Roland, la beauté du geste envers et contre tout

Voilà, on y est. Roland-Garros, le saint des saint de la terre battue, le paradis du tâcheron de fond de court, le tournoi majeur le plus prestigieux du calendrier. Enfin juste après Wimbledon, l’Open d’Australie, l’US Open, le Masters, Indian Wells et le Geneva Open bien sûr. Le millésime 2019 sent bon la relève de la garde avec son nouveau court Simonne-Mathieu, son central Philippe-Chatrier rénové et ses bâches déposées çà et là pour cacher qu’en fait on est vraiment à la bourre avec les travaux. Malgré toutes ces innovations, la deuxième levée du Grand Chelem ne renie pas non plus les aspects qui ont fait sa légende. Son absence d’infrastructures permettant de lutter contre des désagréments datant pourtant de la nuit des temps comme la pluie et l’obscurité, son public aussi distingué et respectueux de l’adversaire quand l’un des siens descend dans l’arène que Nick Kyrgios un jour de tempête, ses bobos qui préfèrent le champagne et le salon VIP à la sueur et leurs places en loges en plein cagnard, son Nelson Monfort national, sorte de Pierre-Alain Dupuis trilingue de l’interview d’après-match, banni du central jugé trop petit pour son ego et la richesse de son vocabulaire espagnol. Aucun classique n’a été sacrifié sur l’autel du progrès. En d’autres termes, nous voici devant une version 2.0 de notre adolescence passée à procrastiner (examens obligent) devant France Télévisions deux semaines par an, d’abord rythmées par les « ET PAN ! » de Michel Drhey et Jean-Paul Loth et, plus tard, par le défilé de mode de Tatiana Golovin, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs daltoniens (un peu comme le nouveau costume café renversé de Roger Federer d’ailleurs). En mode nostalgie en direct de la Porte d’Auteuil, Carton-Rouge vous fait vivre le week-end de l’Ascension, pont entre les improbables surprises de la première semaine et les valeurs sûres de la seconde, comme si vous y étiez.

Les préliminaires

Mercredi 29 mai. Comme on a passé la moitié du trajet à dormir et l’autre à récupérer du grand écart des consultants opéré par la RTS entre Sandy « Captain Obvious » Jeannin à Bratislava et son alter ego tennistique (le bagoût et la lecture analytique du jeu en plus) Marc Rosset, libéré, délivré d’un PAD, on va directement passer à l’arrivée. D’autant plus qu’on préfère vous épargner les détails des derniers déboires amoureux racontés à toute la voiture 15 (et accessoirement à son infortunée compagne de voyage) par une passagère à la puissance vocale au repos et aux qualités d’écoute dignes de Bianca Castafiore. A la rédac’ de Carton-Rouge, on a l’habitude des sacrifices : TGV de 18h23 oblige, ce n’est que peu après 22h que nous avons trouvé un bar muni de très exactement deux écrans. Le premier diffusant Shrek, c’est vers le second que nous nous sommes tournés pour suivre la fin de la finale de la Coupe Régionale du Grand Londres entre Chelsea et Arsenal (délocalisée à Bakou, à l’extrême est de l’agglomération londonienne pour ne défavoriser ni les bourgeois du sud-ouest ni les prolétaires du nord de la ville) qui servait d’entrée avant la finale de la Coupe Raymond Poulidor des Perdants Magnifiques de Premier League entre Liverpool et Tottenham de samedi. Préparation idéale pour les trois jours de folie qui nous attendaient dans le XVIe arrondissement. Surtout que pour nous, le coût de l’opération se résumait au prix d’une pinte houblonneuse qui, contrairement aux billets pour Madrid, n’avait pas explosé de 840% pour l’occasion. On avoue une sympathie particulière pour le Borough de Hammersmith et Fulham, et donc par extension pour les Blues, mais on s’est appliqué à la boucler (un peu) : notre hôte à Paris est un Gunner et il allait donc falloir respecter une trêve jusqu’à dimanche sous peine de dormir sur un banc de la Gare de Lyon. Et il faut dire que la déculottée subie par les hommes d’Unai Emery parlait d’elle-même.

Henri Laaksonen accompagné d’une foule de groupies qui croient dur comme fer en sa victoire face au numéro 1 mondial serbe.

La quinzaine en deux mots

Popopopopopopopololoooo… OLÉ !

Notre Roger fédéral sur le court Suzanne-Lenglen, presque aussi majestueux que lui.

Les grandes dames de la quinzaine

Nancy et Anne-Mieke, deux supportrices belges d’un âge certain avec qui on a pu échanger un Nadal-Goffin sans intérêt sur le Philippe-Chatrier (même si on a eu peur un très court instant que Tintin terrasse l’Abominable Homme des Îles Baléares en notre absence) contre un duo pack Federer-Ruud – Wawrinka-Dimitrov sur le Suzanne-Lenglen en ce vendredi 31 mai. Il fallait donc que l’une des deux seules apparitions combinées (eh oui, rebelotte ce mardi pour des raisons obscures) de nos deux compatriotes hors du central se produise le jour de notre présence sur ledit central. C’est ce qu’on appelle La Poisse en lettres capitales. Et comme Casper s’était déchaîné pour faire en sorte de ne pas être fantomatique jusqu’au bout (il paraît que c’est plus simple quand votre adversaire ne fait pas voler des chaises autour de vous), on pensait avoir fait une ruudement bonne affaire jusqu’au moment où Sloane Stephens et Polona Hercog (qui?), protagonistes du match précédant celui de Stan, décidaient de commencer à pétouiller au point de déplacer l’ex-cougar attitré de Donna Vekic et l’ancien toy boy de Maria Sharapova sur le presque défunt court n°1. Sauf que le docte stagiaire en communication du tournoi n’avait pas jugé bon d’avertir les détenteurs d’un sésame pour le terrain de jeu initial des deux hommes au préalable. Courses et émeutes ont donc suivi le moment où certains spectateurs high-tech ont pu obtenir le mémo via leurs smartphones. Les déçus, se munissant de la patience proverbiale de tout ressortissant hexagonal qui se respecte, se sont pour leur part postés aux entrées du stade. A défaut de pouvoir prendre le contrôle de giratoires, les malheureux se sont rattrapés avec quelques quolibets dignes du plus imbibé des ultras de GC proférés pendant de longues minutes. Quolibets fort heureusement couverts pour la plupart par la voix de baryton de Kader « Barry White » Nouni, arbitre-soliste. Nos supportrices belges ne nous auront donc pas été d’un grand secours jusqu’au bout, mais à Roland on connaît la chanson, c’est le geste qui compte.

Le boulanger (et esthète) vaudois distribue ses pains.

Les multiples buses de la quinzaine

Guy Forget et ses sbires de l’organisation. D’ailleurs on a aperçu de nombreux astreints de la PC locale et on ne vous cache pas qu’on soupçonne l’antenne francilienne de la plus efficace des associations humanitaires d’être en charge de la logistique. Ce qui expliquerait bien des choses. Comme par exemple les files d’attente hallucinantes dès 9h30 pour obtenir un sandwich qui vous coûtera un bras (et peut-être même quelques dents) alors qu’on n’a ouvert qu’une caisse tenue par des participants aux Olympiades de la force d’inertie et qu’on a clairement attribué trop de billets pour l’espace disponible dans l’enceinte du stade au vu de la gabegie qui s’empare des lieux lorsque l’équivalent de la population de Pully sort d’un coup des courts principaux. Ou encore la décision effarante de programmer Rodgeur et Stanimal sur le Lenglen alors que la Suisse entière avait acheté des billets pour le Chatrier, synonyme habituel de garantie de voir le Maestro dans ses œuvres. Comme encouragement du marché noir à l’entrée, on peut difficilement faire mieux. Tout cela pour finalement organiser un 110 mètres haies à travers les allées étroites du site pour assister à ce qui restera l’un des grands matches de la quinzaine en termes de niveau de jeu et d’atmosphère sur ce mythique court n°1 qui tire sa révérence cette année. Et honnêtement, quand il faut compter sur la… RTS (!) pour avoir une info de changement de terrain alors qu’on est sur place, il y a probablement des candidats au pigeon d’or de notre rédaction au sommet de l’organigramme.

Naomi Osaka, numéro 1 mondiale en théorie, allergique à la terre battue dans les faits. Une joueuse capable de faire sortir Serena et son amour propre mladenovique de ses gonds et lui mettre une branlée pour la calmer sur ses terres new-yorkaises, forcément, on adore. L’enfant gâtée qui traînait les pieds sur la terre parisienne comme si on l’avait envoyée de force en colonie de vacances en province, on aime moins. Se faire renverser par la mobylette tchèque Katerina Siniakova le jour de la chute de la cadette des sœurs Williams n’est que justice pour celle dont on regrettera simplement l’absence d’interview sur le court, privilège réservé à la gagnante. Même si avec la toujours très timide et taiseuse Marion Bartoli comme interlocutrice, il aurait été difficile pour la Japonaise de faire preuve de sa candeur habituelle.

Le marché noir en toute transparence. Le message est on ne peut plus clair.

Le coup gagnant de la quinzaine

Nous sommes samedi, torride premier jour du mois de juin, et la très jeune et prometteuse Diane Parry vient tout juste d’ajuster la mâchoire de son adversaire chinoise Zhaoxuan Yang lors du premier set d’un double dames joué devant une assistance record, massée dans l’attente de la reprise du match entre Stan The Man et Baby Fed (encore eux !) entamé la veille. On peut remercier la Française d’avoir tenté d’écourter une purge longue de 219 points éparpillés sur 2h26 et parsemée de doubles fautes atroces, de smashes boisés et de revers dans la bâche. Une remontada évitée de justesse par Parry, ça ne s’invente pas (7-5 4-6 6-4).

Le double sans fin sur un court n°1 presque aussi désabusé que Bill Murray à Punxsutawney.

L’anecdote

En ce jeudi 30 mai, jour de ciel gris et de crachin intermittent, symbole de l’humeur de certaines joueuses ce jour-là, on avait fini par se retrouver sur le court n°9 où Belinda Bencic, associée à la Slovaque Viktoria Kuzmova, s’apprêtait à hacher menues les Françaises Pauline Parmentier et Chloé Paquet. L’affaire était dans le sac en somme (on vous l’accorde, la vanne aurait été meilleure avec Alizée Cornet, mais on fait avec ce qu’on a). On avait décidé de vivre les débats de l’intérieur, assis à côté de Papa et Maman Bencic et du reste du clan helvético-slovaque. On ne sera pas déçu. Comme il se doit, le team Bencic se rendait coupable du genre de coaching que même Patrick Mouratoglou n’aurait pas osé imaginer dans ses rêves les plus fous, aussi bruyant qu’impuni, sur chaque point. Après chaque coup de chance adverse on se prenait d’ailleurs à se demander pourquoi Belinda nous fixait en nous gratifiant de paroles qui nous semblaient peu amènes avant de se souvenir que ses géniteurs étaient l’objet de ces reproches en slovaque dans le texte. A notre grand soulagement, car à part les dobre! et autres pod’me! d’encouragement de Papa, on avoue qu’on avait du mal à suivre. Tout comme les ramasseurs de balles qui ont eu droit à quelques œillades bien senties de la part de la Suissesse et de sa partenaire, cette dernière semblant aussi commode que son compatriote Zdeno Chara si vous touchez à son gardien dans sa zone en finale de la Coupe Stanley. On vous le dit, être à la réception des aboiements de Belinda dans la langue d’Adriana Karembeu c’est l’expérience d’une vie. On a même frisé l’incident diplomatique lorsque deux autochtones ont dû enjamber les sacs de la famille Bencic, qu’ils n’avaient évidemment pas identifiés (les Bencic, pas les sacs), pour se frayer un passage vers une place libre. On quittera tout de même le court avec un doux sentiment de Schadenfreude après le dépôt des armes des descendantes de Vercingétorix aux pieds de leurs adversaires, conquête qui avait pour effet de réduire tout un stade au silence. Le silence, justement, est rare sur ce court n°9 depuis lequel on entend le moindre bruit de service « let » sur le court Suzanne-Lenglen voisin dont chaque visiteur repartira avec des acouphènes en souvenir. Gros rapport qualité-prix pour les spectateurs des annexes qui n’ont pas accès aux scores via la 4G, véritable désastre pour les joueuses à la concentration volatile. Tiens, d’ailleurs, à propos de concentration volatile, on en a profité pour finir la journée avec Fabio Fognini sur le court n°1 dont les jours sont maintenant comptés, un peu comme ceux des joueurs français encore présents à ce stade de la compétition.

Viktoria et Belinda entre deux engueulades avec les ball kids.

Et sinon dans les tribunes ?

Ça dépend de quelles tribunes on parle. Sur le nouveau central Philippe-Chatrier, c’est le vide, dans tous les sens du terme. On vous l’accorde, il est immense et carrément vertigineux. La montée vers le 37e rang avec sa vue plongeante sur des joueurs de la taille des Lego de notre enfance tournerait la tête d’un porteur de minerve et ferait passer le Centre Court de Wimbledon pour une buvette d’interclubs dans le Gros-de-Vaud. Oui, les 15’000 sièges dont la finition, d’après la légende, aurait été effectuée à la main par une seule et même personne, sont diablement confortables comparés aux bancs des courts extérieurs dont la rigidité n’a rien à envier au plan de match de Ville Peltonen un soir d’affrontement décisif. Mais lorsqu’en milieu d’après-midi, le petit Lucas, local de l’étape, en est à 7 partout au 5e set et que le lieu est toujours au tiers vide, c’est qu’il y a un léger souci. Enfin bon, tant que le tournoi s’en met plein les Pouilles au bar Moët & Chandon, tout va bien. Aucune comparaison possible avec le Suzanne-Lenglen et surtout le n°1 qui sont de vraies arènes dont la proximité avec les joueurs invite à s’enflammer (enfin peut-être pas pour Henri Laaksonen, qui s’était rendu sur le court en Richard Gasquet expiatoire face à Novak Djokovic).

Au niveau « restricted view », notre emplacement sur le Chatrier se pose là. Heureusement, il reste quelques autres sièges libres…

La minute Pierre-Alain Dupuis (qu’on regrette déjà)

Le supporter myope et surexcité (et un peu beauf quand même) qui s’exclame « C’est Serena ! » à chaque fois qu’une joueuse de couleur pénètre dans son champ de vision. Taylor Townsend aura eu son heure de gloire sans le savoir, à défaut de pouvoir capitaliser sur la célébrité générée par ses (rares) victoires. On vous passe les problèmes rencontrés par nos voisins français lorsqu’il s’est agi d’accorder le nom « Suisse » au féminin pendant le match de Bencic, terrifiante difficulté syntaxique que même la gloire internationale de Martina Hingis n’aura jamais réussi à effacer.

La rétrospective du prochain tournoi

Vivement le gazon et ses tenues immaculées, hein Rodge ?

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"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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2 Commentaires

  1. j’y étais aussi pour la 1ère fois vendredi sur le chatrier…ça m’a vraiment fait mal au cul que les 2 suisses soient sur l’autre court. Incompréhensible alors que l’organisation doit savoir qu’il y a un max de suisses. Tout le monde nous a dit que les parisiens avaient déserté la ville. Heureusement on a pu voir un bout de Bencic et surtout un bout de Wawrinka…sinon niveau organisation c’est nul. On avait des billets à 480.- avec lunch et boissons offerts sauf qu’on devait aller au stade de rugby à côté pour en profiter. Au niveau de nos loges on n’avait même pas un bar ni de toilettes. Franchement l’arnaque leur truc. 20 min pour acheter une bouteille d’eau, 40 euros pour un chapeau pourri made in china. Bref je continuerai à regarder ce tournoi à la télé.

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