Océane, Dodin de la farce ?

Vendredi 8 septembre 2023. Karolina Muchova, dernière dépositaire du #tennisvrai et réincarnation de Stefan Edberg, a été vaincue en demi-finale. Les courbes généreuses de Dominic Stricker, chair chères aux divers médias (lourdement) chargés de couvrir ses matches, avaient disparu du tableau 5 jours plus tôt, au même moment qu’une énième déconvenue en huitièmes de finale signée Belinda Bencic. Malgré une faculté à multiplier les pains retrouvée, Stan Wawrinka et ses 38 balais n’ont pu chaparder qu’un set à un joueur qui commençait probablement tout juste à ramper (et encore) lorsque les tours jumelles sont tombées il y a 22 ans. Bref, le prochain match digne d’un haussement de sourcil à l’US Open, la finale masculine dont le résultat sera quand même sûrement aussi surprenant qu’une défaite d’Andrey Rublev en quarts de finale ou une blessure de Michael Raffl, n’aura pas lieu avant dimanche 22h30. Le temps pour nous de faire un tour au Tennis Club de Montreux pour le très glamour (et surtout incroyablement gratuit) Elle Spirit Open.

On vous parle ici d’un tournoi ITF féminin dont la dotation totale s’élève à 60’000 dollars. C’est-à-dire 21’500 dollars de moins que ce qu’empoche un vaincu au premier tour à New York ou encore 10 fois moins que le salaire annuel estimé de Ronalds Kenins (oui, mais quand on aime on ne compte pas). Outre la gratuité de l’entrée, c’est une ribambelle de questions qui ont dirigé nos pas vers l’antichambre du circuit WTA.

Comment diable quoi que ce soit peut-il encore être gratuit à l’ère du capitalisme néolibéral ?

(On ne sait pas si on vous a déjà parlé de l’entrée à l’oeil)

Attendez… Il ne manque pas quelque chose ou quelqu’un ?

Un premier élément de réponse nous saute aux tympans d’entrée de jeu. Il est 12h37 au Montreux Tennis Club. On n’a pas encore porté la première fourchette de pâtes au saumon (qui, elles, coûtent 10 francs au food truck du coin) à notre bouche, qu’on entend un sec et sonnant « J’aimerais bien que les deux directeurs nous disent merci. C’est pas écrit pigeon là. » Vous l’avez aussi ? Eh oui ! Quand on ne fait pas rentrer d’argent on évite aussi d’en sortir et on engage des bénévoles pardi !

Pour la deuxième partie de la réponse, plus subtile, il faut s’aventurer sur le court central montreusien à l’occasion du premier simple du jour entre l’Allemande Anna Gabric (WTA 684) et la Burundaise Sada Nahimana (WTA 244). Pendant que les juges de ligne ont tout simplement été remplacés par des annonces robotisées et un arbitrage 100% vidéo à l’US Open, la cité de la Riviera vaudoise a divisé le nombre desdits juges par deux. L’arbitre de chaise est donc seul en charge des lignes de fond pendant que quatre juges de ligne se déplacent au gré des points pour contrôler les lignes de service et les couloirs et même balayer le court en fin de set ! Et au vu de leur acuité visuelle en début de journée, on peut imaginer que la notion de bénévolat les englobe allègrement (et que les fins de soirées à l’Open Deck sont efficaces).

Enfin, il y a ça et les 612 sponsors dont les noms sont éparpillés partout sur le site, mais c’est un détail. Du côté des organisateurs, on n’a d’ailleurs invité aucune influenceuse pour faire des stories Instagram promotionnelles cette semaine.

 Le juge de ligne qui efface les preuves étayant ses propres décisions, ce n’est pas banal.

Qui sont ces gens qui peuvent se libérer pour le premier match de 13h en pleine semaine et quel est leur projet ?

Euh… Eh bien…

Bon, il faut dire aussi que la quinzaine de badauds présents lors du premier simple de la journée a dû adopter un réflexe grégaire ancestral de toute urgence pour se rassembler à l’ombre des parasols du bar VIP au dernier rang du stade.

Il y avait d’ailleurs deux zones VIP distinctes au nord et au sud du site: avec et sans insolation incluse (c’est plus cher):

On espère que les joueuses reçoivent une compensation sonnante et trébuchante pour le cauchemar visuel auquel elles sont exposées pendant une semaine. Hideux, vraiment.

La double vainqueur Iga Świątek a-t-elle une potentielle successeur au sommet dans le tableau ?

Oui, « vainqueur » et « successeur » sont apparemment épicènes (sauf au Québec).

Des inconnues au bataillon au palmarès.

La réponse courte à notre question est probablement: NON.

La Neuchâteloise Conny Perrin, 32 ans et 447ème mondiale, jouait le dernier simple de sa carrière vendredi sur les courts de Territet. La Hongroise Anna Bondár, 50ème l’été dernier, est redescendue à la 128ème place à 26 ans.

Océane Dodin, son mètre 83 et une frappe de mule (littéralement en fermant les yeux).

L’ex-grand espoir tricolore Océane Dodin, son mètre 83 et ses frappes de mule – qui avaient tous trois débuté sur le circuit ITF à l’âge de 14 ans, joué Roland-Garros à 16 ans, passé des tours en Grand Chelem à 18 ans et atteint le matricule 46 un an plus tard – stagnent (oui, toujours Océane et son équipe au complet, mètre 83 et frappes comprises) à la 117ème place à bientôt 27 ans. Au vu de sa performance accompagnant sa victoire plus étriquée que prévu face à la Zurichoise Fiona Ganz (22 ans, WTA 592), on commence à comprendre pourquoi. On n’avait pas vu un tel refus de défendre depuis Kylian Mbappé et une attitude aussi négative, opération chirurgicale à coeur ouvert sur le cadre de son outil de travail à l’appui, depuis la dernière disqualification de Yann Marti (qui, selon nos informations, travaillerait actuellement comme coach à la Wawrinka Academy, mais ceci est une autre histoire…). Dans cet article mythique de 2015, elle déclarait même dans le plus grand des calmes: « Mais moi je ne peux pas faire 20 échanges, sinon j’ai un point de côté et je m’arrête. » Elle ajoutait même ici la même année: « C’est bien d’être différente des autres. Pas mal de filles font des footings, du cardio, courent sur des tapis ou font du vélo… Mon père ne m’a jamais appris à fonctionner comme ça, et je ne pense pas que cela arrivera un jour. » Dont acte huit ans plus tard sur les bords du Léman.

Quant à la tête de série numéro 1 transalpine Lucrezia Stefanini (25 ans, WTA 102), en pleine progression, on lui laisse le bénéfice du doute pour l’instant.

Non, vraiment, promis, on parlera de toi positivement dans l’article…

La seule joueuse que la docte cellule tennis de Carton-Rouge, du haut de son expertise mouratoglesque (surtout après trois chopes), voit percer au sommet dans les prochaines années se nomme Lucie Havlíčková, 18 ans, 220ème mondiale senior, numéro 1 mondiale junior et lauréate de Roland-Garros dans cette catégorie d’âge l’année dernière (en simple et en double). La Tchèque au calme olympien à toute épreuve (même celle de l’extinction des feux à 6-5 au troisième set, on y revient tout de suite), tombeuse de Stefanini hier soir au bout de la nuit, semble être la seule joueuse encore présente en quarts de finale du rendez-vous montreusien à ne pas porter l’étiquette de vétérane sur le retour. Ce ne serait d’ailleurs que la dernière d’une liste longue comme le bras de Gheorghe Mureșan de championnes sorties de la véritable usine qu’est le tennis féminin tchèque.

Si un jour elle domine le monde, on pourra dire: « On y était, mais on n’a aucune bonne photo parce qu’il faisait nuit. »

Dans un cadre aussi idyllique que Territet, qu’est-ce qui rappelle aux joueuses qu’on joue bien un tournoi de cinquième catégorie ?

Oui, cinquième après les Grands Chelems, les WTA 1000, les 500 et les 250 comme le tournoi de Vidy.

Le duel Havlíčková-Stefanini avant la coupure de jus.

Fort heureusement, certains détails nous rappellent que nous ne sommes pas à Wimbledon. Il ne faudrait pas que l’ego de certaines participantes explose, voyez-vous. La gare de Territet se trouvant à quelques encablures en amont du central, les trains n’hésitent pas à priver certains échanges de son, allant même parfois jusqu’à siffler pour que la joueuse devant sauver une balle de break dans le money time se rende bien compte de l’importance du moment. Quelle sollicitude quand même. Quant à la musique live de l’Open Deck, lancée à plein tube à quelques dizaines de mètres de l’arène dès 19 heures, figurez-vous qu’elle se fout éperdument que le tennis soit le seul sport au monde (avec le billard et la méditation peut-être ?) à exiger un silence de mort dès le premier lancer de balle. Avouez que boiser un coup droit sur du Jason Mraz ou du Vance Joy, ça a quand même un certain charme. Jusqu’au moment où les projecteurs du stade s’éteignent d’un coup en plein échange dans le dernier jeu de la manche décisive. Replay the point ! Et surtout allez faire un tour à Montreux, il reste deux jours et c’est gratuit (on l’a peut-être déjà mentionné) !

HI-DEUX, on vous dit !

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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