Sacha Opinel : «J’ai cravaché toute ma vie» (partie II)

Formé à l’AS Cannes, juste après les générations Zidane et Micoud, Sacha Opinel n’a pas connu une carrière tranquille. En décembre 1999, il rejoint les Raith Rovers en D2 écossaise. Le début de l’aventure britannique pour le latéral, qui enchaînera les clubs et les essais pendant une dizaine d’années, de la D3 à la D7 anglaise. Une aventure atypique, poignante où se mêlent la galère et la réussite de décrocher un simple contrat pour survivre dans son rêve. Retraité du professionnalisme, Opinel raconte son histoire et les dessous du football. En voici la seconde partie.

Anecdotes et médias

«J’étais tellement braisé que Didier Agathe m’a fait bouffer de la pelouse»
En Ecosse, lors d’un match il a plu, grêlé, neigé, replu et le soleil est sorti après ! Des joueurs saignent abondamment, sortent et reviennent en sang. D’autres n’ont pas de dents. J’ai vu des trucs impressionnants. Dans les médias aussi, ce sont des malades. Les paparazzis, ils cherchent tout, tout. Les joueurs sortent en boîte, tu as les photos. Il fume une cigarette, c’est une affaire internationale. En Ecosse, ils m’ont fracassé quand ça ne se passait pas très bien. Mais il y avait de quoi, je ne faisais que boire et sortir (sourire).
Avant que Jaja (Jean-Philippe Javary) parte à Brentford, mon sponsor était un pub. J’étais toujours en train de boire là-bas, il fermait à 1 heure du matin. On avait un match le samedi. Le jeudi, j’étais complètement braisé à l’entraînement. Le vendredi pareil, complètement mais complètement braisé. L’entraîneur l’a mal pris et m’a renvoyé à la maison. Mais le président m’adorait car il pensait pouvoir me vendre. Malheureusement, c’est parti dans les journaux que j’étais totalement braisé la veille du match. Ils m’ont pris en photo avec une tête de fou et ils ont fait un titre «Opinel, Open all hours.» Je l’ai cherché. Didier Agathe a même réussi à me faire manger de la pelouse. Je sentais l’alcool à cinq mètres. Didier me disait : «Fais quelque chose, mange un truc.» Dès que je respirais, on le sentait. Et j’ai mangé de la pelouse. Mais ce sont de bons souvenirs maintenant. Je n’ai tué personne, je n’ai fait de mal à personne.

Ambiance de folie et matchs de D5 à la télé

«Imagine, tu vas à la plage de Saint-Tropez et tu vois un fan avec le tatouage du Saint-Tropez FC sur la poitrine !»
A Ebbsfleet notamment, c’était minimum 1’500-2’000 personnes au stade, parfois 3’000 ou 4’000. Ils ont leur propre magasin, comme Auxerre ou le PSG, où on vend le maillot et les écharpes du club. Les fans sont à fond derrière nous. Un club comme Ebbsfleet, les supporters ont des tatouages de leur club sur leur torse ou leur bas. A Crawley aussi. Imagine, tu vas à la plage de Saint-Tropez et tu vois un fan avec le tatouage du Saint-Tropez FC sur la poitrine ! Mon jeu, c’était de tacler, mettre des tampons, ce n’était pas ma technique. En Angleterre, ça allait bien. Mon but était de mettre le ballon de couloir, tacler, mettre des bonnes têtes et faire des aller et retour pour centrer. Comme j’étais un peu physique, j’ai toujours pu me donner à 100%. Ils aiment bien ça en Angleterre. Quand tu te donnes à 100%, ils adorent aussi. Mais ils aiment bien ce côté un peu bourrin en Angleterre. A Cannes, ils préfèrent la finesse par exemple. Tu mets un gros coup de tronche, tu saignes, ils adorent ça ! Puis on passe à la télévision, en live ! Match de Conference League, Ebbsfleet contre Crawley Town, avec introduction des joueurs, comme sur Canal Satelite. C’est une autre dimension.

Déplacements en bus

«Le bus de Tottenham est une limousine»
Au même niveau en France, tu te déplaces en voiture en ayant rendez-vous à telle heure. Nous, on prenait le bus. A Ebbsfleet, on avait même notre propre cuisinier dans le bus. Il faisait les pâtes pour tout le monde. T’as internet, t’as Canal Satellite, il y a tout ! Et je parle de Conference League ! Je suis monté dans le bus de Tottenham, il faut voir comment il est ! C’est une limousine, je ne rigole pas. Ils arrivent avec l’ordinateur, tout est incorporé : bar personnel, un coin pour jouer aux cartes, écran géant. Ils jouent à la playstation quand ils rentrent du match, ils ont le cuisinier du club, le chauffeur du club, c’est inimaginable.

Se faire respecter

«Ferme-la con de Français, rentre chez toi»
Enormément de Français, de CFA 2 ou DH parfois, venaient à l’essai. Sur leur CV, ils mettaient qu’ils ont été formés à Cannes ou au PSG, il faut bien un peu mentir (il rigole). Ils prenaient une année sabbatique pour trouver un club. La différence entre moi et d’autres qui viennent de CFA 2, c’est que je venais de Cannes, j’avais un pedigree, je n’étais pas en amateur. Tu ne te dis pas : «Où vais-je me loger ?». Tu prends un peu le gros citron. Il me faut l’hôtel, il me faut ci et ça. Mais c’est surtout quand j’étais jeune. J’ai dû apprendre à me faire respecter pour réussir. A l’entraînement, il faut mettre un coup de pression. Quand ils ne te connaissent pas à l’époque, ils te parlent : «Ferme-là con de Français, rentre chez toi.» Il faut t’énerver ou tu ramasses, même si à l’époque je ne comprenais pas ce qu’on me disait. C’est comme en prison, tu dois te faire respecter. Il y a eu deux, trois bastons, oui. Mais tu es obligé de passer par là. Certains ont un peu de mal mais quand tu ne te fais pas respecter… Mais tu n’es pas chez toi, c’est comme partout. Parfois, c’est dur pour certains car ils n’ont pas la même réputation, ni le même caractère que moi. Pour les Français qui viennent en Angleterre, c’est un choix, il faut s’imposer sinon tu retournes en France.

Le parcours du combattant

«Des mecs comme Thierry Henry ne se rendent pas compte de ce qu’on peut vivre»
Je suis très fier de moi. J’ai réussi dans le football, j’ai rencontré ma femme. Mais je n’étais pas fait pour le football de haut-niveau. Si quelqu’un me parle mal, je n’arrive pas à l’accepter. Il y a l’intelligence du footballeur. Pas d’être historien ou philosophe mais écouter, construire et savoir où tu es. Barthez et Zidane sont intelligents, Thierry Henry aussi. Ils ont construit et construit, comme Sagnol, qui n’était pas bon à l’époque. Et moi je détruisais ce que je construisais.
J’ai cravaché toute ma vie. C’est quand même une illusion le football. Tous les jeunes croient qu’ils vont gagner beaucoup d’argent. Je suis bien placé pour en parler, je pourrais écrire un livre avec mon histoire. J’ai bu en Ecosse, j’ai mis des tampons, pris des cartons rouge, c’est fun, d’accord. Mais, il y a eu combien d’efforts, de persévérance ?

Après les matchs à Cannes, j’allais parfois courir. Je m’entraînais comme un malade pour réussir et être au top car je n’avais pas la chance d’avoir une technique pour me sauver. Il a fallu aller tout seul dans un bed & breakfast, je ne parlais pas un mot d’anglais, je ne savais pas dire fourchette ou couteau. J’ai eu de dures épreuves, on m’a traité de sale con, sale Français. Je ne le savais même pas au départ. J’étais tout seul, il faisait froid, il faisait nuit à trois heures de l’aprem parfois en Ecosse alors que je viens de St-Tropez ! J’allais courir, je faisais des efforts en étant tout seul. Je n’étais pas millionnaire, je n’étais pas Thierry Henry avec 40 plaques sur le compte. S’il n’y avait pas de match le week-end, pas grave, il pouvait descendre à Saint-Tropez. Moi, c’était plutôt combien j’ai pour me payer une bière samedi ? Il fallait que je signe, que j’ai un meilleur contrat.
Ces histoires-là, j’en parle parce que tout va bien désormais. Mais il y a eu des moments difficiles et les gens ne savent pas cette histoire-là. L’histoire de Thierry Henry et Zidane, tout le monde la connaît. Mais les histoires que j’ai pu vivre, que Grégory (1) a pu vivre et que les joueurs de Raith Rovers ont vécu, ce sont de grandes histoires. De très grandes histoires.
(1) : Durant l’entretien, Sacha a appris l’histoire de Grégory Tade, qui est parvenu à percer en Ecosse en démarrant de rien ou presque. Vous pouvez retrouver son interview dans le numéro 4 du magazine Sharkfoot.

Écrit par Romain Molina (Sharkfoot)

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3 Commentaires

  1. Sympa les entretiens!
    Mais…finalement… le mec en gros il eu trop le melon et n’a pas été assez volontaire pour consentir les efforts nécessaires à une carrière de +/- haut niveau. Il a fait le choix de la facilité en préférant vivoter du foot et aller boire tous les soirs.
    Il ne peut s’en prendre qu’à soi-même s’il a du cravacher et s’il n’a pas réussi à se faire de l’argent. (il le dit d’ailleurs lui-même…) Donc… c’est peut être pas le genre de gars à glorifier parce qu’il a joué 10 ans en ligues inférieures anglaises

  2. J’ai mis du temps à me rendre compte que l’article était sérieux en fait…

    Au final c’est pas trop mal, un parcours chaotique, mais intéressant. Dommage que son égo détruisait tout ce qu’il entreprenait.

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