Au cœur de la légende

Deux clubs dont la légende s’est forgée tant dans la gloire que dans la tragédie, une rivalité ancestrale, deux palmarès monstrueux, des joueurs d’exception, un stade mythique, une ambiance de feu : c’est Manchester United – Liverpool. Ce genre de match n’existe pas que sur la Playstation ou l’écran du Great Escape mais aussi pour de vrai. CartonRouge.ch en témoigne.

Manchester United et Liverpool sont peut-être les deux clubs les plus mythiques de la planète football. Pour leur palmarès colossal (72 trophées à eux deux, soit 34 titres, 18 Cup, 9 Coupe de la Ligue, 7 Coupes des Champions, 3 Coupes UEFA et 1 Coupe des Coupes) mais surtout pour leur histoire tortueuse où les drames (Munich, Heysel, Sheffield) se mêlent aux succès. Manchester et Liverpool, deux villes voisines, pas forcément favorisées économiquement où le football représente beaucoup plus qu’un loisir. Manchester United et Liverpool, deux clubs qui se haïssent mais qui se ressemblent beaucoup : même couleur de maillot, même ferveur populaire, mêmes dérives commerciales, même nationalité de repreneurs (américains), même grogne des supporters et… mêmes manières de gagner une Champion’s League, en revenant de nulle part (Manchester – Bayern en 1999 et Liverpool- Milan en 2005).

Une ferveur intacte

Certains déplorent le fait que, vu le prix relativement élevé des billets, «l’ambiance dans les stades anglais, c’est plus comme avant». Je ne sais pas quand ni comment c’était «avant» mais, au cours de mes fréquentes pérégrinations footballistiques, il m’a rarement été donné de voir une telle ferveur et une telle ambiance au bord d’un terrain de foot que lors de ce Manchester United – Liverpool. Le foot business n’a pas encore tué la foi, loin s’en faut. Il est vrai que la classe d’âge 18-25 ans est notoirement sous-représentée dans les stades anglais, par rapport à un pays comme l’Allemagne, où les billets en catégorie populaire sont bien moins chers. Cela peut avoir une influence sur l’ambiance dans des matchs un peu moins prestigieux, puisque les jeunes sont souvent ceux qui mettent un point d’honneur à chanter quel que soit le résultat ou l’adversaire. Par contre, il serait faux de croire qu’Old Trafford est peuplé uniquement de touristes japonais ou de banquiers. Sans être donnés, les billets restent tout de même accessibles à un large public : 470 pounds pour l’abonnement adulte plein tarif le moins cher ; nous, on a payé 40 pounds pour ce United – Liverpool (en plus des 33 pounds de la carte de membre en début de saison, indispensable pour avoir accès aux précieux sésames et déjà largement rentabilisée), ça les vaut largement.

Un record d’affluence

Le coup d’envoi est fixé à 13h30 : d’une part pour répondre aux exigences de la télévision, d’autre part pour limiter l’état d’ébriété des supporters. Sur ce plan-là, ça paraît plutôt raté si l’on en juge par la forte affluence du Trafford Pub dès 11 heures du matin. Et c’était pas pour boire du thé… Après les quelques pintes réglementaires, nous gagnons nos places dans le Theatre of Dreams, au cœur de la mythique tribune de Stretford End. Avec tout juste 76’000 spectateurs, Old Trafford enregistre la plus forte affluence de la saison en Premier League. Ce qui m’autorise cette petite séance d’autocongratulation : cette saison, CartonRouge.ch était présent lors de ce qui constitue au jour d’aujourd’hui le record d’affluence des cinq plus grands championnats du continent : Angleterre donc, Italie (Inter – Milan), Espagne (Barcelone – Real Madrid), Allemagne (Dortmund – Bayern) et… Suisse (Bâle – Zurich).

Brown, le maillon faible…

Liverpool restait sur sept victoires consécutives, toutes compétitions confondues, mais c’est Manchester qui passe le premier à l’offensive. Après 6 minutes, Reina sauve une 1ère fois devant Rooney. United a connu sa seule alerte du match sur un tir dévié de Gerrard qui passe juste au-dessus du but de Van der Sar mais aurait pu rentrer la même chose (25e). Même si les deux équipes limitent les prises de risque, la domination est mancunienne et va trouver une juste récompense sur un centre de Rooney pour Brown qui devance la sortie hasardeuse de Reina et fait exploser une première fois Old Trafford. Wes Brown, souvent considéré comme le maillon faible des Red Devils, était le joueur de champ qui affichait la plus grosse cote comme premier buteur de la rencontre chez les bookmakers. Du coup, on regrette de ne pas avoir investi une ou deux pièces sur le défenseur mancunien, cela nous aurait remboursé le prix du billet. Trouver un latéral en position de centre-avant au terme d’une action de jeu, voilà qui illustre bien l’allant offensif de United. Si, sur le papier, l’équipe alignée par Ferguson pouvait paraître plutôt défensive, avec un seul attaquant nominal, Rooney, l’esprit lui était clairement tourné vers l’avant.

L’expulsion stupide de Mascherano

Les derniers espoirs des Scousers vont s’envoler en fin de 1ère mi-temps : Torres écope d’un avertissement pour réclamations, alors que l’arbitre venait pourtant de lui accorder un coup franc. Mascherano pique un sprint de 20 mètres pour venir à son tour rouspéter. Comme ce n’était de loin pas la première fois, M. Bennett lui indique justement un deuxième avertissement, synonyme de retour aux vestiaires. Bye Javier ! A 10 contre 11, face à une équipe aussi solide que United et la meilleure charnière centrale du monde, Ferdinand – Vidic (même si le Serbe n’a pas brillé à la relance), Liverpool n’avait plus grand-chose à espérer. Rafael Benitez ne tentera d’ailleurs rien en 2e mi-temps, semblant plus préoccuper à éviter une raclée monumentale qu’à aller chercher l’égalisation. Peter Crouch s’est échauffé durant toute la seconde période mais n’a pas eu l’honneur d’entrer en jeu.

Reina maladroit et héroïque

S’il a été catastrophique sur les dégagements au pied et peu inspiré sur les deux premiers buts mancuniens, Pepe «pieds carrés» Reina a longtemps retardé l’échéance : ses interventions salvatrices devant Ronaldo (48e), Rooney (56e) ou encore Tevez (74e) permettent aux Reds de croire à une hypothétique égalisation. Après avoir repoussé un essai de Ronaldo sur la latte, le gardien espagnol de Liverpool finira par céder en étant devancé par le Portugais sur le corner qui s’en est suivi, tiré par le nouvel entrant Nani. Old Trafford était encore en train de célébrer cette réalisation que ce même Nani enfonce définitivement le clou avec un coup de canon dans le petit filet, suite à une passe géniale de Wayne Rooney. Cette fois, Reina n’y pouvait rien.

En route vers le titre

L’ambiance monte encore d’un cran, toutes les tribunes lancent tour à tour des chants, on a l’impression que les chœurs sortent des entrailles même du stade. Enorme. En face, les fans des Scousers tentent le baroud d’honneur que l’on a vainement attendu de leurs joueurs en entonnant un Never Walk Alone. Mais là aussi, la supériorité est mancunienne (comme sur le terrain, il y a une légère supériorité numérique…). Après le match, je retrouve mon ami Denis qui arbore fièrement un t-shirt Manchester – Liverpool 9-0 ramené d’un précédent déplacement à Old Trafford, allusion au nombre de titres nationaux gagnés par chaque club depuis 1991. Cela pourrait bien faire 10-0 d’ici quelques semaines car United est le grand gagnant de ce Super Sunday, augmentant son avance sur son dauphin de 3 à 5 points.

Je t’avais dit que les 18-25 ans n’étaient pas très nombreux au stade ; en revanche, ils (enfin surtout elles) sont omniprésents lors de la party pascale au Pure, établissement vedette du Printworks, un immeuble entièrement dédié aux activités nocturnes. Pour conclure en beauté ce magnifique week-end, rien de tel que quatre heures d’hystérie collective à l’anglaise dans une disco énorme et bondée, où les lapins n’étaient pas en chocolat. Définitivement, j’adore Manchester !

Manchester United – Liverpool 3-0 (1-0)

Old Trafford : 76’000 spectateurs (record de la saison en Premier League).
Arbitre : M. Bennett.
Buts : 34e Brown (1-0), 79e Ronaldo (2-0), 81e Nani (3-0).
Manchester : Van der Sar; Brown, Ferdinand, Vidic, Evra; Ronaldo, Anderson (74e Tevez), Scholes, Carrick, Giggs (74e Nani); Rooney.
Liverpool : Reina; Arbeloa, Carragher, Skrtel, Fabio Aurelio; Gerrard, Xabi Alonso, Mascherano, Babel (66e Benayoun); Kuyt, Fernando Torres (83e Riise).
Cartons jaunes : 11e Mascherano, 43e Fernando Torres, 53e Arbeloa, 60e Ferdinand.
Carton rouge : 44e Mascherano (2e avertissement).
Notes : Manchester sans Saha ni Silvestre (blessés), Liverpool sans Voronin, Finnan ni Agger (blessés).

Écrit par Julien Mouquin