Miguel Angel Lopez, le mauvais garçon

Bagarre avec un spectateur sur le Giro, chute spectaculaire sur le Tour de France, insultes balancées sur la Vuelta : avec Miguel Angel Lopez engagé sur un Grand Tour, on a toujours l’assurance qu’il va se passer quelque chose. À 27 ans, le petit grimpeur colombien n’en est plus à son coup d’essai. Ses excès en tout genre, effectués pour la plupart dans la sulfureuse équipe Astana, lui ont valu beaucoup d’inimitiés au sein du peloton. Son abandon rocambolesque lors du dernier Tour d’Espagne n’a pas arrangé sa réputation. Licencié suite à cet évènement par Movistar et de retour chez Astana en 2022, celui que l’on surnomme Superman depuis qu’il a résisté à une tentative de vol de son vélo en Colombie à 16 ans, malgré un coup de couteau reçu dans la jambe, n’en a que faire. Issu d’une famille pauvre de la région du Boyacà, Lopez trace sa route seul, sûr de son destin.

Miguel Angel Lopez a toujours été un type sûr de lui qui ne s’enquiquine pas avec le qu’en-dira-t-on. Le savoir-être a toujours été une notion abstraite pour lui. La seule fois où je l’ai croisé à bicyclette, c’était en février 2020 dans l’ascension redoutable du volcan Teide, au-dessus de Vilaflor de Chasna, sur l’île de Tenerife, dans l’archipel des Canaries. Il grimpait alors à peine plus vite que moi mais ne m’avait ni dit bonjour, ni même adressé un regard en me dépassant mécaniquement. Plus haut, je lui avais demandé poliment en espagnol une photo pour le souvenir. Il avait fait mine de ne pas comprendre. Finalement, un auxiliaire de son équipe Astana était descendu de sa voiture pour satisfaire à ma requête. Superman avait souri le temps d’un instant, momentanément rattrapé par ses devoirs de coureur cycliste professionnel, avant de redescendre sur Vilaflor pour ensuite remonter le Teide et continuer sa séance d’entraînement frénétique jusqu’à l’épuisement.

Des montées et des descentes. Comme le parcours de Miguel Angel Lopez depuis sa naissance le 4 février 1994 à Pesca, petite ville perchée dans le département de Boyacá, en Colombie. Lopez est originaire de la même région des Andes que son aîné Nairo Quintana. Tout comme ce dernier, il s’est adjugé le classement général du Tour de l’Avenir, en 2014. Mais la comparaison s’arrête là entre les deux hommes. Ce fils de paysan s’est construit dans l’ombre et loin du tumulte de son aîné Quintana, traqué à la moindre sortie et disposant même d’une protection rapprochée à l’entraînement contrairement aux autres cyclistes colombiens de sa génération.

Superman

Miguel Angel Lopez, lui, ne s’est sérieusement mis au cyclisme qu’à l’âge de 17 ans. Plus jeune, il ne se servait de sa bicyclette que pour aller au collège à une dizaine de kilomètres de chez ses parents. Mais lorsqu’il remporte sa première course dans son village, le jeune homme se met à rêver. Sa famille plus que modeste se saigne alors pour lui acheter un vélo à 600’000 pesos (l’équivalent de 137 euros) et lui donner les moyens de ses ambitions. Mais au cours d’un entraînement en 2011, Lopez est pris pour cible par deux voleurs en voiture. Le jeune Colombien ne se défile pas face à ses agresseurs et sauve son bijou, malgré un coup de couteau reçu au passage dans la jambe. De cet incident est né son surnom légendaire sur le vélo : Superman.

Superman Lopez avec votre serviteur sur le volcan Teide.

Après son succès au Tour de l’Avenir 2014, Lopez passe professionnel à 21 ans au sein de la sulfureuse équipe Astana dirigée par le non moins sulfureux Alexandre Vinokourov. Une équipe sans foi, ni loi, où tous les coups sont permis, qui convient parfaitement à la mentalité décomplexée du jeune Colombien. Ses début en 2015 sont prometteurs bien qu’effectués sur des courses de seconde zone. Superman remporte notamment sa première victoire professionnelle en août sur la quatrième étape du Tour de Burgos. Course par étapes espagnole qu’il manque de s’adjuger d’un rien le lendemain aux célèbres lacs de Neila.

En 2016, il poursuit son envol en remportant une étape au Tour de San Luis, puis une autre sur le Tour de Langkawi, en début de saison. Il s’adjuge ensuite le Tour de Suisse en juin mais n’est pas retenu dans la foulée pour le Tour de France. En effet, son équipe Astana préfère le faire débuter en Grand Tour deux mois plus tard sur la Vuelta. Cette première expérience sur la ronde ibérique est douloureuse. Superman s’y casse trois dents sur chute et doit abandonner dès la première semaine. Cela ne l’empêche pas de remporter Milan-Turin un mois plus tard. Mais sa vie étant faite de hauts et de bas permanents, Lopez est victime d’un grave accident à l’entraînement en Colombie au mois de novembre 2016. En raison de l’imprudence d’un conducteur, il se fracture le tibia, ce qui le tiendra éloigné des pelotons pendant près de huit mois.

Tour de Burgos 2015 : un vieil homme et une jolie fille déjà épris de Superman Lopez.

De retour à la compétition sur le Tour de Suisse 2017, il abandonne après une autre fracture, cette fois au pouce, à l’endroit même où il s’était révélé l’an passé. Le monde du cyclisme commence à douter de ses capacités en raison de ses multiples cabrioles freinant sa progression. Mais le jeune Colombien a du mental. Il renait une nouvelle fois de ses cendres au cœur de l’été. Après une étape décrochée sur le Tour d’Autriche puis une autre à Burgos, il remporte deux étapes de montagne du Tour d’Espagne : la première à l’observatoire de Calar Alto, la seconde au sommet de la Sierra Nevada. Ses deux succès prestigieux acquis dans la fournaise andalouse lui permettent également d’effectuer un bon classement général en finissant huitième et meilleur jeune de sa seconde Vuelta.

Le chemin vers la régularité

Après le temps des balbutiements, 2018 est l’année de la régularité au plus haut niveau. Fabio Aru ayant quitté Astana à l’intersaison pour partir en pré-retraite dans la nouvelle formation UAE, Miguel Angel Lopez partage désormais le leadership de l’équipe kazakhe avec Jakob Fuglsang. Les deux hommes ne s’entendent pas mais leur manager général Alexandre Vinokourov prend le soin de ne pas les faire courir ensemble pour éviter les tensions. À Fuglsang le Tour de France où il n’a jamais rien fait, à Lopez le Giro et la Vuelta où il va briller !

Hormis Tirreno-Adriatico, Superman finit sur le podium de chaque course par étapes à laquelle il prend part : 2ème à Oman (avec une victoire d’étape), 3ème à Abu Dhabi, 3ème au Tour des Alpes (avec une victoire d’étape), 2ème à Burgos (avec une victoire d’étape), et surtout 3ème des Tours d’Italie et d’Espagne la même saison. Au mois d’octobre pour sa dernière course de l’année, il est sur le point de décrocher Milan-Turin lorsqu’il s’accroche inexplicablement avec David Gaudu dans la montée de Superga. Nouvelle chute et nouvelle victoire laissée en route, un combo qui deviendra au fil du temps la spécialité de Superman Lopez !

Jolie cabriole pour clôturer 2018 sous le regard de Pinot et Valverde…

Lopez commence brillamment l’année 2019 en s’imposant sur son tour national en février, puis sur la Volta a Catalunya en mars. Il s’avance donc logiquement en favori du Giro au printemps. Mais en Italie, rien ne se passe véritablement comme prévu. Le Colombien n’a pas de grandes sensations et ne supporte pas ce premier échec retentissant dans sa carrière. En interne, il reproche également à son encadrement de ne pas lui faire découvrir les routes du Tour de France en juillet après son double podium de l’an passé sur le Giro et la Vuelta.

En effet, Vinokourov lui préfère toujours Jakob Fuglsang pour des raisons de plus en plus discutables. La tension atteint son paroxysme sur la vingtième étape du Giro où Superman frappe un spectateur qui vient de le faire tomber dans l’ascension décisive du Mont Avena, après avoir couru maladroitement à ses côtés. Plutôt que remonter immédiatement en selle, Lopez lui adresse deux coups de poing au visage, ce qui aurait normalement dû lui valoir une expulsion du Giro à la veille de l’arrivée. Mais son équipe Astana étant à forte consonance italienne, les organisateurs décident de ne pas le sanctionner…

Aligné dans la deuxième partie de saison sur le Tour d’Espagne, il se pare rapidement du maillot rouge de leader mais gère mal sa course par la suite. Il chute notamment en Andorre sur un chemin en terre alors qu’il était parti pour l’emporter à Cortals d’Encamp. Censé être son équipier de luxe, Jakob Fuglsang ne lui est d’aucun secours en montagne. Le Danois joue même sa carte personnelle en l’emportant échappé au col de la Cubilla en fin de deuxième semaine, ce qui a le don d’énerver au plus haut point Lopez. À cran, il traite même Valverde et son équipe Movistar d’idiots quelques jours plus tard lors d’une interview surréaliste donnée à la presse espagnole à Tolède, alimentant sa réputation naissante de mauvais garçon. Il finit 5ème de cette Vuelta explosive et ne confirme donc pas comme au Giro son podium acquis l’an passé.

« Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Moi et les idiots de Movistar. »

A l’intersaison, Superman lance un ultimatum à son équipe pour effectuer ses débuts sur le Tour de France. Le message est enfin entendu par Alexandre Vinokourov qui envoie un Fuglsang vieillissant au Giro. Mais la pandémie de coronavirus va chambouler toute la saison 2020. Après sa victoire à l’Alto do Malhão sur le Tour d’Algarve en février, Lopez est arrêté comme tout le monde un mois plus tard par la déferlante de COVID-19. À son retour à la compétition en août, il peine à se remettre en route. Inexistant sur le Tour d’Occitanie, il part dans la côte de Domancy pour renverser le Dauphiné sur la dernière étape avant de se coucher vers l’altiport de Megève. Il ne finira que 5ème de ce Dauphiné particulier remporté par son compatriote Daniel Felipe Martinez.

Pour son premier Tour de France, il court sur la réserve pendant deux semaines après avoir heurté un panneau de signalisation dans une descente dès la première étape autour de Nice. Il attend d’être totalement rétabli pour attaquer sur la 17ème étape se finissant au spectaculaire col de la Loze, dans les Alpes. Vainqueur devant Primoz Roglic et Tadej Pogacar sur le toit du Tour, à 2’304 mètres d’altitude, les observateurs le voient finir sur le podium quatre jours plus tard à Paris. Mais Superman s’effondre dans l’ultime contre-la-montre vers la Planche des Belles Filles en finissant loin de Richie Porte, Mikel Landa et Enric Mas qui le font reculer de la 3ème à la 6ème place au classement général.

Pas forcément sympa avec lui, Astana décide de l’envoyer quinze jours plus tard sur le Tour d’Italie en soutien de Jakob Fuglsang. Son Giro ne durera que dix minutes. En effet, Lopez perd le contrôle de son vélo de contre-la-montre en raison d’un trou sur le bitume qui l’envoie à pleine vitesse dans les barrières de sécurité bordant la chaussée. Évacué en ambulance, il terminera sa courte saison 2020 dans un vétuste hôpital sicilien.

Jour de chrono crash-test au départ du Giro 2020.

À l’intersaison, Miguel Angel Lopez décide de changer d’air en intégrant la prestigieuse équipe Movistar, qu’il avait pourtant copieusement insultée quinze mois plus tôt sur la Vuelta. Son intégration ne s’effectue logiquement pas sous les meilleurs auspices, d’autant plus que Superman reste coincé en Colombie plusieurs semaines après avoir contracté le coronavirus au début de l’année 2021.

Il ne revient à la compétition que fin avril au Tour de Romandie où il ne pèse pas sur la course. Un mois plus tard, il survole le Tour d’Andalousie (qui a été inhabituellement reporté du mois de février au mois de mai en raison d’un rebond du COVID-19 en Espagne) mais son premier succès sous les couleurs de la Movistar est à relativiser en raison de la faible densité du plateau (le Tour d’Italie se court au même moment, quand les coureurs préparant le Tour de France sont pour la plupart en stage). Début juin, il récidive sur les pentes du Mont Ventoux lors du Dénivelé Challenge qu’il s’adjuge une nouvelle fois sans opposition.

Au Tour de France, il est censé partager le leadership avec son nouvel équipier Enric Mas. Mas, ce jeune Espagnol contre qui il avait bataillé sur la Vuelta 2018 jusqu’en haut du col de la Gallina, en Andorre (Mas l’avait emporté au sprint pour finir par la même occasion deuxième de cette Vuelta devant Lopez). Comme avec Fuglsang chez Astana, la cohabitation entre les deux hommes se passe mal. Plus ancien dans l’équipe et adoubé par son capitaine de route Alejandro Valverde, Enric Mas bénéficie logiquement de tout le soutien de Movistar. Cela ne plait pas à Superman qui se relève au bout d’une semaine de course dans les Alpes. Pour bien acter son renoncement, il finit même à une demi-heure des favoris sur l’étape de Tignes. Il court ensuite le Tour de France en cyclotouriste avant de s’éclipser à deux jours de l’arrivée sur les ordres de son staff entre déception de ne pas aller aux Jeux olympiques et obligation de préparer la Vuelta.

Sur les routes espagnoles, on prend les mêmes et on recommence. Mas, Lopez et Valverde mènent la marque à la téléphonie ibérique en se partageant les rôles. Au bout d’une semaine de course endiablée, les trois larrons figurent même respectivement deuxième, troisième et quatrième du classement général derrière le tenant du titre Primoz Roglic. Tout semble enfin aller pour le mieux lorsque Valverde abandonne prématurément sur chute tout près de chez lui sur la côte méditerranéenne, ce qui tend à dérégler la machine Movistar. Incapable de choisir entre Mas et Lopez, l’équipe se fracture alors progressivement.

Seul dans l’enfer du Gamoniteiro sur la Vuelta 2021.

Comme sur le Tour de France 2020, Superman sort tardivement de sa boîte sur la 18ème étape menant au redoutable et inédit col du Gamoniteiro. Victoire marquante et podium en vue pour le natif de Pesca… sauf qu’il reste encore la 20ème étape décisive des toboggans qui n’est pas sa tasse de thé. Rapidement lâché deux jours plus tard et sans équipier, le Colombien décide alors de tout envoyer valser en posant pied à terre la veille de l’arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle… alors qu’il était encore troisième du classement général. La scène surréaliste sidère le monde du cyclisme. En Galice, Superman s’excuse platement le soir de l’étape sans foncièrement regretter son geste. Une dizaine de jours plus tard, son équipe Movistar rompt logiquement son contrat alors qu’elle l’avait pourtant prolongé de deux ans juste avant le départ de cette Vuelta.

Mi-octobre 2021, c’est le retour aux sources pour Lopez qui retrouve son équipe de toujours Astana, cette bande de mauvais garçons dirigée par Alexandre Vinokourov. À son arrivée au Kazakhstan, Superman vide son sac sur sa parenthèse compliquée d’un an chez Movistar  : « Ne pas aller aux Jeux olympiques, se retirer du Tour de France pas de mon plein gré, et puis dans la Vuelta, il y a eu d’autres moments de grande tension avec le partage du leadership. Chez Movistar, ça a toujours été comme ça. Quintana et Landa l’ont aussi vécu les années précédentes. J’en suis venu à ressentir cette même tension. » Des propos rappelant étrangement ceux prononcés deux ans plus tôt à Tolède sur la Vuelta contre cette même Movistar…

Désormais persona non grata dans le peloton, Superman ne peut raisonnablement plus songer à son avenir ailleurs qu’à Astana. Cette nouvelle ne l’effraie pas plus que ça puisque le Colombien de 27 ans compte en devenir le symbole ces prochaines saisons. Fuglsang enfin parti de l’équipe kazakhe cet automne, le leadership devrait maintenant lui revenir intégralement sur les Grands Tours. Pour mieux faire le show en montagne et gagner davantage de courses avec le couteau entre les dents. Ce même couteau qu’il a retiré de sa propre jambe il y a dix ans lorsque deux agresseurs ont voulu lui voler son vélo et ses rêves de gosse à l’autre bout du monde. Seul contre tous, telle a toujours été la vie de Superman Lopez ! Une existence de justicier, sous haute tension perpétuelle, entamée dans la pauvreté extrême des hauts plateaux andins de Colombie, et qu’il entend bien mener un jour sur la plus haute marche du Tour de France…

En bonus, ses 5 coups de sang sur les Grands Tours ces 3 dernières saisons :

Superman Lopez frappant un spectateur dans un col du Giro 2019

Superman Lopez insultant sa future équipe Movistar d’idiots sur la Vuelta 2019

Superman Lopez fonçant dans un panneau sur la 1ère étape du Tour de France 2020

Superman Lopez manquant un virage sur le prologue du Giro 2020

Superman Lopez s’enfuyant à la veille de l’arrivée de la Vuelta 2021

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

Commentaires Facebook

2 Commentaires

  1. Merci pour cet excellent article. Je me réjouis de voir ce qu’il fera en 2022.

    A part ça, je ne sais pas ce qui est plus extraordinaire: rencontrer Lopez à Ténérife, ou se rendre à Ténérife pour faire du vélo 🙂

    • Merci Paul. Pour répondre à ta question, se rendre à Tenerife pour faire du vélo implique que tu vas rencontrer un paquet de coureurs pros car c’est le repère de tous les coureurs des Grands Tours… Tenerife est un super spot sinon pour la pratique du vélo mais il faut des jambes car il n’y a pas un mètre de plat…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.