Gaudio finit pied au plancher malgré un gros coup de pompe

Roland-Garros aura lieu en octobre cette année. Enfin, ou pas. Ça dépend de l’annulation ou non de la saison sur dur à la suite de celle de son homologue sur gazon sans compter ce qu’on fera de la parenthèse hivernale en indoor. A moins que le tout ne soit reporté à 2021. Oui, mais en 2021 il y aura déjà l’Euro et les Jeux Olympiques. Les Mondiaux de hockey qui devaient avoir lieu en Suisse en mai seront-ils simplement repoussés d’un an eux aussi ? Quid de la Laver Cup, du Traber derby de trot attelé de Berlin, des Jeux du Québec de natation synchronisée et des Championnats de Bulgarie de danse sur glace ? Comme dirait un célèbre passager d’hélicoptère, on ne sait pas et on reste planté là. La vie ne nous apprend rien. On vit au jour le jour dans l’attente de ce putain de « tassement de la courbe ». Du coup, à la rédac’ de Carton-Rouge, on a décidé d’enfiler notre costume de Bernard Giudicelli et de commencer à prendre des décisions complètement saugrenues et unilatérales nous aussi. Notre Roland-Garros aura lieu en avril et sa finale opposera Gaston Gaudio et Guillermo Coria. Retour sur l’épilogue tragicomique de l’édition 2004 du tournoi parisien en mode aussi décalé que les exercices de gainage du foie de Benoît Paire sur Instagram.

Préambule

Quand tu envoies un WhatsApp à un collègue pour qu’il te dise ce qu’il pense de ton sujet d’article, que tu tapes « Coria » et que le correcteur automatique le transforme immédiatement en « Corona », tu sais que tu es dans le juste.

Où est Charlie ?

Nous sommes le 6 juin 2004. Personne ne le sait encore, mais c’est la dernière année d’incertitude pré-Nadal Porte d’Auteuil. Il y a même des Français inscrits au palmarès, c’est vous dire (Golovin/Gasquet en double mixte et Monfils en junior). Roger Federer ne le sait pas non plus, mais sa défaite sans gloire au troisième tour face à un Gustavo Kuerten qui n’a déjà plus grand chose à voir avec le triple vainqueur de la deuxième levée du Grand Chelem l’a privé d’une de ses dernières chances de remporter le titre. C’est aussi une des dernières qui sonnent pour un Argentin de succéder à Guillermo Vilas, dernier vainqueur « gaucho » d’un tournoi du Grand Chelem en 1979. Ça tombe bien, on en a deux sur la ligne de départ : Gaston Gaudio, 44ème mondial aux variations d’humeur aussi brusques qu’un tour sur le Silver Star d’Europa Park, et Guillermo Coria, numéro 3 mondial dont la sournoiserie n’a d’égale que sa méchanceté. Sans compter son passé de dopé repenti (2001, nandrolone, le seul élément positif à son sujet). Voilà qui promet beaucoup.

Le match en deux mots

Cinq sets.

Et franchement, quand on regarde les statistiques des deux hommes lorsque le match atteint sa limite, on sent immédiatement le potentiel comique de cette rencontre.

Gaston Gaudio : 3 victoires, 9 défaites avant cette finale. 2 de ses 3 victoires sont intervenues au cours de la quinzaine qui nous occupe (contre Guillermo Canas au premier tour et contre Jiri Novak au deuxième).

Guillermo Coria : 1 victoire, 1 défaite. Monsieur est expérimenté.

A noter encore que Coria mène 3-1 dans leurs face-à-face qui ont tous eu lieu sur terre battue et ont tous été extrêmement disputés jusqu’à ce fameux dimanche parisien. Les deux hommes ne s’affronteront plus jamais après ce combat devenu légendaire.

L’homme du match

Gaston Gaudio.

Toute la force mentale du bougre représentée en une capture d’écran.

La buse du match

Guillermo Coria.

Guillaume l’ex-conquérant était tellement détruit à l’issue de la finale qu’il s’est mis au jardinage.

Le tournant du match

Le moment où le natif de Temperley (bon OK, vous n’avez aucun moyen de savoir que c’est Gaudio) rentre de plain-pied dans la partie en marquant son premier jeu après 35 minutes. Il est mené 6-0 2-1. C’est bon la machine est enclench… euh, ah non. Des doubles fautes, des coups droits basduf’, des amorties qui rebondissent dans sa moitié de terrain, en veux-tu en voilà. 6-0 6-3 en tout juste 60 minutes. La finale dames est bouclée, place aux hommes.

Bon. On vous parle quand même du vrai tournant du match ? Nous en sommes à 4-4 dans le troisième set. Service Coria, qui mène tranquillement 40-15. S’ensuit un échange de 24 coups de raquette au cours duquel Gaudio visite tous les recoins du court comme s’il savait que son studio de 25 mètres carrés serait bientôt son seul lieu de villégiature. Ah non, on est en 2004, la distanciation sociale c’est pas pour demain. Bref, notre ami argentin conclut sur une contre-amortie qui aurait fait se lever Stephen Hawking, breake dans la foulée et remporte la manche sur le jeu suivant. Guillermo Coria est accroché pour la deuxième fois seulement de la quinzaine. Pour l’anecdote, après avoir soigneusement concassé Davydenko, siroté Monaco, gobé Ancic, avalé Escudé et désossé Moya, notre ami William, bonne poire, a quand même réussi à perdre un set face à… Tim Henman. En demi-finale. De Roland-Garros. On vous laisse relire et méditer sur l’énormité du truc.

Carla Francovigh, l’authentique laideron qui sert d’épouse à Coria, accuse le coup.

Le coup gagnant du match

On nous bassine depuis plus d’une décennie avec les revers à une main de Wawrinka, Gasquet, Dimitrov ou Federer. Allez jeter un œil à celui du traîne-savates à la casquette Diadora, il vaut vraiment le déplacement (à terminer par une glissade évidemment). Par exemple ici, lors d’un autre Gaudio-Coria de bien meilleure facture.

Le vieux revers boisé du match

Le medical time out de Coria à 1-1 au quatrième set. Crampes à la jambe gauche, probablement dues à une soudaine et extrême nervosité (tiens, marrant ça, on croyait qu’on ne pouvait pas appeler le soigneur en cas de crampes…) Trois minutes plus tard, notre Guglielmo national sert un peu comme nous après deux apéros au TC La Croix-sur-Lutry un dimanche matin, en mode deuxième balle sans utilisation des membres inférieurs. C’est le début de la représentation du grand cirque sud-américain. C’est parti pour une série de retours amortis, de lobs improbables, d’absence de jeu de jambes et de coups droits dans la bâche. On cligne des yeux et Gaudio a mis le pied euh pardon la main sur la rencontre pour recoller à deux sets partout (6-1 dans la quatrième manche) face à un Coria complètement à côté de ses pompes. On commence à craindre un scénario connu pour le champion du monde toutes catégories des abandons et autres forfaits en tous genres. On pense même que le coup de grâce a été asséné lorsqu’un juge de ligne sans pitié le sanctionne pour une faute de pied (un comble à ce niveau d’immobilité !) à… 5-1 40A.

Cette grimace de Gaston Gaudio (sponsorisée par la Fédération des Dentistes d’Île-de-France), c’est un peu nous tous devant ce match complètement dingue.

On se taira sur la capacité miraculeuse de Coria à courir comme un cabri de la Pampa dès la reprise de la manche finale parce qu’on risquerait encore de se faire poursuivre en justice pour diffamation… D’autant que cet authentique prodige (on a cru entendre le kiné lui dire « lève-toi et marche ») est forcément accompagné par un court-circuit général de l’autre côté du filet. On vous le dit, ce match c’est vraiment le pied ! A moins d’en être l’un des deux protagonistes bien sûr.

La ribambelle de chiffres vraiment à la con

En trouvant enfin chaussure à son pied en Grand Chelem, Gaudio remporte son premier titre de l’année, le troisième seulement d’une vie professionnelle jusque-là assez médiocre, dans le sens premier du mot. Il en remportera 8 en tout, pas de quoi célébrer sa fin de carrière en grande pompe en 2011.

Se faire botter le cul par un Gaudio, ça fait quand même drôlement chier…

Mais quel scénario pour en arriver là ! D’abord mené deux manches à zéro, puis breaké à 4 reprises (pour un total de 9 breaks) dans le dernier set, il sauve ensuite 2 balles de match sur service adverse. C’est à 7-6, la première fois qu’il passe en tête en 13 jeux, que Gaston Gaudio chausse enfin ses bottes de sept lieues et empoche la mise. On ne peut s’empêcher de rajouter un ratio qui veut tout dire sur ce match qui a souvent touché au pathétique et au surréaliste, mais très rarement au sublime: 69 coups gagnants pour 145 fautes directes.

L’anecdote

Gaudio flippe tellement en début de match qu’il est mené 3-0 double break avant même qu’Eurosport n’ait le temps de prendre l’antenne. La preuve, Jean-Paul Loth, qui n’avait que 112 ans à l’époque, est encore en tribunes à la fin du premier set.

« Comment ça on m’appelle en studios ? »

Et sinon, dans les tribunes ?

On est rassuré, le public local était déjà extrêmement objectif et mesuré en 2004. Dans son impartialité légendaire, la foule prend fait et cause pour le moins bien classé des deux Argentins dès l’échauffement. Vous pensez que c’est par pure noblesse d’âme que le Court Philippe-Chatrier a décidé de supporter l’underdog ? Que nenni. Figurez-vous que ça fait deux semaines que la fouine de Rufino les emmerde avec ses contestations sur chaque décision d’arbitrage. Les commentateurs d’Eurosport UK, que nous suivons religieusement sur YouTube en léger différé de 16 ans, ne s’y trompent pas et déclarent : « This French crowd does not forget ». Comme les éléphants et la mafia en somme. Drôle de ménagerie au zoo du Bois de Boulogne cette année.

On ne sait pas vous, mais nous, en période de confinement, 15’ooo Français agglutinés sans gestes barrières ou distances de sécurité, ça nous fout les boules rien que de les regarder.

La minute Pierre-Alain Dupuis Nelson Monfort

Le tout jeune et frétillant Nelson est là (il n’avait pas encore été interdit de central à l’époque). Il est prêt à exp(l)oser son espagnol – aussi redoutable pour les esgourdes non vaccinées qu’un discours de Boris Johnson pour un citoyen pourvu de neurones – en Mondovision.

La rétrospective du prochain tournoi

A la suite de son triomphe parisien, Gaston Gaudio ne mettra plus jamais un orteil en quarts de finale d’un tournoi majeur. « El Gato » avouera d’ailleurs volontiers avoir réalisé le rêve d’une vie en se faufilant par le chat d’une aiguille pour mettre Paris à ses pieds, ce qui explique probablement une soudaine baisse de motivation. Guillermo Coria, quant à lui, ne se remettra jamais complètement de cette finale dantesque. Alors qu’il restait sur 48 victoires sur ses 50 derniers matches sur terre battue avant la rencontre que nous venons de vous conter, « El Mago » (qui se traduit en français par « la magouille », selon le Grand Dictionnaire de la Mauvaise Foi, Troisième Edition) ne fera pas bien mieux que son compatriote par la suite. Il n’atteindra en effet plus qu’un seul quart de Grand Chelem (US Open 2005) avant de prendre sa retraite en 2009 à l’âge de 27 ans, à la suite de multiples blessures à l’épaule (et à l’amour-propre).

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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