La polémique, point cardinal d’une pression permanente (2/4)

L’introduction faite, il est temps d’entrer dans le vif du sujet. Comment en effet parler de foot argentin sans parler de médias et de polémiques ? Pour alimenter les heures quotidiennes de direct et de débats, il faut du matériel. Et vous pouvez compter sur les journalistes locaux pour le trouver et sur les acteurs pour le créer. Ainsi vit le football argentin, entre polémiques, discussions, insultes et analyses… Les médias sont dans le jeu, et quel jeu !

De la politique au football en passant par le showbiz, la polémique est l’opium du peuple en Argentine. Dans une dimension qui ferait passer des Italiens ou des Anglais pour des apprentis. Il n’y a donc pas un jour, une heure, un programme télé, un homme politique, une star ou un spectacle qui n’existe ou vit par le biais des polémiques et des discussions interminables. Des débats généralement stériles qui ne se basent souvent que sur des rumeurs, des bruits de couloir ou des images volées. Les acteurs et commentateurs ont autant d’objectivité à l’heure de l’analyse que les supporters du FC Sion qui polluent lematin.ch de leurs commentaires. Pire, les portes des vestiaires sont aussi imperméables qu’un K-Way de la Migros. Tout se sait, tout s’invente et les journalistes n’ont pas de limite… Bref, le mythe, les heures de débats télévisés de multiples chaînes spécialisées et d’info, les heures de direct avant et après les matches ou les entraînement s’entretiennent à grands coups de polémiques et de déclarations fracassantes. Et pour vous laisser apprécier la dimension du concept, un Superclásico entre River et Boca, même amical, au-delà des directs et des débats qui animent les télés des jours avant le match, au-delà de la prise d’antenne en direct de l’hôtel des joueurs tout le jour du match, c’est une semaine à dix jours de rediffusion de toutes les rencontres et tous les goals de l’histoire des Superclásicos. Une vague d’images qui au-delà du foot et des goals, reflète avant tout le degré d’importance du foot.  L’Argentine est une terre de foot et de fous…

Boca dans l’oeil du cyclone…

Dans ce contexte explosif, l’horizon d’un entraîneur est d’une semaine, guère plus. «El Tanque Pavone» aujourd’hui attaquant de Lanùs, autrefois idole de River Plate avant de rater un pénalty lors du barrage contre la relégation, de le confirmer récemment dans l’un des principaux journaux d’Argentine : «après deux défaites, un entraîneur peut se faire virer ici, l’environnement est très compliqué. Nous autres joueurs devons faire attention à chaque phrase, chaque mot, parce que tout peut être interprété. En Argentine, la polémique vend plus que le ballon. Je préférerais parler plus de football, mais c’est ainsi.» Et autant dire que quand il s’agit de régler des comptes, personne n’y va par quatre chemins et les déclarations sont pour le moins directes et franches.
Champion toute catégorie en la matière, El Diez, Diego Maradona. Il fait l’objet d’un bonus spécial en fin d’article. La sélection nationale, elle, est une pelote infinie dont les fils se déroulent jusque dans les chambres des joueurs et de leurs relations. Le championnat lui n’est pas en reste. Dernier exemple en date, Boca Juniors. Une polémique actuelle dont le sujet paraît anodin, mais dont l’ampleur témoigne du délire ambiant. Après ça, il suffit juste de fermer les yeux et s’imaginer la dimension des discussions quand un ancien arbitre déclare que 4 à 5 de ses collègues aujourd’hui en fonction sont corrompus ou quand Passarella, président de River Plate, demande la démission du président de la Fédération argentine de football, le fumant et fameux Julio Grondona (dont nous aurons l’occasion de parler prochainement), pour mauvaise gestion et… corruption.

Boca est champion en titre (vainqueur en décembre du tournoi d’ouverture). A l’intersaison, Boca gagne les deux Superclásicos «amicaux» contre River. Boca gagne enfin 2 à 0 le premier match du tournoi d’ouverture. Même si ces succès ne soulèvent pas les foules par le jeu présenté, Boca gagne. La marque de Falcioni, le Trapatoni du pauvre. Ajoutez-y les cernes de gargamelle, la mâchoire d’une nageuse est-allemande et le discours aussi monotone qu’un commentaire d’ Eric Willemin, et vous obtenez un cocktail aussi excitant qu’une coupe de Rimus. Bref, au-delà du charisme mesuré de Falcioni, tout semble aller pour le mieux dans la maison or et bleu avant le premier déplacement pour la Copa Libertadores au Venezuela contre la petite équipe de Zamora. Mieux, avant même le début de la compétition, les journaux s’enflamment et Boca a déjà quasiment gagné la Libertadores.
Résultat de la soirée au Venezuela ? Un piètre 0-0 qui voit les journalistes se déchaîner. Pire, une pseudo-dispute aurait eu lieu dans le vestiaire de Boca entre Falcioni et Riquelme au sujet de Cvitanich, attaquant de Boca, et le jeu développé. Rien de bien méchant. Mais alors que l’ensemble de l’équipe et du staff est dans l’avion du retour (un vol de 12 heures qui laisse donc tout le temps aux spécialistes de faire enfler la polémique), toutes les chaînes de télé  tiennent des débats sur la démission éventuelle de Falcioni. Et ce depuis 8 heures du matin. 5 ou 6 directs depuis l’aéroport et finalement l’arrivée des joueurs vers midi, tous aussi surpris des questions et de la folie générée par la rumeur. Un «quilombo» (bordel) qui ne se «terminera» que tard dans la nuit en direct de l’hôtel présumé de Boca et autres lieux où des séances auraient été tenues entre joueurs, entraîneur et président ! Aucune nouvelle importante, aucune décision, aucun mot des principaux intéressés (mis à part Riquelme qui affirmait ne rien savoir), mais un délire pour une dispute que personne n’a confirmé. Au final, Falcioni est toujours entraîneur et Riquelme n’aurait pas participé à la discussion (elle concernait Cvitanich lui-même) si tant est qu’elle ait eu lieu… Une semaine après, l’affaire fait toujours les choux gras des journalistes qui ne cessent d’analyser la position affaiblie de Falcioni, avec des théories du genre : «les joueurs ne peuvent finalement pas laisser tomber leur entraîneur, parce que ce serait montrer une trop grande emprise de Riquelme sur l’équipe et le club, ce qui prétériterait sa position vis-à-vis des supporters et des médias.» Ah oui, donc si je comprends bien, si AX + B = 2AB, il ne faudrait pas que B soit plus grand que A sous-prétexte d’affaiblir X ? Bref, la maison Xeneize est sous pression, le feu couve tout autour pour trois fois rien.
Et Lanùs qui le lendemain recevait le Flamengo de Ronaldinho en Copa Libertadores ? Passé inaperçu ou presque, tant Boca accaparait les médias.

Palermo, ou l’art de communiquer…

Même lieu, autre exemple. Martin Palermo, el Loco, a raccroché ses crampons la saison dernière et décide de s’offrir un match d’adieu à la Bombonera durant l’intersaison. Tout est prêt, ne reste plus qu’à annoncer la liste de la trentaine de joueurs invités pour animer la soirée, pour enfin lancer la vente des billets. Martin Palermo est un tel mythe que lui seul est déjà un sujet de discussion. Mais comme il veut être sûr de ne pas rater sa pub, il n’hésite pas à rajouter un peu de piquant : une conférence de presse pour annoncer la liste et… aucune trace de Riquelme. La presse s’enflamme, les commentateurs s’activent. Palermo, lui, déclare sans détour : «nous avons joué ensemble mais nous n’avons jamais été amis ; je veux profiter de cette soirée avec les gens avec qui je me sens bien.» Une bombe qui remplira les journaux pendant des jours. Ne restera plus qu’à Palermo de plus ou moins confirmer la présence de Diego Maradona quelques jours plus tard pour que la Bombonera affiche le plein en à peine dix jours.

Bref, tous les grands clubs, et même les petits, sont soumis à la pression des médias et les polémiques ne cessent d’enfler. Que ce soit d’un point de vue technique ou tactique, tout passe au crible. Journalistes et consultants, les plateaux sont gorgés de commentateurs prêts brandir leur téléphone pour diffuser le moindre message twitter en direct, prêts à s’engueuler sur la valeur d’un joueur ou le match d’une équipe. Ajoutez à cela les fausses rumeurs, voire les histoires de cul et vous prenez vite la dimension du débat qui entoure le football argentin et qui anime les bistrots, les taxis et les repas de famille.
Et la pression médiatique est d’autant plus forte qu’elle se couple généralement au public, aux fameuses hinchadas, dont les exigences sont renforcées et orchestrées de façon manichéenne par les médias. Une star d’un jour peut être traînée dans la boue le lendemain et conspuée le week-end d’après par tout un stade. Des hauts et des bas dans la carrière des joueurs qui vont bien au-delà des performances. Pour exister, il ne faut pas avoir peur des grandes déclarations, quitte à faire le vide autour de soi. Et les leaders eux se doivent d’être aux fourneaux. L’amour compliqué des Argentins pour Messi reflète parfaitement le paradigme. Meilleur joueur de la planète, mais peu impliqué dans les polémiques et les grandes déclarations, l’enfant de Rosario peine à faire l’unanimité, ce qui ne l’empêche pas d’être accueilli par des hordes de gens lors de ses venues au pays. Evidemment ses résultats avec l’équipe nationale ne parlent pas pour lui. Mais un grand joueur sans polémiques, c’est un peu comme une milanesa sans purée, un asado sans chorizo, ça ne convainc pas tout le monde.
Bref, pour supporter tout ça, il faut être fait d’un certain bois. Et quand on sait que deux petits Suisses ont craqué et claqué la porte de l’équipe nationale pour 3 sifflets et 15 critiques dans les journaux, difficile de ne pas les considérer comme des petites divas sans caractère et sans testostérone, lovées dans un cocon de petits gamins.

Victor Hugo Morales, le mythe de la radio

On ne saurait toutefois parler de médias dans le football argentin, sans parler des radios. Parce que même avec le «futbol para todos», les matches se suivent aussi à la radio. Un duo généralement composé de deux commentateurs : l’un s’occupe du match et l’autre des messages publicitaires répétés à l’infini durant les arrêts de jeu (sic). Et le mythe en terme de commentateur s’appelle Victor Hugo Morales. Un Uruguayen (!) à la vitesse d’élocution inégalable, à la passion qui transpire du transistor. Ses célèbres «ta ta ta ta ta ta ta ta ta» quand le danger s’approche du but précèdent ses mythiques «goaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaals» qui font lever les foules. Mais ce qui a permis à Morales d’être unique dans le monde entier et de toucher au mythe, fut son commentaire, pardon, ses déclarations d’amour à Diego Maradona, un soir de délire à Mexico, lorsque el Diez réalisait ni plus ni moins le but du siècle, écartant tout seul les Anglais de la Coupe du Monde.

A voir et à revoir sur youtube, mais qui en synthèse correspond à ça : «le ballon dans les pieds de Maradona, il efface deux Anglais, contrôle le ballon. Le génie du football mondial déborde sur la droite, il laisse derrière lui le troisième Anglais, il peut la passer à Burruchaga. Encore Maradona. Génie ! Génie ! Génie ! Ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta… et goaaaaaaaaaaaal, goaaaaaaaaaaaaal ! J’ai envie de pleurer ! Dieu Saint vive le football ! Extraordinaire goal de Maradona. C’est à pleurer, pardonnez-moi ! Diegoaaaaaaaaal ! Diegoaaaaaaaaaaaal ! Diego Maradona ! Maradona, dans une chevauchée mémorable, la meilleure de tous les temps ! Cerf-volant cosmique, de quelle planète viens-tu ? Pour laisser sur le chemin autant d’Anglais ! Pour que le pays soit comme un poing serré, criant à la gloire de l’Argentine ! Arrrrrrgentine 2, Angleterre 0 ! Diegoal ! Diegoal ! Diego Armando Maradona ! Merci à Dieu pour le football… pour Maradona… pour ces larmes de joie… pour ce Argentine 2 Angleterre 0 ! » A revoir ici ! L’Argentine, terre de polémiques et de passion ! La suite dans le prochain épisode avec un voyage au coeur des supporters parmi les plus fous de la planète.
Prochain épisode : BarraBravas, la patate chaude du football argentin 

BONUS – Maradona, une langue à la hauteur de son pied gauche…

Depuis l’Argentine jusque dans tous les coins de la planète par où il est passé, Maradona n’a jamais trop longtemps laissé ses compatriotes sans quelques nouvelles et bombes savamment allumées. C’est un docteur en la matière, un expert qui manie les médias depuis toujours avec une dextérité certaine. Les Italiens n’ont sans doute pas oublié ses déclarations quelques jours avant la demi-finale Italie – Argentine de la Coupe du Monde 1990 à Naples qui avait fait trembler l’Italie du foot et perdu la moitié du public : «Pourquoi les Napolitains devraient supporter l’Italie un jour, si c’est moi qui les fais rêver toute l’année ?»
Il serait bien trop long d’étayer ici l’ensemble des polémiques d’El Pibe de Oro, mais en synthèse, il s’est fâché avec plus ou moins l’ensemble des protagonistes du football argentin, quand il ne les a pas insultés. Et ceux qu’il considère quand tout va bien comme ses frères, finissent également par passer à la moulinette. Dès lors, on dénombre autant de «traîtres» de Diego en Argentine que de danseurs de tango. Des aller et retour sentimentaux qui rappellent combien la personnalité de Maradona suscite la controverse, de Buenos Aires à Ushuaia. Sa dernière cible ? Mancuso, l’un de ses assistants lorsqu’il occupait le banc de la sélection argentine. Considéré aujourd’hui comme un traître puisqu’il aurait prétendument agi contre Diego lors des polémiques au moment où il se faisait jeté de la sélection au retour d’Afrique du Sud. Pire, il aurait signé un contrat sous le nom de Diego d’environ 200’000 dollars avec un site chinois. Diego a ouvert les vannes et envoyé ses salves qui ont valu à Mancuso de passer sur l’ensemble des plateaux de télé pour rétablir sa vérité. Et comme ce n’était peut-être pas assez pour occuper l’actualité, Diego a même carrément échafaudé ses plans pour le futur. «Quand j’en aurai fini ici (ndlr : aux Emirats), quand Falcioni (entraîneur actuel de Boca) aura perdu son aura et quand les dirigeants actuels qui ne comprennent rien au foot seront partis, ma place sera sur le banc de Boca.» De quoi animer l’ensemble des médias argentins.

Même depuis les Emirats, el Diez distribue bonnes et mauvaise notes, alimentant son actualité et sa légende, et commente fréquemment l’actualité du football argentin et international (ses récentes déclarations au sujet de Manchester City, Guardiola ou Mourinho), sans oublier de défendre ses compatriotes. Messi égratigné par Pelé ? Il n’a pas fallu longtemps avant d’avoir la réponse de Diego au sujet de son ennemi juré : «Le problème de Pelé est qu’il doit dire du mal de quelqu’un pour attirer l’attention des médias. Qu’il retourne au musée ou qu’il prenne correctement ses médicaments. Il ne peut pas se tromper et prendre la blanche le matin, la rouge le soir et dire des conneries. Quand tu n’es que la figurine d’un gâteau de mariage (expression 100% maradonesque), tu es juste bon à remettre des prix. Ça fait 20 ans qu’il ne travaille plus et quand il essaie de faire de la politique, on le renvoie à grand coups de pieds dans le cul et il se retrouve à la FIFA. Pour tout ça, je préfère boire une bière avec Ronaldo.»
Son langage fréquemment châtié lui a valu quelques ennuis et notamment une suspension de la FIFA. Maradona s’est en effet lâché à la conférence de presse suivant la qualification de l’équipe d’Argentine pour la Coupe du Monde sud-africaine : «Toi Pasman, toi aussi tu l’as bien profonde… » A l’attention de Toti Pasman, journaliste de la rédaction America TV qui s’était illustré pour des critiques assez dures envers Diego. Bref, Maradona n’a pas fini de créer des polémiques et susciter des discussions quand il ne fâche pas la moitié de son pays. Mais nul doute qu’il reprendra un jour les reines de la maison Boquense, et ce jour-là, l’Argentine n’aura pas fini de… polémiquer !

Écrit par Vince McStein

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3 Commentaires

  1. Incroyable Morales, quelle verve…..le but de Maradona et les commentaires de Morales contre la Grèce lors de USA 94 valent aussi le détour!

  2. Superbe série sur un foot de timbrés. Je rêverais d’y aller un jour. J’ai connu la Turquie et le Brésil du foot mais l’Argentine, on dirait que c’est un bon cran au-dessus!!

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