Quoi qu’il se Tsitsipas, Roger fédère toujours son Thiem

Vous avez développé une allergie soudaine et foudroyante au tennis de compétition depuis les insoutenables finales de Wimbledon et de l’US Open? Vous ne jouerez plus jamais les numéros 40 et 15 dans cet ordre à l’Euromillion ? Vous avez déjà prévu de déménager sur Mars pour une durée indéterminée une fois le 20e doigt d’honneur majeur empoché par l’éventreur de Manacor ? Le seul truc qui vous restait, c’était la Coupe Davis, mais même ça on vous l’a Piqué ? Ça tombe bien, Carton-Rouge a le remède à tous vos maux : boycotter la compét’ et ne s’intéresser qu’aux exhibitions dorénavant. On a donc hypothéqué notre maison, cédé notre voiture, dépensé l’intégralité de notre troisième pilier et vendu notre famille et nos potes aux enchères pour se payer un billet pour la Laver Cup et ainsi vous narrer les jeux du cirque intergalactiques du XXIe siècle en direct de l’empire du bout du lac.

Préambule

Oui, le mot « team » sera masculin dans cet article. On débattra sur les termes « Nutella » et « Game Boy » une autre fois.

Oui, on l’aime bien cette Laver Cup. Si on a réussi à nous faire croire depuis la nuit des temps au mythe de l’attachement à une nation, il y a de fortes chances qu’on y arrive aussi avec une bande de potes multiculturelle. Ça paraît même vaguement plus sain. Ça va juste prendre un peu plus que trois ans, voilà tout. Imaginez Dwight Davis en 1903, quand les haters de l’époque lui disaient que sa coupe de pacotille n’avait pas d’histoire. Pour ce spectateur lusophone dans notre champ de vision qui hurlait “Chumm jetzt” sur les doubles fautes adverses, c’était même déjà tout vu. Monsieur était con-quis. On vous l’accorde, le Swiss Maestro n’est peut-être pas représentatif de l’attrait d’une compétition puisqu’il pourrait jouer sous le maillot de Jupiter contre la planète Terre avec la survie de la race humaine en jeu qu’il aurait encore le soutien de 90% du stade.

Le week-end en deux mots

Five Guys.

Non, on ne parle pas des gugusses qui composent chaque équipe puisqu’ils sont 6 (et un remplaçant). Ni du déséquilibre des forces flagrant entre le Team Europe – Nadal (2), Federer (3), Thiem (5), Zverev (6), Tsitsipas (7) et Fognini (11) (remplaçant: Bautista Agut, 10) – et le Team World – Isner (20), Raonic (24), Kyrgios (27), Fritz (30), Shapovalov (33) et Sock (210) (remplaçant: Thompson, 53). Le tout en décidant de ne pas inviter le numéro 1 mondial à la fête du côté du Vieux Continent, histoire de garder un minimum de décence quand même.

On pourrait aussi dire que ces chiffres ne changeraient pour ainsi dire pas si on éliminait Thiem, Zverev, Tsitsipas, Fognini et le prophète de l’ennui suprême Bautista Agut de l’équation côté européen. Mais on va encore dire qu’on est mauvaise langue…

De quoi parle-t-on alors ? Évidemment de l’attraction principale du week-end, le fast food préféré de Barack Obama, le saint des saint du diabète et du cholestérol de ce côté-ci des Alpes, dont la seule enseigne en Helvétie se trouve à l’extrême limite de sa région civilisée. On imagine que Nick Kyrgios, probablement accompagné de Marc Rosset, y est allé manger tous les soirs avant d’arroser le tout au Britannia Pub.

L’homme du week-end

Jordan Thompson. Le Tom Selleck du pauvre, qui a été présenté 4 fois comme “l’homme à la moustache venu d’Australie”, à défaut de pouvoir dérouler son palmarès, a été bien brave. Le postérieur vissé au canapé du Team World pendant 3 jours sans jamais être appelé à jouer, tel le 13e attaquant d’une équipe de hockey, celui dont la pilosité lui a valu sa sélection a quand même eu une attaque de paupières pendant le Nadal-Raonic de samedi. Il faut dire que l’issue d’un affrontement entre ces deux-là est aussi prévisible que l’heure du coucher du soleil. Bref, Jordan aura encore moins bougé que Mirka, qui aura au moins fait quelques allers-retours entre son siège et le bar à champagne. Fatigué de ne rien faire, il est tout simplement resté au lit dimanche matin, on ne l’a aperçu qu’en soirée.

La buse du week-end

Franchement on hésite entre deux candidats. La luminosité à l’intérieur de la Halle 1 de Palexpo, clairement calibrée pour des chauves-souris (et qui nous a probablement rendus albinos) et la queue pour les chiottes. Si la nature vous rappelle à son bon souvenir entre deux matches, il faut en effet vous faufiler dans les méandres d’un escalier d’une largeur d’un mètre dans lequel une file se dirige vers les toilettes dames, une autre vers les toilettes messieurs et une troisième remonte dans un ordre mélangé depuis les deux lieux de repos pré-cités. Un vrai bonheur. On s’est demandé tout le week-end ce qui se passerait si quelqu’un actionnait l’alarme incendie par inadvertance aux heures de pointe.

On se dirige à tâtons vers l’arène.

Au final, si on n’arrivait pas à les départager, on pourrait toujours choisir le bagel à DIX BALLES (et pourtant au tennis un bagel s’arrête à 6-0 normalement) qui nous a donné juste assez de courage pour mollement faire semblant de soutenir Rafa contre le Yéti des montagnes canadiennes Milos Raonic, dont le revers a probablement été emporté par une avalanche. On avait déjà tout sacrifié pour Palexpo, mais on pensait quand même s’en sortir avec nos deux reins.

Le tournant du week-end

La blessure au poignet de Nadal qui l’a contraint à faire l’impasse sur le dernier jour de compétition. On soupçonne plutôt que 4 matches de suite en moins de 24 heures étaient une perspective peu alléchante pour le taurillon majorquin aussi peu de temps après son marathon de New York. L’Incroyable Hulk ibérique nous les aura vraiment brisées à chaque fois qu’il a pu en 18 ans de carrière. En lieu et place d’un Fedal en double et d’un Nadal-Kyrgios potentiellement assez épicé et saupoudré de services à la cuillère, les 17’000 spectateurs assistaient à un tour de tsi-tsi-passe-passe avec l’entrée des petits Stefanos et Dominic pour remplacer leur mentor. De quoi rester sur sa faim. Surtout quand Captain McEnroe annonçait juste après la prise de pouvoir du Team World (8-7 après 9 matches) que finalement Dirty Nick se faisait également porter pâle et remplacer par le plus allemand des Américains. Un peu plus et Kiki Mladenovic devait entrer en scène pour suppléer son fiancé autrichien.

Federer-Kyrgios. On aurait préféré ça à un vieux Zverev-Raonic pour conclure le week-end.

Le coup gagnant du week-end

La volée. Le point gagné en 2-3 coups de raquette. On les croyait disparus. On a aimé voir Denis Shapovalov en faire usage, même si dans son style brouillon habituel, il a alterné avec les coups droits basduf’. Nul besoin de pelle pour finir un point après 13 minutes et 4587543 coups de raquette à Palexpo. Oui, oui, la surface est RAPIDE. Au moins un truc que les puristes un tantinet réactionnaires auront apprécié ce week-end.

Mwouais. C’est ce qu’on aurait dit dans un monde idéal, mais en y regardant bien, il a bien fallu se rendre à l’évidence du contraire. On se dit également que le dernier tournoi auquel on a assisté en live était Wimbledon, qui se jouait clairement sur terre cette année. Donc oui, la Laver Cup, c’est au moins Mach 1 à côté.

Le vieux revers boisé du week-end

Celui de Fabio Fognini, forcément. Il n’y a pas que son revers qui l’a lâché d’ailleurs. Grâce aux innovations technologiques de la Laver Cup, on a même pu suivre son remontage de bretelles par le GOAT et son second en mondovision et en bicanal anglais-espagnol. Il faut dire que sa performance (sic!) face à un homme qui était arrivé à Genève sur la pointe des pieds (on pourrait presque dire en chaussettes) n’appelait rien d’autre. On retiendra tout de même les intrusions contrôlées dans la vie semi-privée des joueurs qui poussent ceux-ci à en faire des caisses et les spectateurs à visionner les moments de coaching qu’ils ont ratés sur Twitter en rentrant.

Les chiffres à la con

Et 1, et 2, et 3… Une victoire (en 2 sets gagnants, super tie-break au 3e) vaut 1 point le vendredi, 2 le samedi et 3 le dimanche. En cas d’égalité à 12 partout le dimanche soir… non, on vous voit venir, pas de tie-break crève-cœur, mais bien un double en… 1 set gagnant. Tous les joueurs du 6 de base doivent jouer au moins 1 simple le vendredi ou le samedi, mais personne ne peut jouer plus de 2 simples. A première vue ça n’a aucun sens, mais quand on regarde de plus près c’est du génie. Enfin sauf si vous n’avez qu’un billet pour la session de jour du vendredi et que ni Federer, ni Nadal, ni Kyrgios ne sont à l’affiche des matches à 1 point.

A peu près 12 générations du tennis réunies. Rod Laver a dû être sorti du congélateur pour l’occasion.

A l’instar de la Ligue des Nations en football, les règles n’ont cependant pas l’air d’avoir percuté chez tout le monde au vu des discussions entendues dans le train. On imagine aisément David Lemos tweeter “Pour la dernière fois : non, la Laver Cup ne permet pas de se qualifier directement pour l’Euro !”

L’anecdote

On apprenait mardi dernier sous la plume de l’excellent Mathieu Aeschmann dans les colonnes du 24 Heures (et probablement dans tous les autres titres romands sous le joug de Tamedia, apôtre de la diversité locale), que le Team Europe avait un groupe WhatsApp. Franchement, on donnerait cher pour lire ce que Fabio Fognini y raconte. On se demande aussi si leurs adversaires du week-end ont fait de même, et si Nick Kyrgios en a déjà violé les conditions d’utilisation.

Et sinon, dans les tribunes ?

Être possesseur d’un passeport à croix blanche dans un stade helvétique qui a vu tant de rencontres de la défunte Coupe Davis et être censé soutenir l’équipe bleue contre l’équipe rouge, ça va quand même assez loin dans la dissonance cognitive. Surtout si le fossoyeur des Baléares est en plus côté bleu. Bref, faire adhérer le peuple suisse à une union européenne n’est pas un mince exploit. Blague à part, c’est quand même beau de voir une compétition avec 3 ans d’histoire et assez peu de crédibilité chez les suiveurs habituels faire ce que bien des épreuves prestigieuses et parfois centenaires ne réaliseront probablement jamais : remplir une arène pour tous les matches proposés, parfois au-delà de 23h. Imaginez un Fognini-Sock sur le Philippe-Chatrier à l’heure des petits fours dans le salon VIP ou un Zverev-Isner aux Swiss Indoors juste après un match de King Roger, alors que le dernier train pour la Suisse continentale s’apprête à quitter la gare.

Le train de l’horreur entre Genève-Aéroport et Genève Cornavin à 23h38. 4 minutes d’enfer avant le long purgatoire vers Lausanne en s’arrêtant tous les 6 mètres.

Un mot encore sur l’applaudimètre. Même si Sascha Zverev a le charisme d’une poignée de porte et Dominic Thiem la science tactique d’une corde à linge, même si les Jack Sock et autres Taylor Fritz (il faudrait 20’000 signes supplémentaires pour disserter sur l’absurdité de ces noms) sont accueillis par quelques applaudissements polis et si Nick Kyrgios a droit à un panaché de sifflets et d’acclamations, on est obligé d’avouer que l’hystérie absolue déclenchée par l’entrée de Nadal et Federer nous a foutu les frissons à chaque fois, exhib’ ou pas. OK, notre voisin de droite a avoué à son pote qu’il n’avait jamais entendu parler de Borg et McEnroe. D’accord, un type a tout à coup décidé qu’il allait se lever pour aller se chercher une bière à 15-0, juste comme ça (immédiatement rabroué évidemment). Certes. Mais on peut vous certifier que la Laver Cup n’a pas le monopole de ce genre d’olibrius. Suivez notre regard en direction de Paris et Londres, notamment.

Un type lambda fait son entrée sur le court.

La minute Pierre-Alain Dupuis

Au plus grand regret de Massimo Lorenzi, les méchants capitalistes de TV24 ont snobé le service public et ont vendu les droits de la Laver Cup pour la Suisse romande à Léman Bleu (pour une bouchée de pain paraît-il). Étant sur place, non seulement nous aurions été privés de la voix du retraité PAD de toute façon, mais en plus nous avons manqué l’occasion de vous proposer une minute Henri Leconte, consultant chez nos collègues genevois. Qu’à cela ne tienne, notre place au rang 8 d’une section du stade dont nous tairons le matricule nous a offert la compagnie des deux plus prometteuses disciples de notre ami Pierre-Alain, surtout au niveau des commentaires radiophoniques pendant les échanges. Si ces deux dames du rang 9 ont le temps de se taire quelques minutes pour nous lire, on les remercie pour les acouphènes et on aimerait les brancher sur un projet de version audio de Carton-Rouge.

Un grand coup de Shapo au Team Europe qui l’emporte finalement 13-11 au bout du suspense. On a envie de hurler dans un micro comme Mohamed Lahyani. THIRTY-FIFTEEEEEEEEEEEEEN.

La rétrospective de la prochaine grosse blague de ce genre

En ce qui concerne la Laver Cup 2020, on avait à peu près autant d’infos que la SSR a de pouvoir dans le choix de ses retransmissions footballistiques au début du week-end. Le lieu devait se trouver quelque part dans “le reste du monde” (à croire que c’est George W. Bush qui a délimité les territoires) puisqu’on joue l’alternance. Selon nos informations, Boston et Montréal étaient des candidats crédibles (“le reste du monde” serait donc bien exclusivement l’Amérique du Nord…). Entre-temps, ce brave Todd Woodbridge a confirmé la rumeur selon laquelle la capitale du Massachusetts avait été retenue pour 2020. C’est Kyrgios qui doit être content de pouvoir se prendre pour un basketteur des Celtics dans leur antre du TD Garden. On ne sait pas si le vieux couple Roger-Rafa aura fait la paix avec le méchant Novak que plus personne n’invite nulle part depuis qu’il a fait le ménage au conseil des joueurs sur fond de putsch totalitaire. Le nombre de titres du Grand Chelem détenus par chaque membre du Big 3 en septembre 2020 décidera peut-être du degré de magnanimité avec lequel sera traité le Serbe. Djokonnard ou Djokopain à ce moment-là?

Par contre, après la Piqué Cup (gérée par l’ITF), dont les règles sont devenues aussi claires qu’un ciel de novembre au-dessus de Glasgow et la Laver Cup (principalement imaginée par Roger Federer et récemment récupérée par l’ATP), on aura aussi droit à l’ATP Cup en janvier prochain, compétition masculine basée sur feu la World Team Cup qui voyagera entre Sydney, Brisbane et Perth et remplacera la Hopman Cup, compétition mixte qui avait ses quartiers à Perth. Tout cela est donc d’une simplicité et d’une limpidité absolues. Ces dames apprécieront le progressisme des instances dirigeantes, et nous on se dira simplement que le duo “Benderer” était plus glamour que la nouvelle paire “Fedonen” ou “Laakderer” (on a essayé aussi avec les prénoms, c’était pire).

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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4 Commentaires

  1. Sans voiture, sans maison et sans 3ème pilier, tu aurais même eu de quoi payer le billet à tes potes (que tu n’aurais pas eu besoin de mettre aux enchères du coup)!

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