Repreneurs du LHC : Miracle ou Mirage ?

En parallèle à la lutte (pas très bien engagée) que mène actuellement l’équipe en play-off contre le HC La Chaux-de-Fonds, un autre combat, sans doute plus important, se mène en coulisses pour assurer la survie et la pérennité du LHC. Et, en l’état actuel des choses, rien ne permet d’affirmer que ce combat-là est mieux engagé que celui sur la glace.

Après la vague d’enthousiasme qui a suivi quelques déclaration tonitruantes (hausse du budget, la LNA dans les deux ans…), force est de constater qu’aujourd’hui les zones d’ombre entourant les mystérieux repreneurs sont plus nombreuses que les motifs d’optimisme. Et la lettre reçue par les actionnaires cette semaine, qui dit en substance «renoncez à vos actions, le reste ne vous regarde pas», n’est pas de nature à dissiper nos doutes. On ne demande qu’à croire les dirigeants actuels du LHC que cette fois-ci enfin le club sera dirigé correctement mais l’histoire récente du sport d’élite dans ce coin de pays nous incite à la plus grande prudence. De Kita à Roger, en passant par Annan ou encore Constantin, la liste des investisseurs ambitieux, locaux ou étrangers, qui voulaient porter leur club vers les sommets avant de les conduire à la faillite, est longue. Sans même parler des reprises avortées, l’héritier Peugeot au LS, le fameux Bonora à Neuchâtel-Xamax ou encore le mythique Ferrayé à Servette. C’est pourquoi, en attendant l’assemblée générale du 19 février prochain, il est permis de se poser quelques questions sur les modalités de l’opération. En espérant qu’il y sera apporté des réponses convaincantes qui rassureront les supporters du LHC sur le sérieux et la crédibilité de ces mystérieux investisseurs.Pourquoi les mystérieux investisseurs tiennent-ils tant à leur anonymat ?
La raison de cet anonymat nous échappe quelque peu. Les motifs invoqués par le président Lei Ravello (secret d’affaires et négociations en cours) ne sont guère convaincants : on ne voit pas trop ce que le secret des affaires vient faire là-dedans et on se demande pourquoi une assemblée générale est convoquée et des conditions strictes sont posées (annulation de toutes les actions actuelles) si les négociations ne sont pas terminées. On ose espérer que cet anonymat ne sert pas à cacher des contre-affaires qui n’ont rien à voir avec le hockey sur glace, comme c’était le cas au Forward Morges, avec le succès que l’on sait (contrats de sponsoring en échange d’attribution de mandats sur un gros projet immobilier à Genève). Si les investisseurs viennent pour sponsoriser le club, on voit mal comment ils pourraient vendre leur produit sans se faire connaître. S’ils viennent comme mécène, est-ce si honteux de parrainer le LHC ? Enfin, s’ils viennent pour gagner de l’argent avec le Lausanne HC, c’est qu’ils ont dû être très mal renseigné sur l’histoire du club.
Comment en est-on arrivé à un déficit d’un million et demi de francs ?
Lors de la dernière assemblée générale le 23 octobre 2006, un plan d’assainissement a été présenté qui devait permettre de remettre le navire à flot. Certes, l’augmentation de capital prévue a échoué (faute d’avoir essayé, voir ci-dessous) mais celle-ci ne devait apporter que 400’000 francs au club. Dès lors comment en est-on arrivé au déficit d’un million et demi récemment annoncé par les dirigeants ? Pourtant, le club n’a pas fait de folie durant la saison et a même économisé sur deux postes onéreux, le troisième étranger (Bashkirov casé en Russie) et le directeur sportif (pas repourvu après le passage de Cadieux à la bande). En outre, les recettes spectateurs ont été relativement conformes aux prévisions. De toute manière, il est difficile d’annoncer une perte sur les recettes spectateurs sans savoir jusqu’où le club va aller en play-off. Dès lors, comment un tel trou a-t-il pu être creusé ? Est-il bien réel, ce qui mettrait fortement en doute la crédibilité déjà passablement écornée des dirigeants, ou les chiffres sont-ils volontairement exagérés pour que les nouveaux investisseurs apparaissent comme la seule solution ?


Photo Pascal Muller

Pourquoi rien n’a-t-il été entrepris pour réaliser l’augmentation de capital votée le 23 octobre 2006 ?
Le 23 octobre dernier, l’assemblée générale a décidé de réduire puis d’augmenter le capital pour renflouer la société anonyme Lausanne Hockey Club SA. 16’000 nouvelles actions d’une valeur nominale de 10 francs devaient être émises, avec un agio d’émission de 15 francs par action, ce qui devait amener 400’000 francs d’argent frais dans les caisses du club. Le conseil d’administration n’a par la suite strictement rien tenté pour faire aboutir cette opération, se contentant du strict minimum, un entrefilet dans un coin de page de la FOSC, qui n’est sans doute pas la lecture favorite des supporters du LHC. Pas de lettre aux actionnaires pour les inviter à exercer leur droit préférentiel de souscription, pas de flyers distribués à la patinoire, pas d’annonce dans les journaux. Certes, il eût sans doute été difficile, dans le climat de morosité qui entoure le club, de réunir l’entier de la somme mais une bonne partie, certainement, limitant ainsi la part des investisseurs. Il convient donc de se demander pour quelles raisons le conseil d’administration a proposé cette hausse de capital s’il savait d’emblée qu’il n’avait aucune intention de la réaliser.
Pourquoi supprimer l’actionnariat «populaire» ?
Tous les supporters du LHC savaient, en souscrivant et libérant des actions, qu’il s’agissait d’un don au club. Néanmoins, il était appréciable pour beaucoup d’être «propriétaire» de leur club et d’être un tant soit peu impliqué dans la marche du club en participant à l’AG (qui a souvent fait salle comble), laquelle permettait d’obtenir (parfois) des informations et de faire valoir ses doléances. Cette large répartition de l’actionnariat dans le public collait bien avec l’image populaire du club sans nuire à la marche des affaires puisque jamais une décision importante du conseil d’administration n’a été remise en cause par une décision spontanée et irréfléchie des petits actionnaires. A notre connaissance, le conseil n’a été désavoué qu’une fois (lors de l’intérim de M. Stockburger), lorsque deux administrateurs démissionnaires se sont vus refuser la décharge. Mais cette opération avait été tellement mal préparée et présentée par des supporters croyant sauver le club par cette démarche (non, on n’a pas dit APHL…) qu’elle n’avait aucune portée juridique et tenait plus de l’école des fans, donnant des bons et des mauvais points aux dirigeants. Cette futilité (dont j’avais contribué bien involontairement au succès en rappelant à l’un des maîtres de cérémonie juste avant l’assemblée la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière) mis à part, les supporters-actionnaires ont toujours docilement approuvé les propositions du conseil d’administration. Dès lors, on ne comprend pas pourquoi il est si important de supprimer cet actionnariat populaire. Il serait tout à fait envisageable de réduire la valeur nominale des 32’000 actions actuelles à 1 franc ou même 1 centime, comme le permet la loi, puis d’octroyer des actions à droit de vote privilégié aux nouveaux actionnaires, ce qui leur permettrait de s’assurer le contrôle du club, tout en garantissant une participation symbolique des supporters, qui ne demandent d’ailleurs rien d’autre. Finalement, organiser une AG par année, ce n’est que quelques centaines de francs de frais (salle, publication et présence du réviseur).


Photo Pascal Muller

Pourquoi ne recapitaliser la société qu’à hauteur de 100’000 francs ?
L’objectif des repreneurs est, paraît-il, de rejoindre la LNA à plus ou moins brève échéance. Or, un capital de 100’000 francs est largement insuffisant pour accéder à la ligue supérieure. Dès lors, si les investisseurs apportent vraiment les sommes articulées dans les journaux, pourquoi ne pas directement recapitaliser le LHC à hauteur de 800’000 francs, avec un agio d’émission de 100% par action ? Cela éviterait de devoir effectuer dans quelques mois une nouvelle augmentation, avec un nouvel apport en espèces et les frais que cela suppose (environ de quoi financer trois AG !). On ne voit que deux raisons pour une recapitalisation aussi faible : soit les investisseurs ne sont pas en mesure de fournir les garanties bancaires exigées par le Registre du Commerce pour une recapitalisation plus élevée, soit on craint de ne pas avoir suffisamment de liquidités pour assurer un capital-actions supérieur et de tomber sous le coup de l’article 725 al. 2 CO (dépôt de bilan). Les deux hypothèses ne sont pas franchement compatibles avec les ambitions affichées.
Qu’en est-il du partenariat avec Genève-Servette ?
Il fut un temps pas si lointain où la seule évocation d’une collaboration avec l’ennemi du bout du lac aurait provoqué une révolution à Malley. La lassitude des supporters est telle que cette saison le partenariat avec Servette a été accepté presque sans réaction. Le bilan sportif de cette collaboration est mitigé : quelques jeunes joueurs, qui n’ont pas démérité, pour la 3e ou la 4e ligne mais ça s’arrête là. Rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que, sans ce partenariat (dans le cadre duquel n’entre pas le transfert de Michael Tobler), le LHC aurait compté moins de points au terme de la saison. Certes, contrairement à certaines craintes, McSorley n’est pas (encore ?) venu se servir dans le contingent lausannois mais y a-t-il vraiment au LHC cette saison des joueurs dont les performances méritent la LNA ? On n’a pas l’habitude de prêter attention aux élucubrations de la presse de boulevard romande mais l’hypothèse selon laquelle Lefebvre aurait été contacté pour aller jouer les play-offs aux Vernets ne nous surprendrait qu’à moitié. Cela rentrerait dans la conception unilatérale du partenariat de McSorley, pour lequel celui-ci ne doit bénéficier qu’à Genève-Servette. Le HCC s’est fait piquer Romy et Deruns, il attend toujours un renfort en retour, alors que le seul Genevois que le tyran des Vernets a daigné prêter à Martigny (Poget) a fini à… Lausanne.


Photo Pascal Muller

Un partenariat serait rendu nécessaire par la dernière ânerie de la Ligue, la double licence. On voudrait tuer la LNB que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Comment les supporters pourront-ils s’identifier à leur équipe et la régularité du championnat être assurée si la moitié des joueurs changent selon que l’équipe de LNA est engagée le même soir ou pas ? Si vraiment le LHC a les ambitions et les moyens qu’on lui prête, son contingent ne doit pas dépendre de la bonne volonté de qui que ce soit et surtout pas de Chris McSorley. En leur temps, Genève-Servette et Bâle étaient montés seuls. Malgré ses millions, Genève n’est pas à l’abri d’une mauvaise surprise, on l’a vu l’an passé. Que se passera-t-il si le LHC est engagé dans les play-offs de LNB et Genève dans les play-outs de LNA ? On se réjouit déjà d’entendre les dirigeants lausannois expliquer à leurs supporters que les espoirs de promotion sont remis à des jours meilleurs pour ne pas menacer l’ami genevois. Si le LHC veut être l’ogre annoncé en LNB, cela passe immanquablement par une rupture du partenariat avec Servette.
La présence de Jim Koleff et Gérard Scheidegger est-elle une garantie absolue de succès ?
Le principal argument entendu pour justifier l’élan d’enthousiasme qui a suivi l’annonce de la reprise du club, c’est «si ce n’était pas sérieux, Koleff et Scheidegger ne seraient pas là». Effectivement, les deux nouveaux hommes forts du LHC connaissent bien leur métier et le hockey suisse et vont ainsi sans doute amener des compétences, des relations, une rigueur et un professionnalisme qui faisaient cruellement défaut à leurs prédécesseurs, Morin, Milloud, Waser et autres Caldelari. Néanmoins, la trajectoire des deux hommes n’est pas faite que de succès : Koleff a amené Zoug dans les meilleurs clubs du pays mais l’équipe de Suisse centrale a dû attendre son départ pour fêter son premier titre. A Lugano, Koleff a dépensé beaucoup d’argent pour un résultat mitigé (un titre en cinq ans, en 1999 contre Ambri, et deux mortifiantes défaites en finale contre Zurich). Quant à Scheidegger, en quatre ans à Bienne, il n’a pas permis au club seelandais de retrouver l’élite. La ligne la plus intéressante sur le CV de MM. Koleff et Scheidegger, c’est leur passage simultané à Langnau. Un mécène (l’ex-président du SCB, éconduit par le LHC), des gros moyens, des campagnes de transfert tapageuses (16 arrivées au début de la saison 2003-2004 !), les Emmentalois avaient l’intention de s’établir durablement dans les meilleurs clubs du pays. Le résultat, on le connaît : une immense désillusion, un abonnement permanent aux play-outs et de sérieux soucis financiers. Dès lors, oui MM. Koleff et Scheidegger bénéficient d’une crédibilité, d’une notoriété et d’une expérience appréciables dans le petit monde du hockey suisse mais non, leur seule présence n’est pas un gage absolu de succès.
Quelles sont les motivations du conseil d’administration actuel ?
A son entrée en fonction, l’équipe dirigeante actuelle nourrissait de grandes ambitions pour le LHC. Aujourd’hui, force est de constater que l’équipe Lei Ravello (ou ce qu’il en reste), avec à son crédit une relégation en LNB, n’a pas atteint ses objectifs. Est-ce qu’aujourd’hui les dirigeants veulent terminer leur mandat en remettant le club dans de bonnes mains ? Veulent-ils continuer à œuvrer pour le club, en s’appuyant sur des forces nouvelles ? Où cherchent-ils simplement à quitter le navire pour ne pas couler avec lui, en offrant le club au premier venu, afin de se dégager de toute responsabilité lors du naufrage (ce qu’avaient fait les avant-derniers dirigeants du Servette FC d’avant faillite, en donnant les clés du club à Marc Roger, qu’ils avaient pourtant éconduit à plusieurs reprises auparavant) ?


Photo Pascal Muller

Pourquoi les nouveaux investisseurs obtiendraient-ils enfin la gestion des buvettes ?
C’est un vieux serpent de mer du hockey lausannois. Depuis des années, le club enregistre un manque à gagner de plusieurs centaines de milliers de francs par rapport à ses rivaux de Ligue nationale, faute de pouvoir bénéficier du bénéfice de ses buvettes. Tout a été tenté pour corriger cette injustice (pressions, menaces, buvettes sauvages…), rien n’y a fait. Pourtant largement composé de représentants de communes de la région lausannoise, dont on connaît la tendance politique, le conseil d’administration du CIGM s’est toujours accroché à ce qu’il convient d’appeler une privatisation des bénéfices générés par une institution d’utilité publique (le LHC) et une infrastructure publique (la patinoire). Pourquoi les nouveaux arrivants (surtout s’ils sont fortunés et étrangers) obtiendraient-ils ce qui a toujours été refusé à leurs prédécesseurs (locaux et désargentés), même lorsque le club était en danger de mort ?
Quel avenir pour le LHC ?
Les supporters n’ont pas vraiment d’autre choix que de faire confiance à des dirigeants qui n’ont jusqu’ici pas tout fait pour mériter cette confiance (dernier avatar en date : vendre les billets du match 6 du quart de finale contre le HCC avant même le début de la série !). Me Lei Ravello a déclaré que de toute façon la majorité à l’assemblée générale était acquise. Il ne s’agit toutefois pas seulement d’obtenir une majorité des votes à l’AG mais d’emporter l’adhésion et l’enthousiasme des supporters derrière un projet qui sera voulu pour lui-même et pas parce que «si vous dites non, c’est la fin du club». Un projet qui incite les fans à reprendre l’abonnement et à revenir en masse à Malley. Un projet qui ne repose pas sur quelques vagues schémas Powerpoint mais sur des éléments tangibles et concrets. C’est pourquoi on souhaite que l’assemblée générale de lundi prochain fournisse des réponses crédibles et convaincantes aux quelques questions énoncées ci-dessus. Pour l’on puisse nous aussi partager la vague d’optimisme qui entoure le LHC actuellement. Pour que l’on soit convaincu que le Lausanne HC a trouvé la perle rare qui permettra au club d’occuper enfin la place qu’il mériterait dans la hiérarchie du hockey suisse.

Écrit par Julien Mouquin (texte) et Robert Johanson (dessin)

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.