La coupe est pleine, fermez la ligue

En Amérique du Nord, la National Hockey League (NHL) est ce que l’on appelle communément une ligue fermée. Ses 31 équipes (bientôt 32 avec l’addition de Seattle en 2021) luttent tout au long d’une saison régulière riche de 82 matches pour atteindre les playoffs et ainsi avoir une chance de soulever la Coupe Stanley. 16 d’entre elles y parviennent chaque année. Les 15 autres sont en vacances. Oui, oui, en vacances. Les concepts barbares de playouts et de relégation si chers au HockRRRRRReygott Kevin Schläpfer n’existent pas outre-Atlantique. Et pour cause. Hier vous lisiez un plaidoyer en faveur du statu quo dans nos colonnes. Aujourd’hui Carton-Rouge, aussi imprévisible qu’un tir du poignet zougois en power play, se fait l’avocat du diable et défend la position inverse à coups d’arguments-massues.

La draft, le salary cap et l’égalité des chances

En NHL, les franchises qui ne se qualifient pas pour les séries finales ne subissent pas le sort habituel de Fribourg Gottéron et leur désormais célèbre chenille dans notre pays. En effet, leur saison s’arrête tout net. Cet état de fait a de multiples avantages. Premièrement, une fois mathématiquement éliminées, ces formations peuvent commencer à reconstruire et préparer la/les saison(s) suivante(s) (en donnant du temps de jeu à des jeunes par exemple) au lieu de devoir prendre tous les risques (notamment financiers) pour éviter la culbute dans un futur immédiat, le tout sans aucune garantie de réussite et au détriment de l’avenir à long terme. Les ex-Kloten Flyers et leur grounding digne des locataires principaux de leur aéroport en savent quelque chose. Deuxièmement, la « NHL Entry Draft » (le Repêchage d’entrée dans la LNH en québécois dans le texte, à prononcer impérativement avec l’accent à couper à la lame de patin de Steve Huard) permet aux clubs qui n’ont pas eu accès aux playoffs la saison précédente de se partager les 15 premiers choix, l’ordre de ceux-ci étant décidé par une loterie (un peu comme le choix des gardiens à Davos). Autrement dit les 15 espoirs entre 18 et 21 ans les mieux cotés au monde. Ajoutez Sidney Crosby (1er choix 2005) et Evgeni Malkin (2ème choix 2004) ou Patrick Kane (1er choix 2007) et Jonathan Toews (3ème choix 2006) à des équipes en perdition et vous leur donnerez autant de chances de décrocher le Graal qu’à un club suisse-allemand de remporter le titre de National League. La différence entre les Pittsburgh Penguins, les Chicago Blackhawks et les cadors alémaniques de notre pays est qu’il est nettement moins aisé de transformer les titres en chasse gardée pour l’éternité dans le cas des premiers nommés. En effet, la NHL est pourvue d’un plafond salarial (salary cap dans la langue de Gretzky) dont le but est d’empêcher les organisations dont le marché serait plus lucratif que les autres ou dont le mécène serait particulièrement généreux de mettre sous contrat la plupart des meilleurs joueurs et d’ainsi asseoir leur hégémonie sur la ligue. Contrairement à certains sports mineurs dont nous tairons le nom, cette règle est non négociable et appliquée à tous, Qatariens inclus. Le Triumvirat Berne-Zurich-Davos (même si Zoug semble sur le point de l’intégrer en poignardant son père spirituel bernois), nommés dictateurs à vie dans le championnat suisse, ne serait donc pas chose possible sous ce régime. On en veut pour preuve les 12 champions différents en 20 ans en NHL contre… 4 sur la même période sous nos latitudes. Même si les représentants canadiens de la grande ligue (bien aidés par le taux d’imposition de leur pays qui ne fait rien pour attirer les meilleurs, on vous l’accorde) font tout ce qui est en leur pouvoir depuis 1993 et la dernière victoire d’un des leurs pour prouver le contraire, ce système a fait ses preuves en termes d’égalité des chances. Seule une ligue fermée de ce type donnera une chance à d’autres de concurrencer les multimillionnaires d’outre-Sarine.

Patrick Kane, ancien animateur des folles nuits biennoises, célèbre sa troisième Coupe Stanley avec ses potes.

Une deuxième division de clubs formateurs

La NHL s’appuie sur des ligues mineures (elles aussi étrangères aux concepts de promotion et relégation) dont la principale est l’American Hockey League (AHL) pour développer ses talents et leur donner du temps de jeu avant de les plonger dans le grand bain. C’est le concept du « farm team » ou club ferme dans la langue locale pas toujours bien maîtrisée par les consultants de hockey. C’est exactement la fonction qu’il faut appliquer à la Swiss League. Oui, en toute logique, la Swiss League est l’antichambre de l’élite qu’est la National League, qui elle-même n’a rien à voir avec la National Hockey League de l’autre côté de la gouille. Franchement, on est tout simplement extatiques depuis que notre solide candidate au Pigeon d’or de mars Manuela Hess et ses sbires communicationnels ont décidé de simplifier les notions excessivement complexes de Ligue Nationale A et B. Parenthèse refermée. En Swiss League donc, depuis que Biou, le LHC, Langnau et Rapperswil ont (plus ou moins pour certains) fini de jouer à se faire peur en avril, seuls Kloten et Olten semblent mollement revendiquer une place à l’étage supérieur. Pour les autres, c’est « La Vérité si je mens » dans le cas de La Tchaux et ses prétendues ambitions qui servent à attirer des fidèles qui croient aux miracles aux Mélèzes, véritable Vatican des montagnes neuchâteloises (il suffit de voir Serge Pelletier bégayer quand on lui demande si les Abeilles auraient butiné jusqu’au barrage le cas échéant pour se convaincre), le refus de l’obstacle quelque peu cavalier pour Ajoie et Langenthal et l’ennui mortel pour les autres (sauf à Viège où toute animation après 18h déclenche une liesse générale). Zurich, Zoug, Lugano, Ambri et même Genève (c’est vous dire la simplicité du concept) ont compris à quoi s’en tenir et ont décidé d’utiliser cette ligue pour y engager un club ferme, histoire d’offrir à leurs espoirs un échelon intermédiaire pour combler le véritable gouffre qui existe entre les Juniors Elite et la première division en termes de rythme et de niveau. Il n’y a donc aucune raison de ne pas faire de la National League une ligue à 14 équipes en incluant deux Bourbines de plus (on ne les compte plus de toute façon) et de redonner à la Swiss League une vraie raison d’exister en la dédiant à la formation.

Kevin Schläpfer et le Eh-Ha-Tsé Biou à la grande époque de la LNB.

Le cirque des playouts

Les mesures proposées plus haut nous éviteraient ainsi à tous un simulacre de post season. Les playouts, dans leur forme actuelle le plus souvent dépourvue d’enjeu et de suspense, ce fameux tour de classement dont le glamour et l’absence de lutte pour un titre quelconque n’ont rien à envier au compte Instagram et à la carrière d’Eugénie Bouchard, ont tout simplement touché le fond cette année. En effet, il a fallu jouer 12 rencontres qui, on le savait d’avance, n’allaient avoir aucune incidence sur le classement des équipes engagées dans un premier temps. Une série de 5 matches au suspense intrinsèque aussi élevé que la cote d’Anders Lindbäck sur le marché la saison prochaine a dû ensuite être disputée entre les deux cancres de la ligue dont on connaissait le nom depuis le mois de novembre, le tout pour que le SC Langenthal fasse part de sa décision de ne pas jouer le barrage de promotion-relégation à la dernière minute. On comprend le timing, les Hauts-Argoviens ont certainement compris en regardant ce Davos-Rapperswil de haute volée que même en jouant sur un patin, ils risquaient de ne pas réussir à assurer la défaite qui les sauverait d’une faillite certaine en National League. Le fond, lui, est symptomatique d’un système qui est devenu aussi compréhensible et fonctionnel que la structure du discours d’Antoine Descloux sur le plateau de MySports. Et honnêtement, on ne vous dira pas que l’époque où le 9e du classement au bord de la dépression nerveuse pour avoir raté les playoffs pour un point devait se coltiner la lanterne rouge en mode économie d’énergie depuis le mois d’octobre était beaucoup plus reluisante.

Soulever la Calder Cup a l’air sympa aussi, même si les fans des St. John’s IceCaps ne sont pas forcément restés pour assister au sacre adverse.

Le titre, une fin en soi

Quid des semi-ambitions des habitants de l’Arc jurassien qui préféreraient annuler la Saint-Martin et la Fête des Vendanges plutôt que d’accepter une alliance avec les voisins romands de National League en tant que club-école, mais qui ne peuvent pas se permettre d’aller leur disputer la suprématie régionale à l’étage au-dessus (et ils en sont loin, faut pas déconner) ? C’est une question qui ne manquera en effet pas d’être posée. Ils joueront pour le titre de champion suisse de deuxième division, pardi. Les jeunes loups et les baroudeurs qui guerroient en AHL le font pour une place au soleil de la plus grande ligue du monde, mais les clubs de cette ligue mineure ont également une fan base (oui, oui, même le H-E-B Center de Cedar Park, Texas est souvent bien garni) qui ne va pas faire des heures de voiture pour aller voir le grand frère et une raison d’être qui leur est propre, indépendamment des joueurs qui font l’ascenseur entre les deux ligues : gagner la Calder Cup, un titre à part entière qui met un terme à la saison sans être réduit à un simple pas en direction d’une hypothétique promotion. Il n’y a pas de raison que le titre de Swiss League n’obtienne pas le même statut au-delà de l’hypocrisie actuelle qui mène à un barrage qui a autant de sens que demander au prolixe capitaine courage Mathieu Tschantré de dresser un bilan de la saison biouloise devant une caméra dix minutes après avoir perdu toutes ses illusions dans un 7e match décisif. D’ailleurs si on pouvait changer le design des abat-jours géants qui servent de trophées à nos trois premières divisions en même temps qu’on met en place cette réforme dont la pertinence a déjà été saisie bien au-delà de notre rédaction et débattue dans la presse et le podcast le plus connu de Suisse francophone, ce serait vraiment top.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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