Petite Suisse devient grande

La Nati s’est payée le luxe de boucler invaincue les éliminatoires pour la Coupe du Monde 2014, de terminer son périple par une victoire probante contre la Slovénie tout en procédant à une large revue d’effectif, d’assurer un statut de tête de série pour le prochain tirage au sort et de célébrer sa qualification avec retenue et sobriété comme s’il s’agissait d’une formalité. A l’instar d’un ténor du football mondial…

Bien davantage que la timide Oktoberfest (en plus les Bretzels étaient trop secs…) qui se tenait dans les entrailles du stade, la bonne nouvelle en arrivant au Wankdorf, c’est que les drapeaux ont remplacé les infectissimes Klatschpappen (Clap Tifo en langage frontalier) dans les gradins ; rien que pour cela, on se félicite d’avoir préféré le Stade de Suisse aux Vernets en ce mardi pluvieux. Et puis, une victoire du LHC contre Genève, c’est banal, ça arrive toutes les semaines, alors que célébrer la qualification de la Nati pour une Coupe du Monde, c’est plus exceptionnel ; finalement ce n’est que la quatrième fois que ça arrive de mon vivant.

Mais ils sont où les événementiels ?

Mais apparemment, vu les vides dans les gradins et l’ambiance feutrée du Stade de Suisse, il en faut plus pour susciter l’émoi du très événementiel public suisse. Les vingt-huit années de disette entre 1966 et 1994 semblent déjà oubliées et une qualification pour la Coupe du Monde ne plus guère soulever d’enthousiasme. Ils sont passés où les 150’000 demandeurs de billets pour le Suisse – Estonie de l’automne 1993 ? Que sont devenus les mecs qui faisaient le pied de grue à 6h du matin devant tous les points de vente TicketCorner du pays afin de quérir un sésame pour le Suisse – Irlande décisif pour l’Euro 2004 ? Pourquoi les geignards qui pleurnichaient qu’ils n’avaient pas eu de tickets pour les matchs décisifs contre la France et la Turquie de 2005 n’ont-ils pas profité de l’occasion pour fêter une qualification qui n’a pas moins de valeur que celle pour la Coupe du Monde allemande ? 

Facile, vraiment ?

Las, plutôt que de se réjouir de cette nouvelle réussite, on préfère aujourd’hui insister sur le fait que la qualification a été facilitée par un groupe « faible ». Qu’au moment du tirage, on constate qu’on n’a pas été trop mal loti, d’accord, mais est-il besoin d’insister ensuite avec ça ? Après tout, lors du tirage au sort, on est six pays à s’être dit, « c’est un bon groupe », aujourd’hui il y en a quatre qui rient jaune et peut-être un cinquième si l’Islande échoue en barrages… Le pire, c’est que ceux qui nous bassinent jusqu’à la nausée avec la faiblesse présumée du groupe de la Nati sont les mêmes qui bavent niaisement toutes les semaines en voyant Barcelone ou le Real Madrid démonter sans gloire ni mérite des adversaires complaisants et résignés au budget vingt fois inférieur. Alors que la Nati, elle, devrait presque s’excuser d’avoir acquis un statut lui permettant des tirages au sort plus accessibles et se morigéner d’avoir tiré la Norvège dans le premier chapeau plutôt que l’Espagne ou l’Allemagne (face auxquels on reste, soi-dit en passant, sur une victoire, tout comme contre le Brésil d’ailleurs).  
Je n’ai pas oublié le groupe « facile » qui devait nous conduire à la Coupe du Monde 1998 à notre porte, en France : Norvège, Hongrie, Finlande, Azerbaïdjan… On connaît la suite. Dans les années 1980, participer à un grand tournoi s’apparentait à une chimère pour « unser Nati » et l’on regardait jalousement nos cousins belges atteindre finale de l’Euro (1980) et demi-finale de Coupe de Monde (1986). Aujourd’hui, les Diables Rouges célèbrent dans la liesse populaire comme un titre de champion de monde leur qualification, alors que nous on joue les blasés. Dommage car on ne le répétera jamais assez : pour un pays comme la Suisse, peu importe le groupe, une qualification pour un grand tournoi n’aura jamais rien d’une évidence et devra toujours être saluée comme un exploit.    

Tout en maîtrise

Globalement, la Nati a fait preuve d’une maîtrise totale sur ce groupe, alors même qu’elle a dû enchaîner les matchs pièges où elle a dû faire le jeu, schéma censé lui être défavorable. Alors bien sûr, il y a eu les couacs chypriotes et islandais mais personne n’est à l’abri : l’Allemagne s’est faite remonter quatre buts par la Suède, la France a fait match nul en Géorgie, la Hollande en Estonie, le Portugal à domicile contre l’Irlande du Nord et l’Espagne chez elle a partagé l’enjeu avec la Finlande et eu besoin d’un arbitrage complaisant pour vaincre l’ogre biélorusse. L’important, c’est que la Suisse a pris la main d’emblée dans ce groupe pour ne plus la lâcher, conservant toujours une totale maîtrise de son destin et en ayant toujours su rebondir rapidement après les quelques points égarés. On mettra particulièrement en exergue la manière dont cette jeune équipe a su gérer et remporter les quatre déplacements contre ses adversaires les plus dangereux, aussi bien face aux défis physiques scandinaves qu’à la vivacité et la technicité balkaniques. Au final, si cette qualification a suscité aussi peu d’émotions, c’est peut-être parce que l’on a donné l’impression de trop bien maîtriser notre sujet. Comme une grande équipe. C’est cela que l’on devrait souligner plutôt que de gloser inutilement sur la modestie de l’adversité. 

Revue d’effectif

Ottmar Hitzfeld avait affirmé vouloir la victoire à tout prix pour cet ultime rendez-vous contre la Slovénie mais sa composition d’équipe ne corrobore pas complètement l’assertion  car, outre les deux changements imposés (suspension de Von Bergen et blessure de Shaqiri), il y a cinq autres modifications par rapport au onze victorieux en Albanie, avec notamment une charnière centrale vintage Djourou-Senderos. Cette équipe fortement remaniée s’en est plutôt pas mal tirée et a livré un bon match contre une Slovénie qui jouait sa qualification. Toutefois, malgré l’obligation de s’imposer, les Slovènes n’ont pas débarqué la fleur au fusil. Manifestement, le plan du roublard Srečko Katanec, c’était dans un premier temps de voir venir, d’observer l’évolution du match Norvège – Islande et de jouer, selon la tournure des événements, son va-tout en deuxième mi-temps. Face à cet adversaire prudent, la Suisse va donc prendre les devants et se crée les meilleures occasions, trois frappes de Mehmedi qui manquent de peu le cadre, une tête trop piquée de Xhaka ou un coup franc flottant de Ziegler contre un seul tir dévié en face avant la mi-temps.

Le chef d’œuvre de Xhaka

Comme attendu, le Slovénie va se montrer beaucoup plus entreprenante après la pause et Yann Sommer réalise quelques parades décisives, confirmant, si besoin était, qu’il a définitivement supplanté Marco Wölfli dans le rôle de portier numéro deux de la Nati. Mais les meilleures occasions restent helvétiques et Samir Handanovic a également l’opportunité de démontrer pourquoi il est considéré comme l’un des tous meilleurs portiers de Serie A. Dynamisée par la bonne entrée de Pajtim Kasami qui n’aura donc pas servi qu’à soustraire le joueur de Fulham aux convoitises de la sélection albanaise, la Suisse va tout de même finir par faire la différence. De manière complètement méritée, sur un exploit individuel de Granit Xhaka sous la forme d’une frappe en pivot somptueuse qui va se ficher juste en dessous de la lucarne. A l’instar de ses ex-coéquipiers bâlois Shaqiri et Stocker, le sociétaire de l’autre Borussia nous irrite parfois par ses attitudes de diva mais il fait partir de ces joueurs qui peuvent décider de l’issue d’un match sur un seul geste et ça c’est une arme relativement nouvelle pour la Nati. 

Tête de série !

La Suisse tenait sa victoire et n’allait plus la lâcher, malgré une énorme occasion gâchée en fin de match par le sniper adverse Milivoje Novakovic sur une perte de balle inutile de Gelson Fernandes, enterrant les derniers espoirs slovènes d’accrocher une place en barrages. Finalement, ce dernier match aura été un peu à l’image de tout le parcours de qualification : tout n’a pas été parfait, il y a eu quelques imperfections ici ou là mais globalement la Nati a maîtrisé son sujet et pleinement mérité son succès. Et à la fin, c’est la Suisse qui gagne, selon l’expression consacrée ! Cette victoire, couplée au réjouissant match nul de l’Italie contre la grande Arménie (Henrikh Mkhitaryan est magique), nous assure le statut de tête de série la plus convoitée (par nos adversaires potentiels) de l’histoire du football (en attendant le Qatar en 2022) pour le tirage au sort de la prochaine Coupe du Monde. Cela n’a pas provoqué d’émeutes dans les travées du Wankdorf mais au moins la Nati n’a pas fêté sa qualification sous les sifflets comme lors d’une soirée pitoyable à Bâle en 2009 contre Israël. C’est déjà ça ; pour l’engouement et les foules qui descendent dans les rues en maillots rouges, il faudra attendre des adversaires plus prestigieux en juin prochain. Mais cette campagne de qualifications menée de main de maître, la jeunesse d’un effectif qui s’étoffe de plus en plus, comme l’a prouvé la large rotation opérée sans grand dommage contre la Slovénie, et quelques succès de prestige en amicaux laissent entrevoir des perspectives d’avenir plutôt réjouissantes.
Photo Pascal Muller, copyright EQ Images

Suisse – Slovénie 1-0 (0-0)

Stade de Suisse, 22’014 spectateurs.
Arbitre : M. Kuipers.
But : 74e Xhaka (1-0).
Suisse: Sommer; Lang, Senderos, Djourou, Ziegler; Inler, Dzemaili; Mehmedi (84e Fernandes), Xhaka, Barnetta (69e Kasami); Seferovic (69e Derdiyok). 
Slovènie: Handanovic; Brecko, Ilic, Cesar, Struna; Pecnik (41e Matavz), Mertelj (76e Liubijankic), Kurtic, Kirm; Kampl (83 Lazarevic), Novakovic.
Cartons jaunes: 31e Ilic, 35e Pecnik, 39e Xhaka, 41e Struna, 57e Mertelj, 87e Cesar.

Écrit par Julien Mouquin

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17 Commentaires

  1. Puissantes félicitations américaines pour la Suisse. Qui fait parler d’elle pour son talent. Bravo !

    Un an pour soigner l’éventuel complexe du melon qui les fait jouer le menton levé contre les petites nations et du coup, rater un tas de ballons et la tête dans les guidons contre les grandes.

    Pour éviter le grand piège, battre le Portugal et perdre contre le Honduras ou quelque chose dans le genre.

    Ici, en Amérique centrale, mon Costa Rica qualifié a envoyé le Mexique en barrages hier soir. La sensation est proche de celle des Suisses et de Belges qui sont dans le premier chapeau pendant que la France purgatoirise. La haine des voisins est nourrie, sucrée, gonflée ici et là-bas.
    http://henryjaquet.com/2013/10/16/lenorme-denouement-des-qualifications-americaines-pour-le-mundial/

    Bien à vous d’ici. Gregory.

  2. « Ils sont passés où les 150’000 demandeurs de billets pour le Suisse – Estonie de l’automne 1993 ? Que sont devenus les mecs qui faisaient le pied de grue à 6h du matin devant tous les points de vente TicketCorner du pays afin de quérir un sésame pour le Suisse – Irlande décisif pour l’Euro 2004 ? Pourquoi les geignards qui pleurnichaient qu’ils n’avaient pas eu de tickets pour les matchs décisifs contre la France et la Turquie de 2005 n’ont-ils pas profité de l’occasion pour fêter une qualification qui n’a pas moins de valeur que celle pour la Coupe du Monde allemande ?  »
    Eh ben pour la même raison que la Praille n’est pas pleine quand Unser Nati y vient jouer : les places sont à cent balles, Mouquin, tu peux peut-être te payer ça, mais moi non, ni des tas d’autres…

  3. Billets à partir de CHF 45.- plein tarif et l’ASF a distribué plus de 1000 billets gratuits (et CartonRouge 12); les tarifs ont souvent été exagérés pour la Nati mais sur ce match-là je pense que le prix est juste un mauvais alibi pour les opportunistes qui ne jugeaient pas l’adversaire et l’enjeu assez attractifs.
    D’ailleurs, il est certain que bon nombre des absents d’hier n’attendent que le tirage au sort pour réserver un séjour au prix fort au Brésil.

  4. C’est tout juste, bon article. Les gens se sont habitué aux qualifications et ne se rendent plus compte.

    Maintenant la tête de série norvégienne, c’était vraiement un coup de chance, mais ça ne veut pas dire que cette équipe n’aurait pas été capable de passer les barrages si on avait tiré l’Allemagne ou l’Espagne, loin de là. Cette équipe, malgré quelques imperfections, a une bien meilleure maitrise du ballon que celle des années précédente.

    Je pense aussi que l’électrochoc islandais nous a permis de remporter les 3 derniers match la tête froide et c’est très bien comme ça.

    Et enfin je suis très content d’avoir validé le ticket Kasami, j’ai toujours beaucoup aimé beaucoup ce joueur et il a prouvé des choses hier, m’étonnerai pas qu’il devienne titulaire un jour

  5. Y’en a aussi qui ont une vie de famille, une vie sexuelle et qui contrairement à certains, ne peuvent aller voir 20 matchs de foot par mois. Peut-être qu’un jour tu saisiras Juju…

  6. Quel argument à la con. Parce que tu crois qu’il y a quelques années, moins de personnes avaient une vie de famille, sexuelle, etc… ?

  7. Un défi pour M. Mouquin: essayer d’écrire un article sans les mots « Espagne », « Barcelone », « Guardiola »… alors qu’il parle de la Suisse (bravo pour la qualif ET la manière!) ou du BVB.
    Il ressemble de plus en plus à un espèce de Mourinho du pauvre avec cette obsession pour la péninsule en général et la Catalogne en particulier.

  8. Le Barca et le Réal démonter sans gloire des adversaires résignes.
    Hé Mouquin, pour ta gouverne, sache que le Réal est troisième du classement à 5 points derrière le Barca…et de l’Atletico.
    Sacré Mouquin…ton anti-espagnolisme te perdra !
    PS : HUMMELS IRA AU BARCA EN JUILLET 2014,.vas-tu digérer la nouvelle ?

  9. Présent à Berne hier, un poil déçu pour le manque d’engouement également mais satisfait d’avoir assisté à un joli match de foot et à une belle conclusion de ces qualifications.

    Billets pour le Brésil pré-commandés également, y’a plus qu’à prier pour le tirage au sort !

  10. Personne n’a l’air d’y penser mais c’est peut-être aussi que le football intéresse un peu moins que dans les années 90 tout simplement…

  11. Merci pour les billets pour le match, c’était cool.
    Maintenant, tu peux pas prendre comme argument les billets distribués par cartonrouge, vu que vous les avez tous distribués et que vous avez eu plus de demandes que de billets…
    ça prouve pas un désintérêt, au contraire.

    Après, on peut penser que toute la Suisse est peuplée d’imbéciles et d’ingrats ou réfléchir aux raisons (prix, manque de culture foot, campagne de qualif trop facile, pas d’enjeu, etc.)
    J’ai plus été surpris perso par la non-ambiance dans ce stade…

  12. p.s.
     » Alors que la Nati, elle, devrait presque s’excuser d’avoir acquis un statut lui permettant des tirages au sort plus accessibles  »
    On était dans le chapeau 3 pour ce tirage, donc avoir la Norvège et la Slovénie, plutôt que les Allemagne+Suède, Espagne+France ou Portugal+Russie, oui c’est un peu du bol, même si ça n’enlève rien à la qualité de cette équipe de Suisse.
    Faut juste un peu relativiser.

  13. Gloire à cartonrouge !

    Je vous lis pour la première fois et me demande encore comment j’ai pu passer à côté !

    Vos commentaires me font vibrer, rire, pleurer, etc. Et entre deux commentaires, je me vois dans les gradins du Maracana avec mon père voyant une « bicicleta » de Zico dans les 15 mètres de défense pour éloigner le danger de l’équipe de Vasco da Gama 🙂 !

    Encore bravo !

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