Mikel Landa, l’aigle de Murgia

Grand espoir du cyclisme espagnol de la dernière décennie, Mikel Landa est devenu au fil des ans un perdant magnifique. Grimpeur élégant au regard triste, le Basque traîne son spleen dans toutes les équipes où il passe sans jamais tirer la quintessence de son potentiel. A l’instar de Thibaut Pinot en France, il ne remportera jamais de Grands Tours. Mais ses échecs répétés lui ont attiré une bonne cote de sympathie auprès des fans qui se reconnaissent dans ses malheurs.

Landismo : phénomène cinématographique associé à certains types de films mettant en vedette l’acteur Alfredo Landa, du genre comédie, dans lequel l’Espagnol moyen est représenté à la fin du franquisme dans les années 1970. Voilà la définition initiale de cette formule reprise cinquante ans plus tard par Mikel Landa pour imager une certaine idée du cyclisme. Un cyclisme à l’ancienne qu’il s’évertue à perpétuer au fil des saisons malgré ses différents échecs en grande partie dus à un mental friable et à de mauvais choix de carrière.

Mikel Landa est né à la fin de l’année 1989 à Murgia, village perdu dans les montagnes de l’Alava, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale basque Vitoria-Gasteiz. Avec son millier d’habitants, ce petit bourg basque est connu pour être un point de bascule entre Bilbao et Vitoria à travers sa bruyante nationale N-622. Porte d’entrée de la Meseta, on ne s’arrête pas à Murgia et c’est peut-être pour cette raison que le petit Mikel n’a jamais aimé être sous le feu des projecteurs. Grimpeur d’exception dans la lignée de ses compatriotes Federico Bahamontes et Luis Ocaña au siècle dernier, il ne s’exprime pleinement que dans de longues ascensions austères, où le temps semble alors suspendu à son coup de pédale aérien quand ses adversaires, eux, flanchent un à un sous la rudesse de la pente.

Lorsque Landa débute sa carrière professionnelle en 2011 dans l’équipe basque Euskaltel-Euskadi, il ne suscite pourtant pas d’attentes particulières au cœur d’un vivier local ayant l’habitude de former de bons coureurs, mais jamais de grands champions. D’ailleurs, pendant trois saisons sous le maillot orange, il ne sort pas spécialement du lot. C’est seulement à la disparition de l’emblématique formation basque, à la fin de l’année 2013, qu’il prend son envol.

Révélation chez Astana

En effet, l’enfant timide de Murgia change de dimension en signant dans la sulfureuse équipe Astana. Même s’il ne remporte qu’une seule victoire en 2014 sur le Tour du Trentin, il pose les bases de ses succès à venir pour les saisons suivantes. À 25 ans, 2015 est l’année de l’éclosion, et par ricochet celle de la naissance des attentes démesurées dans son Espagne natale. Et pour cause, Landa brille tout au long du printemps. Il remporte déjà une étape du Tour du Pays basque sur ses routes qu’il connait par cœur, avant de finir deuxième du Tour du Trentin en avril.

Au mois de mai, il effectue une démonstration de force sur les routes du Tour d’Italie. Initialement prévu comme équipier au soutien de Fabio Aru, il est plus fort que son leader dans la troisième semaine. Mikel remporte deux étapes consécutives de haute montagne à Madonna di Campiglio et à Aprica. Mais à trois jours de l’arrivée, il est stoppé net dans son élan par sa propre direction qui lui préfère Aru pour des raisons extra-sportives. En effet, l’équipe Astana étant à forte consonance italienne, elle favorise naturellement celui que l’on surnomme le Chevalier des quatre Maures car il est Italien et qu’il court le Giro sur ses terres.

Pourtant, dans le col empierré du Finestre, comme dans le Mortirolo quelques jours plus tôt, l’attaque tranchante de Landa met tout le monde au supplice, y compris le leader de la course Alberto Contador. En passe de renverser le Giro, il est cependant contraint de se rasseoir sur sa selle dans la montée de Sestrières pour attendre Aru sous les ordres autoritaires de son directeur sportif Giuseppe Martinelli. Alberto Contador n’en demandait pas tant puisque cette curieuse stratégie de la formation Astana lui permet de décrocher un second (ou un troisième, cela dépend de comment l’on interprète sa suspension pour dopage en 2011) Tour d’Italie. À Milan, Landa doit donc se contenter de la troisième marche du podium derrière son compatriote Contador et son propre équipier Fabio Aru.

Alors qu’il espère avoir les coudées franches en septembre sur la Vuelta, Astana lui colle cette fois-ci Vincenzo Nibali et Fabio Aru dans les pattes. Très remonté par ce choix qu’il prend pour un manque de respect, Landa perd un quart d’heure sur la neuvième étape vallonnée. Deux jours plus tard, il se venge dans les montagnes d’Andorre en s’adjugeant l’étape reine après avoir attaqué de loin en dépit des consignes d’équipe. Cela n’empêche pas son coéquipier Aru de remporter ce Tour d’Espagne dix jours plus tard à Madrid, mais l’ambiance exécrable en interne chez les Kazakhes pousse Landa à s’exiler à l’intersaison chez les mastodontes de la Sky.

Sky, ombres et lumières

Signer dans la meilleure équipe du monde qui vampirise les Grands Tours depuis 2012 avec Chris Froome et Geraint Thomas dans ses rangs est une forme de non-sens lorsqu’on tend à réclamer le leadership unique. Mais Landa n’est pas à une contradiction près. La formation britannique en fait cependant son seul leader sur le Giro 2016 mais le Basque abandonne prématurément, après dix jours de course, soi-disant malade. Malgré une victoire au Tour du Pays basque et une autre au Tour du Trentin assortie du classement général au printemps, sa saison 2016 est jugée décevante.

N’ayant déjà plus totalement confiance en lui, son employeur lui impose le partage du leadership avec Geraint Thomas sur le Giro 2017. La stratégie n’est pas bonne pour autant car les deux leaders de la Sky perdent tout espoir au classement général lors de la neuvième étape menant au sommet du Blockhaus, suite à une chute collective provoquée par la moto d’un policier. Police, Blockhaus, il ne fait toujours pas bon de se promener en chemises noires un siècle plus tard en Italie. Mais Mikel Landa s’apparente bien plus à un grimpeur romantique qu’à un fasciste nostalgique. Il attaque à tout-va en troisième semaine dans les Alpes et les Dolomites. S’il n’est pas récompensé de ses efforts à Bormio (battu d’un boyau par son ancien leader Vincenzo Nibali) et à Ortisei (nettement dominé au sprint par Tejay Van Garderen), il finit par l’emporter seul échappé à Piancavallo, sauvant ainsi son Tour d’Italie et celui de la Sky d’une débâcle mussolinienne.

Comme en 2016, Landa est censé ensuite être un simple équipier de Chris Froome sur le Tour de France. Mais à 32 ans, le Britannique est moins dominant. Bien qu’il sorte du Giro, Landa est plus fort que son leader sur cette Grande Boucle dès que la route s’élève. Le scénario ressemble étrangement à celui du Giro 2015 partagé chez Astana avec Fabio Aru. En effet, Landa ne cesse d’attendre Froome dans la montagne tout au long de la course, que cela soit dans les Pyrénées vers Peyragudes, ou dans les Alpes sur l’Izoard. Cette nouvelle stratégie scabreuse lui coûtera la troisième marche du podium à Paris pour… une seconde aux dépens d’un certain Romain Bardet.

Après avoir remporté le Tour de Burgos sur sa lancée en août, il annonce à la fin de l’année 2017 quitter l’armada Sky pour… la tentaculaire Movistar, une formation qui n’a jamais su (ou voulu, c’est selon) définir clairement les rôles depuis 2013 entre ses deux leaders emblématiques Alejandro Valverde et Nairo Quintana. La particularité de Mikel Landa serait-elle d’effectuer continuellement les pires choix de carrière pour ensuite mieux pouvoir se plaindre de ses échecs ? Lorsqu’on observe continuellement la moue qu’il tire sur son vélo, avec ses épais sourcils noirs et son sourire triste, on peut résolument se poser la question.

Movistar, nouvelle erreur

Chez Movistar, bien qu’il rentre chez lui en Espagne après quatre années inégales à l’étranger, l’histoire ne s’arrange pas. Au contraire, Landa doit maintenant partager les rôles non plus avec un, mais avec deux autres champions. Son grand objectif de l’année 2018 est logiquement le Tour de France. Il ne le terminera qu’à la septième place après avoir dû cohabiter pendant trois semaines péniblement avec Quintana, dixième, et Valverde, quatorzième de la Grande Boucle. Forfait sur la Vuelta suite à une lourde chute sur la Clásica San Sebastián, il termine sa piteuse saison du côté de l’infirmerie.

En 2019, Landa revient à ses premières amours en ciblant de nouveau le Giro d’Italia. Si Quintana et Valverde se réservent pour le Tour de France, le natif de Murgia doit composer ce coup-ci avec l’éclosion d’un certain Richard Carapaz. Venant d’un petit pays de l’Amérique du Sud, l’Équateur, Carapaz est en mission sur les routes italiennes. Il court avec ce qu’on appelle vulgairement les cojones dans le jargon. Quand Landa chasse les échappées romantiques, Carapaz s’impose avec un effroyable pragmatisme. Malgré plus de trois minutes de retard sur Roglic à mi-course, l’Équatorien renverse le Giro en deux jours dans les Alpes. Comme sur le Giro 2015 et le Tour 2017, Landa est pris en étau par ce partage des rôles de fortune. Il finit même par sortir du podium face à Roglic lors de l’ultime contre-la-montre dans les rues de Vérone qui consacre définitivement Carapaz en héros.

Deux mois plus tard, l’histoire se répète sur le Tour de France. Sans briller, Landa se classe sixième à Paris devant Quintana, huitième, et Valverde, neuvième. Cette Grande Boucle 2019 ressemble étrangement à celle de l’an passé pour le Basque qui termine l’année en roue libre en abandonnant pratiquement toutes les courses auxquelles il participe en guise de protestation à ses deux années compliquées dans son pays.

Bahrain, dernière chance

En signant chez Bahrain pour 2020, Mikel devient enfin le fameux leader unique tant recherché au sein d’une formation de premier choix. À 30 ans, l’Espagne le croit enfin capable de pouvoir remporter un Grand Tour. Malheureusement, un invité surprise se dresse sur la route du peloton au printemps. C’est le COVID-19 qui perturbera toute la saison 2020. Le confinement rebat les cartes comme les contrôles antidopage qui disparaissent progressivement du programme, trop compliqués à organiser avec les restrictions sanitaires aux quatre coins du globe.

À la reprise des courses au mois d’août, les Slovènes Tadej Pogacar et Primoz Roglic sont devenus intouchables. Ils vampirisent toutes les compétitions auxquelles ils prennent part. Malgré une belle quatrième place sur le Tour 2020 (mais à près de six minutes du duo Pogacar – Roglic), le Basque n’est plus en mesure de rivaliser d’homme à homme avec cette nouvelle mouvance. Son objectif de remporter un jour un Grand Tour tombe définitivement à l’eau. Les suiveurs se contentent désormais d’applaudir ses échappées valeureuses à défaut d’être payantes.

En 2021, Bahrain devient à son tour très suspecte puisque tous les coureurs de l’équipe y brillent excepté… Landa. Celui-ci tombe d’emblée lourdement au Giro, ce qui provoque par ricochet son forfait pour le Tour de France. Même s’il remporte une deuxième fois le Tour de Burgos en août, il est méconnaissable ensuite sur ses routes de la Vuelta. Après la deuxième place décrochée par Damiano Caruso au Tour d’Italie en mai, c’est un autre de ses équipiers, Jack Haig, qui se glisse sur la troisième marche du podium du Tour d’Espagne en septembre. Comme si ses différents partenaires se nourrissaient chacun depuis six ans de ses différents échecs…

À 32 ans, Mikel Landa ne rêve plus. Comme Thibaut Pinot en France, l’Espagne a fait reposer sur lui beaucoup trop d’attentes à la retraite d’Alberto Contador et de Purito Rodriguez au milieu des années 2010. Mais comme Pinot, Landa voulait-il vraiment devenir un jour ce grand champion que son pays réclamait tant ? Ou, mélancolique à souhait, se complaisait-il seulement dans l’accomplissement de ce cyclisme romantique d’une autre époque fait d’échappées solitaires en haute montagne ?

Car à le regarder s’élever seul, élégamment en danseuse, sur les plus hauts cols alpestres du Giro et du Tour, Landa ravivait à lui seul les souvenirs de son aîné Federico Bahamontes. Bahamontes, ce puriste que l’on surnommait jadis l’Aigle de Tolède, est d’ailleurs toujours considéré aujourd’hui comme le plus grand grimpeur espagnol de l’Histoire. Il est également le plus vieux vainqueur du Tour de France encore en vie, et cela remonte maintenant à la Grande Boucle 1959. C’est principalement pour cette raison que les suiveurs du cyclisme appréciaient Mikel Landa, pour son panache qui aura toujours supplanté son manque de résultats.

Toute sa vie, le petit grimpeur basque aura donc perpétué les traditions ancestrales du cyclisme. Il aura aussi toujours vécu à Murgia, d’abord seul puis avec sa copine discrète, dans ce coin reculé d’Espagne, avec les montagnes de l’Alava comme seul horizon. Inexistant sur les réseaux sociaux comme dans la presse people, l’aigle de Murgia y aura construit sa carapace depuis sa plus tendre enfance, son univers mystérieux. Celui d’un cycliste solitaire qui aura toujours couru comme il l’entendait, sans risquer de se brûler les ailes, malgré les attentes démesurées de tout un peuple.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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