Un Clásico de légende

Le 204ème Clásico entre le Real Madrid et le FC Barcelone restera gravé dans les mémoires. Comme un traumatisme et une humiliation sans précédent dans les esprits madrilènes. Comme le match du siècle et l’apothéose de la Liga 2008-2009 dans le cœur des futurs champions catalans. Récit d’une soirée dans les étoiles.

«C’était un samedi 2 mai, le titre se jouait ce soir-là et nous avions gagné 6-2, incroyable ! Je m’en rappelle encore, j’en avais pleuré de joie toute la nuit. Ce fut l’une des plus belles soirées de ma vie. C’était l’époque de la Dream Team de Messi, Henry, Eto’o, Xavi et Iniesta. Six goals à Madrid, tu te rends compte petit ? Ça n’était jamais arrivé dans toute l’Histoire ! Je te jure avoir dit à mes amis : je peux désormais mourir tranquille.» Ceci pourrait être les paroles d’un grand-père catalan dans une trentaine d’années. Posé sur ses genoux, son petit-fils écouterait son récit religieusement dans l’espoir de vivre, lui aussi, une soirée aussi légendaire. Je ne suis pas un socio du FC Barcelone, n’ai pas pleuré samedi soir à Santiago Bernabeu mais suis heureux de te raconter mon premier Clásico.  

Marché noir arnaquo-comique

La première étape pour assister à un Clásico est évidemment de trouver un billet. Un billet à un prix raisonnable, si possible. Inutile de s’aventurer sur les sites du Real ou du Barça : les sésames sont logiquement réservés aux socios. Inutile également de tenter d’inscrire «Clásico 2 may 2009 tickets» sur Google : on te proposera des billets à partir de 300 euros sur des sites plus ou moins louches. J’arrive donc à Madrid le jeudi 30 avril sans billet ni le moindre plan, mais relativement optimiste. Toutefois, pour un mec comme moi qui pensait que la Suisse gagnerait l’Euro 2008, il n’y a qu’un pas entre optimisme et naïveté…
 
Mon ami Crevette à l’ail et moi tentons dès lors de trouver notre bonheur sur des sites de petites annonces madrilènes. La première annonce nous interpelle : «Je vends une écharpe du Real Madrid à 400 euros et offre le billet du match». La deuxième est tout aussi comique : «A vendre une enveloppe à 1000 euros. Deux billets gratuits se trouveront à l’intérieur.» On comprend vite la supercherie… Le marché noir étant strictement prohibé en Espagne, les internautes rivalisent d’imagination pour vendre le précieux sésame sans risque d’avoir des ennuis. C’est ainsi que le rayon papeterie de Krieg et la boutique du Real Madrid passent en revue : stylo, crayon, bloc-notes, feutre, maillot, bonnet, pin’s, autocollant et autres posters sont proposés à des prix exorbitants… alors que les billets sont gratuits. Après plusieurs dizaines minutes de recherches, nous finissons par tomber sur une annonce intéressante, soit deux billets au 3e anneau pour 175 euros/pièce. Coup de fil au vendeur et rendez-vous le lendemain à Santiago Bernabeu vers midi ! Le rêve est en marche…

 
Nous arrivons à l’heure prévue aux abords du stade où fourmille déjà une faune impressionnante. Vendeurs au look de mafiosi, socios, policiers, touristes et reporters TV forment une joyeuse mosaïque. Les billets au marché noir sont négociables à partir de 300 euros, autant dire qu’on est contents de notre plan… Encore faut-il que ledit plan ne capote pas. Arrivé au stade à 8h du matin (!), notre vendeur est toujours en train de faire la queue et n’est clairement pas de bonne humeur au bout du combiné. Deux guichets ont en effet été ouverts à partir de 11h pour les derniers socios sans ticket. La file d’attente est interminable et les abonnés sont tendus, ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on sait que les premiers sont arrivés à… 4 h du matin. Il est 14h lorsque David nous rappelle enfin et nous donne rendez-vous dans un endroit loin des regards indiscrets. L’affaire est pliée en 3 minutes. Notre vendeur a fait 260 euros de bénéfice pour 6 heures d’attente, ce n’est pas le bonus d’un cadre de l’UBS mais ça lui paiera ses kilos de chorizo et ses litres de Mahou pour le reste du mois. Billets en poche, le rêve peut commencer !

Hasta el final

Je ne comprends pas un mot d’espagnol mais me délecte à parcourir la presse locale qui n’a d’yeux que pour le match du soir. Jamais un Clásico n’a été aussi décisif depuis près de 40 ans, y apprend-on avec réjouissance dans le Marca. C’est la grande finale du championnat, le match de la dernière chance pour le Real, celui de tous les dangers pour le Barça. «Seul le résultat compte», martèle Raul alors que Guardiola prévient : «Nous viendrons ici pour gagner». Le ton est donné sur les… 20 pages consacrées au choc des titans.
 
Nous retournons aux alentours du temple madrilène à 19h. La foule est dense, le soleil cogne, l’excitation est à son paroxysme. Il nous faut cinq fois plus de temps pour commander un whisky-coca dans un bar avoisinant que pour pénétrer dans l’enceinte. En moins de 180 secondes, nous avons escaladé les trois étages du stade, passé le contrôle des billets et trouvé nos places dans le bloc des socios. Des vrais socios. La fouille ? Une notion étrangère à Santiago Bernabeu au même titre que les mots violence, kop ou hooligans. Après avoir écumé Voyeboeuf, les Mélèzes et le Stade de Glace durant les play-off du LHC, j’ai l’impression de me retrouver au jardin d’Eden. 

¡ Hala Madrid !

Le tifo est à la hauteur du stade : magique. Chaque spectateur brandit un carton aux couleurs du Real et Santiago Bernabeu de se transformer en paradis blanc. Où les nuits sont si longues qu’on en oublie le temps, comme dans mes rêves d’enfant (© Michel Berger). Je m’allume une clope et savoure. Transi d’émotions.
 
Plutôt neutre avant la rencontre, je suis conquis par cette ferveur et prends parti pour les Merengue. J’ai envie de voir ce stade chavirer, entendre hurler ces 80’000 passionnés et assister à la fête prévue à la Place des Cibeles plus tard dans la nuit.
 
La vague blanche va descendre des tribunes au terrain. Le Real attaque le match comme il l’avait promis, le couteau entre les dents, sans calculer. C’est d’une tête rageuse que Gonzalo Higuaín offre une première explosion au temple madrilène, la plus belle de la soirée (forcément). A défaut de dynamiser les locaux, cette ouverture du score va réveiller la bête, le monstre, l’ogre catalan. Un récital technique et collectif sans merci va alors commencer. C’est un énorme Barça qui évolue devant nos yeux. Xavi et Iniesta illuminent le milieu de terrain, Henry survole son côté gauche alors que Messi, placé dans l’axe de l’attaque, donne le tournis à une défense complètement dépassée. 1-1, 1-2. Robben et Raul manquent de peu l’égalisation, le Real a laissé passer sa chance. Sa seule chance de revenir dans le match. Lassana Diarra se déguise en Père Noël et offre le troisième but à Messi. 1-3 à la mi-temps, le Real peut s’estimer heureux et peut surtout remercier Casillas, auteur de deux parades décisives.

Une leçon de football

La seconde période est identique à la première. La Maison blanche marque tôt mais les Blaugrana réagissent du tac-o-tac. Assommés par le quatrième but d’un Henry opportuniste, les Madrilènes n’ont même pas le temps d’y croire. Pour l’ambiance et le suspense, on regrettera d’ailleurs que le 4-2 soit tombé si vite. La suite est une merveille pour les yeux, une désolation pour les oreilles. Le Barça est stupéfiant de maîtrise, le stade est impressionnant de silence. A 5-2, le public quitte le stade ; à 6-2, il le fuit en courant, à tel point que le métro sera à moitié vide pour rentrer !
 
Les 500 fans catalans jubilent dans leur bloc au 4ème anneau, dit le pigeonnier : leur club vient d’infliger la pire humiliation au Real Madrid dans l’histoire des Clásico. Il y avait bien eu un 0-5 en 1973-74, l’époque de Johan Cruyff mais jamais, ô grand jamais, le FC Barcelone n’avait enfilé 6 buts à Santiago Bernabeu. Il faut remonter à la saison 1950-51 pour voir la trace de 6 goals dans l’antre du Real Madrid, lors d’un match face à l’Atletico Madrid. Oui, il y a 68 ans… L’année où le Lausanne-Sports fêtait son sixième titre de champion suisse et comptait dans ses rangs un certain Henry Chapuisat, le père de Gabet et grand-père de Stéph’ !
Stratosphérique samedi soir, le FC Barcelone a confirmé son statut d’équipe la plus offensive d’Europe, la plus spectaculaire aussi, atteignant au passage la barre mythique des 100 buts en Liga cette saison. Seul le Barça de 1996-97 (102 buts) a fait mieux dans l’histoire du club. Le record absolu établi par le Real Madrid (107 buts lors de la saison 1989-90) est à portée de crampons, à quatre journées de la fin. Un club madrilène qui, après avoir perdu son honneur samedi soir, risque bien de laisser échapper un record symbolique. Le 2 mai 2009 est au Real Madrid ce que le 11 septembre 2001 est à New York : un énorme traumatisme. Des ruines à reconstruire, un chantier à mettre en place.

Jour de gloire 

La Dream Team blaugrana, qui alignait six joueurs formés au club sur la pelouse de son rival (Valdés, Puyol, Piqué, Xavi, Iniesta, Messi), a ensuite reçu un accueil triomphal à l’aéroport de Barcelone où près de 6’000 personnes ont allumé torches, fumigènes et chanté à la gloire de leurs héros (mais pas trop quand même, on est en Espagne). Cette soirée fera date dans le grand livre du FC Barcelone. Battre son pire ennemi est déjà jouissif, l’humilier sur ses terres est carrément orgasmique. Comble du destin, cette démonstration tombe une année après l’affront du 8 mai 2008 lorsque les Catalans avaient dû effectuer un pasillo pour saluer l’entrée du Real Madrid, assuré de terminer champion. Cela semble si loin…
Je quitte un stade sous le choc, silencieux, anéanti. Les héros barcelonais fêtent leur titre de champion sur la pelouse. Crevette à l’ail est dégoûté, un socio à mes côtés est en pleurs. Le spectacle a été beau mais l’ambiance est triste, morbide. C’est aussi ça qui fait la beauté et la magie du sport. La joie des uns, la détresse des autres. Nul doute que je garderai un souvenir impérissable de mon premier Clásico. C’est typiquement le genre de matches où, à l’image de LHC – Grasshopper en 1995, Lausanne – St-Gall en 1998, Bâle – Liverpool en 2002 ou encore Suisse – Togo en 2006, je peux dire et écrire : j’y étais !

Real Madrid – FC Barcelone 2-6 (1-3)

Santiago Bernabeu, 80’000 spectateurs (guichets fermés).
Arbitre : A. Undiano Mallenco.
Buts : 14e Higuaín 1-0, 18e Henry 1-1, 20e Puyol 1-2, 36e Messi 1-3, 56e Sergio Ramos 2-3, 58e Henry 2-4, 75e Messi 2-5, 83e Piqué 2-6.
Real Madrid : Casillas ; Sergio Ramos (72e van der Vaart), Cannavaro, Metzelder, Heinze ; Diarra, Gago, Marcelo (59e Huntelaar), Robben (79e García) ; Higuaín, Raúl.
FC Barcelone : Valdés ; Abidal, Puyol, Piqué, Alves ; Touré (85e Busquets), Xavi, Iniesta (85e Bojan) ; Henry (61e Keita), Messi, Eto’o.

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13 Commentaires

  1. Sympa l’article, on a presque l’impression d’avoir vécu le match avec vous!
    Que c’est beau le sport sans violence. Et dire que chez nous, on doit subire des hool à quasi chaque match de foot de lna…

  2. J’ai bien aime les moments de nostalgie sur le LS!! 68 ans, que c’est long.. 🙂
    Sinon, article super, tt comme le match d’ailleurs!

  3. Le 2 mai 2009 est au Real Madrid ce que le 11 septembre 2001 est à New York : un énorme traumatisme. Des ruines à reconstruire, un chantier à mettre en place. Comme c’est beau!!!

  4. ouais pis niveau légende, c’est bien parti pour continuer dirait-on..
    superbe article, ça fait plaisir d’avoir des news de la crevette au passage!

  5. Tres jolie histoire et article! Je sais que ce sont des articles pseudo satiriques, mais comparer une defaite au football au 11 septembre est choquant a mes yeux! le seul bemol pour un article bien ficele somme toute…

  6. plus aucun article sur le foot régional ( 2ème et 3ème ligue )……… dommage, les 90% des gens que je connais venaient sur votre site pour ce genre d’articles…. pas pour lire un article de plus sur le barca ou manchester ( y en a deja assez sur internet )….  » ah carton rouge c’était mieux avant « ….

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