L’Histoire sans fin

Le Lausanne Hockey Club n’en finit plus de défier l’entendement. Cinq jours après avoir été donnés pour mort après une défaite 1-7 sur leur patinoire, les Lausannois reviennent à 3-3 contre la meilleure équipe du pays dans un Malley enfin retrouvé et s’offrent un septième match décisif au Hallenstadion. Où s’arrêteront-ils ?

Je l’ai parfois appris à mes dépens, certains de nos lecteurs vénèrent le « supporter » opportuniste et événementiel et se vexent à la moindre critique à son égard. Alors je vais céder à cette mode admirable : je n’ai rien écrit sur le LHC de toute la saison, sinon pour critiquer, et voilà que je ressurgis en sournois pour célébrer la plus belle victoire de l’année. Pourtant, je t’assure que je n’ai pas revendiqué cet article et n’avais pas la moindre intention de l’écrire. Mais j’ai aperçu mon éminent collègue préposé audit texte en train de remonter l’escalier du bloc D d’une démarche mal assurée, s’équilibrant à l’aide de ses deux gobelets de Coca et du liquide suspect qui s’y trouvait. Avant de venir m’asséner d’un ton péremptoire « Hytönen (ndlr : impliqué sur tous les buts lausannois et élu homme du match) on l’a vraiment pas vu ce soir ! ». J’ai donc pensé que, si on voulait avoir un article sur ce LHC – ZSC avant le début de la saison prochaine avec un score correct, il fallait que je me sacrifie pour la patrie et joue les pompiers de service.  

Mieux vaut tard que jamais

Enfin !!! Il aura fallu attendre les play-offs pour qu’enfin Malley redevienne le chaudron magique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Certes, les chœurs sont moins diversifiés qu’à l’époque et l’annonce du nom des joueurs, que dis-je des héros, reste un peu timide mais les chants les plus connus claquent vraiment bien et le virage est et les tribunes latérales – VIP compris – n’attendent qu’une étincelle pour se joindre au kop. Depuis le début de cette série contre Zurich, surtout lors des actes IV et VI, le public lausannois s’est enfin souvenu pourquoi il n’y a pas si longtemps il s’arrogeait le titre de meilleur public de Suisse, d’Europe, de la Planète et de l’Univers, dépositaire unique de la Passion™. Il y a même un semblant de tifo, bien que l’annonce du sponsor qui finance l’opération gâche un peu le truc.
Je vois déjà nos jeunes néo-inculqués venir nous expliquer que l’ambiance de feu de cette série contre le Z valide la politique mercantiliste des maîtres du LHC. C’est bien sûr archifaux. Tous ceux qui ont un minimum d’expérience des stades et patinoires savent que, dans un contexte exceptionnel, même les congélateurs les plus frigides peuvent se transformer en chaudron, j’ai déjà vu des ambiances incroyables à l’Olimpico romain, à l’Olympiastadion berlinois et même… à la Pontaise.
Au contraire, la folie de ces dernières soirées démontre l’importance du septième homme et le plaisir décuplé qu’il y a à suivre un bon match de hockey dans cette atmosphère-là plutôt que dans l’ambiance d’enterrement qui a prévalu durant la majeure partie de la saison en Malley. On espère donc, sans vraiment y croire, que Sacha Weibel et consorts auront l’intelligence d’infléchir leur politique et d’effectuer les aménagements indispensables pour que l’esprit de ces matchs contre le Z perdure au-delà du contexte survolté, unique et occasionnel d’une série d’ores et déjà, quelle que soit son issue, entrée dans l’histoire, mais aussi pour des affiches et contre des adversaires moins exaltants. Car ce n’est jamais dans les moments d’euphorie que l’on reconnaît la vraie qualité d’un public. Promis, j’arrête de t’embêter avec cela mais j’ai été tellement souvent interpellé là-dessus lors de mes dernières apparitions à Malley ou lors de divers repas de soutien (les joies de mon métier…) qu’il fallait que j’en touche deux mots.  

 

Jeu égal

Si je ne collectionnais pas religieusement mes abonnements, pour me souvenir des bons et moins bons moments et accessoirement les exhiber devant une caméra tous les vingt ans, j’aurai probablement jeté celui de cette saison 2013-2014 après le match IV et le 1-7 de mardi, tant la différence de classe entre les deux formations semblait considérable. J’avais tendance à considérer le discours lausannois en mode « l’écart n’est pas si grand, nos erreurs ont facilité la tâche de Zurich mais on peut relever la tête comme on l’a fait après la canne cassée d’Hytönen contre Genève » comme de la méthode Coué. Et pourtant, ils l’ont fait ! En allant gagner jeudi au Hallenstadion puis samedi. Certes, les ZSC dominent le premier tiers, il faut un Cristobal Huet une nouvelle fois impérial pour garder le LHC dans le match mais ce n’est pas non plus le siège en règle tant redouté. En dehors d’un solo de Nilsson annihilé de justesse, la Paradesturm Nilsson – Cunti – Wick est parfaitement neutralisée et les Vaudois profitent de la moindre occasion pour placer quelques banderilles en direction de la cage adverse, si bien que la parité au terme du premier vingt n’a rien d’usurpé.    

Deuxième tiers de feu

Ce sera encore mieux au 2e tiers : Lausanne prend clairement l’ascendant ! Il y a un premier coup de semonce avec un missile de Genazzi dévié par Flüeler sur son poteau. On sent le grand dominateur de la saison régulière dans ses petits patins et, après trois sorties de zone zurichoises aléatoires, une erreur du toujours aussi peu rassurant Lukas Flüeler permet à Juha-Pekka Hytönen de servir Benjamin Antonietti pour faire exploser une première fois le chaudron d’un back-hand à l’aveugle. Si elles ne s’en étaient pas encore aperçues, les vedettes zurichoises commençaient à se rendre compte dans quelle galère elles s’étaient embarquées en ne concluant pas la série lors du match V à domicile. 

On aura quelques craintes lorsque, en à peine plus d’une minute, les éléments clés que sont Daniel Bang (touché sur le banc par un puck dégagé par un coéquipier) et John Gobbi (victime d’une vilaine charge de Bergeron) regagnent prématurément les vestiaires. Mais il y avait plus de peur que de mal et les deux joueurs réintégreront l’alignement au début du 3e tiers. Dans l’intervalle et malgré un power-play décapité par ces deux absences momentanées, le LHC a profité de la méconduite justifiée infligée au blueliner canadien des Lions pour doubler la mise sur un tir complètement manqué de Juha-Pekka Hytönen qui finira au fond des filets après deux déviations improbables. Le genre de but où tu te dis « ce soir, on ne peut pas perdre ». Et on n’a pas perdu ! Il y a bien eu une grosse pression zurichoises au troisième tiers, quelques situations épiques après la réduction du score à la pioche de Patrik Bärtschi mais Lausanne a tenu bon, avec les armes qui sont les siennes : une organisation sans faille rodée par une saison en mode play-off depuis septembre, un gardien en état de grâce, une concentration maximale, l’absence de toutes fioritures et une abnégation de tous les instants.

Ehlers vs. Crawford

L’écran géant peut parfois nous horripiler (kiss cam) mais il présente aussi l’avantage de quelques gros plans révélateurs sur l’attitude des deux entraîneurs. D’un côté, il y a Marc Crawford, ancien enfant prodige de la ligue la plus relevée du monde, vainqueur de la Coupe Stanley, coach des prestigieux Nordiques de Québec, Avalanche du Colorado, Canucks de Vancouver, Kings de Los Angeles et Stars de Dallas, qui emmena la Canada de Roy, Brodeur, Bourque, Gretzky, Lindros et autres Yzerman aux JO de Nagano. De l’autre, on a Heinz Ehlers, obscur ressortissant d’une nation mineure du hockey sur glace que la carrière d’entraîneur a mené dans des vieux hangars délabrés comme la Gravière de Biel et ses cailloux ou le Schoren de Langenthal et sa forêt.
Mais, depuis le début de la série, le Canadien est démonstratif, colérique, polémiste, fébrile (son interminable temps mort d’hier), célèbre chaque but comme si son équipe venait enfin de battre Dominik Hasek en 1/2 des JO 1998 et ne paraît pas trouver de solution au problème posé par le petit néo-promu. En face, le Danois conserve son air revêche, jamais l’air satisfait mais, comme son assistant John Fust, reste zen presque en toute circonstance et n’affiche quasiment aucune émotion, comme si tout ce qui arrivait d’incroyable à son équipe était normal, attendu, avec une confiance absolue dans son plan de jeu. Mais quelques esquisses de sourire goguenard me laissent à penser qu’au fond de lui, Heinz Ehlers est mort de rire du bon tour qu’il est en train de jouer et qu’il savoure avec délectation le moment présent. Au final, mardi soir, peut-être que finalement, c’est la star aux émoluments somptuaires qui aura le dernier mot mais, gageons qu’à la veille de cet acte décisif, l’un de ces deux entraîneurs trouvera plus facilement le sommeil que l’autre.  

L’Histoire est en marche

Mardi soir, toute la pression sera sur les épaules du rouleau compresseur zurichois qui ne voudra pas rejoindre dans les annales Lugano (sorti par Berne en 2005) et Berne (par Fribourg en 2008 et Zoug en 2009) comme vainqueur de la saison régulière sorti en 1/4 par le huitième. Et ce serait d’autant plus infamant contre un néo-promu qui n’aura, c’est un euphémisme, strictement rien à perdre pour prolonger son Histoire sans fin mais pas sans faim. Car le LHC n’est pas rassasié, comme en témoigne l’attitude des joueurs lausannois après la victoire de ce match VI : ils se sont contentés d’une ola mais sont ensuite restés sourds aux rappels admiratifs de leurs partisans. Le message était clair : il est prématuré de prendre congé, on a gagné une bataille, c’est tout, mais on veut aussi gagner la suivante qui pourrait permettre de remporter cette guerre-là.
Jean-Luc Mélenchon était scandalisé par la décision avisée du peuple suisse qui refusait les deux semaines de congé supplémentaires qu’on lui offrait. On imagine que le clown démago avalerait son micro devant un troupeau de fonctionnaires du ministère de l’éducation nationale si on lui contait l’histoire de ces mecs, qui, après avoir déjà dépassé depuis belle lurette tous les objectifs qui leur étaient assignés, déployaient un zèle inouï et se tuaient à la tâche pour repousser leur départ en vacances. Cela fait tellement longtemps que l’on attend une équipe avec un tel d’esprit à Lausanne que l’on rêverait presque de voir l’aventure se prolonger au-delà de mardi. Même si on est conscients que cela ouvrirait la voie (revers de la médaille) à un titre de Gottéron ou Servette. A moins que Lausanne… Après tout, une équipe qui a réussi, entre autres prouesses, à réveiller et à faire entrer en ébullition le Malley version Sacha Weibel (j’ai menti, je n’en avais pas tout à fait fini avec ça) n’en est plus à un exploit près. 
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Lausanne Hockey Club – ZSC Lions  2-1 (0-0, 2-0, 0-1)

Malley, 8‘000 spectateurs (guichets fermés).
Arbitres : MM. Kämpfer et Kurmann, assistés de MM. Arm et Küng.
Buts : 27e Antonietti (Hytönen, Bang) 1-0, 39e Hytönen (5c.4) 2-0, 46e Bärtschi (McCarthy, Geering) 2-1.
Lausanne : Huet; Gobbi, Leeger; Lardi, J. Fischer; Stalder, Genazzi; Reist, Seydoux; Antonietti, Hytönen, Bang; Setzinger, Genoway, S. Fischer; Neuenschwander, Froidevaux, Augsburger; Conz, Savary, Déruns.
Zurich : Flüeler; Stoffel, Bergeron; Geering, McCarthy; Blindenbacher, Schnyder; Hächler; Keller, Shannon, Schäppi; Bärtschi, Trachsler, Kenins; Nilsson, Cunti, Wick; Künzle, Fritsche, Bastl; Baltisberger.
Pénalités : 3 x 2’ contre Lausanne, 1 x 2’ + 1×5 et match (Bergeron) contre Zurich.
Notes : Lausanne sans Bürki, Morant (blessés), Fleury, Primeau ni Gailland (surnuméraires) Zurich sans Seger (malade) ni Tabacek (surnuméraire).

Écrit par Julien Mouquin

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9 Commentaires

  1. « Grosse charge de Bergeron sur Gobbi » dis-tu Mouquin ? Quand tu seras grand et que tu auras vu suffisamment de vrai hockey, tu comprendras !… Jusque là, on va devoir malheureusement supporter tes approximations. Tu es au journalisme sportif ce que Benny Hill est à la science !

  2. @Paul va te prendre une charge comme Gobbi hier soir et on en reparlera. Ce n’était clairment pas la plus grosse charge de l’histoire du hockey je suis d’accord mais de ça a ton commentaire ….

  3. Pas d’accord sur tout mais dans l’ensemble bel article et très bien écrit comme d’hab avec Mouquin. Pour une fois qu’il écrit pas pour cracher son venin sur le sport business (je le comprend un peu) ou sur le Barça (là je le comprend beaucoup et je suis d’accord avec lui).

    Mais bref. Je pense pas avoir vu des gens faire l’éloge des supporters opportunistes par ici. C’est vrai que les intérimaires de sortie ont parfois une attitude déplorable. Exemple, devant moi une touriste avec son écharpe Winter Classic a refuse à un gamin mesurant 1m10 de se mettre devant elle contre la barrière sous prétexte qu’elle était là « depuis 6 heures ». En dehors de ces quelques blaireaux, il y a aussi de futurs fervents supporters du LHC (oui faut être un minimum optimiste). Après tout on a tous été un intérimaire un jour ou l’autre non ? Et puis pour l’ambiance de Malley je suis pas tout à fait d’accord non plus. Il y a bien eu un seul et unique match où j’ai fini avec des acouphènes qui ont duré quelques heures. C’était lors du dernier derby à domicile contre le GSHC. Après oui c’est un derby, c’est différent et on peut imaginer que le CIGM aurait fini en champ de ruines si cette série se jouait contre les Genfois. Mais ça c’est une autre histoire.

    Pour l’équipe rien à dire de plus. Incroyable. Bien sûr que c’est « que du bonus » maintenant mais tant qu’on y est on va pas se gêner pour renvoyer l’équipe à 30 millions en vacances.

    On pourrait débattre 1000 fois sur Setzi et son style de patinage absolument hideux à voir jouer (sujet sensible partout), sur Monsieur #5 qui ne marque pas, sur la 3e ligne offensive qui ne marche pas assez bien etc… Mais faut dire que cette équipe joue comme une équipe. Avec les moyens du LHC, former une équipe tournée vers l’offensive aurait été une erreur. Beau travail de tout le staff technique.

    Le point sur cette série (et saison si on veut) :

    J’ai aimé :

    – Hytönen et Bang. Le premier n’est ni un as de la vitesse de patinage, ni des briques balancées depuis la ligne bleue mais nom de bleu il est partout où il faut offensivement et défensivement (en box play surtout) son jeu devant la ligne bleue est juste hallucinant.

    Le second a été très critiqué à tort. Un bulldozer à l’image de l’équipe, pas très technique, pas spectaculaire mais incroyablement utile en PP et surtout : décisif.

    – Le staff technique. Déjà dit mais ils méritent bien quelques éloges de plus.

    – Les questions sms de cette série. Weibel & Co analysent tellement bien Malley que pour cette série ils ont sorti les questions spéciales intérimaires qui m’ont bien fait rire. J’ai presque cru que c’était du CR. Entre « Codey Bürki a une double nationalité : « Suisse-Chilienne ou Suisse-Canadienne », « Quelle année a été fondé le LHC » et « De quelle couleur est le maillot du LHC à l’extérieur » y’avait de quoi faire passer n’importe lequel bobet pour un docteur ès LHC.

    – L’ambiance lors de la raclée de l’acte IV qui a même été saluée par les Zurichois (faut dire qui leur en faut pas beaucoup vu se qu’ils se tapent comme « chaudron » chez eux). En dehors de toutes les moqueries, les haineux pourraient au moins reconnaître que le public lausannois n’oubliera certainement jamais toutes les galères passées. Il ne passera donc pas son temps à râler sur le nombre de matchs de NHL minimum requis par ses futures recrues. Ce match en était la preuve.

    J’ai pas aimé

    – Cette chèvre ultime qui est responsable de la comm des ZSC Lions qui transpirait la rage après l’acte V et qui a qualifié le match du LHC d »inexistant offensivement » sur la page Facebook du club. Même si c’est pas forcément faux autant se la coincer. Quand on a une équipe comme Zürich c’est un peu gonflé de chercher les coupables dans le supposé anti-jeu du LHC.

  4. Suggestion pour mardi : après la désillusion du grand Z, le directoire du LHC offre un « bouchon vaudois » à tous les zürcher, un peu de douceur leur fera le plus grand bien !

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