Pigeon de février 2 : Jonas Junland

Même si personne n’avait encore commencé à faire la chenille dans les travées de la Vaudoise aréna avant la mise en quarantaine du hockey suisse, on sentait que la moindre anicroche supplémentaire pouvait convaincre toute la Section Ouest de se mettre à cette activité si populaire l’an dernier à la même époque sur les rives de la Sarine. A ce stade d’une saison qui ne trouvera peut-être jamais son épilogue pour cause de pandémie, les coupables à pointer d’une plume acerbe sont potentiellement nombreux. A Carton-Rouge, on a préféré se montrer bassement réactionnaire et se tourner vers le passé et notre barbe-émissaire favori, celui qui a mérité l’insigne honneur d’inaugurer sa propre rubrique dans nos articles, tel un Pierre-Alain Dupuis des glaces.

On aurait tout aussi bien pu nominer Jan Alston, Ville Peltonen, le coronavirus ou l’un ou l’autre des joueurs surpayés du club qui sous-performent depuis des mois, comme l’a fait la rédaction de Sport-Center la semaine dernière (avec une pertinence relative selon les cas). Mais au contraire de Jonas Junland, qui a préféré quitter définitivement un navire en perdition qui l’avait déjà jeté par-dessus bord en pleine tempête, ils ne perdent rien pour attendre. Surtout les deux premiers nommés. En effet, l’essor du COVID-19 et son cortège de citoyens paranoïaques risque de limiter les mouvements hockeyistiques du plus bavard des ex-directoires de Romandie. Et soyons clair, il aurait été dommage de laisser s’envoler notre duva d’or sans le couvrir de goudron et de plumes (supplémentaires) au préalable pour l’ensemble de son œuvre.

Si on en parle avec insistance, c’est que nos deux lascars susmentionnés ont fait les frais de ce désormais fameux coup de balai du jeudi 27 février au sein du management sportif du LHC qui a eu le mérite de faire passer la psychose causée par le franchissement de la frontière d’une non moins fameuse grippette au houblon au second plan. Raison de plus donc pour repousser la mise au pilori du duo canado-finlandais dont le départ avec effet immédiat nous donnera l’occasion d’évaluer leur impact avec un soupçon de recul – et une chiée de mauvaise foi – en plus lors des prochains mois. D’autant qu’avec l’annulation des playoffs, des championnats du monde, de Roland-Garros, de l’Euro, de Wimbledon, des Jeux Olympiques et du Mondial de pétanque, on risque de devoir passer à une quinzaine de pigeons par mois (on pourra donc facilement en réserver 5 à Cody Almond) pour ne pas se retrouver au chômage technique.

Ce recul dont on vous parlait, on en a un peu en ce qui concerne notre victime du jour, le Ed Sheeran du cercle polaire. Rembobinons. Nous sommes en octobre 2016 et le LHC se félicite dans les colonnes du 24 Heures d’avoir mis l’accent sur la vitesse (!!!) en enrôlant Dan Ratushny à la bande et Jonas Junland en défense au cours de l’été. Presque trois ans et demi plus tard, on admet s’être vigoureusement frotté les yeux et violemment pincé pour vérifier qu’on ne rêvait pas en relisant ces lignes. Comment ne pas répéter le processus en redécouvrant ce portrait de février 2017 dans lequel Rikard Franzén, le coach-assistant de l’époque, décrit son protégé comme une sorte de héros sorti tout droit de la mythologie scandinave ? Lisez plutôt:

« Il n’est pas seulement un leader par ses paroles. A vrai dire, il l’est surtout par ses actes. Jonas est très professionnel, il se remet sans cesse en question, il cherche des moyens de progresser mais également de faire progresser ses coéquipiers, en les conseillant. Et puis, il est le premier à se coucher devant les tirs adverses, à finir ses charges. Il s’implique totalement, que ce soit sur la glace ou en dehors. En fin de compte, il montre toujours le bon exemple. » (24 Heures, vendredi 17 février 2017)

Si, comme la plupart des instagrammeuses attitrées du club, vous avez commencé à vous intéresser au hockey le jour de l’inauguration de la Vaudoise aréna, cette citation doit vous sembler sortie tout droit d’un sketch de Thomas Wiesel lors d’un repas de soutien. A prendre au moins au septième degré (sauf si vous vous appelez Cabral bien sûr). Qu’a-t-il donc bien pu se passer en trois hivers pour en arriver là ? Outre le départ du kamikaze canadien Dan “Banzaï” Ratushny, il est arrivé quelques bricoles au plus lutryen des Suédois.

Le 19 décembre 2018, Barbe Rousse se fracture la clavicule à l’entraînement et reste deux mois sur le flanc. Depuis ce jour funeste, celui qui est devenu la 2CV de Malley après avoir roulé les mécaniques à son arrivée sur les bords du Léman ne sera plus jamais tout à fait comme avant. De force tranquille (pour les plus élogieux), le monolithe de Linköping est devenu un faux lent (pour les plus polis). Celui qui était jusqu’alors parvenu à cacher la misère de ses carences défensives sous sa pilosité galopante (et accessoirement ses prestations offensives) est désormais cantonné dans un rôle à contre-emploi dans le système Peltonen, alors même qu’il peine à revenir à son meilleur niveau après sa blessure. Ledit rôle demande surtout bien plus de rigueur et d’implication physique que lorsqu’il était livré à lui-même dans la zone adverse. Et c’est bien là que le bât blesse très sérieusement pour l’homme dont l’ombre tire désormais bien plus vite que lui. Jusqu’à faire méchamment traîner les discussions qui auraient dû mener à une deuxième reconduction de son contrat qui arrive à échéance à la fin de la saison 2019/20.

Depuis lors, le Chuck Norris de l’Östergötland n’aura de cesse de faire mentir ses laudateurs des années 2016-2018 et de donner envie de se crever les yeux au piolet-traction à ses plus virulents détracteurs. Jusqu’au jour où même son plus fidèle adorateur, celui qui lui passe tout et continue à lui donner 25 minutes de glace par match et tous les rôles en vue dans son casting, Ville Peltonen en personne, décide de le reléguer en tribunes sans autre forme de procès. C’est à ce moment que Junland finit par montrer son vrai visage (enfin façon de parler vu la fraction encore découverte de celui-ci). Moins d’un mois après sa mise à l’écart avant le derby face à Genève-Servette du 19 décembre dernier, la vérité commence tout doucement à faire son chemin. Alors que le joueur semble ne pas comprendre ce qui lui arrive (et accessoirement accuse le directoire lausannois de refuser de le lui expliquer), son entraîneur enfonce le clou, aux antipodes de ce que ses prédécesseurs criaient sur tous les toits de la cité lausannoise trois saisons auparavant :

 « Ce qu’il réalisait, sur la glace comme en dehors, ce n’était pas assez par rapport à ce que requiert aujourd’hui le hockey de haut niveau. A partir d’un certain point, si tu ne réussis pas à progresser sur le plan individuel, tu ne peux pas aider l’équipe. […] Jonas n’est pas passé du tout au rien d’un coup. Les meetings en tête à tête sont fréquents dans ce vestiaire et il en a eues, des opportunités de se mettre en avant. » (24 Heures, mardi 7 janvier 2020)

« Sur la glace comme en dehors » semble lourd de sens. Aussi lourd que l’ex-pilier de la défense des Lions qui commence à être accusé de nonchalance en ce qui concerne sa préparation estivale. Toujours dans les colonnes du plus grand quotidien de l’univers vaudois, des voix d’anciens joueurs (peut-être les mêmes qui louaient les qualités du géant nordique quand ils avaient le casier voisin du sien) commencent à s’élever pour dénoncer son attitude qui semble incompatible avec la vie d’un groupe. Tout cela alors que le principal intéressé continue de nier en bloc quand il ne fait pas tout simplement l’autruche dans le sable des plages du Lavaux (OK, c’est des cailloux, ceci explique peut-être cela).

Le 13 janvier, la rupture est consommée d’un commun accord. Le contrat de Jonas Junland dans la capitale olympique est rompu à trois mois de son terme. Pour que le retour express du Shinkansen de Suède méridionale dans sa ville natale ne soit pas trop amer, Carton-Rouge se propose donc de lui envoyer un pigeon en courrier « A », comme celui qui n’a pas si mystérieusement que cela disparu de son maillot au début de la saison. Le dernier mot quant à sa consécration ultime au firmament de la satire romande te revient, cher lecteur. Si tu hésites à le froisser, son départ du LHC pour un autre LHC (Linköping Hockey Club), comme déjà relevé sous la plume de nos estimés confrères du 24 Heures (encore eux), devrait suffire à prouver que notre homme n’est pas rancunier.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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