C’est bien connu, on lave son linge sale en famille. Dès lors, il est logique de laver son sport sale en jouant aux 7 familles du sportwashing (blanchiment par le sport). Après la Chine, la Russie, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn et l’Azerbaïdjan, je vous présente la petite dernière, l’Arabie saoudite. Le sportwashing, c’est ce procédé qui consiste à utiliser un événement sportif, une équipe sportive, ou le sport de façon générale, comme moyen d’amélioration de la réputation d’un pays, particulièrement dans le cas d’un pays connu pour son mépris des droits de l’homme.
Pour moi, jusqu’ici, le sport saoudien, c’était ça :
Comme quoi le seum de la Belgique ne date pas d’hier…
Une longue tradition sportive
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais depuis quelque temps, l’Arabie saoudite met le paquet (de pétrodollars) et accueille de nouveaux événements sportifs de tout poil. Apparemment, les organisateurs semblent plutôt faciles à convaincre, on se demande bien pourquoi…
Petit tour d’horizon (agrémenté d’anecdotes totalement subjectives) :
- Le Dakar, une course explosive, voyez plutôt :
- Le Saudi Tour (vélo), qui ne présente aucun intérêt sportif et qui, parmi toutes les courses de vélo dans les pays du Golfe, est la moins intéressante (merci à notre rédacteur Thierry Bientz pour ce complément d’analyse).
- Le Grand Prix de Formule 1 à Jeddah, avec Justin Bieber comme adoucissant pour mieux laver son sport :
Justin Bieber, un chanteur engagé : « My mama don’t like you and she likes everyone ». Petite pique masquée à Oussama Ben Laden, saoudien notoire ?
- La Supercoupe d’Espagne
Lisez plutôt l’analyse de Raúl García, défenseur central de l’Athletic Bilbao :
https://www.sofoot.com/raul-garcia-tacle-la-supercoupe-d-espagne-en-arabie-saoudite-509326.html - La Supercoupe d’Italie, le tournoi de golf Saudi international, le combat de boxe Ruiz-Joshua, etc. (la liste s’est probablement allongée le temps que vous lisiez cet article).
Côté investissements extérieurs, le football est bien évidemment en marche, avec le rachat le 7 octobre 2021 du club de Newcastle par le Fonds souverain d’Arabie saoudite, piloté par le prince héritier Mohammed ben Salmane. Remarquez, les pies étant attirées par tout ce qui brille, le tout est cohérent. Résultat : avant-dernier au moment du rachat, les Magpies ont dépensé 100 millions d’euros au premier mercato et sont déjà 14e au moment d’écrire ces lignes. Déjà de petites dérégulations du marché pointent leur nez, par exemple en achetant Bruno Guimarães 42,5 millions d’euros pour qu’il ne joue pratiquement pas. On se réjouit déjà du mercato d’été et de voir Messi nous confesser que son rêve d’enfant était de vivre dans le Nord-Est de l’Angleterre.
On peut dire que les magpies en ont dans le PIF (Public Investment Fund).
Afin d’égayer le tableau, citons plutôt le député français Régis Juanico (n’oubliez pas de mettre Imagine de John Lennon en fond avant de lire) : « Quand ils achètent la finale de la Supercoupe d’Espagne ou d’Italie à 120 millions d’euros, le gala de boxe à 90 millions d’euros ou le Dakar à 15 millions d’euros par an, ils créent une bulle spéculative sur les droits sportifs. Personne ne peut s’aligner, on est en train de former une sorte de ghetto sportif où il n’y aura plus que quelques pays ultra-riches ou ultra-corrompus qui pourront s’offrir de tels événements ». Amen !
Plan Arabie 2030
Pour autant, tout n’est pas que négatif. En effet, on peut se réjouir que l’Arabie saoudite s’ouvre au monde. Pays de 34 millions d’habitants, 50% de sa population a moins de 25 ans et est avide de changement et de modernité. Le très ambitieux et pressé jeune prince héritier, Mohammed ben Salmane, affirme vouloir créer à l’horizon 2030 un pays postpétrolier plus ouvert (droit de conduire donné aux femmes). Le tourisme sert toujours à faire évoluer les mentalités et le pays a même annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. En témoignent la promotion des sites nabatéens (Al’Ula de Dariya) et la création d’une ville touristique nouvelle, Qiddiya.
Une nouvelle ville sur 334 km2 ? Tu s’occupes de rien, je s’occupe de tout…
Les sélections nationales en plein essor
Autre aspect positif : les progrès des sélections nationales, qui plus est sans avoir recours à de nombreuses naturalisations comme le Qatar (qui compte certes seulement 2,8 millions d’habitants). En handball, l’équipe s’est qualifiée pour le championnat du monde 2023, notamment en recrutant l’ex-sélectionneur des Bleus Didier Dinart, signe que le projet n’est pas que du flan. En football, la sélection nationale est en passe de se qualifier pour la Coupe du monde après un parcours plus qu’honorable.
Du coup, si les Saoudiens progressent et se qualifient pour les compétitions internationales au mérite, pourquoi cet article rabat-joie ? Tout simplement parce qu’on peut repeindre la façade de la maison, mais rien ne nous garantit que les fondations aient changé.
Les droits de l’homme ou le tartre du sportwashing
Entre la Chine, la Russie et le Qatar, on commençait presque à s’habituer à l’idée que les droits de l’homme seraient foulés aux pieds en 2022, mais peut-être n’est-ce là que l’apéritif du futur du sport…
Petit tableau des médailles saoudiennes :
- Peine de mort
Le jour où j’écris cet article (12 mars 2022), 81 opposants sont exécutés en une journée. - Assassinats politiques / purges
Pour accéder au pouvoir, le prince a écarté en les emprisonnant par un coup de force onze princes, quatre ministres, des dizaines d’anciens ministres et des dizaines d’hommes d’affaires, dont le milliardaire Walid ben Talal, qui veut racheter l’Olympique de Marseille, finalement relâchés après avoir signé des reconnaissances de dettes pour 100 milliards de dollars. - Guerre au Yémen
Elle oppose depuis 2014 les Houthis, soutenus par l’Iran, aux forces gouvernementales, appuyées depuis 2015 par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite et à laquelle participent notamment les Émirats arabes unis. Selon un rapport de l’ONU publié en novembre 2021, la guerre a fait près de 380 000 morts, dont une grande majorité en raison des conséquences indirectes des combats, comme le manque d’eau potable, la faim et les maladies. Les forces spéciales de l’Arabie saoudite qui sont impliquées dans des opérations militaires liés au blocus naval, blocus considéré par les Nations unies comme responsable de possibles violations des droits humains et de crimes de guerre, qui ont engendré la mort de plus de 85 000 civils au Yémen.
Chant traditionnel saoudien :
Yemen, there’s no need to feel down
I said, Yemen, pick yourself off the ground
I said, Yemen, ’cause you’re in a new town
There’s no need to be unhappy
- Affaire Khashoggi
Assassinat et découpage à la scie, le 2 octobre 2018, au consulat saoudien à Istanbul, d’un journaliste opposant saoudien, Jamal Khashoggi, sur ordre, selon Erdogan et la CIA, du prince lui-même. Je plains l’arbitre qui fera une erreur d’interprétation de la VAR lorsque l’équipe nationale atteindra la finale de la Coupe du monde.
Après ces réjouissances, ne voyons pas le mal partout et remontons-nous le moral avec ces propos de Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme en France : « Ces achats à coups de pétrodollars de grands événements sportifs ne sont rien d’autre qu’une opération de camouflage pour masquer que l’Arabie saoudite est une théocratie barbare qui recourt à la peine de mort, où les opposants politiques, les femmes, les homosexuels et les minorités étrangères sont discriminés, agressés ou emprisonnés ».
Pour conclure, il semble certes qu’une grande lessive s’impose, mais si possible pour retrouver les couleurs d’origine.
Sources
Livres
Hubert Védrine, Dictionnaire amoureux de la géopolitique
Alastair Bonnett, Off the map
David Blough, Sportwashing, Que sont devenues les valeurs du sport ?
Sites Internet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sportswashing
https://www.rts.ch/info/monde/12932843-plus-de-40-enfants-ont-ete-tues-ou-mutiles-en-deux-mois-au-yemen.html
https://www.rts.ch/info/monde/12933456-l-arabie-saoudite-execute-81-personnes-en-un-jour-pour-terrorisme.html?rts_source=rss_t
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