Le complexe helvétique

La moyenne d’âge des téléspectateurs / supporters suisses durant cet Euro était de 44 ans selon un sondage*. Selon la même enquête, 86% des spectateurs étaient des hommes.

Claude est né en 1972. Il était LE supporter moyen. Sa nomination au Pigeon d’or eût pu être pertinente, si notre respect pour nos lecteurs et nos rédacteurs ne nous avait empêché de cracher dans la soupe.

Pendant cet Euro, Claude a été plus que jamais au cœur du système.

Le supporter moyen a désormais accès au monde, grâce à son accès aux réseaux sociaux. Il peut faire partager son enthousiasme et son sens de l’analyse à des distances qu’il n’avait jamais entrevues et à des audiences qu’il ne pensait jamais toucher.

La grâce et le bon sens de Claude ont sué par tous les pores des internets. Il était aussi de toutes les conversation des cafés du coin, des abribus, des ascenseurs, des magasins et des trottoirs.

Tenez, je me suis moi-même trouvé coincé avec un Claude à la caisse d’une station-service dont l’enregistreuse venait de s’immoler pour Dieu sait quelle raison informatique et/ou humaine, le caissier tirant une gueule qui laissait flotter l’hypothèse qu’il n’y était pas pour rien et qu’il le savait.

Contraint de frayer avec l’Helvète certifié ISO 9001, je me suis laissé bercer par les points de vue originaux, constructifs et pas du tout vieux con de ce Claude dont la normalité était aussi navrante qu’un anti-patinage qui fonctionne et empêche le conducteur fantasque de déraper dans un virage enneigé du col de la Croix, où il faisait bon gaudrioler au volant d’une Corsa GSI qui en avait dans le ventre et n’obligeait pas son pilote à obéir à une science germanique du dynamisme anticipé réduisant à néant la créativité et lui préférant un ordre et une discipline abrutissant nos transports et nous condamnant à une mort chiante, certaine et planifiée, dans l’autre monde, l’antique, celui où on pouvait.

Donc, c’est entendu. Claude est suisse. Il est moyen et il est d’accord avec tous ses semblables :

La fantaisie, c’est de la merde.

Le spectacle, c’est de la merde.

Tout ce qui compte, c’est l’ordre et la discipline.

Le tip-top. Le bien comme il faut. Dans les clous. Bien dégagé derrière les oreilles. Cuisson à point. Oui-oui j’ai ma Cumulus, ma Supercard et mon autocollant « rien à déclarer ». Ma déclaration d’impôts à l’heure (et mes demandes d’ajustement de tranches si je suis augmenté de dix balles l’an prochain).

Ma pipe, mon cunni, mon missionnaire et mes kleenex pour après (pis une douche, parce que sinon ça colle).

Claude aime Federer, Yann Sommer et l’Angleterre.

Pis l’équipe suisse hein. Mais bon, ils sont pas suisses-suisses, hein. Vous voyez ce que je veux dire (clin d’œil complice de connard), hein, hahaha, oui-oui.

Par contre – et c’est son credo – il abhorre Cristiano Ronaldo, Simone Zaza, la France, les Noirs de l’équipe de France, les médias français, les Français, les Françaises et leur descendance (chez qui il part en vacances demain, mais bon, HEUREUSEMENT qu’ils ont pas gagné, on en aurait entendu parler pendant mille ans (dans les médias français que Claude lit, écoute et regarde ; par les Français chez qui il part en vacances et avec les Français qu’il croise à l’étranger et qui sont les seuls non-Suisses romands avec lesquels il peut s’entretenir puisqu’il parle autant le suisse-allemand que le finno-ugrique)), les Portos qui klaxonnent, les Ritals qui jouent que derrière, les Espagnols qu’on est bien content qu’ils se soient fait sortir avec leur jeu chiant, les Croates qui simulent et puis surtout, SURTOUT, Cristiano Ronaldo. Il est à mettre avec Constantin : aux chiottes d’un monde sans saveur, sans fantaisie, sans tête qui dépasse, sans spectacle : normé, policé et sage.

Le t-shirt de Claude

 

Claude a bien aimé les Irlandais, les Islandais, les Nord-Irlandais et les Gallois.

Ils le rassurent. Il lui donnent l’impression que les gens qui comme lui sont blancs, barbus, qui se passionnent pour la bière et les chansons paillardes ont un avenir.

Certes les joueurs ne sont pas obèses eux, mais il n’y a presque que ça qui les sépare de Claude. Ils sont aryens quoi. Y a peu de nègres dans ces équipes. Tu me diras ça n’a rien à voir. Mais quand même. C’est des types qui mouillent le maillot parce qu’ils sont Irlandais. Pas Kosovars importés.

Claude hait ses voisins. Il hait les autres cantons que le sien. Les Suisse-allemands. Les réfugiés. Les pauvres. Les jeunes.

Il hait les gens qui font la fête autrement que lui. En klaxonnant par exemple. Ce qu’il trouve d’une bêtise sans nom, tout en rotant bouche ouverte sa onzième Feld et en réclamant « sa petite sœur » à sa quatrième femme. Une Thaïlandaise qui a une petite activité comme masseuse indépendante, en plus du ménage.

Claude regrette le départ de Develey. Il aimait bien ses analyses, qui l’aidaient à bien comprendre le jeu. Il ne trouve pas du tout que Develey se choisit une thèse absurde et la file durant deux heures sans ciller (« Très franchement, j’ai envie de dire, l’équipe de France est trrrrrrrrrrrès gênée, dans ce début de match »), qu’il a la puissance d’analyse d’une brosse à dent électrique et l’humilité d’un sous-marin nucléaire.

cr7

L’ennemi de Claude.

Claude est désespérant. Il est multiple. Il est omniprésent. Et désormais, il est en ligne.

Dans sa vie cachée, dans ses rêves oniriques et dans ses fantasmes, on imagine que Claude aimerait être spectaculaire, vénéneux, transi et spontané.

Qu’il voudrait envoyer bouler les convenances, célébrer ses joies en imitant Mick Jagger, hurler ses douleurs et doigt d’honneuriser ceux qui le moquent comme Nasri ou Pogba.

Claude pourrait vouloir être adulé et vomi. Donner de la couleur à ses émotions, du volume à ses passions plutôt que geindre qu’une tête qui dépasse est une tête à couper.

Débarrassé du complexe de la sobriété et de la raison, nous aussi on voudrait imaginer tous les Claude aimer tout le monde, savourer les allures multiples, les gens entiers, les comportements qui sortent de l’ordinaire.

Des Claude qui ne minaudent pas pour leurs sacro-saintes tranquillités qui leur permettront de dormir sur leurs deux oreilles dès 23h15 en rêvant du bircher qui suivra, conchiant les moustachus qui gueulent la joie de vivre dans une langue étrangère sous leurs fenêtres.

Et qui se disent que finalement, trois nuits tous les deux ans, ils pourraient vivre fort en s’enbierrant à l’air libre pour partager la joie de ceux qui sont d’un pays où on fait deux finales d’Euro en quatre compétitions et où on en gagne un, plutôt qu’à regretter Alain Sutter et Georges Bregy qui étaient des vrais types, des vrais suisses, des hommes élevés à la fondue et à la messe du dimanche.

En attendant, les réseaux sociaux et les cafés étaient remplis cet été de Claude qui n’ont pas viré leur cuti et qui s’entre-outraient contre Develey, Henchoz, CR7, Pepe, Zaza, Pogba, Zlatan, les Tos, Lichtsteiner, les Kosovars, les Croates, les Russes, les Turcs (oh oui, surtout les turcs), Olivier Giroud ou le jeu tactique qui consiste à calculer un match sur sa durée entière plutôt que de foncer au goal au risque de prendre une seille, parce que ça, Madame, Monsieur, c’est le vrai football comme on en fait plus parce que tout est pourri par l’argent, voyez Platini.

Pour les temps à venir, on souhaite aux Claude de péter un coup, de prendre un coup de bite, de s’aérer les méninges rabougries par trop de calvinisme et de galvanisation de la raison qu’il faut savoir garder et de s’inventer une chaleur, un enthousiasme qui passe au-dessus les apparences de l’outrage pour se livrer corps et âme aux plaisirs de la vie : la fantaisie et l’amour.

*Sondage de l’institut moi-même réalisé en juin-juillet 2016 auprès d’un échantillon de une personne.

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