Real-Barcelone : chronique d’un dimanche pas comme les autres

Le dimanche, c’est lourd. Le cheveu hirsute et le regard hagard, le «survêt’» comme école de vie, et les spaghetti bolo comme icône, cette journée ressemble bien plus au jour de l’apocalypse qu’au jour du Seigneur.

Sauf que, sauf que… dimanche dernier, vers 18h du matin, peu après le café et les croissants, le téléphone sonne ! Miracle ? Non, juste un des mécréants qui m’accompagnent lors de mes passages au purgatoire du samedi. «Eh, tu fous quelque chose ce soir?», «Ben j’hésitais entre réviser mes tables de physique quantique, comme ça pour le plaisir, ou me lancer dans une partie en réseau de morpion, mais vas-y, propose toujours», «Ça te dit, Real-Barça dans un centre espagnol ce soir ?», «On peut venir en survêt’ ?», «Ben ouais !», «Bon ok. À toute !»

Ça tombe bien, ça fait trois semaines que je bassine mes acolytes de soirées «football-TV» que le Real va carrer une mine au Barça. Non pas que j’aie plus ou moins d’affection pour l’une ou l’autre des deux équipes, mais je le sentais, c’est tout. Capello est en train de se faire un peu trop malmener dernièrement pour ne pas nous réserver une des surprises dont il a le secret. Bref, c’est l’occasion rêvée de frimer devant les copains.

Le grand rassemblement

20 h : arrivée au centre espagnol. Moi qui braillais sur cette idée de rendez-vous une heure avant le match, j’aurais mieux fait de la fermer… Mais en même temps, j’eus une révélation. Je me suis soudain souvenu de ce qui fait la splendeur du football, dont la beauté m’est apparue en un éclat. Au moins 200 personnes qui attendent comme moi qu’ait lieu la messe annuelle, amassés dans un espace bien trop petit pour tant de passion. Et bien d’autres vont nous rejoindre dans notre communion d’ici au coup d’envoi : des familles, des jeunes, des vieux, des jeans et des costards, des Espagnols bien sûr, mais aussi des Italiens, des Sud-Américains, des Africains, des Asiatiques. On dirait que le monde entier s’arrête pour assister à cette rencontre, tous agglutinés devant le même écran. Ce soir, c’est sûr, il n’y a plus de différence pour personne, on est tous un peuple : des fanatiques de ballon rond. Écoute Dieu, je t’ai laissé en paix depuis un moment, mais là, fais que ça commence, c’est trop beau !

Le choc des titans

21h : coup d’envoi. Du match et de la deuxième chope de bière. Finies les discussions, cette fois ça joue. Et nous, les 400, 4000 ou 40’000 clients de ce centre espagnol, nous sommes tous au Bernabeu, à assister au spectacle.

Départ tonitruant du Real, qui impose sa condition physique à des Catalans qui semblent soudain bien frêles. Emerson récupère un ballon au milieu, lance Ramos sur la droite qui adresse un centre parfait pour Raul : gooooooool ! 1-0. Les cris submergent les hurlements, qui eux-mêmes engloutissent les cris à leur tour. Perso, je frappe la table du poing en éructant «J’vous l’avais dit : gros match de Emerson ce soir ! J’vous l’avais dit !». Personne ne m’entend, mais tant pis, ce qui est dit est dit. Amen. Le Barça est groggy et à deux doigts d’en prendre un deuxième («J’vous l’avais dit, j’vous l’avais dit !»), mais reprend la maîtrise du ballon après vingt premières minutes laborieuses et à la merci de la toile d’araignée tissée par maître Capello. Magnifique déboulé de Messi sur la droite (petit pont à Cannavaro…) et centre en retrait pour Gudjohnsen qui cadre parfaitement l’encart publicitaire à la gauche de Casillas, mais trop à sa gauche. «C’est le tournant ! J’vous l’avais dit !». Et là je me rassieds, en applaudissant le magnifique travail de Messi et je réalise que ceux qui jubilaient au but de Raul applaudissent aussi, en échangeant avec leur voisin un sourire extasié devant tant de talent, des cris d’encouragement pour le petit Argentin… Du plaisir pur, sans drapeau ni banderole : juste du football ! Hallucinant.

22h07 : deuxième mi-temps. Barcelone pousse, mais ne parvient pas à percer. L’absence d’Eto’o se fait sentir, comme celle de Ronaldinho. Ah bon, il est sur le terrain ? Désolé, ça doit être la bière… Santé. Et là, rupture ! Ballon sur la droite (sur le côté de cet ersatz de footballeur qu’est Sylvinho, encore une fois) pour Robinho qui centre à la vitesse de la lumière pour Van Nistelrooy : gooooooool ! 2-0. Même scénario, «j’vous l’avais dit, j’vous l’avais dit !». La messe est dite, on ne reprend pas Capello sur le 2-0, impossible. D’autant que les Catalans continuent de s’embrouiller dans une manœuvre trop exiguë, faite de petites passes rapides et de gestes techniques extraterrestres, mais il en faut bien plus pour faire bouger la montagne madrilène. Emerson est monumental (mais je crois que je vous l’avais déjà dit ?!), Cannavaro revenu à son format «mondial», Diarra surpuissant et Ramos digne successeur de… de… Bon, là j’ai pas de nom de latéral espagnol qui me revient, mais tant pis. Mon voisin me glisse la remarque de la soirée, qui me fera tordre de rire pendant deux jours : «J’ai l’impression d’assister à la sublimation d’un match Allemagne-Espagne…». Parfait, concis. On peut fermer.

Epilogue

22h55 : fin du match. C’est avec une certaine émotion que je réalise que mon dimanche s’achève en voyant tous ces gens, et mes compagnons d’un soir, sortir du local dans un flot continu, et avec sur le visage cette expression béate que seul (ou presque) un match de football peut fournir. Quant à moi, je me tourne vers mes deux amis, l’air satisfait, et pas le temps d’ouvrir la bouche : «Ouais, bon, ok, tu nous l’avais dit ! Bravo, rentre dormir maintenant, demain c’est lundi». J’enfile mon pull et je me dis que j’ai vraiment bien fait de me lever ce dimanche.

Écrit par Maurizio Colella

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