«DiveStrong» au firmament

Sans surprise, le plus grand gangster du milieu a écrasé ses concurrents à la course du Pigeon d’Or 2012 comme il l’a fait lors de sa sinistre carrière sportive. Fourvoyeur principal du monde cycliste, instigateur d’un système de dopage aux ramifications tentaculaires, Lance Armstrong obtient de manière parfaitement méritée la consécration suprême ; un titre qui, lui, ne lui sera jamais retiré.

Durant sa première carrière, Lance Armstrong est un coureur disons honnête au sens sportif du terme. Il obtient quelques bons résultats, principalement dans les classiques, mais sa victoire lors des Championnats du monde d’Oslo en 1993 le révèle véritablement. A cette époque, l’Américain n’est pas encore affûté au point de pouvoir performer dans les courses à étapes. Un peu pataud, Lance Armstrong remporte néanmoins deux victoires d’étapes dans le Tour de France, mais il se montre incapable de suivre la cadence dans la montagne ainsi que lors des contre-la-montre.Armstrong pointe dans le top 10 du classement UCI lorsqu’il est rattrapé par la maladie. Fauché en pleine progression, le diagnostic terrible lui laisse peu de chance de s’en sortir. Après de longues séances de chimiothérapie, le Texan est en passe de s’en tirer. On ne parle plus de rémission, mais bel et bien de guérison. Dans le jargon, Lance Armstrong est un miraculé. L’opportunité d’un nouveau départ s’ouvre à lui…
Débute alors sa deuxième carrière. Métamorphosé sur le plan physique, l’Américain met sur pied son programme. Il s’entoure de toute une batterie de fidèles soldats et prend le rôle de leader de la formation US Postal articulée autour de son directeur sportif Johan Bruyneel. Les résultats de cette collaboration ne tardent pas à porter leurs fruits prétendument garantis sans OGM : en 1999, Lance Armstrong remporte son premier Tour de France, bien aidé par la chute collective de l’étape du Mont St-Michel qui avait ruiné les espoirs d’Alex Zülle. Le Suisse terminera finalement deuxième de ce Tour avec des regrets pleins les boyaux.

Une métamorphose stupéfiante

Plus tard, Lance Armstrong ne se contente plus de gagner le Tour. Il écrase véritablement la concurrence. Mis à part l’année 2003 où Jan Ullrich est parvenu à entretenir un soupçon de suspense avant qu’il ne chute sur la chaussée détrempée dans le dernier contre-la-montre vers Nantes, l’éternel maillot jaune relègue ses concurrents dans des proportions gigantesques, ou plutôt embarrassantes
Devant une telle démonstration de force, les doutes commencent à apparaître. Comment est-il possible qu’un coureur au profil qualifié de conventionnel parvienne subitement à dominer les débats dans la montagne – exercice où il n’a jamais excellé –, à battre des records de vitesse dans les contre-la-montre où il n’a jamais brillé, à tout rafler sur son passage, et ce juste après avoir traversé l’épreuve de la maladie ? «Le travail», répétera-t-il sans cesse. Son équipe lui fournissant des prestations cinq étoiles afin de briller sur le sommet du cyclisme mondial. Faire l’ascension de l’Alpe d’Huez vingt fois par jour en guise d’entraînement fait partie de la propagande propre d’Armstrong pour se disculper de toute accusation. Tout est parfaitement normal
Après le scandale Festina, personne n’ose vraiment reparler de dopage. Le ménage a été fait, les techniques de détection se sont améliorées, la volonté générale de vaincre ce fléau est désormais bien ancrée. Cela ne suffit toutefois pas à dissiper les nombreuses interrogations au sujet de Lance Armstrong. Petit à petit, les langues se délient mais personne n’ose vraiment l’incriminer de manière directe. Ses liens avec le fameux Dr Ferrari sont évoqués, mais Lance Armstrong nie systématiquement toute implication. Le coureur italien Filippo Simeoni l’accuse même frontalement, ce qui occasionnera une scène étonnante dans les Alpes, lors du Tour de France 2004 : échappé, Simeoni sera rattrapé par le maillot jaune Armstrong en personne avant qu’une vive discussion ne s’engage entre les deux hommes. Trop fort pour l’Italien qui voit disparaître ses chances de remporter l’étape, Lance Armstrong ramènera le renégat humilié bien sagement dans le peloton.

L’écrasement du peuple

Agressif sur les routes, l’Américain l’est tout aussi lorsque le sujet du dopage est abordé. Menaçant, il n’hésite pas à poursuivre en justice quiconque aurait l’outrecuidance d’émettre des doutes sur son sujet. Si le despotique Lance Armstrong règne en maître sur le peloton, il y fait aussi régner la terreur. Le Texan s’est bâti toute une armée de soldats à son service, tous prêts à se sacrifier pour sa cause. Les détracteurs de l’Américain se cassent les dents sur deux tableaux : le premier étant des passe-droits relatifs à l’utilisation de substances qu’il est en droit d’utiliser en vertu du traitement qu’il doit suivre consécutivement à sa maladie. Le deuxième est la notoriété que Lance Armstrong a généré autour de sa lutte contre le cancer. Désormais à la tête d’une fondation, l’intouchable Américain est parfaitement parvenu à instrumentaliser cette cause – sa cause – à des fins purement mercantiles, de sorte à détourner le débat ainsi que les soupçons.
L’étau semble se resserrer sur Lance Armstrong au vu des contrôles positifs à l’EPO dont il aurait fait l’objet lors du Tour de France 1999 et du Tour de Suisse la même année. Las, ces affaires resteront sans suite pour des raisons de procédures sous couvert de certificats antidatés et de qualité d’échantillon. Cela dit, les anciens lieutenants d’Armstrong du temps de l’US Postal commencent gentiment à être plus loquaces. A la retraite voulue ou forcée, les Tyler Hamilton, George Hincapie, Levi Leipheimer et autres Floyd Landis vont commencer à balancer l’Américain après avoir eux-mêmes avoué leur dopage. Comme toujours, le Texan nie tout en bloc et contre-attaque les délateurs pour diffamation.
Alerté, l’USADA, l’agence américaine antidopage, se met en branle et ouvre une enquête sur Lance Armstrong. Le rapport est accablant : 1000 pages d’éléments à charge mettant en exergue le «système le plus perfectionné et le plus sophistiqué jamais mis au point dans le milieu du sport (sic)» orchestré par le Texan. Sur les plateaux télévisés, dans des entrevues, devant la justice où il a été auditionné, Lance Armstrong jure ne jamais s’être dopé. Mais devant un tel dossier, l’Américain renonce alors à faire appel, avouant indirectement le contraire. C’est le début de la descente aux enfers.

LieStrong

L’USADA lui retire la totalité de son palmarès obtenu depuis le 1er août 1998. L’UCI en fera de même dans la foulée. Sanctionné d’une suspension à vie, Lance Armstrong ne peut alors même plus disputer des courses et des triathlons, ses premiers amours avant de passer pro et qu’il exerçait depuis sa retraite professionnelle. S’efforçant de ne rien laisser transparaître, Lance Armstrong se mure dans un premier temps dans le silence, mais on le dit abattu et miné par cette mise au ban.
En quête de rédemption si on en croit les intentions du champion déchu, l’Américain a été convié au très célèbre Oprah Winfrey’s show dans le but d’avouer ses pratiques de dopage sans pour autant entrer dans les détails. Acculé par les autorités judiciaires et sportives, Lance Armstrong doit changer de stratégie s’il compte voir sa suspension révisée à la baisse afin de pouvoir participer à nouveau à des compétitions. Le système américain est façonné de telle sorte que toute coopération d’un coupable permet de revoir les sanctions à son égard. Lance Armstrong cherche ici à bénéficier de la clémence des instances sportives en échange de ses aveux. Le problème est que le Texan s’expose maintenant à des poursuites pour parjure, à la suite de ses déclarations faites sous serment. Si Armstrong ne risque pas grand-chose de dommageable sur le plan financier – la fortune de l’Américain est estimée à près de 100 millions de dollars, largement assez pour payer les amendes qu’il devra s’en acquitter –, la prison pourrait lui coûter très cher.

Se(r)vice compris

Ce grand raout à la télévision américaine laisse cependant un goût amer. Dégueulasse même. Après avoir institutionnalisé sa maladie pour en faire son fond de commerce, voilà que l’ancien cycliste récidive avec son histoire. Si les confessions de l’Américain lui ont coûté le peu de crédibilité qu’il avait – avons-nous été vraiment dupes lorsqu’il a parlé d’honnêteté et de vérité ? – la visibilité de son histoire récitée à une heure de grande écoute ouvre la boîte de Pandore à toute une série d’ignominies qui vont le garder sous le feu des projecteurs et lui permettront d’amasser encore plus d’argent. Inévitablement, un futur best-seller sur son odyssée sortira, suivi d’un film retraçant la gloire et la déchéance de l’ex-idole de la petite reine.
Parallèlement à cela, Lance Armstrong ne s’est même pas livré totalement, certaines de ses déclarations ayant même été contradictoires. Froid, sinistre, dépourvu de toute once de regrets et de culpabilité, le Texan n’a aucunement fait référence à son cher toubib de luxe, le Dr Ferrari, tombé avant lui dans la guerre du dopage. Au sujet des dons faits à l’UCI, Lance Armstrong a maintenu les avoir faits après 2005, date de son dernier succès sur le Tour alors que l’UCI elle-même a toujours affirmé que l’Américain avait versé des sommes sonnantes et trébuchantes en 2002 et 2003, lorsqu’il faisait toujours partie du peloton.

Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi

Dans le domaine du mensonge, il a remis le couvert sur le plateau d’Oprah Winfrey en niant tout dopage en 1996 alors que ses coéquipiers l’avaient pris la main dans le sac et qu’il avait expliqué à son entourage – famille y compris – comment il procédait pour se doper. En tout bon républicain qui se respecte, Lance Armstrong a néanmoins tenté de faire vibrer la corde sensible de la famille en s’estimant désolé, pensant avant tout à sa famille, son entourage et ses enfants. Un peu plus et le grand pote de George W. Bush mettait Dieu, le Seigneur et Jésus Christ Notre Sauveur dans le même panier. En plein délire, le Texan a juré mordicus qu’il ne s’est pas dopé lors de son retour à la compétition en 2009. Le voir marteler ces énormités avec un tel aplomb fut absolument sidérant. Qui pouvait alors le croire à ce stade ?
Porteuse d’espoir quant à l’éclaircissement de toute cette affaire et la volonté (enfin) matérialisée de Lance Armstrong de lutter contre le dopage, cette entrevue s’est finalement résumée à un sensationnel foutage de gueule. Lance Armstrong n’a jamais agi dans le seul but de soulager sa conscience, mais de recoller les morceaux qui pouvaient encore l’être afin de sauver son cul transformé en passoire à EPO. Avec toutes ces casseroles accumulées depuis des années dans la froideur et l’absence de scrupules le plus total, Lance Armstrong est la plus grande supercherie du monde sportif, toutes époques et tous sports confondus, et mérite donc amplement le

Pigeon d’Or 2012

Le cancer du vélo avec métastases à la connerie

Pour terminer, un dernier mot à l’encontre de la pseudo-intelligentsia qui érige Armstrong sur un piédestal pour la simple et bonne raison qu’il est parvenu à tromper son monde durant des années et qui, de facto, possède et prône les mêmes valeurs de l’Américain. Ceux qui croient que ce n’est pas Armstrong le vrai pigeon lancent un message dangereux et consternant envers tous les utopistes persistant à croire à un cyclisme propre. Ces positions iniques dignes du révisionnisme légitiment les agissements d’Armstrong en termes de tricherie, de tromperie, de mensonges, de collusion, de corruption et de parjure. Aux dernières nouvelles, ce ne sont pas l’UCI, le Groupe Amaury, le CIO et que sais-je-encore qui ont créé, érigé, alimenté, amélioré, géré et pérennisé un réseau de dopage (ainsi que les divers trafics qui en découlent) et qui aura trompé, écœuré et dégoûté tous ceux qui espéraient une compétition juste et équitable. Une organisation mafieuse construite autour du seul général Lance Armstrong, le Pinochet du cyclisme, l’Al Capone de la petite reine, le Tony Montana de la montagne, le Pablo Escobar du contre-la-montre. Des défenseurs qui devraient dans un premier temps se regarder dans une glace avant de tenter de trouver le bouton «on» de leur cerveau.
Et c’est loin d’être terminé. L’affaire Armstrong aura des répercussions irréversibles sur le monde du vélo. On parle notamment d’exclure le cyclisme des Jeux Olympiques – hypothèse toutefois peu probable mais qui serait pleinement justifiée. Le mal est fait mais le fond n’est pas atteint. Il ne le sera jamais. Joseph Göbbels avait dit un jour : «plus le mensonge est gros, plus il passe. Plus souvent il est répété, plus le peuple le croit». Le Führer avait mis en pratique cet adage durant la Seconde Guerre mondiale, Lance Armstrong l’a fait dans le milieu sportif
Classement final du Pigeon d’Or 2012 :
1. Lance Armstrong 176 votes 30.1 %
2. Samir Nasri 96 votes 16.4 %
3. Michel Morganella 92 votes 15.8 %
4. Majid Pishyar 82 votes 14 %
5. Pepe 31 votes 5.3 %
6. Geoffroy Serey Die 24 votes 4.1 %
7. Philippe Gaydoul 23 votes 3.9 %
8. Dominique Warluzel 21 votes 3.6 %
9. Hein Verbruggen 20 votes 3.4 %
10. Valentin Stocker 19 votes 3.3 %
Nombre de votes: 584

Palmarès du Pigeon d’Or

2006 : Floyd Landis
2007 : Christian Constantin
2008 : Pierre-Alain Dupuis
2009 : Waldemar Kita
2010 : Raymond Domenech
2011 : Bulat Chagaev
2012 : Lance Armstrong

Écrit par Mathieu Nicolet (texte) et Robert Johanson

Commentaires Facebook

9 Commentaires

  1. Super article, merci.

    Maintenant, si j’osais…: « largement assez pour payer les amendes qu’il devra s’en acquitter » Est-ce qu’on peut corriger ça parce que ça fait vraiment très mal aux yeux?

  2. Bel article mais je persiste à dire qu’il faudrait revoir la définition de pigeon. En ce qui me concerne un pigeon c’est le mec un peu naïf, un peu con, un peu mégalo à la limite (CC, PAD ou Morganella en sont les exemples merveilleux). Mais faire concourrir des simplets avec un mec comme Armstrong c’est un peu nul.

    Comme vous le dites si bien dans l’article ce mec est un criminel qui a monté (cela dit pas tout seul) un réseau mafieux d’une puissance énorme qui a berné le sport pendant plus d’une décennie et aura de lourdes conséquences sur son sport pour un long moment. Donc le mettre en comparaison avec un type comme Morganella qui est certes bête comme ces pieds mais à pour seul tort d’être justement bête je trouve qu’on s’éloigne du pigeon d’or de base, dommage.

  3. Oh mais on s’en branle du point Godwin, c’est des citations de l’Histoire, point barre…

    Franchement, faut aller sur 20 minutes pour étaler sa science 2.0 du pauvre.. S’il vous plaît…

  4. Bah, ES doit certainement faire partie de ces brillants cerveaux qui érigent Armstrong en modèle par le simple prétexte qu’il a berné tout le monde.

  5. Bel article, beau pigeon.

    Il devrait être emprisonné ce voleur de rêve. Incroyable comme le cyclisme me dégoûte depuis plusieurs années.

    Je ne me rappelle plus combien de Tour de France je suivais étant petit. Je pouvais suivre des étapes de montagne en entier alors qu’il faisait grand beau dehors. Plus jamais, je ne referais cela aujourd’hui.

    Pauvre sport, pauvre cyclisme. Et quand je vois les longues absences de Nadal ou Soderling, on ne peut avoir que des soupçons… Dans 10 ans, va-t-on retirer des titres du GC à la crevette ? J’ai des doutes que le tennis soit propre. Sans parler de football où même en 1er ligue certains se dopent (pas à la Armstrong hein…) mais se dopent quand même !

  6. Je remarque malheureusement qu’il n’y a que deux sports de représenté dans le palmarès depuis 7 ans (cyclisme et foot); le cyclisme pour de redondantes histoires de dopage (secret de polichinelle) et le foot pour la stupidité de certains de ses dirigeants. Que devrait-on en conclure?

  7. Attends Dave, il y a quand même Pierre-Alain Dupuis qui est un pigeon hors-catégorie, et dont le rayonnement dépasse largement le cadre du football et du cyclisme!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.