180° Sud, partie 17 : épilogue

Comme nous l’avons constaté, une politique munie d’œillères ainsi qu’une gestion déplorable des cas difficiles fait perdre un sacré paquet d’argent à la LNH puisque cette dernière pousse le ridicule jusqu’à acquérir elle-même des franchises afin de ne pas perdre la face. Pour éviter de déménager, certaines concessions tentent d’obtenir un contrat de location les liant à l’enceinte de la ville où elles évoluent en béton armé.

Les Panthers avaient déjà procédé de la sorte bien que ce n’était pas le but à l’époque. Actuellement, les Blue Jackets de Columbus tentent de trouver un accord incluant la Nationwide Arena dans le but d’avoir la garantie de rester à Columbus jusqu’en 2039, quelque soient les résultats financiers. En gros, on balaie toute la saleté année après année, on la planque sous le tapis et on espère que la bosse ainsi formée soit la moins visible possible. C’est un politique à long terme certes, mais elle est absolument désastreuse pour la Ligue nationale car elle occulte tous les problèmes fondamentaux et structurels des franchises sans donner la moindre solution. Le même procédé est en train d’être discuté à Phoenix.

Un marketing revu

Pour essayer de limiter la casse, les équipes mettent sur pieds un concept marketing qui s’oppose justement avec la notion de nouveauté que voulait établir la Ligue nationale de hockey avec son plan de développement du hockey au sud. Aujourd’hui, certaines concessions – même celles du sud – ont instauré des éléments de marchandisages qui mettent en avant le côté traditionnel et «vintage» du hockey, avec un retour en arrière au niveau des maillots, des couleurs et des logos. À l’aube des années 2000, on se souvient que certaines formations avaient fait n’importe quoi avec les créations de logos et de troisième jeu de maillots absolument monstrueux (Washington, Buffalo, New York Islanders et Dallas, avec l’infâme Mooterus rebaptisé Uterus).


On se demande toujours ce qui est passé par la tête de certains graphistes…

Un retour aux fondements a donc été amorcé à la fin de la dernière décennie dans le but de corriger le tir. L’objectif était d’adopter les logos et couleurs originelles, mais en modernisant légèrement le tout (une sorte de remasterisation). Washington est donc revenu avec son ancien logo, Les Oilers ont réadopté leur maillot bleu et orange des années quatre-vingt. Buffalo a repris ses couleurs traditionnelles bleu et jaune avec son logo correspondant et Los Angeles a opté pour l’uniforme typique noir-gris-blanc propre à l’ère Gretzky). Bien sur, le concept a été poussé au grotesque dans le cas des équipes qui sont apparues récemment dans le paysage de la LNH et qui n’ont de facto aucune espèce de tradition à faire valoir. Florida, Columbus et Nashville y ont donc été de leur troisième jeu de maillot censé faire vieux et «vintage», mais qui ne fait absolument aucun sens dans ce contexte. Pourtant, cela semble marcher, du moins avec les équipes qui possèdent un réel passé ainsi que des fans très enthousiastes à l’idée de ce retour aux valeurs.
Partant du principe que l’on se rend compte des belles choses une fois qu’elles ont disparues, ce filon a été déniché avec le marchandisage des équipes défuntes qui fait un véritable carton. Le maillot vert des North Stars est resté très populaire, de même que tous les articles des Nordiques. Récemment, des nouveaux T-shirts des Hartford Whalers ont fait leur apparition alors que les anciens maillots des Jets de Winnipeg ont commencé à s’arracher dès que les rumeurs du retour de la LNH dans le Manitoba se sont faites de plus en plus claires. Il est encore trop tôt pour prévoir un éventuel boom des articles des Thrashers, mais cela semble plus difficile étant donné que l’équipe est toujours restée dans un certain anonymat et que la franchise n’est clairement pas vendeuse.

Dualité ville-franchise

En guise de conclusion, ouvrons une dernière parenthèse sur ce système de franchises. Il est différent de ce que nous connaissons ici puisque les équipes ont la possibilité de déménager si les conditions de leur emplacement mettent leur existence en péril. Une formation se conjugue en deux entités : la localisation, ville où l’équipe joue, et la franchise qui représente toute la structure de l’équipe au sens large du terme. Lorsqu’une relocalisation se produit, la ville perd son équipe mais la franchise continue d’exister. Ceci créé donc des sentiments alambiqués chez les supporters d’une équipe touchée par cette opération ; l’équipe ne joue plus dans la ville qu’ils soutiennent, mais la franchise n’a pas disparue, laquelle possède souvent les mêmes joueurs, entraîneurs et staff. De plus, elle prend avec elle toute son histoire. L’aspect identitaire peut donc avoir une importance variable. Cette formation ne joue plus dans leur ville, mais pourquoi cesseraient-ils d’aimer et de continuer à apprécier cette franchise qu’ils soutenu depuis longtemps ?


Dans tous les cas, ce sont en premier lieu les fans qui trinquent…

Tout dépend aussi du contexte dans lequel le déménagement se fait. Dans l’immense majorité des cas, les fans se sentent trahis, trompés, floués, relégué au rang de misérables avortons sans importance. La réaction naturelle est donc de rejeter cette nouvelle équipe en lui souhaitant les pires tourments, bien qu’elle comporte toujours certains joueurs qui ont été adulés. C’est comme lorsque notre copine nous quitte abruptement et se trouve quelqu’un d’autre, mais sans en être responsables et sans que nous puissions faire quoique ce soit là contre. On lui en veut, on lui souhaite tout le pire. Ayant ce nouveau bonheur devant le nez, on a juste envie de le détruire ; comme pour prendre une revanche sur le destin. À l’extrême, certains se coupent même du sport dont ils étaient fans.
A contrario, il arrive que d’autres partisans aient commencé à supporter telle ou telle équipe indépendamment de la ville dans laquelle elle se trouvait ; si cette dernière était relocalisée, ils continueraient à la suivre. Ceci touche particulièrement des personnes qui ne sont pas ou peu liées à la ville dans laquelle joue la formation. Par exemple, tous les fans des North Stars provenant du Minnesota ont cessé de suivre la franchise à Dallas et se sont mis à détester cordialement cette équipe. Les supporters qui venaient du Canada, voire même du Québec ont continué à être fans des Stars. La raison pour laquelle ils sont devenus partisans de cette franchise n’est pas identitaire, mais davantage liée à d’autres facteurs comme le logo, la couleur du maillot, ou une simple anecdote ou expérience au sujet du club. En Europe, nous ne sommes pas confrontés à ce genre d’événements générateurs d’une multitude de dilemmes. Seules les faillites ou les retraits volontaires provoquent la disparition d’une équipe, mais sans la tuer ; il subsiste au moins toujours l’espoir de la voir revivre dans l’élite.
Pour réussir dans un marché non traditionnel, une équipe de hockey doit surmonter de nombreux défis qui l’attendent, certains dont elle ne peut avoir de contrôle. Le contexte économique doit être favorable et une vision à long terme est indispensable dans le but de créer une base de partisans, puis de la fidéliser. Cela doit prendre au bas mot une génération ; souvent, l’accent est mis sur les enfants et sur les jeunes, plus curieux, qui seront plus à même de faire découvrir ce sport à leur entourage ainsi qu’à leurs parents. Il existe une très forte corrélation entre résultats et nombre de spectateurs chez ce type d’équipe : le management sportif est donc capital pour avoir un produit à succès destiné justement à fidéliser ce public. Le type de marché étant nettement plus réactif, la complémentarité entre le plan directeur et les actions ponctuelles ayant des effets immédiats se doivent d’être en parfaite adéquation. De ce point de vue, certaines organisations implantées dans des marchés non traditionnels ont prouvé qu’elles pouvaient survivre, voire même générer une substantielle plus-value. Il ne faut donc pas s’attendre à un revirement complet dans le paysage de la Ligue nationale de hockey ; tout au plus certaines retouches. La stratégie plein sud n’a pas été une réussite totale, mais il ne faudra pas s’attendre un développement effréné du hockey professionnel dans son berceau situé au nord. La LNH ira simplement là où se trouve l’argent. Froidement.
Si tu as raté le début : 180° Sud, partie 1 : prélude à l’avènement ;
180° Sud, partie 2 : le lancement ;
180° Sud, partie 3 : l’Étoile du Nord ;
180° Sud, partie 4 : entre esbroufe et couardise ;
180° Sud, partie 5 : un univers impitoyable ;
180° Sud, partie 6 : erreur corrigée ;
180° Sud, partie 7 : au revoir Québec ;
180° Sud, partie 8 : le déclin ;
180° Sud, partie 9 : un espoir nouveau ;
180° Sud, partie 10 : la nouvelle vague ;
180° Sud, partie 11 : le cas Phoenix ;
180° Sud, partie 12 : la mort des moqueurs roux ;
180° Sud, partie 13 : un lourd passé ;180° Sud, partie 14 : quelles perspectives ? ;180° Sud, partie 15 : les options futures ;180° Sud, partie 16 : vers une redistribution ?

Écrit par Mathieu Nicolet

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6 Commentaires

  1. juste en passant (vu que c’est directement conclusion de ta belle série 😀 )

    mais il ne faudra pas s’attendre [à]? un développement effréné du hockey professionnel dans son berceau situé au nord …

    Sinon, intéressante cette série d’articles! Bravo pour l’effort fourni!

  2. Bravo pour la série d’articles. C’est très bien documenté et plutôt bien écrit. Facile à suivre, arguments et développement intéressant, on avait envie d’avoir la suite!
    Intéressant d’avoir un avis éclairé concernant le modèle sportif nord-américain, trop souvent expliqué à la va-vite dans nos contrées.
    Tes articles sont bookmarkés, sauvés, pour une relecture future.

    On le dit pas assez: Bon travail et merci pour ces lectures!

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