Vous souvenez-vous de… Jimmy Carson ?

Nous non plus. Et pourtant l’histoire de celui qui a fini par devenir une note de bas de page dans le grand livre du hockey sur glace – au point de ne même pas avoir de photo libre de droits dispo sur Wikipédia – mérite d’être contée, croyez-nous !

La genèse 

On avait d’abord décidé d’écrire un article sur les pires renforts étrangers du Lausanne Hockey Club, histoire de mettre en perspective le début de saison pour le moins moisi des 6 imports actuels (allez, on met Maïqueule Frolík dans le tas, comme ça, gratuitement). Pour ce faire, on a fait un petit sondage parmi les fans du club via Facebook, histoire de résister d’emblée à toute tentation d’objectivité. Parmi les 36 réponses répertoriées, il y avait du lourd. Comme quoi les réseaux habituellement réservés aux vieux (et aux) complotistes, ça peut aider pour certaines recherches historiques.

  • Jarrod Skalde, actuel entraîneur des Cardiff Devils, 115 matches de NHL. Un nom qui en fait encore ricaner beaucoup presque 20 ans plus tard malgré ses 15 points en 23 sorties au LHC lors de la saison 2002/2003.
  • Le fameux Marc Savard. Euh ah non, justement pas. Son homonyme en fait. Le club le plus naïf de LNB croyait avoir engagé un joueur aux 706 points en 807 rencontres de NHL et futur vainqueur de la Coupe Stanley. Pas de bol, le Savard en pré-retraite qui a débarqué sur les bords du Léman en 2005 s’était surtout illustré à Grenoble, Briançon et… Milan.
  • La palme du meilleur recrutement revient évidemment à Tim Smith, débauché en… Corée du Sud pour la saison 2008/2009, qui a fini par tourner court (9 parties disputées par le Canadien).
  • La même année, c’est Niko Mikkola qui arrive en « renfort » (tiens, lui aussi a un homonyme qui a l’air vaguement meilleur). Heureusement, Alexandre Tremblay se remettra de sa blessure et Terry Yake viendra gagner 100% de ses engagements (avant de se ruer vers le banc pour changer) et tirer quelques penalties plus tard dans la saison. Tout ça pour perdre l’Acte VII du barrage face au Eh Ha Tsé Biou en avril. Qui a oublié ce pugilat entre Thomas Rüfenacht et Thomas Nüssli ?
  • René Pucher, engagé pour une pige en 2001/2002. Selon nos informations, le regretté Paul Magro aurait eu à son sujet cette sortie mythique: « Au vu de ma première impression, il faudrait 10 René Pucher pour remplacer la cuisse droite de Bashkirov. »
  • Claude Savoie, honnête tâcheron de AHL et de… Ligue Magnus qui, comme tous les fusibles précédemment nommés, n’a passé qu’une année dans la capitale olympique en 1997/1998.
  • Les Québécois Martin St. Louis (qu’on ne présente plus) et Patrick Boileau présents (le choix du terme est osé, on vous l’accorde) lors de la funeste saison 2004/2005. Se faire reléguer une année de lockout en NHL, ça ne s’invente pas, même à Malley.
  • Craig Norwich, mercenaire américain lors de la dernière saison disputée à Montchoisi en 1983/1984. Après maintes recherches, impossible de retrouver une apparition en match documentée cette année-là pour l’Américain.
  • On notera la présence (déjà) de Phil Varone pour son début de saison 2021/2022 dans ce petit florilège. Sur la glace par contre, les recherches continuent pour localiser l’Ontarien.
  • On accordera encore quelques mentions honorables à Dušan Milo, Derek Bekar, Lubomir Hurtaj, Damien Fleury, Donald « Red » Laurence ou encore Mikko Luovi.

Parmi les erreurs de casting plus ou moins monumentales qui ont foulé la surface glacée d’une des quatre patinoires qui ont accompagné les Lions au cours de leur histoire souvent tragicomique, un nom est toutefois sorti du lot: celui de Jimmy Carson. Qui ça ?  Si vous avez moins de 35 ans et vos parents ne vous ont pas plongé dans la marmite hockeyistique dès votre plus tendre enfance, vous avez autant de chances de connaître ce personnage que Steve Huard de décrocher le Prix Nobel de littérature. Restez avec nous, ça vaut le coup. D’autant que comme les sources médiatiques officielles viennent parfois à manquer sur le sujet, on a été forcé de suivre une méthode très à la mode ces temps-ci, qui consiste à « faire nos propres recherches » (ben oui, on avait commencé nos investigations par Facebook, vous vous attendiez à quoi pour la suite ?).

De la Grèce à Verdun en passant par Détroit

Jimmy Carson donc. Et pas Johnny Carson, même si avoir joué au LHC, avoir une chanson des Beach Boys à son nom et avoir presque causé une pénurie de papier toilette en 1973 ferait partie des combos les plus improbables de l’univers. Jimmy Carson, dont le vrai nom, ensuite « américanisé » (dans les grandes largeurs, on est bien d’accord), serait Demetrios Kyriazopoulos selon thehockeywriters.com, joueur américain d’origine grecque, s’est échoué sur les rives lémaniques le 7 décembre 1995. Mais comment ce pauvre bougre en est-il arrivé là ?

Le prix des produits dérivés de Jimmy Carson sur eBay en a pris un coup depuis son passage à Lausanne.

Tout a commencé en 1980, avec sa première expérience junior au sein de la défunte organisation des Detroit Compuware Ambassadors, club appartenant à une entreprise spécialisée dans les logiciels. Avec un nom aussi cool, on est très étonné que son équipe senior n’ait évolué dans une ligue amateur que pendant deux saisons avant de mettre la clé sous la porte. Si l’on en croit le site LA Kings Insider, Carson a évolué sous les ordres d’un certain Real Turcotte Sr à cette époque, grand-père d’Alex Turcotte, grand espoir du hockey américain drafté par les Los Angeles Kings en cinquième position en 2019. Ah, on allait oublier: coïncidence ou pas, le fils de feu Real (et donc père d’Alex, vous suivez toujours ?), Real « Alfie » Turcotte et son maigre total de 283 points en 93 matches pour les Ambassadors finira lui aussi par défendre les couleurs lausannoises, une saison après Carson.

Puis, c’est le passage au Canadien Junior de Verdun, en Ligue de Hockey Junior Majeur du Québec, de 1984 à 1986. L’histoire ne dit pas s’il a dû mener une guerre d’attrition pour se faire une place à Verdun, ni si les rivaux de ce quartier montréalais en LHJMQ étaient établis à Carthage (Missouri) et Alésia (Maryland). Ni si se faire traiter de Verdun était la pire insulte entre supporters.

Le logo était apparemment intégralement dessiné au néocolor de la main gauche par les joueurs eux-mêmes (exclusivement droitiers).

The Trade

Après avoir sorti l’artillerie lourde à Verdun (269 points en 137 apparitions) Jimmy était drafté en deuxième position par les Los Angeles Kings en juin 1986. On nous glisse d’ailleurs à l’oreille qu’il fait partie d’un duo de joueurs repêchés cette année-là à avoir fièrement porté un maillot floqué d’un lion rouge et blanc par la suite. En effet, le légendaire Zarley Zalapski, lui aussi décédé depuis, avait alors été choisi par les Pittsburgh Penguins (n°4). Deux saisons et 92 goals plus tard, la carrière du recordman du nombre de buts marqués dans la grande ligue avant l’âge de 20 ans (record qui ne sera probablement jamais battu) semble le mener tout droit vers le Hall of Fame et rien, mais alors rien du tout ne présage un dépôt de valises intempestif à Prilly 7 ans plus tard.

Et là, c’est le drame.

Le 9 août 1988, alors que votre serviteur commence probablement tout juste à ramper à proximité de son berceau, l’échange le plus célèbre de l’histoire de la NHL  – The Trade – a lieu. Wayne Gretzky, vainqueur de 4 Coupes Stanley en 5 ans avec les Edmonton Oilers, est envoyé à Los Angeles en compagnie de Marty McSorley (dont le comportement ferait passer son frère Chris pour Gandhi) et Mike Krushelnyski (à vos souhaits !). En échange, la franchise californienne se sépare de Jimmy Carson, Martin Gélinas (bien avant que sa pige au Forward Morges ne le fasse passer à la postérité), trois choix de premier tour de draft et… ah oui, 15 millions de dollars.

Un style de conférence de presse repris en tous points par Lionel Messi 33 ans plus tard, jusqu’au détail qui tue, le vieux mouchoir chiffonné dans la main droite.

Pour en savoir plus sur ce qui a jeté de l’huile sur le feu en Alberta, on vous conseille le documentaire A Day That Changed The Game. On ajoutera simplement qu’à la suite de ce cataclysme, des objets à l’effigie du brave Peter Pocklington, propriétaire (et fossoyeur) des Oilers, sont brûlés par des supporters, un élu local demande au gouvernement canadien d’intervenir pour annuler l’échange et la nouvelle épouse du Great One, Janet Jones (actrice établie à Hollywood, par le plus grand des hasards), est affublée du sobriquet « Yoko Ono du hockey ». Le fait que quatre nouvelles franchises voient le jour en Californie et en Floride dans les 5 ans qui suivent est par contre un pur hasard.  

Le futur de Jimmy Carson est soudain devenu sacrément flou.

Relégations multiples et variées 

Retour sur terre. En ce qui concerne les pauvres mortels associés à cette transaction, Jimmy Carson ne le sait pas encore, mais sa carrière professionnelle touche déjà presque à sa fin deux ans après avoir débuté. Il est devenu Jimmy « what if ? » Carson. Et si l’échange du siècle n’avait jamais eu lieu ? On ne saura jamais ce qu’il serait advenu de l’ancien numéro 2 de la draft. Jamais intégré, écrasé sous la pression de l’après Gretzky, le joueur préféré de Patricia Kaas demande à partir en novembre 1989. Il fait partie d’un nouvel échange chargé d’ironie. En effet, alors qu’il s’en va vers son État natal du Michigan et les Detroit Red Wings, c’est celui que son club de coeur avait choisi à sa place en première position de la draft de 1986, Joe Murphy, qui va faire le trajet inverse accompagné de deux coéquipiers. La suite n’est pas difficile à deviner: les Oilers finiront la saison 1989/1990 avec la Coupe Stanley qui leur avait échappé l’année précédente, les Red Wings ne se qualifieront même pas pour les playoffs et Jimmy finira en troisième ligne, barré par Steve Yzerman, puis Sergei Fedorov dès la saison suivante dans sa position de centre. C’est le début de la descente aux enfers malgré un retour à LA en 1992 et une finale de Coupe Stanley (perdue face à la franchise favorite de tous les hockeyix de Suisse romande) en 1993.

Après quelques parties disputées avec les Vancouver Canucks et les Hartford Whalers (qui deviendront les Carolina Hurricanes en 1997 et toucheront au génie dans leur trolling du Canadien de Montréal en 2021), Carson entre en contact avec le Lausanne HC. Et c’est là que notre ami Google commence à nous lâcher. Quoi de mieux donc que contacter Jean-Michel Millioud, directeur technique du club à l’époque, pour nous aider à remplir la partie vaudoise du CV de Carson ? À l’autre bout du fil, celui qui est souvent désigné comme bouc-émissaire de ce qui s’est transformé en échec retentissant nous récite la biographie de son ancien protégé comme si tout cela s’était déroulé la semaine dernière. Il nous apprend qu’à l’hiver 1995, Claude Verret est blessé et le LHC tente de se maintenir en LNA avec deux étrangers (Martin Desjardins et Bobby Reynolds). Selon ses souvenirs, le club a un plan A, Michel Picard, qui n’a pas perdu l’espoir de se faire une place dans le contingent des Ottawa Senators et refuse donc de quitter l’Amérique du Nord dans l’immédiat. Le plan B s’appelle Daniel Marois, mais celui qui disputera 3 parties avec les Dallas Stars cette année-là ne ralliera Malley que 4 ans plus tard. On ne résiste pas à vous apprendre que le Montréalais a commencé sa carrière au désormais fameux Canadien Junior de Verdun avant d’y mettre fin 20 ans plus tard aux Dragons de… Verdun, de l’autre côté de l’Atlantique.

Bref, place donc au plan C, Jimmy Carson, pas réclamé au ballotage et donc libre de ses mouvements. La superstar helvétique des agents de joueurs Gérald Métroz, via Bob Perno (agent d’illustres inconnus du calibre de Wayne Gretzky et Mario Lemieux notamment), semble avoir facilité la prise de contact initiale. D’emblée, notre interlocuteur n’a aucune peine à reconnaître une erreur de casting, même s’il nous rappelle qu’il n’était pas dépositaire de la décision finale et que le remplacement du coach Jean Lussier par Doug McKay à la même période n’a pas facilité les choses selon lui. En effet, malgré son pedigree clinquant, Carson n’a pas du tout le même profil que Verret qu’il doit remplacer. Loin de l’ère des highlights instantanés sur NHL.com les lendemains de matches, Millioud nous avoue un manque de lucidité et de connaissance de la grande ligue à une époque où il aurait fallu envoyer un scout sur place avec une caméra et des cassettes VHS vierges pour se renseigner…

Reconstitution plus ou moins fidèle de l’interview de Jimmy Carson à l’Aéroport de Cointrin.

Toujours est-il que Jimmy Carson a fini par griffer la glace du CIGM et c’est peu dire qu’il y était attendu comme le Messie, avec lequel il partage d’ailleurs des initiales et un statut de futur bouc-émissaire. Notre jeune âge et notre ignorance totale de l’existence du club nous ayant retenu à la maison ce soir-là, des témoins sur place nous soufflent que Bertrand Jayet, homme fort du LHC de l’époque, avait été indirectement averti en plein match par le speaker de Malley de l’arrivée prochaine de son nouveau mercenaire. On apprend par le truchement d’un article du Matin daté du 8 décembre 1995, que Jimmy Carson a atterri à Cointrin la veille. Si l’on en croit la version de certains fans du club, la star, qui avait rallié Lausanne en limousine ce jour-là (version confirmée par Millioud qui nous raconte avoir fait jouer ses relations à Swissair pour ajouter à cela une conférence de presse taille patron), était aussi affûtée que Milos Raonic à la fin du confinement, avait les genoux dans le même état que ceux de Roger Federer et Stan Wawrinka actuellement et était aussi concernée que Gianni Infantino à un congrès sur la philanthropie, l’altruisme et les droits du travailleur. On est donc loin de ce que Jayet appelle alors « le plus grand coup de l’histoire du LHC depuis l’époque Ebermann-Novak », fameux duo tchécoslovaque ayant sévi à Montchoisi entre 1981 et 1983. Et comme il n’y avait apparemment pas de visite médicale d’arrivée en 1995, difficile de se douter de l’étendue des dégâts avant d’entrer dans le vif du sujet. D’autant qu’à entendre Jean-Michel Millioud, la récupération du nouveau numéro 12 (le même que Tim Traber) du LHC n’était pas facilitée par son coach qui l’emmenait s’entraîner quatre fois par jour. Bref, JC ne marchait pas sur l’eau, mais bien dans les traces d’un autre JC moyennement célèbre en franchissant définitivement le Rubicon entre sa gloire passée et une fin de carrière en queue de poisson. Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient… Vous verrez du pays, qu’ils disaient….

La réputation de joueur dilettante évoquée plus haut qui semble poursuivre notre ami Jimmy vient de loin. À en croire le Los Angeles Times, qui se rappelle au bon souvenir de Jimmy en 2007, le natif de Southfield était un intellectuel qui préférait lire le Wall Street Journal que fumer, boire ou faire la fête avec ses coéquipiers (le salaud !). Aux dernières nouvelles (qui datent de 2009, mais il semble que ce soit toujours le cas selon son ancien directeur technique qui nous dit être encore en contact occasionnel avec son ex-joueur) celui qui avait commencé à passer des étés entiers à étudier la finance dès 1992 travaillait pour une petite banque d’investissement dans son Michigan natal, nous apprend LA Kings Insider. Et on ne sait toujours pas ce qu’il était venu chercher à Lausanne il y a 26 ans. Ni s’il l’a trouvé d’ailleurs. Le but avoué au Matin pour son contrat de quatre mois était « d’aider [son] club à atteindre ses objectifs » avec la promesse qu’il se livrerait « à 100% pour [ses] nouvelles couleurs, [qu’il suivrait] les ordres de [son] coach et [il évacuerait] la pression qui repose sur un étranger ». En sachant que les coéquipiers de Cyrill Pasche et Kevin Schläpfer (oui, oui) n’avaient pas forcément prévu de finir derniers avec un bilan comptable de 4 victoires, 2 nuls et 30 défaites assorti d’une relégation express, on espère quand même pour Jimmy (auquel on a fini par s’attacher après plus de 12’000 signes) qu’il lui reste d’autres souvenirs que ce chapeau que lui fait porter tout un canton pour l’un des nombreux séjours du club au purgatoire de la division inférieure.

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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