Tous ensemble ? Oui, mais pas comme ça

Notre National League a (enfin) annoncé l’annulation des playoffs, sur les traces de ses consœurs allemande et autrichienne (entre autres). Les circuits ATP et WTA ont posé les plaques pour 6 semaines (au moins). La NBA vient d’être touchée par son premier cas de coronavirus avéré qui a entraîné la suspension immédiate de tous ses matches pour une durée indéterminée. La NHL, qui partage certains de ses stades avec les basketteurs susmentionnés, lui a emboîté le pas quelques heures plus tard. On n’avait même pas fini d’écrire cette phrase que la MLS prenait la même décision et la MLB déplaçait le début de sa saison régulière aux calendes grecques. Même Cristiano Ronaldo a été mis en quarantaine sur son île de Madère. Le football du Vieux Continent est dans l’expectative, même si chacun semble avoir compris ce qui va – ce qui doit – arriver à tous les championnats nationaux, aux coupes européennes et à l’Euro dans un futur très proche. Sans parler des championnats du monde de hockey qui devaient avoir lieu à Lausanne et à Zurich au mois de mai.

Dans ce monde où la réalité devient plus surréaliste de jour en jour et qui nous donne l’impression d’avoir à tout repenser à chaque nouvelle notification alarmante, cette dernière conclusion, celle que la folie des rassemblements sportifs de masse doit maintenant laisser place à une responsabilité collective salutaire, me paraissait tomber sous le sens. C’était avant. Avant de mettre la main sur la une de L’Equipe de jeudi matin. Une première page qui m’a frappé comme une droite en plein visage, car elle venait d’un quotidien dont j’ai souvent dévoré les pages tennis en période de Grand Chelem et dont j’avais tendance à respecter la capacité à analyser avec recul et à prendre de la hauteur par rapport à un sujet donné. Mats Wilander et sa chronique exceptés.

Cette couverture nous ramène à une autre réalité. Une réalité effarante dans laquelle il n’y a pas besoin de deviser avec le beauf du coin au café du commerce – ou sur Twitter – pour tomber sur quelqu’un qui n’a rien, mais alors rien compris à la problématique actuelle. Quand ce quelqu’un se trouve être un organisme de presse tiré à plus de 200’000 exemplaires chaque jour pour son édition papier et qui profite d’une plateforme de plus de 2 millions de lecteurs uniques, le souci prend tout de suite une plus grande ampleur de par la tribune à disposition de ses rédacteurs.

Cette fameuse une, si vous n’avez pas encore eu la joie de la découvrir, se félicite du rassemblement de milliers de supporters du PSG – autorisé par la préfecture – en marge de la confrontation de leur club de cœur face au Borussia Dortmund de Lucien Favre, pourtant jouée à huis clos pour des raisons désormais évidentes. Pardon, pour des raisons qui devraient maintenant être évidentes à condition de faire l’effort de s’informer et a fortiori dans un métier dont la mission première est d’informer les autres.

Le titre, “TOUS ENSEMBLE”, s’étale en grosses lettres goguenardes, comme pour célébrer cette inconscience collective et se gausser de cette fraction de la population qui a peur. Peur pour soi-même parfois, parce qu’il se trouve qu’on peut avoir un système immunitaire fragile même sans être retraité. Peur pour ses proches souvent, car on a tous au moins un membre de sa famille, un ami, un collègue qui a reçu l’étiquette de « personne à risque » en ce mois de mars 2020 et qui pourrait se retrouver dans cette tranche de 1 à 3% de la population globale qui a peut-être déjà assisté à sa toute dernière compétition. Tranche qui pourrait grimper de quelques décimales dans le cas où notre système de santé se trouverait débordé par un afflux simultané de cas comportant des complications sérieuses, une situation évidemment facilitée par les grands rassemblements.

L’Equipe est tombée dans un piège grossier. Celui qui met le sport sur un piédestal et qui lui donne un statut qui ne s’exprime parfaitement que dans la langue de Gary Lineker: larger than life. Celui du chacun pour soi prôné par la société d’aujourd’hui aussi. Une notion qui ne peut créer que la division et le chaos. « Je vais bien, pourquoi appliquerais-je ces mesures draconiennes? » ou encore « Je n’ai pas peur, ce n’est qu’une grippette, pourquoi devrais-je m’arrêter de vivre? ». C’est ce que beaucoup pensaient ou disaient ouvertement, parfois sur le ton de la boutade, il y a encore deux semaines. C’est ce qu’on entend encore (trop) souvent au bar du coin ou au café de la poste. Mais c’est surtout ce qu’on ne devrait plus jamais lire dans les colonnes du plus grand quotidien sportif francophone. Oui, il faut s’arrêter de vivre, au moins un peu, au moins un moment, pour le bien de tout un chacun.

Tous ensemble. Il y a de l’idée dans ce slogan. Mais il doit être appliqué à la totalité de la population et non à une poignée d’ultras qui refusent d’accepter l’évidence d’une urgence mondiale. Une pandémie, définie comme telle officiellement par l’OMS mercredi, est par définition l’affaire de tous. Le monde médiatique – sportif ou non – se doit d’être l’un des vecteurs principaux de ce message rassembleur. Pour que « tous ensemble » ne se transforme pas en « toussent ensemble », selon un jeu de mots qui se propage plus vite que le coronavirus sur les réseaux sociaux depuis jeudi matin.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.