L’art de s’arrêter à temps

Désormais, chaque mois, Carton-Rouge a le plaisir de sortir ses griffes dans le nouvel hebdomadaire régional répondant au doux nom de Riviera Chablais votre région. Notre mission : croquer une thématique d’actualité sur le sport suisse avec impertinence. Nous publions quelques jours plus tard cette chronique sur notre site. Pour cette rentrée, on se rappelle de deux légendes du sport suisse : Roger Federer et Stanislas Wawrinka. Les plus vieux d’entre nous s’en souviennent sûrement.

L’être humain a deux grands problèmes : le premier est de savoir quand commencer, le second est de savoir quand s’arrêter. Ce n’est pas moi qui le dit, ni Gilbert Gress évidemment. C’est Paulo Coelho, ancien meneur de jeu de Fluminense et écrivain à ses heures perdues. Et on ne peut que rejoindre le Brésilien sur ce dernier point, c’est dur de s’arrêter à temps. Certes, il y a bien Michel, le collègue du bureau d’à côté, qui a pris sa retraite anticipée à 60 berges. Mais il faut bien dire que ça arrangeait tout le monde parce qu’il était aussi motivé en arrivant le matin que Benoît Paire en prenant l’avion pour Wimbledon.

Non, vraiment, s’arrêter au bon moment, ce n’est pas donné à tout le monde. Demandez aux deux anciennes gloires endolories que sont Federer et Wawrinka. D’un côté le Bâlois, qui vient de fêter ses 41 ans et dont le prénom correspond (enfin) à l’âge qu’il a. Aucun match disputé depuis juillet 2021. Un genou tellement en compote que mon neveu de huit mois en raffolerait pour son goûter. Plus de classement ATP enregistré. Mais aucune retraite à l’horizon*. De l’autre, Stan the Man, cabossé mais pas résigné, qui expérimente depuis quelques mois la vie d’Henri Laaksonen et des jumeaux de ma voisine, à savoir des sorties prématurées. Cela fait forcément un brin mal au cœur de voir les deux plus grandes légendes du tennis masculin suisse se battre pour simplement faire bonne figure. Quitte à perdre une grande partie de leur superbe et à paraître humain. Car oui, on dit humain quand on ose pas dire nul.

Les plus conciliants diront qu’une force de caractère comme la leur, ça ne se critique pas. Et ils auront peut-être raison. Les plus cyniques joueront un autre refrain en expliquant que pour faire tourner les affaires, il faut tout faire pour se montrer. Il y a un peu de ça aussi. Sans parler de l’amour pour leur sport. Mais une question reste en suspens. Quand on joue plus ou moins ouvertement pour entrer et rester dans la légende, pourquoi occulter volontairement le fait que se retirer au sommet fait directement de soi un mythe ? Lors du dernier Roland-Garros, une rumeur enflait sur une possible retraite de Rafael Nadal à la suite de sa finale victorieuse. Ce n’était finalement qu’un mirage et c’est bien dommage. À quoi bon gagner 25, 28 ou 30 Grands Chelems ? Ces comptes d’apothicaire en matière de palmarès ne servent à rien, tant cette brochette de gugus aura marqué son époque et repoussé les limites. Alors, finalement, et si celui qui se détachait des autres était celui qui réussissait la plus belle sortie ? Parce que finir sa carrière sur un deuxième tour à Bercy après une défaite contre Marton Fucsovics et une interview par Nelson Monfort, on a connu mieux comme apéro de départ.

Alors qu’on entend partout parler de black-out, on peut se mettre d’accord sur un point : c’est vraiment tout un art de savoir tirer la prise au bon moment. Et ce ne sont pas les médecins de Vincent Lambert qui me contrediront.

*Disclaimer: cet article a été publié dans l’édition de Riviera Chablais de mercredi 14 septembre, soit un peu plus de 24 heures avant l’annonce de la retraite de Roger Federer…

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