Stars Episode II : le pire contre-attaque

Le retour du bétail dans un Winter Classic

Nous reprenons la plume en léger différé de Dallas pour le deuxième épisode de nos aventures texanes. Après une première visite des installations locales que vous avez pu dévorer en guise d’entrée dans nos colonnes vendredi dernier, voici enfin venu le temps de parler du plat de résistance. Ne nous dites pas que vous n’avez plus faim après les fêtes, on sait que vous vous êtes rués sur la galette des rois ce week-end. Le plat de résistance donc, la douzième édition du Winter Classic, ce fameux match en plein air du Nouvel An que les Stars ont le redoutable honneur d’accueillir cette année, s’exposant aux quolibets potentiels d’un pays entier, voire du reste du monde, qui ne croit que modérément aux vélléités hockeyistiques des lieux. Direction l’est de la ville et un vieux stade à moitié désaffecté depuis le départ du FC Dallas en 2005, mais néanmoins immense. C’est ici que les locaux s’apprêtent à affronter les Nashville Predators de Roman Josi.

Le scoop

On est obligé de revenir sur ce qui a été dit vendredi dans l’épisode I car ce qui n’était encore qu’une vague menace fantôme à ce moment-là est devenu bien plus clair. On vous racontait que le Maître Jedi Jim Montgomery avait été remplacé par son… vieux Padawan Rick Bowness (64 ans) pour des raisons qui n’avaient pas été rendues publiques. Il se trouve que ce brave Jim a profité du retour aux affaires de Carton-Rouge en ce début d’année pour publier un communiqué via le Dallas Morning News expliquant (en partie) son passage du côté obscur de la Force. Yoda avait averti Anakin que sa peur mènerait à de la colère et allait causer sa perte, mais il n’avait pas prévu les méfaits de l’alcoolisme. De son propre aveu, « Monty » a donc été débarqué pour des raisons découlant d’une addiction à l’alcool et est sur le point de commencer une cure de désintoxication. Franchement, au vu des montagnes russes vécues en ce début de saison, les plus sobres d’entre nous auraient probablement sombré aussi. En ce qui concerne la goutte de vodka qui a fait déborder le verre et conduit à la découverte du problème, Twitter a quelques idées:

Une vraie attaque des clowns sur Twitter. Pour les froides analyses factuelles, rendez-vous plutôt sur le forum du LHC.

La bizarrerie locale

Le stagiaire du magasin était en charge de l’orthographe.

On se permet une partie didactique en guise d’introduction aux us et coutumes indigènes. En effet, c’est la première et la dernière fois de notre carrière de médiocre scribouillard qu’on aura l’opportunité de détailler le concept de tailgating. Le tailgating, selon le dictionnaire, est une activité exclusivement nord-américaine qui consiste à parquer sa voiture aux abords de l’enceinte abritant un événement souvent sportif, ouvrir le coffre, et y préparer un repas que l’on partagera avec ses potes ou même de parfaits inconnus. Des steaks aux burritos en passant par le chocolat chaud et les tacos arrosés de bière (tout ça avant 9h du matin donc), tout y passe. A voir les hauts cris poussés par les détenteurs de billets pour le Winter Classic sur les réseaux sociaux lorsque la NHL a d’abord décidé de l’interdire avant de se raviser, le tailgating avant un match, c’est sacré. On avoue ne pas avoir eu le culot de Sean Shapiro, journaliste attitré des Stars à The Athletic, qui avait décidé de se faire offrir l’apéro avant d’aller bosser, mais apparemment on aurait dû. Lisez plutôt :

Voilà qui paraît effectivement tout à fait logique.

L’avant-match

7h53. Petit déj’ à l’hôtel qui est truffé de supporters de Nashville en déplacement depuis maintenant deux jours. Comment les reconnaît-on ? Facile, aux Etats-Unis on est tellement fier de son lieu d’origine que tout le monde a tendance à porter une casquette, un hoodie, un t-shirt ou encore un maillot arborant le logo de son équipe ou université préférée dans la vie de tous les jours. Inutile de vous dire qu’on voit pas mal de maillots jaunes se servir du café et des bagels pendant qu’on s’enfile un vieux yoghourt et une banane histoire de commencer la detox de janvier. Oui, un maillot jaune qui n’ajoute rien de suspect à ses céréales matinales ça surprend.

8h37. Sur le chemin du stade, on est vite rejoint par une foule compacte. La ville semble se diviser en trois parties distinctes. Une marée verte de fans des Stars, une déferlante jaune de supporters des Predators et le reste de la population qui ne sait pas très bien ce qui se passe. Non, cher Monsieur, nous ne sommes pas venus encourager les Green Bay Packers.

Gritty: « Je suis la mascotte la plus effrayante de la NHL. » Victor E. Green: « Hold my beer. »

9h03. On y est enfin. Le Cotton Bowl, théâtre du très attendu Winter Classic. L’endroit est bordé par le seul espace vert digne de ce nom à Dallas, Fair Park, construit pour célébrer le centenaire du Texas en 1936 et maintenu en vie par la foire annuelle de l’état. On y apprend que ce dernier a successivement appartenu à l’Espagne, à la France et au Mexique avant de devenir le 28ème état de l’Union en 1846. On y lit également, presque en passant, quelques lignes sur les brèves existences de la République du Texas de ce bon vieux Sam Houston (1836-1846) et des États Confédérés (1861-1865). On a donc été colonisé de toutes parts avant de goûter au calice de l’indépendance, puis de faire sécession sur fond d’esclavage. Voilà qui explique bien des choses au niveau de l’imaginaire régional texan. Bref, la prochaine fois que vous jouerez au Trivial Pursuit, Six Flags Over Texas, avant d’être un parc d’attractions, c’est donc ces six étendards qui ont chacun à leur tour flotté au-dessus des lieux.

Tu voulais t’acheter un maillot au shop ? Ben fallait courir…

10h17. Ça y est, on est plusieurs dizaines de milliers. En voyant la file menant aux toilettes, on se dit qu’on pissera en 2021. L’option B aurait été de se soulager ni vu ni connu dans un verre vide, mais il aurait fallu une autre bonne demi-heure de queue pour en obtenir un plein pour commencer.

Jere Lehtinen, Marty Turco et Brenden Morrow. 2409 matches de NHL, 1 Coupe Stanley, 1 titre olympique et 2 titres de champion du monde à la même table.

10h26. Après avoir écouté quelques illustres alumni des grandes années des Dallas Stars parler d’un passé plus simple, être arrivé trop tard pour les autographes (il fallait faire la queue quelque part au préalable pour obtenir un sésame figurez-vous) et avoir constaté que tenter de mettre la main sur un corn dog nous ferait probablement rater le début du match vu la demande, on comprend que même pour respirer il va falloir attendre. Nous décidons donc de faire comme tout le monde et d’intégrer l’un des multiples rangs d’oignons du lieu, celui du stand de merchandising. Après 6 longues minutes d’attente quasi insoutenable, on se rend compte qu’on n’a pas avancé d’un pouce, mais que la file d’attente a doublé de volume derrière nous. On essaie quelques Jedi mind tricks, mais rien n’y fait, on ne bouge pas. Au fait, on n’aurait vraiment pas dû parler de toilettes…

Du bout de cette file, quarante siècles d’attente vous contemplent.

11h03. Panne temporaire du système de lecture de cartes de crédit. Le préposé aux caisses demande vainement aux badauds de ranger leurs téléphones qui surchargent le réseau. Moment béni où la toute puissante NHL venue civiliser les sauvages des plaines texanes réalise que 85’000 personnes avec un accès internet, c’est beaucoup.

11h30. Une ambulance essaie de fendre la foule. Les gens préféreraient laisser un de leurs semblables mourir dans d’atroces souffrances plutôt que de céder leur place dans la chaîne qui doit les mener à s’alléger de quelques liasses de dollars pour toucher au graal, un souvenir du Winter Classic dont personne n’a encore rien vu à l’heure qu’il est.

35 dollars et 2h03 d’attente. Le capitalisme, y a que ça de vrai.

11h55. On sympathise avec notre voisine qui nous explique qu’elle vient de Houston et que ses garçons font du hockey alors que sa fille fait du patinage artistique (oui, c’est un incroyable cliché, mais on est trop fatigué pour le relever après 1h35 d’attente en position verticale). Il leur faut se déplacer à Dallas tous les week-ends. On se dit que 10 heures de voiture aller-retour tous les 7 jours démontre une sacrée motivation dans un coin de pays où appréhender le concept de glace est censé demander un effort mental conséquent. Du coup on n’ose pas lui dire que notre niveau de patinage est proche de celui d’une version unijambiste de Tim Traber (et encore).

Tiens, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas attendu !

12h23. Ça y est ! Après plus de 2h de queue, on atteint les caisses, dont les lecteurs de cartes ont définitivement rendu l’âme entre-temps. Une chance qu’on ait pensé à retirer du cash pour la première fois depuis 2015. Vous pensez qu’on a fini d’attendre ? Que nenni ! A l’instar du All England Lawn Tennis Club, la pratique de la file indienne semble être un sport national à Fair Park. C’est donc exactement 22 minutes plus tard que nous nous asseyons à notre place dans les gradins, après avoir fait se lever une rangée entière de spectateurs qui étaient arrivés en avance, eux. Ben oui, en plus d’arriver à la bourre notre siège était évidemment situé en plein centre de ladite rangée.

Le match

Même si notre position de commentateur est à plus ou moins 800 mètres de la surface glacée, on sent les Texans aussi paniqués d’entrée de jeu que s’ils devaient interagir avec le système de santé américain sans couverture d’assurance. En même temps, on serait aussi complètement pétrifié si on devait porter ce short beige immonde en public. Cette panique se traduit dès la 3ème minute par une charge horrible de Corey Perry, le Tristan Scherwey canadien. Ryan Ellis s’envole pour l’hôpital. Enfin il est évacué à une vitesse toute relative en voiturette de golf pour être précis. Le match est également terminé pour l’ancienne icône des Anaheim Ducks et actuel boulet vieillissant des Dallas Stars qui est renvoyé au vestiaire par le corps arbitral. On est sûr que son alter ego fribourgeois aurait rêvé de prendre la première pénalité de match de l’histoire du Winter Classic. Tant pis pour lui.

Le vainqueur de l’enchère touchera effectivement un maillot (presque) neuf.

Deux minutes plus tard Blake Comeau se dit qu’il serait tout de même bien de vérifier si les spectateurs sont aussi loin de la patinoire qu’ils en donnent l’impression en balançant le puck dans leur direction. D’abord avec deux hommes de plus pendant 2 minutes puis encore 3 tours d’horloge à 5 contre 4, Nashville ne se fait pas prier pour marquer à deux reprises (Matt Duchene, 6ème et l’infernal Dante Fabbro, 8ème, tous deux avec un coup de main de Josi). Ce n’est pas Denis Gurianov qui sonnera le réveil de la Force pour ses troupes une minute plus tard en tirant son penalty obtenu sur une faute de Matt Irwin comme si le champagne de la Saint-Sylvestre mettait encore en péril sa capacité à mettre un patin devant l’autre. Le plan de Rick Bowness, coach ad interim des Stars, est en marche : son équipe s’est fait une spécialité des come-backs en troisième période dernièrement et il aurait été bête de rater une occasion de montrer aux 85’630 spectateurs présents (deuxième affluence la plus élevée de l’histoire en NHL) qu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Et que c’est vraiment dur d’être en pleine possession de ses moyens avant 18h un 1er janvier.

La seule façon de ne pas être rendu aveugle par le bas de l’équipement texan ? Prendre ses distances avec le rink !

Si Carton-Rouge touchait 5 centimes à chaque fois qu’un joueur du championnat de Suisse mentionne le fait qu’il faut jouer 60 minutes pour gagner au détour d’une interview d’après-match, on ferait nos apéros aux Seychelles et pas aux Boucaniers. Et pourtant, à Dallas il suffit de se sortir les pouces du short vintage pendant un petit quart d’heure même pas vaudois pour en planter 4 et rappeler à la franchise du Tennessee qui est le patron depuis 8 mois (les 5 dernières rencontres entre les deux équipes de la Central Division, playoffs compris, ont été remportées par les Stars). C’est Comeau, satisfait de sa vérification des distances en première période, qui donne un nouvel espoir à ses couleurs (39ème) avant que Mattias Janmark (41ème), Alexander Radulov (46ème) et le proverbial tâcheron Andrej Sekera (48ème, premier but de la saison) ne poussent définitivement les résidents de Music City, plus du tout dans le rythme et multipliant les fausses notes, à revoir leur partition. Une véritable remontadallas. Excusez-nous, c’est l’émotion.

La vérité du jour selon les statistiques aura finalement été très simple. L’équipe qui domine provoque des pénalités qui débouchent sur une domination encore plus claire et des buts (4 sur 6 en power play). En ce qui nous concerne, on croit dur comme fer que les conseils du docte porteur de Stetson du rang 44 devant nous, que les joueurs ont forcément entendu à cette distance vu la voix de stentor de notre homme, ont porté leurs fruits. Entre « look alive ! », « get in there ! », « get it out of there ! », « find him ! » et « one more goal ! », Bowness a du souci à se faire pour son job déjà bien précaire.

On se régale de ce festival de buts et on en oublie presque de suivre la finale de la course de cochons organisée pendant les commercial breaks. Oui, oui, vous avez bien lu. Dès que les noms de Dallas et Nashville ont été accolés à son Winter Classic, la NHL a ouvert le Grand Livre des Stéréotypes de l’Ouest Américain. Cowboys, lassos, bétail et donc cochons, tout y passe. Cette finale met aux prises Romham Josi et Gabriel Landeshog après l’élimination d’Andrew Hogliano. Une minute de silence pour apprécier la profondeur de ces jeux de mots porcins qui sont très clairement le produit de longs mois de labeur de la part des organisateurs. C’est bon, vous les avez ?

L’identité du vainqueur est aussi claire que du cristal depuis notre position privilégiée.

On ne serait pas exhaustif si on ne mentionnait pas le fait qu’ici, comme à la Vaudoise aréna, chaque (non-)événement est lié à un sponsor. Lors de la deuxième pause, on nous lance d’ailleurs un petit rappel: « Enjoy Jägermeister responsibly ! » Mais oui, et faites gaffe avec cette grenade dégoupillée. Ce n’est en tout cas pas nos voisins de gauche, les seuls à des kilomètres à la ronde qui ne portent pas de maillot de hockey, qui vont se mettre sur le toit. L’expression de leur visage rappelle Melania Trump quand son mari parvient à agripper sa main de force ou encore la tronche que tirait Harvey Weinstein en arrivant au tribunal sur les chapeaux de roues (de déambulateur) hier. On ose à peine imaginer sous quel prétexte fallacieux des gens clairement mal intentionnés leur ont fourgué des sésames pour ce sport qu’ils exècrent. Ben tiens, on demandera l’avis du rédac’ chef Yves Martin, contraint et forcé qu’il est de se traîner à un match de ce LHC qu’il abhorre le 25 janvier prochain.

Un jeu de mots sympa (encore un !) et… ouais, même pour sortir il faut passer un énième examen de résistance à l’agoraphobie.

L’après-match

On laissera le mot de la fin au locataire de l’urinoir voisin après des heures de rétention d’eau. Celui-ci, au mépris des règles de bienséance les plus basiques en ce lieu (surtout pas de contact visuel ou vocal sacrebleu !), déclare, visiblement soulagé: « Oh God, this is good ! I don’t know about the 11-dollar beers but whatever ! » Le montant mentionné est véridique (et on parle de Bud Light, pas de bière artisanale non filtrée). Les Predators ne sont donc pas les seuls à avoir pris cher au Cotton Bowl. Au moment où nous publions ces lignes, Peter Laviolette, coach de la franchise du tigre à dents de sabre au langage souvent fleuri, vient d’ailleurs d’être prié d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. L’heure de la revanche des Suisses Josi et Weber aurait-elle sonné?

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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4 Commentaires

    • C’est moins drôle si tu ajoutes des notes de bas de page pour expliquer mes vannes… Oui, tu as bien identifié le procédé d’autodérision 😉

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