Une expérience sociologique (bis)

Nous le savons tous, la qualité d’un produit est inversement proportionnelle à sa quantité consommée. Une histoire de coûts et de couleurs, ainsi qu’à l’évolution naturelle de l’idiocratie dans laquelle nous vivons. La presse ne déroge pas à la règle, elle qui n’en manque pas une pour nous prendre pour des cons tout en passant comme tels.

Nous possédons tous en nous une part de curiosité malsaine qui nous incite à franchir les limites que nous nous fixons. Récemment, un ami m’avait glissé un mot au sujet du dernier papier d’Emmanuel Favre dans le Matin au sujet de la sélection helvétique qui représentera nos couleurs à Sotchi. Comme souvent, ça promettait de voler au niveau de la mer Morte, mais voyons la chose sous un autre angle. Les films d’auteur, le NY Times et les prix Goncourt, ça va un moment.Parfois, cela fait du bien de retomber dans des instincts primitifs, de se rabaisser au niveau de la population-type qui compose le lectorat principal du tabloïde romand. C’est comme aller prendre son dessert au McDo après avoir dégusté un repas succulent au Raisin ou regarder volontairement Jersey Shore (jusqu’à la fin) suivant un marathon des meilleurs longs-métrages de Lars von Trier. L’effet est comparable à celui de se surprendre nous-mêmes en train de se masturber sur un Tennis Magazine avec Ana Ivanovic en couverture (ou Andy Murray si vous êtes une femme. Oups, mauvais exemple): on est gêné, on se sent coupable, honteux, très con aussi (à juste titre), mais ce n’est pas si grave, personne ne nous a vu. L’honneur est sauf, du moins pour l’instant. Après tout, Christian Despont a aussi décidé de son plein gré de se transformer en Klaus Zaugg du riche, cela permet de relativiser.
On a beau me prévenir, mais je n’en fais qu’à ma tête. «Le Matin», «analyse», «recherche» et «journalisme» sont des termes qui ne vont pas très bien ensemble. Autant essayer de faire croire que l’Espagne est le royaume des joueurs propres et du plein-emploi.
Et puis merde, tout le monde a droit à des moments de faiblesse. Personne à gauche, ni à droite, la voie est libre; je saisis le quotidien orange aussi vite que j’aurais retiré ma main posée sur la plaque électrique enclenchée au thermostat maximum. «Non, ce n’est pas moi qui vient de prendre le Matin qui est entre mes mains et qui était juste à côté de moi il y a quelques secondes.» Je vois qu’il y a justement cet article du Benjamin Castaldi du stylo, le grand manitou de la rubrique sportive du Blick francophone Emmanuel Favre. Je suis donc la marche à suivre qui prévaut avant toute lecture du journal le plus vendu en Suisse romande…

(Je vous laisse encaisser le choc)

…afin de voir s’il valait vraiment la peine que je mette mon honneur en jeu en ayant sous les yeux la Feuille d’avis officielle des faits divers et chats écrasés.

Etape numéro 1 : repérer le titre accrocheur et son mot clé qui fleure bon le sang frais.
L’avantage des titres gigantesques du Matin et de ne pas avoir besoin de se fouler pour remplir la page. «La sélection suisse est tombée trop TÔT», avec un accent tonique mis sur le dernier mot. Pas de «sexe», «meurtre», «scandale», «tournante», «drogue», «désastre», histoire de maximiser les chances d’harponner le lecteur. La déception est de mise: il ne sera vraisemblablement pas question d’une histoire de viol collectif filmé commis par des animaux sur un mineur atteint d’un cancer en phase terminale. Pour cela, il va falloir aller feuilleter les éditions précédentes du quotidien de boulevard.
Etape numéro 2 : vérifier si personne ne vous épie.
L’idée ici n’est pas de céder à un délire psycho-paranoïaque, mais bien de s’assurer que personne de connu ne vous surprenne à la manière d’un homme respectable qui se ferait choper dans une partie de jambes en l’air avec la baby-sitter de son marmot. Les conséquences pourraient être catastrophiques. Non, il faut toujours garder à l’esprit qu’un quidam pourrait voler le journal dans le but de le lire le plus sérieusement du monde, ce qui tout aussi catastrophique. Cette expérience est faite dans un but sociologique et scientifique, que ce soit bien clair.
Etape numéro 3 : repérer toutes les inepties figurant dans le papier.
Chez certains, débiter des conneries est un sport national. Certains sont nés avec cette propension, d’autres ont suivi des cours du soir pour exceller dans cet art. Véritable laboratoire avant-gardiste dans le domaine, la rédaction du Matin est un concentré fascinant de spécialistes repoussant sans cesse les frontières de la déchéance mentale qu’ils tentent de nous soumettre. Le bouchon est même poussé jusqu’à recruter des anciens hockeyeurs pour faire le nombre, ce qui donne tout de suite une bonne idée de la crédibilité du concept.
Lorsque je dis «toutes», cela est bien entendu présomptueux. L’idée n’est pas non plus de remplir une thèse de 200 pages qui les répertorie dans leur intégralité; cela ne suffirait de toute façon pas. Contrairement aux abonnés du Matin, je possède une vie en dehors. Commençons le débroussaillage, mais savoir par où commencer demeure un exercice des plus compliqués.
Le chef de la rubrique sportive du Daily Mirror romand – j’insiste sur ce point: le CHEF – commence par pleurnicher en s’offusquant de la durée énorme (37 jours) entre le moment où la sélection de Sean Simpson a été dévoilée et le premier match de la Suisse. Un laps de temps qui ne concerne bien évidemment que la Suisse, pauvre victime expiatoire des méchants organisateurs russes à la solde du KGB. C’est bien connu, en un peu plus d’un mois et hormis les blessures, la situation des joueurs, leurs caractéristiques, forces, faiblesses, peuvent radicalement changer, y compris leur relation avec leur entraîneur-chef respectif. Durant ce temps, aucune jérémiade n’a été formulée de l’autre côté de l’Atlantique. Circulez, y’a rien à voir. Les vraies nations de hockey ne s’embarrassent jamais de polémiques stériles.
Comme vous l’aurez constaté à maintes reprises, faire d’un cas une généralité sous fond d’argumentation bancale voire inexistante est la grande spécialité d’Emmanuel Favre. C’est un peu comme si nous affirmions que la totalité des femmes de ce monde sont des putes juste après être malencontreusement tombé sur le dernier clip de Miley Cirus. Illustré par Raphael Diaz sur lequel le CHEF de la rubrique sportive du tabloïde fait une fixation, l’exemple est éloquent.
Rétablissons tout d’abord la vérité. Si les employés du quotidien orange ne sont pas capables de faire le boulot pour lequel ils sont payés, il faut que bien que quelqu’un le fasse. Le défenseur a bien été mis de côté durant deux matchs (Emmanuel Favre sait compter jusqu’à deux. C’est déjà ça de pris), mais car il était légèrement blessé. Cette saison, la moitié de l’arrière-garde de Montréal a goûté aux joies d’une place privilégiée en tribune de presse plutôt que dans la formation du Tricolore. Soit dans le désordre Douglas Murray, Francis Bouillon, Alexei Emelin, et dernièrement Raphael Diaz. Un simple petit détail puisque Michel Therrien, l’entraîneur-chef du Canadien, évite dans la mesure du possible que ses joueurs ne fassent trop longtemps banquette. En attaque – parfois pour cause de performances en dessous des attentes, parfois pour rééquilibrer ses trios –, Pas moins de cinq éléments ont été laissés de côté cette saison.
La situation de Raphael Diaz est donc terrible et cela constituera un handicap énorme au moment de lancer un joueur «en panne de repères» dans le grand bain olympique. D’ailleurs, les joueurs sélectionnés éliminés prématurément avec leur club possèdent un retard rédhibitoire lorsqu’ils défendent la Suisse (ou tout autre pays d’ailleurs) aux Championnats du monde. Branle-bas de combat, faites venir la batterie de médecins et de physios, l’heure de la rééducation a sonné. Ceux qui ont été privés de matchs durant cette interminable période vont devoir réapprendre à marcher, à patiner, à jouer avec ce truc noir qu’on appelle rondelle.

Et il y a pire: la bande à Mike Babcock ont même sélectionné Steven Stamkos, meilleur compteur de la Ligue nationale avant qu’il ne se fracture le tibia. Vraiment des abrutis, ces Canadiens. Tout comme les Américains qui ont osé prendre l’éclopé Zach Parise. Mais à quoi pensent-ils? Tous ces entraîneurs qui agissent de manière contraire à leur philosophie constitue la plaie du hockey moderne. Il y a fort à parier que si la sélection helvétique avait été faite deux minutes avant de coup d’envoi de Suisse-Lettonie, elle aurait été totalement différente. Le réservoir de bons joueurs est tellement pléthorique sous nos latitudes. Conscients du contenu à caractère stupido-débilo-sensationnaliste du papier, nous pourrions continuer comme cela durant des heures, et ce à chaque papier provenant du journal pipole.
Etape numéro 4 et 5 : Ravaler son envie de mettre le feu au journal et jurer que cette fois, on ne vous y reprendra plus.
Dans son dernier tout-ménage écrit à la truelle, le grand CHEF de la rubrique sportive du quotidien orange, a placé la barre très haute. Tellement haute que j’ai jugé nécessaire de me rabaisser afin d’y faire mention. A ce stade, de deux choses l’une: soit Emmanuel Favre jubile pour avoir suscité avec succès le plus de réactions possibles – ce qui me ravit dans la mesure où j’ai toujours su faire preuve de condescendance envers les causes perdues –, soit le trublion du Matin a rédigé cela de manière sérieuse, ce qui nous expose tous à un grave problème.
Oui je sais, c’est contradictoire. Je conchie ce journal de boulevard qui vise systématiquement sous la semelle des chaussures en prenant les gens pour des serrures, et voilà que je saute à pieds joints en complet-cravate dans la flaque de boue que j’avais pourtant très bien identifiée tout en agissant de la même façon. Comble de moi, je pourrirai en enfer et l’on viendra déféquer sur ma tombe par pur plaisir. Ça puera, mais je l’aurai bien cherché. Mais comme dit précédemment, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot, non? Dans le milieu professionnel, débiter des conneries avec une régularité de métronome vous expose au congédiement. Au Matin, cela ouvre de nombreuses portes.
Un jour, la très respectable Brigitte Bardot, à la question de savoir quelle était l’erreur qu’elle voulait corriger si tout était à recommencer, avait répondu «celle d’être née» dans une franchise absolument jouissive. Etablir un quelconque parallèle serait sévère, mais ça démange beaucoup.
Au fait, lors du match des Canadiens de Montréal suivant la parution du ruclon signé Favre, Raphael Diaz a évolué dans la première paire défensive aux côtés d’Andrei Markov, a joué en supériorité ainsi qu’en infériorité numérique. Les clous n’étaient apparemment pas très bien fixés, ou alors c’est le bois des tribunes qui était pourri.

Écrit par Alexandre Krimine

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6 Commentaires

  1. Excellent article.

    Tu as cent pour cent raison.

    Le pseudo « coup de gueule » de Emmanuel Favre (EF) est un non sens total, bâclé, sans recherches et fait en 10 minutes avant d’aller timbrer à 16h28.

    D’ailleurs, je parie qu’ EF n’a pas vu un seul des match des Habs cette saison. Diaz y dispute une saison très solide, avec la confiance totale de son entraîneur. Il y avait par ailleurs de bien meilleurs candidats si EF voulait s’attaquer à des joueurs effectuant une saison en demi-teinte, comme Philipp Fuerrer. Mais bon, je pense que des matchs du SCB, il n’en a pas vu beaucoup non plus.

    En fait, le Matin avait affirmé haut et fort que Sprunger et Bezina allaient être sélectionnés, et vu leur absence dans la sélection, visiblement contrarié, EF a gueulé sur le premier sujet qui lui passait par la tête. Bon je m’attendais à ce qu’il ressorte la théorie Caliméro de l’éternelle conspiration anti-romande, peut-être qu’il la garde pour les PO de LNA.

    A-t-il fait une quelconque recherche pour son article ? Sait-il que la date avait été fixée d’abord au 1er janvier et à été repoussé au 7 janvier par l’IIHF il y a 5 semaines, sur la pression des pays européens. Que les USA ont annoncé leur équipe le 1er janvier déjà ?

    Du reste, si un joueur est dans une méforme complète, l’histoire nous dit que le plus souvent on peut lui trouver une blessure qui permet de le remplacer à la dernière minute.

    Un papier mille fois plus intéressant serait de raconter l’agonie de Steve Yzerman, GM des Tampa Bays Lightning, mais aussi de l’équipe olympique canadienne, qui a du appelé son protégé Martin St Louis, qui dispute une saison étincellente et qui porte l’équipe de TB depuis la blessure de Stamkos, pour lui annoncer qu’il n’était pas retenu dans l’équipe du Canada. Si le Canada ne remporte pas l’Or, cette non sélection sera discutée encore très longtemps.

    Pourquoi est-ce que les Suisses seraient plus désavantagés que toutes les autres grandes équipes du monde ? Comme tu le relèves très justement, le travail de Simpson est beaucoup plus simple que celui des sélectionneurs des grandes équipes, qui ont des choix cornéliens à faire: Voir le Canada, qui ont laissé à la maison en plus de Saint-Louis,Giroux, Thornton, Couture, Ignila, Lucic, Marchand et bien d’autres …

    De toute façon EF nous a habitué depuis longtemps, en ce qui concerne le hockey en tout cas, à rédiger des papiers où son incompétence est à la hauteur de sa prétention.

    Et qu’un tel plouc (presqu’aussi plouc que Massimo Lorenzi à la RTS) soit chef de la rédaction sportive est symptomatique de tout le reste, même si heureusement l’arrivée au Matin de Cyrille Pasche a relevé quelque peu le niveau pour la couverture du hockey.

    Merci pour cet éclairage !

  2. Que d’énergie perdue pour un papier sans intérêt. Il faut vraiment être maso pour s’acharner avec autant d’exagérations mêmes pas drôles sur un individu qui n’en vaut pas la peine. Enfin, il faut bien relancer de temps et temps la campagne anti-Le Matin et rappeler au bas peuple à quel point les rédacteurs de CR sont supérieurs au bas peuple qui lit ce journal.

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