Eloge de la neutralité. Ou pas.

Le spectateur neutre aura sans doute apprécié un spectacle assez inattendu pour cet a priori peu attractif Suisse – Islande, avec des buts superbes, des occasions à la pelle, des rebondissements et une qualité de jeu remarquable, notamment en première mi-temps. Le supporter suisse lui aura moins goûté une plaisanterie qui remet pas mal de choses en question.

L’idée, un peu incongrue, m’avait déjà traversé l’esprit de manière fugace la semaine précédente lors d’un magnifique Francfort – Dortmund, elle m’a de nouveau trottiné dans la tête vendredi soir dans les travées du Wankdorf : pourquoi s’échiner à supporter une équipe, à s’énerver, à trembler ou à se désoler pour elle ; finalement, le football est tellement plus simple pour un spectateur neutre qui peut se contenter d’apprécier le spectacle, se réjouir de voir des buts, quel que soit le côté où ils tombent, et ne jamais repartir déçu ou fâché du stade après une contre-performance de son équipe. A priori, ce Suisse – Islande ne faisait pas partie des affiches incontournables qui vont attirer le touriste neutre moyen mais, fut-ce le cas, celui-ci n’aurait pas regretté son déplacement puisqu’il aurait eu droit à trois matchs bien différents pour le prix d’un, aussi surprenants les uns que les autres. Car franchement, aucun des scénarios que l’on avait pu imaginer pour ce Suisse – Islande ne correspondait, de près ou de loin, à ce qui s’est passé sur la pelouse (naturelle ce soir-là, une fois n’est pas coutume) du Wankdorf.

Match I : les bienfaits du Brésil

On voyait le truc arriver gros comme une maison après le succès de prestige contre le Brésil, soit une Suisse qui aborde ce match contre l’Islande avec trop de présomption et de nonchalance, ça n’a pas raté : la Nati est complétement spectatrice dans les premières minutes.  Et ce vieux sorcier de Lars Lagerbäck a bien surpris son monde : on attendait une Islande prudente et défendant très bas en mode Chypre, on découvre au contraire une formation plutôt offensive, qui va chercher la Suisse haut dans le terrain, avec deux vrais attaquants, un numéro dix et deux demis de couloir très entreprenant, à l’image du gaucher Birkir Bjarnason, sorte de croisement entre Alain Sutter pour la chevelure et Yvan Quentin pour les deux semelles mises dans le premier quart d’heure. Mais c’est de l’attaquant Johann Berg Gudmundsson que va jaillir la foudre, en profitant de l’apathie d’une défense helvétique figée pour expédier un missile dans la lucarne. On sentait arriver le traquenard et la Nati condamnée à une longue course-poursuite pour gommer ce début de match raté.

Match II : la démonstration

La bonne surprise, c’est que l’on va réagir très rapidement, d’une part parce que le dispositif des insulaires du grand nord laisse beaucoup plus d’espaces que celui des insulaires méditerranéen de Chypre en juin dernier, d’autre part parce que l’on est bien plus inspirés qu’on ne l’avait été à Genève. Le pressing helvète met rapidement en exergue les immenses carences de la défense islandaise à la relance et, une fois le ballon récupéré, la Nati joue bien, vraiment bien. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu une équipe de Suisse aussi inspirée et brillante que lors de cette première mi-temps (sauf les quatre premières minutes) avec du rythme, de l’imagination, des passes lumineuses, des dribbles et du dynamisme. La charnière centrale est impeccable, l’apport offensif des latéraux considérable, Behrami est le patron à mi-terrain bien secondé par un Dzemaili qui verrouille parfaitement l’axe et annihile toute velléité adverse de sortir la tête de l’eau, Xhaka, malgré un certain déchet et une nonchalance parfois coupable dans ses attaques de balle, montre pourquoi il est revenu en grâce à Mönchengladbach, Shaqiri multiplie les passes et débordements brillants, alors que Seferovic, bien que malheureux à la conclusion, est très intéressant dans ses prises de balle et ses appels. Il n’y a guère que Stocker qui, en dehors d’un superbe débordement en fin de première mi-temps, est un peu en dessous.
Cette magnifique équipe de Suisse va être logiquement récompensée par trois buts, tout d’abord sur un magnifique mouvement collectif initié par la tenaille Dzemaili-Behrami, poursuivi par Seferovic puis Rodriguez et ponctué d’un centre de Granit Xhaka qui permet à Stephan Lichtsteiner de jaillir pour égaliser de la tête. Puis c’est Fabian Schär qui ouvre son compteur avec la Nati au terme d’une partie de billard illustrant bien l’infernale pression rouge et blanche. Enfin, Stephan Lichtsteiner profite d’une passe géniale de Xherdan Shaqiri pour inscrire le numéro trois. Le seul reproche que l’on peut faire à la Nati, c’est de ne pas avoir inscrit plus de buts, on pense notamment à ce centre-croisé puis à cette reprise contrée de Seferovic après le caviar de Stocker. Pas grave, pensait-on, puisque la deuxième mi-temps repart sur les mêmes bases. Si le gardien Halldórsson sauve sur une frappe de Blerim Dzemaili, il doit s’incliner sur un pénalty obtenu par Stocker (peut-il servir à autre chose ?) et transformé par le Napolitain. 4-1, c’était « Brasil, Copacabana, Caïpirinhas nous voilà ! ». Avant ce match, depuis le début de la campagne de qualifications, la Suisse n’avait encaissé qu’un seul but, sur balle arrêtée contre la Norvège, et avait gardé sa cage inviolée jusque-là en 2013. Aucune sélection au monde ne présentait pareil hermétisme durant le même laps de temps. Dès lors comment imaginer que la « meilleure défense du monde » puisse se faire remonter trois buts par la modeste Islande ? Mais c’est bien connu : y en a point comme nous !  

Match III : la démission

Faut-il attribuer le sketch de la fin de match à un relâchement coupable ou à une perte de confiance et de repères consécutive au deuxième but islandais ? Il faut clairement privilégier la première hypothèse car unser Nati devrait avoir les moyens de surmonter un simple fait de jeu comme la bévue de Schär qui ouvre la porte à Kolbeinn Sightorsson pour le 4-2. Non, le problème n’est pas là, c’est bien plutôt que la Suisse s’est arrêtée de jouer à 4-1, à l’image du trio offensif Stocker-Xhaka-Shaqiri qui ont complétement cessé de courir, comme par hasard trois Bâlois ou anciens Bâlois qui ont connu succès, titres et fortune tôt dans leur carrière et qui ont une certaine tendance à prendre la grosse tête. Or, si le 4-2-3-1 à l’allemande prôné par Ottmar Hitzfeld domine tactiquement le football européen actuellement – il était pratiqué par les deux finalistes de la dernière C1, il nécessite un labeur inlassable de la ligne des trois demis offensifs, sinon il laisse beaucoup d’espaces à l’adversaire.
Plus du tout protégée par son milieu de terrain, la défense suisse va prendre l’eau de toute part. Fabian Schär est aux abois depuis son erreur et multiplie les approximations, guère aidé sur son côté par un autre buteur en difficulté, Lichtsteiner. Quand on voit la cote dont le Suisse bénéficie en Italie, on comprend bien que, si la Serie A est devenue plus prolifique, c’est davantage dû à la faiblesse grandissante de ses défenses qu’à une hausse du niveau de jeu et à la qualité des attaques. La désertion des joueurs de classe mondiale et la chute de la Serie A à l’indice UEFA l’attestent. De l’autre côté, Rodriguez est également à l’agonie et Steve von Bergen se retrouve bien seul pour colmater les brèches. Il ne peut toutefois rien sur un nouveau missile de Gudmundsson qui permet à l’Islande de revenir à une longueur. La Suisse obtient le sursis grâce à un sauvetage de Benaglio puis un contre heureux devant Sightorsson mais l’Islande finit – logiquement – par égaliser dans les arrêts de jeu lorsque Johann Gudmundsson profite une nouvelle fois de la passivité helvétique pour enrouler délicieusement (pour les puristes, moins pour les fans suisses) la balle dans la lucarne.       

Tous coupables !

Il fut un temps où être dirigé par un entraîneur allemand était synonyme de rigueur et de solidité, ce n’est plus vraiment le cas. La Nati imite ainsi la Nationalmannschaft, récemment victime d’une aussi peu glorieuse mésaventure contre d’autres Vikings (de 4-0 à 4-4 contre la Suède). Il va de soi que les joueurs et leur démission collective après la 4-1 sont les premiers responsables de ce couac, à l’exception de Benaglio qui n’y peut rien sur les buts encaissés et d’un Behrami combattif jusqu’au bout, lui. Mais Ottmar Hitzfeld porte aussi sa part de responsabilités. « On est mal barrés : Gottmar consulte Michel Pont pour les changements » m’avait averti mon ami Denis, qui a l’œil du lynx et la sagesse de l’aigle, du moins lors des matchs FIFA sans alcool (à part du Jägermeister lituanien sur le parvis du stade, pas osé goûter mais amitiés à Pierre-Yves). Et effectivement, on reste un peu interloqué par le coaching : alors que le navire tanguait, fallait-il suppléer Xhaka par une solution plus offensive (Drmic) ? Un Ziegler plutôt qu’un Barnetta à court de compétition n’aurait-il pas été plus à même de seconder un Rodriguez en grande difficulté à gauche ? Et l’absence de filtrage en milieu de terrain qui amène le 4-4 n’est-il pas consécutif au remplacement précipité et improvisé de Shaqiri par Klose sur une balle arrêtée défensive ? Enfin, malgré l’absence réjouissante des infernaux Klatschpappen, le public n’a pas vraiment joué son rôle de douzième homme. C’était bien joli de faire la ola à 4-2 mais ça aurait été mieux d’encourager l’équipe dans les dernières minutes comme si – moi le premier d’ailleurs, je plaide coupable – personne ni sur le terrain ni sur le banc ni dans les tribunes n’avait vraiment pris au sérieux l’hypothèse d’une égalisation islandaise.

Au diable la neutralité !

Comme j’arbore à nouveau un maillot Blacky d’époque, ce nul nous ramène 22 ans en arrière, au même endroit mais dans un stade très différent, avec une autre parité concédée sous la houlette d’un entraîneur allemand, Uli Stielike, le 2-2 contre l’Ecosse après avoir mené 2-0 à la pause, qui nous avait contraint à jouer un quitte ou double en Roumanie et finalement privé d’Euro 1992. La situation demeure plus favorable qu’à l’époque mais, alors qu’une victoire nous aurait déroulés le tapis rouge pour le Brésil, la menace est désormais bien réelle. La Norvège avait sans doute fait une croix sur la première place, elle est subitement relancée par la grâce de ce nul et de la défaite albanaise en Slovénie. Même entre pays neutres, les Scandinaves ne nous feront pas de cadeau mardi à Oslo avec l’opportunité de revenir à un point, sachant que derrière on devra enchaîner avec un déplacement périlleux en Albanie. Du coup, je crois que je vais remettre à plus tard mon intention de suivre les matchs en spectateur neutre et vibrer, m’énerver et trembler jusqu’au bout avec cette équipe de Suisse, peut-être même jusqu’au dernier match à Berne contre la Slovènie puisque manifestement nos joueurs ne veulent pas d’une qualification en toute quiétude mais tiennent absolument à ménager le suspense jusqu’au bout.      

Suisse – Islande 4-4 (3-1)

Stade de Suisse, 26’000 spectateurs.
Arbitre : M. Karasev.
Buts : 3e Gudmundsson (0-1), 15e Lichtsteiner (1-1), 27e Schär (2-1), 30e Lichtsteiner (3-1), 54e Dzemaili (pénalty, 4-1), 56e Sightorsson (4-2), 68e Gudmundsson (4-3), 91e Gudmundsson (4-4). 
Suisse : Benaglio; Lichtsteiner, von Bergen, Schär, Rodriguez; Behrami, Dzemaili; Shaqiri (89e Klose), Xhaka (76e Drmic), Stocker (79e Barnetta); Seferovic.
Islande : Halldórsson; Saevarsson (82e O.I. Skúlason), Árnason, R. Sigurdsson, A.F. Skúlason; Gunnarsson, Danielsson (46e Gudjohnsen), G. Sigurdsson, Bjarnason; Sigthorsson, Gudmundsson.
Cartons jaunes : 24e Dzemaili, 25e Gunnarsson, 72e Árnason, 89e Drmic.

Écrit par Julien Mouquin

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5 Commentaires

  1. En parlant d’Allemagne / Suède sous le paragraphe « Tous coupables », corriger de 4-0 à 4-4.

    Les 3 buts de Berg (le commentateur islandais ne prononce pas Gudmundsson) sont somptueux.

    Au moins, il y aura encore du suspense jusqu’au bout et les Suisses sont capables d’aller gagner en Norvège !

  2. Un revers ça arrive à toute les équipe. Je trouve ça con de cracher sur une équipe et l idolâtrer plus tard quand elle sera qualifiée pour le mondial…

  3. Très grave faute professionnelle de toute l’équipe, entraîneur y compris.

    On perd demain en Norvège et on peut dire adieu au Brésil. A Hitzfeld et Pont aussi!

  4. Suisse-Brésil 4-4 ? Si c’est le résultat, donné par CR en avant-première, du match d’ouverture de la Coupe du Monde 2014, je suis preneur 😉

    Sinon, j’aime bien cet article, contrairement au Ch’ti du dessus, je trouve que Julien ne crache pas sur l’équipe, mais résume parfaitement bien tous les états d’âme par lesquels on est passés, en suivant ce match au scénario si improbable !

    @ Denis : quel flair ! En effet, comme souvent, Hitzfeld nous a gratifiés d’un coaching de derrière les fagots ! Quelle buse ! Barnetta pour Stocker, du poste pour poste, inutile ! Et Klose qui entre à la…89ème ! alors qu’il faut tenir le score et qu’il reste arrêts de jeux compris environ 5 minutes à tenir, il était tout perdu le pauvre, on le serait à moins ! Et deux minutes après, c’était 4 à 4 ! Pfffffff…

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