides assauts dortmundois et asseoir une deuxième place qui pourrait valoir à Vizekusen le titre de vice-champion d’Allemagne. Un de plus car on ne voit pas cette équipe bousculer le Bayern Munich sur la longueur du championnat. Si Son n’avait pas échoué seul devant Weidenfeller, le match aurait même pu être plié bien avant son terme, c’est dire si la prestation des Pöhler a été indigente. Il serait tentant de mettre cet échec sur le compte d’une infirmerie qui affiche bientôt complet puisque Sahin et Bender, sortis sur blessure, viennent s’ajouter à la longue liste des absents. L’explication serait toutefois un peu courte car l’armada offensive présente sur le terrain semblait quand même suffisamment redoutable pour produire bien davantage. Mais, depuis le début de la saison, le bilan du Borussia Dortmund dans les matchs contre les meilleures équipes d’Allemagne et d’Europe est édifiant : si l’on excepte la victoire à Gelsenkirchen dans le contexte toujours particulier du Derby, c’est 0-3 contre le Bayern, 0-1 contre le Bayer, 0-2 à Mönchengladbach et 1-2 à Wolfsburg, soit un seul but inscrit en quatre matchs contre une équipe de pointe, sur coup franc. Et le bilan n’est guère plus reluisant en Ligue des Champions avec deux défaites (à Naples et contre Arsenal) en quatre oppositions face aux autres prétendants à la qualification. Si les Reus, Mkhitaryan, Aubameyang et autres Lewandowski sont très performants contre les formations de bas de tableau, dans les matchs à enjeu c’est en vain que l’on cherche le joueur capable de tirer l’équipe vers la haut et de faire basculer une partie serrée ou mal engagée. Pour rester dans une terminologie du Game of Thrones l’armada offensive du BVB est à l’image de l’armée de Renly Baratheon : des chevaliers de beau temps qui se retrouvent fort désemparés dans la difficulté et l’adversité.

Vivement la pause !

On ne va pas brûler tout ce qui a été réussi depuis plus de trois ans à cause d’un (très) mauvais match. Après la quasi faillite en 2005, le Borussia Dortmund s’est reconstruit avec patience et humilité et a su faire admettre à ses fans qu’il faudrait du temps pour retrouver les sommets. Finalement, le succès est revenu plus vite qu’escompté, sans avoir été forcément planifié, avec une équipe composée de joueurs quasi inconnus avant leur arrivée à Dortmund et acquis à très bas prix, autant de paris sur l’avenir qui se sont révélés gagnants. Le BVB pouvait se complaire dans le rôle de l’outsider aux objectifs modestes qui jouait sans se prendre la tête et prenait tous les succès qui arrivaient comme du bonus. Et l’on avait vraiment l’impression d’une équipe de copains qui prenaient un plaisir fou à jouer, progresser et gagner ensemble.
Désormais, le statut du club a changé après deux Meisterschale, une DFB-Pokal et une finale de Ligue des Champions. Le chiffre d’affaires a été quadruplé (!) en huit ans, on commence à voir débarquer des mercenaires qui coûtent chers en salaires et en primes de transferts et les départs actés de Götze et Lewandowski ont clairement brisé la dynamique de groupe. Le temps de la joyeuse insouciance est révolu et le club doit désormais assumer un statut de favori, attendu de pied ferme par ses adversaires. Bienvenue chez les grands ! Et ce nouveau statut, force est de constater que le Borussia peine à l’assumer, tout comme il peine à digérer la répétition des matchs en jouant sur tous les tableaux, contrairement aux trois saisons passées où le club avait à chaque fois un peu sacrifié soit la Coupe d’Europe soit la Buli pour parvenir à assurer le jeu physiquement très exigeant voulu par Jürgen Klopp. La force des grands clubs, c’est de pouvoir jouer toutes les compétitions chaque saison avec toujours la même faim de victoire et la même motivation, sans jamais être rassasiés. Clairement, le Borussia ne s’est pas encore adapté à ces exigences accrues et l’équipe termine ce premier tour très affectées mentalement et physiquement. Il va falloir tenter de trouver les ressources pour limiter les dégâts avec les quelques joueurs encore valides lors des trois matchs avant Noël – à Marseille en C1, à Hoffenheim et contre Berlin en Buli. Puis Jürgen Klopp n’aura pas trop d’une trêve hivernale plus que bienvenue pour panser les plaies physiques et morales, effectuer quelques ajustements indispensables dans l’effectif, remobiliser les troupes et leur rappeler qu’après l’hiver vient toujours le printemps. Surtout pour un club dont la légende s’est écrite en ressortant toujours plus fort de chaque période de doute et de crise.

Borussia Dortmund – Bayer Leverkusen 0-1 (0-1)

Signal Iduna Park, 80’645 spectateurs (guichets fermés).
Arbitre : M. Meyer.
But : 18e Son (0-1).
Dortmund : Weidenfeller ; Grosskreutz, M. Friedrich, Papastathopoulos, Durm; S. Bender (63e Reus), Sahin (82e Piszczek); Blaszczykowski (67e Hofmann), Mkhitaryan, Aubameyang; Lewandowski.
Bayer : Leno; Donati, Toprak, Spahic, Can; Rolfes; Hegeler (78e R. Kruse), L. Bender, Castro (89e Kohr), Son (82e Wollscheid); Kiessling.
Cartons jaunes : 59e Hegeler, 61e Can, 69e Papastathopoulos, 80e Castro, 92e Wollscheid.
Cartons rouges : 80e Spahic (voies de fait), 92e Papastathopoulos (deuxième avertissement).
Notes : Dortmund sans Hummels, Subotic, Schmelzer ni Gündogan (blessés), Leverkusen privé de Palop, Reinartz, Sam et Hilbert (blessés).

Écrit par Julien Mouquin

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