L’échec du jeunisme (2/2)

On avait cru comprendre qu’il suffisait de faire jouer les jeunes pour porter la Suisse vers les sommets. Le non-match de Swansea a apporté un démenti cinglant : non, la Suisse n’est pas assez forte pour se priver des quelques-uns de ses meilleurs joueurs et pour écarter d’un coup toute une génération qui avait pris l’habitude de ne jamais manquer un grand tournoi.

Depuis le match de Wembley, Ottmar Hitzfeld a été contraint de faire massivement confiance à la jeunesse. Tout le monde s’est extasié après le match nul en Angleterre mais on savait que les vrais tests, ce serait les matchs contre la Bulgarie, le Pays de Galles et le Monténégro. Ce test-là a été raté. Peut-être bien que la génération actuelle est plus douée que les précédentes ; par contre, il lui reste encore à prouver le même attachement à la Nati et là c’est loin d’être gagné. C’est l’heure de la minute politiquement incorrecte du jour : après chaque victoire d’une sélection helvétique alignant quelques noms aux consonances un peu exotiques, on nous bassine avec ces théories sur les bienfaits du multiculturalisme, il y a quelques politicards qui n’ont jamais mis les pieds dans un stade qui viennent nous expliquer que cette équipe de Suisse bigarrée est une ode à une immigration massive et incontrôlée.Par contre, en cas de défaites, curieusement, il n’y a personne pour venir souligner le multiculturalisme de l’équipe, alors que l’on pourrait se demander si vraiment certains sont si attachés que cela à la Nati et ne l’ont pas simplement utilisée comme tremplin pour leur carrière en club. Personnellement, je n’ai jamais cru à ces théories fumeuses, les mecs qui jouent en équipe nationale sont suisses, point final. Et, contrairement à ce qui se passe dans certains pays voisins, n’ont pas obtenu un passeport de complaisance pour jouer au foot. L’origine ne devrait même pas être mentionnée, en cas de victoire comme en cas de défaite. D’ailleurs, à Swansea, le seul Suisse à surnager a été Valon Behrami… Il n’en demeure pas moins que l’implication de la nouvelle génération avec la Nati n’est pas suffisante et est largement en-dessous de celle de leurs prédécesseurs. Peut-être parce que ces joueurs ont connu le succès beaucoup plus tôt dans leur carrière et, pour certains, sont partis à l’étranger avant même d’avoir fêté leur première sélection en équipe nationale A.

Quels leaders ?

Promu héros de la nation après son but magnifique contre l’Angleterre, Xherdan Shaqiri avait sombré lors du match suivant au Monténégro. Rebelote une année plus tard : sauveur de la nation contre la Bulgarie, le Bâlois a été un zombie au Pays de Galles. Eren Derdiyok inscrit un but d’anthologie en championnat avec Leverkusen mais galvaude sa meilleure occasion à Swansea avec un contrôle tellement nonchalant qu’il est parti au poteau de corner. Le «buteur vedette» de l’équipe de Suisse culmine glorieusement à 4 buts en 36 sélections, deux en amicaux contre l’Angleterre et le Liechtenstein et deux officiels, contre la Lettonie et le Monténégro B mardi soir. Quant à Inler, il n’est toujours pas le patron attendu en équipe de Suisse ni le joueur qui brille en Italie. Et Senderos est trop souvent blessé pour devenir le leader de l’équipe.
Désolé Alex, mais j’ai bondi sur mon canapé en entendant Alexandre Comisetti et Philippe von Burg affirmer à Swansea que «Fabian Frei est dépassé, il n’a pas le rythme international». Fabian Frei, c’est pas le mec qui avait été éblouissant dix jours auparavant à Old Trafford dans un match international au rythme et contre un adversaire infiniment supérieurs à ceux de Swansea ? La différence, c’est qu’avec Bâle, il était intégré dans une équipe avec un système de jeu rodé et des leaders pour tenir la baraque et entraîner les jeunes dans leur sillage. Si Alex Frei n’avait pas été là pour sonner la révolte, peut-être le FC Bâle serait-il reparti avec une valise de son déplacement à Old Trafford. Qui y avait-il en équipe de Suisse pour sonner l’heure de la révolte au Pays de Galles ? Personne. On avait juste une équipe de gamins partis au combat sans capitaine, sans général et sans plan de bataille. Timm Klose ou Fabian Frei sont très talentueux et réalisent des choses magnifiques avec leur club respectif mais ils risquent de traîner longtemps leur contre-performance de Swansea comme un boulet.

La transition ratée

C’est fort louable de lancer des jeunes, encore faut-il pouvoir les entourer si l’on veut éviter de les envoyer au casse-pipe comme cela a été le cas au Pays de Galles. On a poussé la génération des trentenaires, celle de Frei et compagnie, vers la sortie, sans se préoccuper de savoir si la génération suivante, celle des Inler, Derdiyok, Barnetta, Senderos, Djourou, Ziegler, Lichtsteiner et compagnie était prête à prendre le leadership et à entourer les jeunes prometteurs qui débarquent. Ce n’est manifestement pas le cas. On ne peut s’empêcher d’avoir une sensation d’immense gâchis en voyant la manière dont un Stéphane Grichting, pilier de la qualification pour l’Afrique du Sud, a été écarté (soi-dit en passant, à quoi sert Michel Pont, théoriquement engagé pour ses talents de communicateur ?). Déjà parce qu’avec Grichting à la place de Djourou on serait peut-être reparti avec plus qu’un point de Wembley mais surtout parce que reformer la paire Grichting – von Bergen qui nous avait conduit en Afrique du Sud aurait donné à la Nati une toute autre assise défensive au Pays de Galles.

Y en a point comme nous

Le constat est identique en observant les performances éblouissantes du duo Frei – Streller en championnat et en Ligue des Champions. D’accord, la présence des deux buteurs du FCB n’a pas empêché la Nati de rater son début de qualifications mais on est persuadé qu’il suffisait d’un déclic et/ou d’un réajustement tactique pour qu’ils se remettent à claquer des buts avec la Suisse comme ils le font avec Bâle. Lionel Messi est resté plus de deux ans sans inscrire le moindre but avec l’équipe d’Argentine, traversant deux tournois majeurs comme un zombie. Personne n’a réclamé son retrait et aujourd’hui il a retrouvé le chemin des filets avec l’Albiceleste. Bon, c’est vrai qu’avec seulement Higuain, Pastore, Milito, Tevez, Lavezzi, Aguero ou Di Maria, l’Argentine n’a guère d’alternatives à Messi en attaque. Alors que nous, on croule sous les solutions de rechange.
Ottmar Hitzfeld n’avait même pas besoin d’aller jusqu’en Amérique du Sud pour prendre l’exemple à suivre, il lui suffisait de se tourner vers son pays d’origine, l’Allemagne. Celle-ci voit arriver une incroyable armada de jeunes talents, en partie issus des équipes triples championnes d’Europe M-17/M-19/M-21 en 2009. Pourtant, le sélectionneur national Jögi Löw a toujours conservé quelques «anciens» comme Lahm, Mertesacker, Schweinsteiger, Podolski ou Klose, alors même que ceux-ci ne justifiaient pas forcément leur sélection avec des performances en club largement inférieures à celles de quelques-unes des étoiles montantes de la nouvelle génération. Mais cela permet une transition en douceur et une intégration progressive – et non forcée comme en Suisse – des jeunes. Aujourd’hui la Nationalmannschaft a la meilleure équipe d’Europe et vole de victoires et victoires en présentant un football éblouissant.

Le Brésil, vraiment ?

En ayant d’abord rechigné à intégrer les jeunes puis en s’étant montré incapable de construire une ossature susceptible de les entourer, Ottmar Hitzfeld n’a de loin pas su tirer le meilleur parti du talent indéniable de la génération montante. Et pourtant, son contrat et son palmarès le rendant intouchable, c’est bien avec l’Allemand qu’il faudra repartir pour le Brésil 2014. On a pu lire que «cette équipe est riche de promesses» ou que «l’avenir est radieux». Personnellement, je ne vois pas où certains ont pu discerner les promesses d’un avenir radieux dans le match du Pays de Galles, sinon qu’il sera difficile de faire pire. Avec l’Islande, la Norvège, la Slovénie, Chypre et l’Albanie sur la route du Brésil, c’est l’assurance de dix rencontres du même acabit que celle du Pays de Galles, soit des matchs pas très clinquants, des adversaires pas très prestigieux mais solides et qui seront terriblement motivés par ce tirage au sort qui leur offre une occasion unique d’aller en Coupe du Monde. Et il est clair que si l’on aborde ces matchs avec la même envie et la même organisation qu’à Swansea, on n’ira nulle part.   

Ottmar Hitzfeld a onze mois pour préparer ces éliminatoires, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est trop court pour que la nouvelle génération puisse acquérir toute l’expérience nécessaire, mais suffisant pour construire un groupe, avec une ossature, des leaders, un système de jeu,  des buteurs… Quitte pour cela à sonner le rappel de quelques anciens s’il devait s’avérer qu’il n’y a pas encore dans la nouvelle génération d’éléments avec toutes les qualités requises. La génération dorée des Chapuisat, Knup, Sforza, Sutter, Hottiger et compagnie serait-elle vraiment allée aux Etats-Unis si Roy Hogdson n’avait pas, contre l’avis général, été ressortir d’un placard Andy Egli ou Georges Bregy ?
Si tu as manqué le début : L’échec du jeunisme (1/2)
Photos Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Julien Mouquin

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18 Commentaires

  1. Je lis partout que Gottmar s’est planté avec les jeunes. Soit. Mais l’argument utilisé est toujours le même: c’était mieux avant. Quelqu’un pourrait-il me dire ce que les si merveilleux Frei, Streller et autres ont réalisé de si brillant à l’époque de papy Köbi? Et les défaites contre le Canada et le Luxembourg, c’était pas avec eux, par exemple? Si c’est pour refaire un Mondial comme en 2006, autant ne pas y aller, n’en déplaise à certains.

  2. Pas d’accord avec janclod: le Mondial 06 était réussi… mais s’est mal terminé. Là où ça a commencé à se gâter, c’est quand on s’est séparé de Vogel, un vide qu’on n’a jamais vraiment comblé depuis au milieu de terrain.

    Inler n’est pas le maître à jouer qu’on attendait et qu’on nous décrit encore en Italie (perso, je l’ai jamais vu jouer en club, mais avec la Suisse, il a beaucoup de déchet).

    Les Frei et Streller, je pense que Hitzfeld les a gardés dans l’équipe autant qu’il l’a pu, mais y a un moment où c’est juste plus possible. Frei a joué à l’envers pendant au moins deux ans.

    Pour encadrer les petits jeunes, on a quand même maintenant des Liechsteiner ou des Senderos qui ont du caractère et peuvent tirer la nouvelle génération. Je ne sais pas l’impact de Benaglio dans l’équipe, mais il commence à être sacrément expérimenté, de même que Behrami.

    En revanche, ce qu’il convient de voir, c’est si ces jeunes ont déjà le niveau international. Pour Shaqiri, ca parait évident; pour Frei, il doit encore prouver; pour Xhaxa, je pense qu’il en est encore loin. 3 matchs complets avec les A pour combien de ballons touchés? Et avec quels résultats? Un Emeghara n’aurait-il pas eu plus sa place? Il a d’ailleurs le seul vrai attaquant de la bande, et ça ferait du bien que Derdyiok ne soit pas seul en pointe, surtout quand on voit son taux de réussite en équipe nationale… On attend aussi impatiemment le retour de Stocker.

    Reste la question de l’envie, et là, c’est clair qu’on a l’impression que Shaqiri se faisait un peu chier à Swansea.

  3. N’en déplaise à Janclod, Frei c’est sauf erreur 42 buts en 84 sélections, des buts en phase finale de coupe du monde, des réussites capitales en éliminatoire des Euro et de la Coupe du Monde. Et juste comme ça, il est encore le meilleur buteur de notre fameuse super league.

    A côté, les stats du limités Derdiyok sont affligeantes : 4 buts en 36 matchs … Bien sûr, on a Ben Khalifa : moins de 10 buts en championnat sur les 3 dernières saisons …!

    Quand au Mondial 2006, et à l’exception d’un 8ème de finale galvaudé par le coaching perdant de Köbi (frileux et qui sort son meilleur tireur de penalty durant les prolongations), il restera comme un bon souvenir pour la Nati, invaincue en 4 matchs (dont un nul contre la France, futur finaliste). Ceux qui ont eu la chance d’être à Dortmund pour Suisse-Togo ne me contrediront pas.

    Alors, n’en déplaise à Janclod, j’affirme que c’est une erreur de se passer d’Alex Frei et que refaire un Mondial comme 2006 serait appréciable … contrairement à 2010.

  4. Libre à vous de vous extasier devant les « résultats » obtenus en Allemagne. Moi je trouve que c’était petit bras. Mieux qu’en Afrique du Sud, mais pas folichon.
    Quant à Frei, il a certes marqué par ses nombreux buts, mais il reste un buteur d’un temps révolu. Redoutable finisseur mais pas tellement capable d’amener le danger depuis l’extérieur des 16m. Il faut lui déposer le ballon dans la surface. Toute l’équipe doit être à son service. Ça peut marcher, mais s’il se blesse ou est suspendu, tu l’as un peu dans le c… quand même. Mais encore une fois, libre à vous de le comparer à Messi.

  5. janclod, le Mondial 2006 et la campagne de qualifications juste avant sont le point d’orgue, que dis-je, THE MASTERPIECE de Köbi.

    Un jeu chatoyant, basé sur les passes courtes et un milieu de terrain créatif (Hakan ce héros!! et Vogel ce métronome!!). Une défense qui savait ce qu’elle faisait malgré la bourde de Zubi-Müller pour le but de Cissé à Berne lors du 1-1 contre la France et une attaque qui plantait. Le kiff’ quoi!

    Je résume: des matchs d’anthologie: 0-0 au stade de France, 2-0 contre la Turquie, 1-1 contre l’Italie à Genève (avec en sus, la « Freddie Mercury » par Gygax), 2-0 Togo et 2-0 contre la Corée du Sud. 4 victoires et 6 nuls pendant la qualif’ 18 buts marqués pour 7 encaissés. Des barrages monstrueux, un engouement formidable pour cette équipe, l’enfer du Saraçoglu et point d’orgue de cette campagne…. envahissement des rues de Suisse après la victoire sur les Coréens. De ma courte vie, je n’avais jamais vu une telle ferveur et une telle joie. TOUS les Suisses, Waldstätten secundos et terceros, réunis, en rouge, à chanter, klaxonner, danser jusqu’au bout de la nuit. Presque le plus beau souvenir de toute ma vie (avec le 4-1 contre la Roumanie en 94′)

    donc, ne viens pas dire que 2006 était naze! on a juste fait match nul contre les finalistes durant la compét’ et juste avant le mundial, fait match nul contre les futurs vainqueurs….

    Tu veux quoi de plus? être champion du monde???

  6. Pour parler de ces fameux « djeunes » qui sont paraît-il trop tendres ou pas assez motivés , je m’étonne que personne ne mentionne Ricardo Rodriguez. Il fait largement oublier Magnin et Spycher et « double » parfaitement Ziegler, à mon avis.

  7. Le probleme de la Nati n´est pas du a Hitzfeld et encore moins du au manque d´implication de nos joueurs ex-albanais (comme l´affirme M. Mouquin), le seul et unique parametre responsable des mauvais resultats actuels c´est le (tres) faible niveau de nos joueurs !!!

    PS a l´att. de M. Mouquin : on connait tous votre attachement a l´Allemagne, mais ce n´est pas la Manschaft qui est la meilleure equipe d´Europe, vous oubliez que celle-ci fut (2 fois) battue par l´Espagne a l´Euro 08 et au Mondial 10. Un peu d´objectivite vous ferait le plus grand bien cher M. Mouquin.

  8. @ Sangojan

    Quelle verve! Superbe!!!!

    Ahhhh oui le but de Gygax, me rappelle avoir vu le match sur ITV, fantastique l’enthousiasme du commentateur ;-))

  9. @ Pinguinutz : c’est grâce à l’échange Hodgson-Stielike que la Suisse s’est réveillée. Alors pourquoi pas un nouvel échange pour relancer le onze suisse…

    Comme j’étais au stade à Swansea j’irai bien aussi à Natal, Salvador ou Rio pour voir la Suisse ;-)))

  10. Petite critique du premier paragraphe du texte: est-ce que le problème de cette jeune équipe est vraiment l’ATTACHEMENT à la Nati?

    Le paramètre « mouiller le maillot » me semble quand même nettement moins pertinant pour juger ces jeunes joueurs que celui de l’expérience, des automatismes et de l’état de forme.

    Une équipe nationale qui tourne bien, ce n’est pas juste choisir les meilleurs joueurs… c’est aussi réussir à leur donner le temps de jeu suffisant pour qu’ils jouent ensemble en équipe nationale comme en club.

    Et là, entre le changement de génération « forcé » et les habituelles absence en défense centrale, on peut pas dire que la Nati ait beaucoup d’automatismes. Inler, ça doit être la deuxième fois de toute sa vie qu’il joue avec Xhaka, par exemple…

    Le reste du texte me parait assez juste, c’est simplement que je suis assez critique envers l’habituelle complainte « attachement au maillot »/ »mouiller le maillot ». Comme si les joueurs n’en avaient rien à foutre et aimaient louper une qualification.

  11. Encore une fois, pas d’accord avec l’article.

    On ne peut que remercier un Frei pour les services rendus à la Suisse, mais les derniers mois c’était pathétique, franchement.

    On sait très bien qu’il a un melon qui doit pas être loin de la taille de celui de Neymar, donc n’a à mon avis pas supporté qu’Hitzfeld tente de mettre un peu de concurrence à son poste et a du pas mal pourrir l’ambiance de l’équipe.

    L’avantage de son départ, c’est que les jeunes se sont quand même senti libéré, à mon avis.

    On le voyait revenir chercher les ballons au milieu du terrain, il voulait distribuer, centrer et marquer à lui seul. L’équipe se sentait presque obligée de jouer sur lui à chaque fois qu’il faisait un semblant d’appel.

    Je me répète mais la qualif se perd en Bulgarie et au Montenegro, pas à Swansea.

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