National League : l’ascenseur est bloqué…

Ce samedi devait débuter la série de promotion-relégation pour l’accession en National League. Sauf que cet affrontement n’a pas eu lieu car le SC Langenthal, champion de Swiss League, n’a pas les infrastructures pour monter à l’étage supérieur. Panne d’ascenseur donc. Et cela ne sert à rien d’appeler les mécaniciens de chez Otis puisque le club bernois, qui devait défier Rapperswil, n’aurait visiblement même pas les moyens de les payer. Une annulation embarrassante qui permet aux partisans d’une National League fermée de ressortir du bois. C’est dans l’air du temps, paraît-il. Mais cet air est-il si Splendid ? SOS, détresse, amitié, bonjour.

Le suspense aura duré presque aussi longtemps qu’une série Zoug-LHC. Seulement deux jours après avoir soulevé le très artistique trophée de Swiss League, le SC Langenthal a publiquement annoncé son intention de ne pas briguer la promotion. Ni une, ni deux, la ligue lui a emboîté le pas en annulant le barrage de promotion-relégation. Sens de la communication étrange et surtout déception extrême pour les fervents amoureux de Rapperswil qui se voient privés des matchs les plus intéressants de la saison.

Mais si cette annulation a engendré de nombreux échos dans la presse romande et sur les réseaux pas toujours sociaux, ce n’est pas pour le supposé intérêt sportif de cette confrontation dans nos contrées. Honnêtement, un affrontement Langenthal-Rappi ça intéresse qui par ici ? A peu près autant de monde que l’attention portée à un Sierre-Red Ice Valais-Chablais-Martigny-Fully-Région dans le canton de Saint-Gall. Toutefois, en voyant les noms de Brent Kelly et de « Big moustache » Primeau  sur la feuille de match, quelques fans lausannois auraient pu se rappeler des douceurs nostalgiques d’un mardi soir de LNB face à Olten devant 3’800 irréductibles en essayant d’oublier que la nouvelle ère, c’est de siffler ses joueurs après vingt-huit minutes de playoffs. Les amateurs de bières locales auraient aussi pu y trouver leur compte en s’abreuvant à la Schützengarten dans les travées de la St. Galler Kantonalbank Arena (Lido pour les intimes) plutôt qu’aux infâmes Calanda coupées à l’eau dont ils ont l’habitude ailleurs. Enfin, on suppose que tous les xénophobes du pays auraient pris leur pied devant ce barrage puisque trois moutons étrangers par équipe, c’est quand même bien plus sympathique que quatre. Mais rien de tout ça n’a eu lieu.

 

La Calanda 2.0 saint-galloise

Disons-le d’entrée, cette fin en queue de poisson fait extrêmement tache et une réflexion doit être menée en profondeur. Observer des équipes s’écharper une année entière pour finalement voir la formation qui les a battues refuser de viser le Graal ultime, c’est conceptuel. Un peu comme se qualifier au deuxième tour d’une élection cantonale mais finalement y renoncer. Dans les deux cas, la peur du vide, de la claque rédhibitoire. Pourtant, il est difficile de reprocher quelque chose au SC Langenthal même si son antre du Schoren a davantage des allures d’anciennes halles CFF en voie de démolition que d’une patinoire, même 1.0. Son effectif est complet, équilibré entre vieux briscards pas tous bons (coucou Robin Leblanc) et jeunes pousses talentueuses. Reste que le club, en mode « catenaccio » des grandes années, ne souhaite pas prendre de risques, faute d’infrastructures, puisque leur projet de nouvelle patinoire a été abandonné, faute de sponsors assez importants et sans doute faute d’un bassin de population et de supporters suffisants. Le club n’a pas pour ambition de viser l’échelon supérieur et l’arrivée de Kevin Schläpfer en tant que nouveau directeur sportif jusqu’en 2023 vous donne surtout une indication assez précise du nombre d’offres intéressantes que le « Hockey-Gott » a dû recevoir.

Les anciennes halles CFF de Langenthal

Il n’en demeure pas moins que cette situation est rocambolesque. Et depuis quelques jours, la question d’une fermeture de la National League, certifiée AOC NHL, est remise sur la table. Aujourd’hui, selon les bruits de couloirs, seuls Kloten et Olten auraient les moyens économiques pour viser une promotion pérenne. On ajoutera peut-être La Chaux-de-Fonds et Ajoie en cas de conjoncture économique favorable, ce qui, selon les dernières études, arrive une fois tous les 27 ans. La solution proposée qui revient le plus souvent ? Une National League fermée à 14 équipes, dirigée à la façon d’un videur de boîte nuit peu compréhensif, avec des formations qui se battraient uniquement pour le titre et qui ne risqueraient pas la descente.

Risque et punition

Cette « NHLisation » du championnat suisse contient cependant plusieurs fonctionnements curieux. Tout d’abord, quand on instaure un quota d’heureux élus, on est forcément partie prenante. On cautionne l’élitisme lorsque l’on fait partie du gratin, c’est normal. Qui aujourd’hui dans les clubs de National League s’opposerait à ce nouveau fonctionnement ? Personne et c’est bien normal. Lisez-ici : on peut essayer chaque année de se battre pour le titre et même si par malheur son directeur sportif canadien se foire ou que l’on engage une passoire suédoise dans ses buts, rien de grave, on recommencera l’année suivante, sans craindre la punition extrême.

Le risque, voilà un facteur intéressant et totalement absent de cette réforme. Que mérite-t-on lorsque l’on ne remplit pas ses objectifs, que l’on est aussi bon que Choupo-Moting face à un but vide ? Visiblement une deuxième chance, une troisième, puis une quatrième, etc. Même Toto qui redouble à l’école se ferait virer avant le cancre de National League. Mais le risque, c’est pas bon pour la pérennisation des sponsors, pour les droits TV et pour les actionnaires.

Et le mérite sportif ?

L’idée ici n’est pas de souhaiter le malheur au bonnet d’âne mais de poser la question du mérite. Que mérite-t-on quand on foire ? Ou lorsque que l’on travaille bien ? Car le mérite, c’est aussi valable pour celui qui est censé monter. Pourquoi les candidatures de Kloten et Olten devraient être acceptées sous prétexte que ces clubs ont des infrastructures et des moyens financiers ? Pour l’instant, on remarque surtout que les banlieusards zurichois utilisent leurs grands moyens de manière aussi maligne que le LS et le PSG réunis. Une pauvre cinquième place au classement et une claque 4-1 infligée par Langenthal en quarts de finale. Ça fait tache sur un CV. Mais le DRH d’une hypothétique National League fermée n’en aurait visiblement rien à carrer. Les fameux pistons, sans doute.

Fermer l’élite c’est également se demander ce qu’il adviendrait de certains clubs qui se construisent sur la durée. Genève s’est structuré au début des années 2000, le HC Bienne sur la fin de cette même décennie. Sur ces modèles, pourquoi une ville comme Bâle ne renaîtrait pas de ses cendres ? Et si le Valais présentait une équipe ambitieuse ? Et la nouvelle patinoire ajoulote, permettrait-elle au club de viser plus haut ? On nous répondra sûrement que sur candidature, les équipes avec des moyens suffisants pourraient être intégrées, comme les enfants de Felicity Huffman. Mais franchement, cette manière de fonctionner au seul critère économique, ça pue le l’odeur de franchise avec des relents de cheeseburger indigeste.

Frissons

Car en voulant imaginer une National League calquée sur la NHL, il ne faut pas oublier un détail : la question des supporters, de leur identité (pas celle que la Ligue veut suivre à la trace) et de leur attachement à un club. Même si un certain basculement vers le supporter-consommateur est réel en Suisse, la base la plus conséquente des fans a une profonde attache au club de sa région de toujours ou d’adoption, par la proximité géographique ou par le cœur. Le constat est le même en National League, en Swiss League ou au HC Saint-Imier. Le modèle « franchise » paraît culturellement difficilement applicable dans nos contrées. Mais surtout, le nerf de la guerre c’est l’équilibre à trouver entre économie et émotions. Demandez aux fans emmentalois, saint-gallois, zurichois du pauvre, lausannois et peut-être même biennois quelle a été leur émotion récente la plus forte (positive ou négative) sur ces dernières années ? Assurément les frissons d’un barrage promotion-relégation, que seule une finale pour le titre suprême peut surpasser. La peur au ventre, la rate qui se dilate, la tension, le chie-froc, l’exultation ou la tristesse sont des sentiments que tous les fans doivent pouvoir avoir la chance de connaître. Couper les barrages, c’est les priver de cela. Pour reprendre un petit frisé célèbre dont le cœur fragile n’aurait peut-être pas résisté à la tension de ces mêmes barrages : c’est peut-être un détail pour vous, mais pour eux ça veut dire beaucoup. Voir même tout.

Enfin, terminer cet article, c’est aussi préciser qu’on l’écrit sans trop y croire. Et réaliser que verser dans le « c’était mieux avant » à vingt-cinq piges, ça fait légèrement flipper. La National League fermée va arriver, cela parait inéluctable. Mais on a également le droit de craindre cette évolution pas si progressiste que cela, comme on craint la prochaine réforme de la Ligue des Champions, la prochaine interview de Laurent Strawson ou la prochaine décision laxiste du juge unique. Comme on craignait l’installation de la VAR et l’allongement des pauses tiers-temps à 18 minutes. Certaines avancées deviennent des habitudes avec le temps, d’autres restent éternellement en travers de la gorge. Ce sont généralement celles qui privilégient le rationnel à la surprise, le canapé au stade, la Calanda à toute autre forme de boisson, l’élitisme à la méritocratie. Ce sont surtout celles qui privilégient le conformisme aux émotions.

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