Ces si belles bassesses du sport

Il y a quelques jours, Benoît Paire défrayait une nouvelle fois la chronique, annonçant qu’il « n’en avait rien à cirer » d’avoir perdu, que jouer devant le court de Monaco vide lui faisait penser « à un cimetière » et que du coup « je prends les 12’000 euros et je rentre ». Un scandale. Une honte pour le tennis et l’image du sport. Ça devrait être interdit. Attendez, vraiment ?!

À l’heure où le sport est probablement moins suivi que jamais, comme l’expliquait Pierre Diserens, il semble qu’il y ait une autre fracture, plus insidieuse. À l’heure où un élan sans précédent se manifeste contre toutes sortes d’inégalités à travers le monde, le sport est en première ligne : manifestations (mieux vaut tard que jamais) contre l’attribution du Mondial au Qatar ; documentaire polémique de Marie Portolano sur le sexisme dans le journalisme ; actes, souvent isolés, de sportifs pour aider les laissés-pour-compte de la pandémie ; manifestations Black Lives Matter dans de nombreux sports après la mort de George Floyd, et j’en passe. Le débat sonne parfois faux, les arguments sont parfois maladroits, mais personne ne pourra blâmer le fait qu’il est au moins ouvert. Cependant, à cette heure-là et dans le sillage de ces nobles causes, une nouvelle tendance semble émerger. Plus exactement, elle existe depuis longtemps mais prend de l’ampleur à la lumière du temps libre que les gens ont pu se dégager depuis une année et de l’importance financière que prend l’image TV des sports puisque les stades sont fermés.

Vous l’aurez peut-être deviné, je veux parler de cette soi-disant morale du sport. Cette religion, prônée par certains journalistes, quelques suiveurs du dimanche et, pour changer, par l’argent. Ce mythe selon lequel tout ce qui touche au sport doit être noble, classe, lisse, exemplaire, bref, chiant. On parlait de Benoît Paire, revenons-y. Il y a quelques semaines, il s’était pris une amende par la fédé française de tennis pour son comportement limite lors du tournoi de Buenos Aires. Entre temps, Marion Bartoli, grande spécialiste de la condescendance et qui, depuis qu’elle a gagné un truc notable dans sa vie, ne manque pas une occasion pour ouvrir sa gueule (un peu comme Jacques Dubochet en fait), souhaitait une sanction exemplaire à son égard. Et puis il y a eu Monte Carlo. Alors que, si l’on écoute vraiment l’interview de l’intéressé, est-ce qu’on peut vraiment lui en vouloir ? Certes, la forme n’est pas là mais qui ne comprend pas le fond de son raisonnement ? Paire est humain. Un des rares humains du tennis d’ailleurs. Et au pire, si vous n’êtes pas d’accord, il passe peut-être pour un con à vos yeux. Mais en aucun cas il n’engage son sport. En aucun cas le tennis ne perd en crédibilité parce qu’il s’énerve sur un court ou prolonge un apéro en dehors. L’histoire rappelle celle de Kyrgios, pour qui je n’ai jamais caché mon admiration, qui s’est pris des prunes encore bien plus salées, tout ça parce que l’ATP, la fédération nationale ou certains anciens tennismen se sont sentis offusqués par quelques fantaisies.

En parlant de cette pseudo moralisation du sport, comment ne pas penser à notre grand copain Massimo Lorenzi, sniper lisse de Twitter. L’homme aux sentences aussi péremptoires que condescendantes s’est fait une spécialité d’incendier à grands coups de figures de style tout ce qui est contraire à sa propre interprétation de la morale du sport. Massimo sait et dit comment le sport doit faire pour être beau. Parce que Massimo rédige le code d’honneur du sport à chacune de ses interventions.

Et pourtant, s’il est bien un aspect de la société où cela fait plaisir de briser les codes – dans une certaine limite, on s’entend -, c’est le sport. La beauté du sport est avant tout mise en valeur par ses côtés dégueulasses. Franchement, qui n’a jamais célébré une victoire totalement imméritée de son équipe fétiche, qui marque sur son seul tir alors qu’elle a subi tout le match (en fait qui n’a pas hurlé de joie à Suisse-Espagne) ? Qui n’a jamais bondi de son canapé en voyant un Autrichien enfourcher et offrir la victoire à un Suisse ? Qui n’a jamais ressenti de frisson coupable au moment où son équipe favorite se fait humilier par un rival et que l’un de ses joueurs se venge par un tacle plus proche de l’oreille que du ballon ? Qui n’a jamais espéré un accrochage au départ d’un grand prix de Formule 1 pour pimenter la course ? Qui n’a jamais vénéré le spécialiste ès lancer de gants de son équipe de hockey ? Qui n’a jamais fêté une élimination ou un abandon de Nadal ou de Djoko ? Qui n’a jamais étouffé un rire en voyant deux pilotes moto qui en viennent aux mains à la suite d’une chute ? Qui osera dire que le grand moment du récent Tour de Romandie n’est pas la chute de Geraint Thomas à 50 mètres de la ligne d’arrivée à Thyon ?

Tout cela vous a procuré des émotions, non ? Pourtant, il n’y a pas grand-chose qui soit moralement louable dans cette liste. Et où est le problème ?

Tout devrait être lissé pour faire plaisir à une poignée de puristes, aux polémistes de Twitter et aux gros bonnets qui espèrent vendre un max de droits TV, pensant que tout doit être beau pour vendre (coucou feu la Super League). Mais le sport est fait de trucs moches. De victoires dégueulasses, de basses vengeances, de pétages de plombs. Tout lisser n’est pas la solution. Vous imaginez un tournoi du Grand Chelem avec uniquement des sosies émotionnels de Federer ? Qu’est-ce qu’on se ferait chier !

Alors, pour la beauté du sport, foutez la paix à Benoît Paire, à Nick Kyrgios, à Max Verstappen, à Sergio Ramos, à Roy Keane, à Mark Cavendish, à Gennaro Gattuso, à Pepe, à Tristan Scherwey, à John McEnroe, à Diego Maradona, à Bode Miller, à Lara Gut ou à Paul Gascoigne. On a le droit de les détester, une bonne partie de cette liste est insupportable. On a le droit de se foutre de leur gueule, on l’a souvent fait sur ce site, et d’ailleurs heureusement qu’ils sont là pour notre inspiration. Mais ce sont eux qui, à leur manière, rendent le sport beau et émotionnel, comme on l’aime. Laissez-nous aimer notre sport même quand c’est pas joli-joli et concentrez-vous sur les vrais problèmes. Laissez-nous célébrer la main de Suarez contre le Ghana et arrêtez de filer des Coupes du Monde dans des pays où les droits de l’homme sont aussi considérés que la notice de lavage du t-shirt gagné à la tombola de la soirée virtuelle de la fanfare de Juriens.

Au lieu de vouloir réduire au silence ces moutons noirs du sport pro, battez-vous pour qu’ils puissent continuer d’exister, pour que de votre côté vous puissiez continuer à les détester ! Imaginez contre qui Massimo pourrait bien tweeter sinon…

Parce qu’au final, une victoire dégueulasse et houleuse contre le plus grand rival est toujours plus forte qu’une démonstration contre un adversaire dont on se fout. Une raquette explosée par Benoît Paire est toujours plus marquante qu’un beau coup droit long de ligne de Sacha Zverev. Un carton de Romain Grosjean dans les premiers hectomètres doublé d’une belle dose de mauvaise foi en conférence de presse est toujours plus mémorable que 48 tours menés tranquillement par Lewis Hamilton, aussi parfait soit son pilotage. À l’heure où on ne sait pas à quel Saint se vouer, le sport est l’un des rares ilots d’humanité et d’émotions (parfois encore) sincères. Alors foutez-lui la paix. On est assez jugés et formatés tous les jours pour qu’on ait le droit de célébrer les coups bas ou les coups de gueule dans cette « plus importante des choses les moins importantes » qu’est le sport (enfin la citation dit que c’est le foot ça, mais avec le sport en général ça marche quand même). Qu’on élimine les vrais problèmes éthiques du sport, c’est très bien. Mais qu’on nous laisse les émotions que procurent tous les comportements discutables générés par l’un des seuls facteurs de joie dans cette période déjà chiante que l’on traverse depuis plus d’un an.

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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