Dallas, ton univers pitoyable

A la fin de l’année écoulée, le FC Sion a joyeusement tendu les deux joues à ses détracteurs. Des lamentations de Stéphane Henchoz – y allant de bon cœur contre un mauvais Fortune – aux jérémiades de Kevin Fickentscher en passant par l’oraison funèbre de Constantin Jr, c’était la Saint-Barthélémy en Valais. Lassé de ces considérations footballistico-bibliques, Carton-Rouge a décidé de drastiquement changer d’air pour débuter 2020. C’est donc depuis la… Bible Belt qu’on vous retrouve afin de vous conter un premier épisode de la longue traversée du désert des Dallas Stars avec leur rencontre du 28 décembre dernier face au Colorado Avalanche en point d’orgue. Bienvenue au Texas, état dans lequel la météo hivernale est aussi bipolaire que son équipe de hockey sur glace.

Le contexte

Depuis 2011 et notre découverte de ce club dans le cadre d’un accident de parcours universitaire, on s’est souvent dit que jumeler les Stars avec le FC Sion ou le Lausanne Hockey Club serait une excellente idée. En effet, à Dallas, l’autoflagellation est plus qu’une seconde nature. On parle tout de même d’une entreprise dont le CEO se permet de qualifier le travail de ses deux employés les mieux payés (Tyler Seguin et Jamie Benn) de “fucking horse-shit” en public. Une équipe dont la “culture de médiocrité” (eh non, les droits de la Culture de la Gagne lausannoise ne sont pas à vendre) est décriée par son propre coach en conférence de presse au soir d’une défaite mortifiante face aux St. Louis Blues, alors lanterne rouge de la grande ligue, devant un parterre de journalistes médusés. Tout cela en quelques semaines la saison dernière. Imaginez donc ce qui a pu se passer en 27 ans d’histoire, depuis la délocalisation des Minnesota North Stars dans la ville de la famille Ewing. Oui, on vous parle ici d’une durée de vie quasiment équivalente au Abramovitch FC, Etihad City et Qatari Saint-Germain à eux trois.

Jim « Lex Luthor » Montgomery doit se rendre à l’évidence: ses joueurs ne sont pas des hommes d’acier.

Dans le Sud, les traditions c’est comme les statues plus que douteuses de généraux confédérés : c’est sacré. Du coup, pour respecter l’ancienne équipe de Dustin Jeffrey et Tobias Stephan et son histoire récente, on a même décidé de commencer la saison 2019/20 avec un handicap digne d’une première ligne Traber-Zangger-Wärn en finale olympique. Huit défaites sur les neuf premiers matches (record de la franchise établi par les Minnesota North Stars lors de la saison 1988/89 égalé), si c’est pas de l’altruisme, on ne s’y connaît pas. Surtout pour une organisation que beaucoup voyaient déjà surfer sur la vague de leur courte défaite à la 7ème reprise de leur combat face aux… Blues en demi-finale de Conférence Ouest en avril dernier. La tentation d’imiter ces mêmes Blues – eh oui, encore eux – en touchant le fond de la ligue au mois de janvier pour mieux chasser leur spleen et remporter la Coupe Stanley en juin en titillait déjà plus d’un.

C’est alors que, dans la plus pure tradition d’un hiver texan au cours duquel la température peut facilement passer de -6 à 22 degrés en 24 heures, les locataires de l’American Airlines Center enchaînaient 10 victoires en 12 parties, dont 7 de suite (un autre record maison égalé). C’en était trop pour Jim Montgomery, le meilleur head coach ayant pris place sur le banc local au cours de la dernière décennie. Il trouvait donc le moyen de se faire débarquer avec effet immédiat d’un navire dont il avait contribué à rectifier le cap avec la bénédiction de son directoire. La raison ? “Comportement non professionnel” (aucun détail supplémentaire ne sera rendu public). Il n’y aurait a priori aucun lien avec les mésaventures vécues par Mitch Marner, Johan Franzen ou encore Akim Aliu, pour ne citer que les plus célèbres d’entre eux (on ignorera donc complètement Chris Rivera à dessein), dans le cadre de la version hockeyistique de #MeToo. Le bilan de ses ouailles en était à 17 victoires, 14 défaites (17-11-3) après avoir connu l’enfer, le paradis et même un retour à la case purgatoire. En ce mardi 10 décembre qui restera de triste mémoire pour les fans texans, le FC Sion n’était finalement pas si loin que ça. Rick Bowness, le Christian Zermatten local (l’expérience en plus tout de même, 2388 rencontres de NHL à son actif en tant que coach principal ou assistant, record absolu), reprenait donc les rênes des Dallas Stars pour le sprint final menant au Winter Classic du 1er janvier.

Le cadre

Vous avez sûrement dépoussiéré vos classiques cinématographiques pendant les fêtes. Ben oui, il n’y a que deux matches de la Coupe Spengler par jour, il faut bien s’occuper, et surtout se calmer après avoir subi l’incontinence verbale de la RTS. Les incontournables de Noël, de Pretty Woman à Love Actually en passant par Home Alone, La Grande Vadrouille et Die Hard y sont forcément passés. Dans les rues de Dallas, on s’est pour notre part senti un peu comme Un Indien dans la ville, Les Visiteurs ou même E.T. Et pour cause. Au Texas, si vous êtes piéton ou utilisez les transports publics (les quoi ?), vous êtes un marginal, un sans abri ou bien pire, un Européen. Par contre vous avez le temps d’observer un peu ce qui se passe dans ce comté de tous les contrastes qui « accueille » près de 5000 SDF, mais également 25 milliardaires pour une richesse combinée de 8.7 trillions de dollars selon Forbes. Vous pouvez ainsi passer d’un tram dans lequel vous êtes le seul passager à n’avoir aucun vêtement déchiré et à ne pas être en claquettes-chaussettes à un cinéma muni de serveurs qui vous apportent votre pop-corn sur un plateau d’argent. Si on ne connaissait pas le nom du gouverneur du Lone Star State, on parierait sur Gianni « Mère Theresa » Infantino, notre chantre du football inclusif (surtout ceux et pas celles qui ont la peau blanche, l’âme noire, le billet vert et pour certains l’urine violette au contrôle anti-dopage).

Photo exclusive du bureau de Rick Bowness à l’American Airlines Center.

Outre ses inégalités sociales et raciales qui vous sautent au visage le coude en avant tel le toujours très fruité Tristan Gervais euh pardon le toujours très futé Tristan Scherwey, la ville est comme son équipe de hockey, en (re)construction permanente et désordonnée. La skyline n’est pas en reste, un peu comme si une demi-douzaine d’architectes avaient commencé des projets différents au même moment sans se concerter et tout en prenant soin de ne surtout rien terminer. Toute ressemblance avec le travail effectué par les quatre derniers coaches des Stars serait naturellement purement fortuite. Rassied-toi Christian, on a dit « architectes » et « coaches », pas magnats de l’immobilier et Kleenex.

Des architectes visionnaires on vous dit.

Le stade

On a beaucoup parlé du nouveau vidéotron de la Vaudoise aréna cette saison. Arrêtons. Une soirée dans l’American Airlines Center suffit à se rendre compte qu’au niveau taille, décibels, animations, lumières, couleurs, et tout et tout, on peut facilement faire passer le nouveau joujou prilléran pour une TV 4/3 des années 90. En ce qui concerne le reste, des bars aux accès en passant par le wifi, c’est Malley 4.0 (au bas mot). Dommage que le gouvernement texan n’ait pas alloué le même budget à la construction des routes et des voies de chemin de fer. A chaque fois qu’on passe sous la bretelle de l’Interstate 345 pour rallier le centre ville, on ne peut s’empêcher d’accélérer le pas (en essayant de ne pas se fouler une cheville dans une fissure du trottoir) et de chuchoter une petite prière entre deux grincements aussi lugubres qu’une œillade de Severin Lüthi.

Bon ben pas de budget pour l’aide sociale et l’éducation cette année…

Le public

Vous nous connaissez sur Carton-Rouge, il y a peu de choses qui nous énervent. Les comparaisons à la con entre les chaudrons (sic !) helvétiques et les ambiances aseptisées de NHL en font pourtant partie. Un chant lancé par la sono du stade ou un écran géant qui vous incite à « faire du bruit », il faudra quand même qu’on nous explique une fois en quoi c’est plus bête qu’un guelu à torse nu et dos au match aux talents de DJ et au sens du rythme aussi discutables qu’un argument d’Eric Zemmour. On ne nous enlèvera pas non plus de la tête que les supporters adverses ont pu faire le trajet Denver-Dallas en utilisant le transport de leur choix (même si la location d’un esquif lacustre paraissait quand même bien compromise vu la topographie du trajet) et qu’il n’est venu à l’idée de personne de les enfermer dans une cage à leur arrivée. Et pour cause. Ils n’étaient pas venus pour en découdre, mais bien pour passer un samedi soir sympa en regardant du hockey sur glace et en ingurgitant leur poids en cholestérol pur et diabète certifié non filtré.

Un stade debout pendant les 5 minutes de prolongations et les tirs au but, ça arrive en Suisse ?

Les étoiles

On en retiendra deux, une de chaque côté.

A notre gauche, Miro Heiskanen. Retenez bien ce nom. A 20 ans, le défenseur finlandais des Stars et numéro 3 de la draft 2017 a déjà une vitesse de patinage, une vista et des mains que Jonas Junland n’entrevoit que dans ses rêves les plus moites. Comme son temps de glace moyen est encore plus élevé que celui qui était offert au plus lutryen des Suédois avant la dernière visite de Ville Peltonen chez son opticien, c’est préférable. On ose à peine imaginer le niveau qu’il atteindra dans quelques années, lorsque son visage ressemblera un peu moins à une mercerie, puberté oblige.

A notre droite Nathan MacKinnon, une star qui boxe dans une catégorie proche de celle du Next One (ben oui, Great One, Special One et même Special Two étaient déjà pris…) et du nouveau messie McJesus, celle des numéros 1 de draft. Comme tout le reste du stade, on a risqué l’infarctus en voyant que le brave Rick « Heinz Ehlers » Bowness avait envoyé la ligne Comeau-Faksa-Lindell (l’équivalent d’une combinaison Staudenmann-Baumann-Sigrist pour nos lecteurs les plus expérimentés) face au brelan d’as MacKinnon-Makar-Compher pour débuter la prolongation. En oubliant certainement qu’il s’agissait de 3 contre 3 et donc potentiellement d’un suicide collectif avec la ligne des 747 sur la glace face aux bombardiers adverses capables d’atteindre Mach 1 en quelques mètres. Fort heureusement pour nous, la rédac’ avait pris soin de réserver un hôtel à deux pas du Baylor Scott & White Heart and Vascular Hospital. Très pratique en cas de fortes douleurs à la poitrine en fin de match.

Le match

Hein ? Ah oui, le match ! On allait oublier. Stars-Avalanche donc, ce qu’il y a de plus proche d’un derby en Amérique du Nord. En effet, seulement 1200 km séparent les deux villes, à peu près la distance entre Lausanne et Trinec. Voilà qui replace la question de savoir si LHC-Gottéron est vraiment un derby dans son contexte, à savoir celui des interrogations inutiles. On s’ébroue à peine après avoir essuyé une sorte d’orage tropical sur le chemin de la patinoire que Tyler Seguin, assisté d’Alexander Radulov et de John Klingberg (dont le frère cadet joue les terreurs dans une ligue mineure quelque part en Suisse ou en Suède paraît-il) ouvre la marque après 1’08’’. Tant pis pour les fans qui étaient encore en train de regarder cette demi-finale obscure de football universitaire au bar d’en face. Bon, comme ça fait deux jours que le cahier des sports entier de USA Today est occupé par ce truc, ça doit être assez important quand même.

« Eh les gars, vous avez vu cette technique de balayage ? »

Le reste est comme le patinage des protagonistes : très, très rapide. On a à peine le temps d’apprécier les nombreux jeux et animations à l’écran et la minute féministo-progressiste sous forme de balayage de glace par les doctes Ice Girls (les pulls de Noël sont drôlement courts cette année) que la marque en est déjà à 2-2 et qu’il est temps de jouer 5 minutes de temps supplémentaire. La frayeur du premier shift passée (lire plus haut), Ce sont les Stars qui sont les plus proches d’empocher un point supplémentaire, eux qui étaient passés à plusieurs reprises à quelques centimètres de métal de la correctionnelle au cours des 60 minutes réglementaires. On se demande encore comment Philipp Grubauer est parvenu à détourner les 478 tirs (décompte approximatif) qui lui ont été adressés par le power play adverse en overtime. C’est Joe Pavelski et Alex Radulov qui mettront tout le monde d’accord lors de la séance de tirs au but, avant que tout ce petit monde ne se rue vers la sortie en adressant vaguement un signe aux 18’000 personnes venues les encourager. C’est que dans moins de 24 heures on joue à plus de 1700 km d’ici, à Glendale, face aux Arizona Coyotes. Ça compte comme derby ou pas ?

Tyler Seguin, contrairement à ses habitudes en boîtes de nuit biennoises, ne parvient pas à la mettre au fond.

Fin du premier épisode. Retrouvez-nous mardi 7 janvier pour l’épisode II, le Winter Classic. En attendant, toute la rédac’ vous souhaite, chers lecteurs, une année 2020 remplie de décisions aussi propices que le dernier choix d’entraîneur du FC Lucerne.

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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