L’instant qui trique : United Passions of Sepp Blatter

Qui suis-je ? Personne n’en voulait et pourtant ils l’ont fait. La FIFA a voulu l’effacer de la surface de la terre. Un sommet du ridicule dont tous les instigateurs ont aujourd’hui honte. Vous avez répondu la Super League ? Mauvaise réponse ! Oubliez les “Interstellar”, “Seul sur Mars” ou autres “Star Wars”, le plus grand film de science-fiction de ce début de siècle se nomme “United Passions: La légende du football”, un film où Sepp Blatter incarne un super héros anti-corruption. 

Cofinancé entre la FIFA et l’Azerbaïdjan (histoire sans doute de se positionner pour l’organisation d’une future Coupe du monde), ce film avait pour objectif de résumer, en moins de deux heures, cent ans d’existence de la vénérable institution à travers trois de ses grandes figures historiques: Jules Rimet, Joao Havelange (ça se gâte) et notre inimitable Haut-Valaisan national. Le projet est initié en 2012 pour sortir lors de la Coupe du monde 2014. Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu.

Une fois le projet lancé, le réalisateur français Stéphane Auburtin est engagé. De bonne foi, il tente dans les premières versions du scénario de montrer la face sombre de la FIFA en ouvrant le film sur une perquisition de police au siège de Zurich. L’idée est étonnamment violemment rejetée par la production, d’autant que les Azéris ne paient pas autant que promis et que la FIFA finance finalement 90% du film au lieu des 40% prévus au départ. Il faudra repasser pour le brûlot cinématico-footballistique.

Le tournage se déroule sereinement et le film sort quelques jours après l’éclatement de l’affaire de corruption à la FIFA de mai 2015. Sacré timing! Il est éreinté par les critiques et ne rapporte que 160’000 $ pour un budget de 24 millions. Le film disparaît rapidement de l’affiche et il est quasiment introuvable aujourd’hui. Mais vous avez de la chance car j’ai réussi à en dégoter une copie et voici six ans après et en exclusivité la chronique de ce chef-d’œuvre du 7ème art.

Le film commence avec un avertissement: “Certains personnages et événements ont été romancés ou inventés pour les besoins du film”. Sans déconner! Il eut été plus juste d’indiquer la présence de quelques zestes de vérité dans un citron de mensonges. La narration débute en 1904 et on assiste à un enchaînement de scénettes décousues comme on lirait l’article Wikipédia sur la FIFA. Exception faite bien sûr du paragraphe “Scandales et corruption”, sinon le film aurait duré huit heures. Le tout est régulièrement entrecoupé, sans raison apparente, d’images de jeunes garçons jouant au foot sur un terrain vague et bombardant une pauvre fille au gardien. Il s’agit en fait de la seule partie tournée en Azerbaïdjan, le réalisateur ne sachant pas quoi filmer d’autre dans ce pays qui finance le film en échange d’y tourner. C’est toujours mieux que de ressortir des images d’archives d’une triste soirée d’août 1996 à Bakou.

Toute la partie des débuts de la FIFA est, je l’avoue, plutôt intéressante. Le premier président, le fantasque français Robert Guérin, annonce la couleur : “Ce poste n’apportera ni la gloire, ni l’argent”. Les anglais sont immédiatement identifiés comme les méchants du film refusant de rejoindre le beau projet rassembleur de la FIFA. Ils sont dépeints comme arrogants, racistes et misogynes. Autant dire que c’est la presse anglaise qui a le plus défoncé le film.

Même en sachant que c’est l’appellation anglaise officielle, ça fait toujours mal aux yeux.

Hop, hop, hop, pas de temps à perdre, on passe en 1924 alors que l’Uruguay vient de gagner le tournoi de foot aux Jeux Olympiques de Paris. C’est là qu’intervient Jules Rimet. Dans la vraie vie, ce dernier était tout fluet et mesurait 1m50, soit à peu de choses près la taille du steak avalé par Gérard Depardieu à chaque repas. Logique donc que ce soit lui qui l’interprète ! Rimet souhaite organiser une Coupe du monde mais il manque d’argent. Le richissime ambassadeur d’Uruguay propose de l’organiser pour fêter le centenaire de son pays et de payer les frais de voyage des équipes européennes. L’affaire se magouille au bord du “Lake Geneva” entre Rimet et l’ambassadeur et quelques années plus tard un simulacre de vote attribue officiellement l’organisation à l’Uruguay. Le pays ment ensuite en annonçant que tout est prêt pour le coup d’envoi alors que le stade du centenaire est à peine sorti de terre. Tous les mensonges et les magouilles y étaient déjà dès la première édition du Mondial et le film nous le montre clairement, on ne peut pas lui reprocher ça. La FIFA a sans doute laissé pisser pour donner le change.

Ensuite les années passent comme autant de petits événements, la fédération frôle durant tout le métrage la faillite. Crise de 29, Seconde Guerre mondiale, manque de sponsors, etc. Le siège est déplacé à Zurich et on nous montre Rimet en 1936 très inquiet de l’arrivée possible d’un conflit mondial. Il menace de démissionner, mais les Allemands le rassurent. Annette, la fille de Jules Rimet, pousse une gueulante et calme tous les chefs de fédérations européennes. Certains événements ont été inventés pour les besoins du film qu’ils disaient.

La guerre est zappée et on a quasiment vu aucune image de football ! La FIFA n’avait sans doute pas les moyens de se payer les droits à elle-même. Direction le Brésil en 1950 pour la fameuse finale entre la Seleçao et la Celeste. Surgit alors le premier drame national brésilien avec cette défaite inimaginable 1-0 au Maracana. Sur le chemin de la remise du trophée, on y voit Depardieu en état de choc errer dans les couloirs du stade dans une scène surréaliste. Il est tellement hébété qu’on dirait qu’une bombe a explosé dans le stade, alors que c’est juste les favoris qui ont perdu. Sans pitié, le film enchaîne sur le cercueil de Jules Rimet, mort en 1956. C’est la fin de la première partie. Il est où Blatter ? On veut du Blatter ! Du calme, il arrive.

C’est au tour de Jean-Marie Faustin Goedefroid de Montmira…non de Havelange de faire son apparition comme président de la FIFA. Il y restera de 1974 à 1998, le temps de devenir un vieux dinosaure. C’est sans doute pour cette raison que le rôle a échoué à l’acteur néo-zélandais Sam Neill, inoubliable professeur Grant de Jurassic Park. Joao Havelange est membre du CIO lorsqu’il arrive à se faire élire au poste de président de la FIFA. Il restera membre du CIO presque jusqu’à sa mort. Pourquoi magouiller dans une fédération quand tu peux le faire dans deux? Entre Havelange et Rimet il y a eu deux présidents britanniques, mais ils sont envoyés aux oubliettes de l’histoire. Décidément la perfide Albion est encore à l’ordre du jour pour la FIFA.

Ah oui le célèbre restaurant « Drei Stuben » de Zurich à Sion, je connais!

Attention, nous arrivons à la 56ème minute et 41 secondes du métrage. Un encart nous indique “Sion, 1975”. Quel acteur va-t-on trouver dans le rôle de Sepp? Jim Carrey ? Will Ferrell ? Brad Pitt ? C’est Tim Roth de Pulp Fiction qui hérite du fardeau. Il admettra plus tard avoir participé au film uniquement pour payer l’université à ses enfants. Je le cite : “J’ai détesté faire ce film […], c’est dur d’être dans quelque chose que vous ne vouliez pas faire. […] Je pensais que ce serait beaucoup plus centré sur la corruption de Blatter”. C’est beau la naïveté.

Le film nous présente donc Blatter en train de boire des canons dans un bistro valaisan et annoncer qu’il quitte le monde de l’horlogerie pour aider la FIFA à trouver du pognon. A partir de là, la machine de guerre Blatter se met en branle. Le premier contrat est conclu avec Adidas sur une aire d’autoroute à Berne (il paraît que c’est véridique), Coca-Cola est signé, l’Afrique est séduite en deux coups de cuillère à pot et est convaincue de pouvoir jouer un plus grand rôle, l’Asie pareil et vas-y que je te rajoute la mise en avant du football féminin. Saint Blatter grimpe les échelons quatre à quatre, il passe secrétaire général. Il est sur tous les fronts, il paye même de sa poche les salariés quand les caisses sont vides, le burn-out est évité de justesse.

A la santé de la FIFA, Sepp !

Lors de la Coupe du monde 82, Havelange est montré comme un lâche qui laisse son secrétaire général répondre aux questions difficiles des journalistes. Sepp s’interroge sur tout cet argent envolé, il commence à suspecter Havelange. Le Suisse passe pour un agneau innocent entouré de vautours. Un dernier fou rire est offert au spectateur lors de l’élection de Blatter au poste de président de la FIFA en 1998. Son discours fait de la morale la plus grande des vertus. En 2002, c’est déjà le bordel avec le scandale de l’affaire ISL, il risque de ne pas se faire réélire. Arrive alors la plus belle scène du film: sur un bateau, Havelange conseille à Sepp d’utiliser la menace et le chantage pour gagner des voix. Et ça marche, il est réélu en 2002, 2006, 2010 et 2014 ! Incroyable que cette scène soit restée dans le film. Les personnes de la production devaient certainement toutes dormir depuis bien longtemps lors de la projection. Le générique final montre des images du choix de l’Afrique du Sud pour l’organisation de la Coupe du monde 2010 et se termine sous un déluge de vuvuzelas. Décidément rien n’aura été épargné au courageux spectateur.

C’est toujours bien de connaitre des choses compromettantes sur les gens pour gagner une élection.

PS: Pour une vision moins romancée de l’histoire, je vous dirige vers un ouvrage écrit par le journaliste Andrew Jennings intitulé… « Carton Rouge ! »

Crédits photographiques: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sepp_Blatter_%26_Jo%C3%A3o_Havelange.jpg

A propos Jean-Marc Delacrétaz 29 Articles
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2 Commentaires

    • Non comme indiqué dans l’article, il est difficilement trouvable. On peut le dénicher en DVD ou sinon il va falloir zoner sur des sites interlopes.

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