Le sport suisse vu de Paris

Ami lecteur, CartonRouge.ch a l’honneur de te présenter aujourd’hui le dénommé Axl ! Journaliste «sérieux» le jour (au sein d’une revue politique de référence), Axl se métamorphose le soir en dangereux psychopathe, amoureux obsessionnel des lettres, de la phrase bien tournée et de l’humour corrosif qui vise juste. Correspondant aux fameux Cahiers du Football, Axl nous propose aujourd’hui en exclusivité sa vision… franco-française de notre beau pays. Adeptes de deuxième degré (ou pas, qui sait ?), attache ta ceinture, accroche-toi bien au siège et… envol immédiat pour l’univers «axlien» !

Autant le dire tout de suite, vue de France, la Suisse ressemble toujours à une publicité pour sanatorium. Dans la perception française du pays de Patrick Müller, les adjectifs banals s’accolent tout seuls à des noms très communs : l’air en Suisse est forcément «revigorant», les cimes des montagnes y sont nécessairement «scintillantes», les lacs sont par définition «cristallins», les habitants sont, comme il se doit, «accueillants» et l’ensemble est propre, sain, calme et légèrement effrayant comme une banlieue américaine chez Lynch. Car le Français – être de pulsion, être vorace, être porté sur la bouteille et la copulation fébrile, enfant du béton, des embouteillages et de l’Alka-seltzer matinal, être doté d’un sens tout personnel de l’épargne et d’une définition approximative de l’hygiène, peuple dont plusieurs éminents représentants se sont réunis pour les besoins de la démonstration au Balto, à Saint-Denis, au pied du Stade de France – ne peut s’empêcher de ressentir une pointe d’inquiétude quand il se rend en Suisse, ou même quand il pense à elle. L’image paradisiaque de cette contrée dont Tolkien s’est probablement inspiré pour sa Comté lui donne des frissons, au Français. Le jardin d’Eden suisse, avec ses bandes cyclables le long des étangs, ses terrasses ensoleillées où personne ne fume ni ne boit d’alcool, ses banques climatisées, ses quartiers piétons peuplés de gens souriant mécaniquement de leurs dentition impeccable et dont l’élocution est si lente que Laurent Fabius y déchirerait tout à un concours de slam… le jardin d’Eden suisse, donc, le Français n’y est pas à l’aise. Il n’ose pas écraser son mégot par terre, il hésite à se curer le nez en public, il évite même de se garer sur les clous. Il n’est pas à l’aise, le Français. Il se sent bien mieux au coeur de l’enfer sud-américain (au Carnaval de Rio, personne ne sera choqué si un pan de sa chemise dépasse de son pantalon) voire dans le purgatoire britannique, où il trouvera toujours un pub et quelques rougeauds prêts à se mettre minables devant un Aston Villa – Charlton.

Là réside l’un des points fondamentaux de la défiance que le Français éprouve vis-à-vis de la patrie de Rousseau : le rapport au sport. Le sport, en Suisse, proclame Marcel en vidant son quatrième Ricard de la matinée, est l’illustration naturelle de cet environnement Colgate qui baigne tout le pays. On fait du sport car c’est bon pour le corps, sans pour autant remettre en question le savoir-vivre qui caractérise la civilisation locale (500 ans de démocratie et le coucou pour seule invention, comme dit l’autre). Vu depuis le Balto, le sport en Suisse est d’une insupportable propreté sur soi. On le croirait sorti du XVIème arrondissement de Paris, le sport suisse. Le sport suisse, il porte un polo Lacoste, il sent bon même après l’effort, il sourit franchement après la défaite, il ne connaît pas les coups de vice ou les accès de violence. Sans déconner, ils se sont même mis à la voile ! Ça se trouve, ils déchirent tout au polo…
Kékifon, les Suisses, voile mis à part ? Du ski, forcément. Or le ski, aux yeux jaunâtres des Français en général et des habitués du Balto en particulier, c’est soit un truc de bourge («Moui, je suis dentiste à Neuilly et j’adooore dévaler les pistes à Courchevel avec ma petite famille, d’ailleurs mon petit dernier s’est mis au monoski, c’est si délicieusement moderne !»), soit un passe-temps de crétin des Alpes issu de l’union sordide d’un pâtre trisomique et d’un mouflon. Rien de spécialement exaltant. C’est bien simple, le seul skieur français connu a dû aller écraser des gosses maliens dans le désert avec un 4×4 pour attirer l’attention sur sa sale gueule.
Bon, mais hormis la voile et le ski ? Du rugby ? Nan, la seule idée d’imaginer des Suisses pousser en mêlée dans un tas de boue fait s’écrouler de rire tous les convives du Balto. Du vélo ? Ouais, comment il s’appelait déjà leur champion ? Alex Zülle, s’écrie depuis le fond du bistrot le vieux Raymond, incollable sur la Petite Reine depuis Antoine Blondin. Zülle, donc. Un bigleux qui ressemblait tellement à rien qu’à côté, le minéral Indurain passait pour un déglingo. Quel ennui. Depuis, ils nous ont sorti un golgoth rouleur, Cancellara. Sauf qu’il a l’air de s’excuser de gagner des étapes, lui il est Suisse hein, c’est juste que le Tour correspond à ses dates de cyclotourisme, c’est ballot. Rien à prendre de ce côté-là.

Reste le foot ! Le foot, mazette, ils y jouent, non ? Même qu’ils étaient dans notre poule à la Coupe du Monde… Attends, demande Riton sans lever la tête de son Paris Turf, les mecs en rouge là, avec une croix dessus, les grands blonds chiants ? C’était pas les Danois plutôt ? Voilà où on en est rendu, avec les Suisses : on les confond avec des Scandinaves, c’est dire s’ils sont enthousiasmants. Comme une tablette de Stimorol. Et encore, on peine à s’imaginer que la Suisse puisse produire des frangins Laudrup. Nan, le foot suisse, c’est peut-être ce qu’il y a de plus sinistre dans tout ce déprimant panorama. Le foot suisse, c’est des noms de clubs qu’on croirait issus d’un tournoi de scouts : les Sauterelles, les Young Boys, et pourquoi pas les Louveteaux aussi ? Le foot suisse, c’est des joueurs identiques, mécaniques, dont l’ambition suprême est de passer quelques années en Bundesliga, un championnat que la France ne regardera jamais-jamais-jamais, faut pas déconner, qui peut résister à un Mönchengladbach – Karlsruhe ? D’ailleurs, en vérité, les Suisses, c’est des Allemands, hein, mais juste une version light, avec le côté méticuleux mais sans le délire wagnérien. Ajoutons-y les Français les plus neuneus et les Italiens qui ont honte d’être des Latins, et boum, on a les Suisses. Ça fait des défenseurs corrects, ça, notez. On en achète de temps à autre, en France : Müller, Grichting, Lichtsteiner. Pas de quoi se lever la nuit, mais au moins on sait qu’ils se feront pas gauler à 180 dans une zone résidentielle avec 4 grammes d’alcool dans le sang.
Oh, et Frei, alors, ose timidement Loïc, un étudiant breton qui squatte au Balto pour sa thèse de socio et qui n’a pas oublié les quatre buts passés à Barthez, le titre de meilleur buteur du championnat, Monterrubio qui ressemble soudain à Giggs, tout ça. Mais Frei, c’est encore pire ! S’il s’était contenté, avec ses bonnes joues roses, d’être le pendant offensif de Müller – un mec de devoir qui fait de l’ombre à personne et vante d’une voix monocorde les bienfaits du collectif… Mais non, Frei a voulu être un rebelle. Frei a voulu être une star, un type qui n’a pas sa langue dans sa poche, un mégalo qui parle de lui à la troisième personne. Or on ne pouvait imaginer pire contre-emploi. Un Suisse qui se la joue Salvador Dali, c’est comme un Ricain qui prétend à l’humilité. Non seulement c’est mal imité, mais en plus on a un peu pitié pour lui. Rien que son pauvre mollard, à Frei, franchement – soit dit en passant, une bonne occasion de garder sa langue dans sa poche de manquée. On dirait un premier de la classe qui croit s’encanailler en collant un chewing-gum sous une table. Ridicule. Il est où d’ailleurs, maintenant ? Dans la Ruhr. CQFD.

Non, décidément, le foot suisse ne fera jamais rêver personne de ce côté des vaches Milka. Trop lisse, trop poli, trop «oh ben c’est déjà bien qu’on soit là, et si on va en huitièmes alors c’est l’extase !». Pas étonnant qu’ils se soient fait à moitié pogromer par les Turcs en qualifs du Mondial, tiens. Aucune personnalité, aucun talent, rien que du «plat du pied sécurité», ils jouent au foot comme ils organisent leurs placements bancaires. Ils n’ont même pas pris Türkyilmaz en 94, pourtant leur seul joueur doté d’un tant soit peu de personnalité, rappelle à raison Ali, le Turc qui vend des Kebabs en face du Balto et qui est passé boire son troisième café de la journée. Décidément, la Suisse est désespérante. Qui a vu le summum de sa Nati (encore un surnom diminutif, comme s’excusant de prendre la place des autres), à savoir son huitième contre l’Ukraine à la dernière Coupe du Monde, n’aura plus jamais besoin de sédatifs. Le foot suisse est besogneux, dodu et voué à jouer les faire-valoir pour notre sélection et, de temps à autre, pour nos clubs. Ah oui, il sert aussi à trier nos déchets en fin de carrière. A l’évocation des noms de Didier Tholot et de Cyrille Pouget, tout le monde pouffe. Marco et Gilles en profitent pour parier sur les chances de Fiorèse de finir sa carrière là-bas. On n’a que trop parlé du foot suisse au Balto, passons à autre chose.
Passons, pour terminer, à la théorie darwinienne de Momo le taulier. En essuyant ses verres, Momo la ressert une millième fois à un auditoire fidèle et admiratif. C’est qu’il a des lettres, Momo : il possède le Quid 1983 chez lui, et comme il adore les chiffres (même s’il n’a encore jamais gagné au Rapido), il connaît par coeur le nombre d’habitants (de l’époque) de chaque pays d’Europe. Et pour Momo, c’est très clair : le génie, qu’il soit artistique, politique, scientifique ou sportif, est rare partout. Et un petit pays comme la Suisse ne pouvait pas espérer en récupérer beaucoup lors du grand partage céleste. Pendant des générations, d’ailleurs, la Suisse a été oubliée dans le dispatching divin. Trop polie pour s’en plaindre, elle n’a rien réclamé. Et bien lui en a pris, conclut Momo en balayant la salle du regard. Car ses arriérés de génie sportif lui ont été brutalement versées il y a peu, à la Suisse ; et, surcroît de réussite, tout le génie sportif dû a été attribué à seulement deux individus, et pratiquant le même sport qui plus est. Et Momo de s’emparer d’autorité de la télécommande et de passer sur les chaînes sportives : sur la première, Martina Hingis volette autour d’une Marion Bartoli aussi mobile qu’un tanker de la mer d’Aral ; sur la suivante, Roger Federer pousse Paul-Henri Mathieu à l’apoplexie d’une énième amortie.
Et soudain, on cesse de ricaner au Balto. Et on se rend compte qu’on a dit pas mal de conneries sur les Suisses depuis tout à l’heure… En fait, du génie sportif, ils en ont, et bien plus que nous : ils ont simplement mis tous leurs oeufs dans le même panier. Bien vu, Momo.

Écrit par Axl

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15 Commentaires

  1. Excellent article, bien délirant et superbement écrit. Cest vrai que la Suisse ne cartonne pas des masses au foot, mais étant Rennais, jai un excellent souvenir dAlex Frei et Marco Grassi.

  2. Superbe papier, du tout grand art. Bon, je suis suisse et je préfère largement notre palmarès à celui des Français… Rien quen juillet, nous avons gagné la Coupe de lAmerica et Wimbledon… sans oublier Cancellara qui parade en jaune depuis 6 jours… Et vous chers voisins, quels titres pouvez-vous vous targuer davoir obtenus dernièrement ? Celui du championnat de pétanque inter-méditerranéen ou le concours de fléchettes des campings du Nord de lEurope ?… Cest peu glorieux pour un pays de 63 millions dhabitants… La Suisse, pour mémoire, en recèle que 7 millions…

  3. Yavait vraiment des Suisses sur Alinghi ? Je veux dire, à part le responsable propreté et le cuisinier-spécialiste en rusties.
    Très bon article Axl.

  4. Il y en a quelques-uns, yep, mais sinon, comme sur tous les défis, cest bcp de kiwis !

    A part ça, joli article, je trouve un peu dur avec la nati et le championnat allemand, qui est à mon gout supérieur au championnat français… un Mönchengladbach – Karlsruhe vaut tout aussi bien quun Nancy-Sedan et attire bcp plus de monde… La Nati elle, bien que peu brillante a plutot bien tenu tête à la France lors de leurs dernières confrontations…

    Mais bon, bcp de 2e degré dans cet article quil faut savoir prendre avec ce même 2e degré !

    Et vive lamitié franco-suisse ! 😉

  5. Même pas un mot sur le magnifique Alexandre Comisetti !!!
    Sinon tjs cte belle plume Axl !

    Une interrogation. Dans ma vision, les Français sont plus balèses que les Suisses sur tous les sports collectifs ( foot, rugby, hand, basket, volley…) Ya que sur le hockey où jai un doute !? Le Suisse serait-il plus « individualiste » dans la performance ?

  6. Je crois que ce nest pas un mensonge que de dire que le Suisse est plus individualiste. Cest un comportement de la vie de tous les jours et ça sapplique aussi au sport, vous êtes pas daccord, les copains ?

  7. Suepr bon article mais bien evidemment a prendre au 2ème degrès… je vais essayer de faire un article dans le sens inverse mais je vous garanti pas que ce sera du grand art chui pas journaliste

  8. Magnifique lecture, qui rappelle également que Carton rouge est le cousin suisse des excellents cahiers du foot. Bravo aux rédacteurs des Cartons et des cahiers, de la magnifique ouvrage ! Quant à Axl, 1000 mercis pour ce splendide papier, jai beaucoup aimé la description du ski et du foot suisse. Vivement la suite.

  9. En tant que franco-suisse et forumeur des cahiers du foot, je ne peux que reconnaître que cet article mérite son succès. Drôlement bien écrit, vif, tranchant, touchant juste.

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