L’«a-Grèce-ion» du foot-spectacle : de l’art de la déconstruction

Neuf années que Otto Rehhagel règne sur l’équipe de Grèce, griffée durablement par sa patte de plomb, imprégnée comme jamais de son sens du jeu que les inconditionnels du foot-spectacle estiment paradoxalement être du non-jeu. Cependant, en jouant de la sorte la Grèce a été consacrée à la surprise générale championne d’Europe en 2004. Or par la suite, continuant à oeuvrer comme elle sait si bien le faire, elle n’a pas réussi à confirmer et à asseoir sa confiance : non présente à la Coupe du Monde 2006 ; échouant de manière peu glorieuse à l’Euro 2008. Aujourd’hui la Grèce est qualifiée in extremis pour l’Afrique du Sud, deuxième Coupe du Monde de son histoire. Elle continuera assurément à déconstruire le jeu de ses adversaires, espérant prendre le dessus à l’usure. Que cela plaise ou non.

1) Pourquoi ai-je choisi de présenter ce pays ?Indépendamment des eaux grecques au sein desquelles je n’ai de cesse de baigner, j’ai accepté de présenter à nouveau l’Ethniki parce que j’aime me faire l’avocat du diable : défendre son jeu qualifié d’hideux mais que je trouve beau, disserter avec ceux qui le désapprouvent et tenter de leur montrer – peut-être pas encore de manière précise à l’occasion de cet article – à quel point il est capable de procurer jouissance à celui qui accepte de s’ouvrir à la différence, à l’altérité.
Le fait que certains s’ennuient à mourir en regardant l’équipe grecque jouer, espérant des goals et du spectacle à tout prix, me conforte pour ma part dans la foi que je voue au style imposé par Rehhagel. Le «déjouement» ne peut-il pas être considéré comme du jeu à part entière ? J’aime cette équipe bâtie à l’ancienne, parfois encore avec un libéro, deux ou trois stoppeurs, un milieu de terrain extrêmement compact et travailleur, défendant et exerçant un pressing constant pour récupérer les ballons et lancer des contre-attaques meurtrières. J’aime l’alliance de la rigueur rehhagelienne et de l’art méditerranéen.
Une manière de concevoir le football qui a fait couler beaucoup d’encre, générant davantage de détracteurs que d’amoureux. De la même manière, j’ai particulièrement apprécié la manière dont l’Inter s’est défait du Barça en demi-finale retour de la Ligue des Champions. Certains l’ont considéré comme un scandale. Le football n’est pas seulement esthétique, il doit aussi être pragmatique et tactique. La Grèce en a fait son credo. L’équipe grecque façon Rehhagel, c’est un peu Rome et Athènes réunies.


Un but : cela suffit à l’équipe de Grèce
pour contenir un match et le gagner

2) À quoi sert ce pays ?
La Grèce sert à déjouer le modèle ambiant, à dévaluer les valeurs établies. C’est le mouton noir, le mauvais élève qui n’en fait qu’à sa tête, borné au possible, confiant malgré tout et contre tous de ses chances de succès. Utile, la Grèce de Rehhagel ? Oui, car elle tente de mettre un frein à l’uniformisation ambiante, fléau de notre époque. Dans quelques jours elle tentera de semer le trouble dans la fourmilière sud-africaine en affirmant et en assumant sa différence.
3) Comment se sont-ils qualifiés, et surtout, pourquoi ?
Les Grecs se sont qualifiés à l’arrachée, en barrage contre l’Ukraine (0-0 à Athènes, 0-1 à Donetsk). Lors des qualifications, ils ont terminé deuxièmes du groupe 2, cédant très justement la première place à la Suisse dans une poule qui comptait encore la Lettonie, Israël, le Luxembourg et la Moldavie. Rien de particulièrement brillant sur les écrans, sinon précisément le fait d’être aller chercher difficilement la qualification au mois de novembre dans les frimas ukrainiens, ce qui dénote une grande maîtrise, un caractère fort. Si l’équipe grecque s’est qualifiée pour l’Afrique du Sud, c’est parce qu’elle possède des qualités physiques, tactiques et psychologiques indéniables : elle s’est battue dignement et sans concession. Si la Grâce vient à nouveau la toucher cet été, la Grèce aura les moyens de contenir ses adversaires, de tenir le score. Mais pour cela il faut qu’ils marquent les premiers.
4) Pourquoi vont-ils gagner la Coupe du Monde ?
Parce que les Grecs peuvent être des maîtres dans l’art de provoquer des miracles sur des terrains de foot qu’ils transforment souvent en champ de bataille. C’est peut être l’alchimie gréco-romano-germanique qui en est à l’origine. Pour son premier Euro à la tête d’une équipe, Rehhagel est en effet allé jusqu’au bout du conflit et en a fait une fête. Et pour sa première Coupe du Monde, rien exclut qu’il en soit de même.
5) Pourquoi vont-ils se faire éliminer au premier tour ?
Parce que la Corée du Sud, parce que le Nigéria, parce que l’Argentine. Parce que c’est le foot. Leur premier match contre la Corée du Sud sera décisif : s’ils parviennent à l’emporter, la système se mettra en route.
6) Qui sont les joueurs à surveiller ?
Les joueurs clés de cette équipe restent incontestablement les indéboulonnables milieux de terrain : Giorgios Karagounis et Kostas Katsouranis, travailleurs hors norme, rusés au possible, dotés tous deux d’une très bonne frappe, qu’ils n’hésitent pas à décocher sitôt passé le milieu de terrain. De plus, ils viennent de faire une très bonne saison avec le Panathinaïkos qui a remporté le doublé cette année. À ce titre, la grande force de l’équipe de Grèce est précisément de compter dans ses rangs plusieurs joueurs évoluant côte à côte déjà au sein du Pana. Dont le jeune prodige Sotirios Ninis, 20 ans, qui est courtisé depuis quelques temps par Manchester United, Arsenal, l’AC Milan et le Real Madrid. Ses prestations sont donc très attendues en Afrique du Sud. Il a beaucoup appris cette saison aux côtés de Djibril Cissé et de Gilberto Silva notamment. Peut être que ses coups de génie vont donner à la sélection grecque la créativité qui lui manquait. Supervisé par de grandes écuries européennes, Vassilios Torossidis le sera aussi. Le fougueux défenseur ne manquera probablement pas de confirmer son talent lors de cette Coupe du Monde. Sans compter sur Théophanis Gekas, ancien joueur du Pana, topscorer de la Bundesliga lors de la saison 2006-2007 avec 20 buts, mais aussi des éliminatoires de la zone euro avec 10 réalisations. Mais plus que des individualités, l’Ethniki est une équipe unie et qui s’appuie là-dessus.


Sotirios Ninis, prodige grec de 20 ans, au service de
Djibril Cissé cette année au Panathinaïkos

7) Qui sont les joueurs à ne pas surveiller mais dont on peut éventuellement se moquer ?
Ce n’est pas d’un ou deux joueurs qu’on pourra se moquer, mais de l’ensemble de l’équipe grècque et de son sélectionneur s’ils ne parvenaient pas à se qualifier pour les huitièmes de finale. En effet, l’obstination de Rehhagel à maintenir un système de jeu qui a été payant en 2004 au Portugal, devient ridicule à partir du moment où il ne s’avère plus efficace. C’est ce qui s’est passé à l’Euro 2008.
8) Une bonne raison de les supporter
Les Grecs jouent au foot de manière intelligente, sage et pragmatique, ne présumant pas de leurs forces intrinsèques. Ils savent ainsi se protéger de leurs adversaires en déconstruisant leur jeu. J’y vois personnellement un grand intérêt tactique, comportant assurément une dimension philosophique. Un livre pourrait être écrit là-dessus et qui aurait pour titre : «De l’art de bien faire la guerre». Voir de grandes équipes toucher leurs limites en se cassant les dents sur le mur grec me procure une profonde satisfaction. Supporter la Grèce pourrait aussi être un signe de solidarité. Si l’équipe nationale parvenait à enchaîner les succès, nul doute que cela ferait l’effet d’un anesthésiant bienvenu à une partie de la population qui s’apprête à entrer dans une crise sociale extrêmement inquiétante. Le football aurait-il comme vertu de redonner à un peuple en détresse un semblant d’espoir ?


L’Ethniki se doit de donner du réconfort au peuple grec

9) Une bonne raison de ne pas les supporter
Si vous ne comprenez pas la manière de jouer de cette équipe et que vous l’excluez d’emblée de la sphère footballistique parce que vous avez une conception du spectacle esthétiquement orientée, alors ne vous cassez pas la tête : évitez de regarder les batailles qu’elle va livrer contre la Corée du Sud, le Nigéria et l’Argentine. Si toutefois la Grèce venait à se qualifier pour le second tour – leur objectif serait ainsi atteint – faites tout de même une nouvelle tentative. On ne sait jamais, n’ayant plus rien à perdre, peut être que leur jeu se libérera et que vous obtiendrez de ce fait les sensations que vous attendez d’un match de football.
10) Bon d’accord, mais sinon ?
Sinon quoi ? Réjouissons-nous de vivre au rythme du foot quotidien, d’éprouver ces sensations uniques procurées par l’événement roi, la rencontre de diverses parties du grand Tout. Un aboutissement planétaire, éphémère bien sûr, mais qui cristallise énormément de choses en une longue période passionnelle de trente jours. Et qui laisse quantités de souvenirs. Des traces précieuses.

Écrit par Philippe Verdan

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9 Commentaires

  1. Hélas,trois fois hélas, la Grèce ne présente pas un jeu digne des ses antiques philosophes et autres personnages.

  2. Enfin un article intéressant et pas dénigrant de la culture d’une équipe de la coupe du monde! Non sérieusement très cool, je m’y suis pris à presque apprécier le style grecque, et l’article ne commence pas avec un fameux « j’ai pas choisi cette équipe, on me l’a désignée » ou encore « il n’y a aucune raison à supporter cette équipe ». Pourquoi devoir démonter toutes les équipes au lieu d’aller dans le sens de Philippe Verdan qui malgré tout ce qu’on peut reprocher à l’équipe grecque, tente avec pas mal de brio à la faire apprécier au lecteur..
    ABE

  3. @ Paolo

    CartonRouge ca te parle ??? Le site n’est pas fait pour faire compte rendu de matchs tel que le ferait le Temps mais bien pour dire des choses que l’on ne pourraient pas dire dans les journaux (à part le Blick…). En l’occurence, il défend l’indéfendable, ce qui ne constitue pas vraiment un style neutre mais ton post reflète bien le 3/4 des posts de vierges effarouchées qui sévissent sur CartonRouge…

    C’est désolant que ceux qui se prennent vraiment au jeu aient sans cesse à rappeller aux gens qui prennent les articles au 1er ou au 1 degré 1/2 qu’ils n’ont rien à faire sur ce site…si tu veux des analyse de chaque nations avant la CdM, attend les habituels compléments ou autre pages spéciales qu’impriment les journaux avant chaqu événement de ce type.

    ABE merci

  4. Reaghel et Mourinho sont des destructeurs de football. Pour obtenir la victoire, seul compte : la tactique et le pragmatisme. Si toutes les équipes joueraient comme l’Inter et la Grèce, plus personne ne regarderait le foot à la TV !
    Vive les équipes de foot qui créent du beau jeu : le Brésil, l’Espagne, l’Argentine et les Pays-Bas.

  5. les Grecs se sont pris le mur lors de l’Euro en pratiquant un non-football qui ferait passer Mourinho pour un adepte de l’attaque à outrance.
    Qu’on défende ces tactiques frileuses, j’ai déjà de la peine…mais qu’on en fasse encore une sorte d’apologie…la je suis plus…

    Un peu d’audace que diable…rien que pour redonnner du pep a l’economie grecque…!

  6. @ Ramon :

    « Si toutes les équipes joueraient comme l’Inter et la Grèce, plus personne ne regarderait le foot à la TV ! »

    Si tous les posteurs de commentaires parlaient comme toi, plus personne ne les lirait …

  7. Voilà que notre Docteur-es-beau-jeu Ramon nous explique le plus sérieusement du monde que la tactique et le pragmatisme sont la destruction du football ! Trop drôle !

    Sinon, je profite de cette occase pour dire que j’apprécie énormément ces présentations, jusqu’ici. Chaque rédacteur avec son style et sa sensibilité, c’est vraiment du super boulot, les gars, bravo ! On attends la suite avec impatience.

  8. @Jo
    Hé le clown de service, n »affirmes pas que les autres partagent ton opinion.
    Mais, il est vrai que tes commentaires sont tellement intéressants et passionnants…que je me réjouis d’ores et déjà de lire les prochains !

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