La dernière illumination d’Edmond Isoz

Ils ont beau être ennemis jurés, Christian Constantin et Edmond Isoz ont deux choses en commun : ils font l’unanimité contre eux et leurs actions sont grandement nuisibles aux intérêts du football suisse. Après des années d’errance et de pagaille, la Suisse a enfin trouvé un système de championnat cohérent, comme cela se pratique partout ailleurs en Europe.

Manifestement, cela ne convient pas à M. Isoz qui a délaissé son bureau de Muri pour venir annoncer ses nouvelles trouvailles. On a déjà inventé la barre, la division des points, les matchs au sommet sans enjeu, les tours de relégation sans relégués, les matchs aller-retours avec bonus et autres aberrations, voilà maintenant que le fonctionnaire de Muri veut introduire des play-offs et réduire le nombre d’équipe de LNB (et non Challenge League) à 14, voire 10. A priori, il n’est jamais venu à l’esprit de M. Isoz que si aucun pays en Europe ne recourrait à ce type d’artifices, ce n’est pas par hasard. Mais non, le directeur (et pas Senior Manager, le nom officiel de son poste, c’est franchement grotesque) de la Ligue Nationale (et non Swiss Football League) a manifestement tout mieux compris que l’ensemble des dirigeants du foot européen. Les arguments invoqués pour provoquer ce nouveau chamboulement ? Le manque de spectateurs, un ventre mou trop important au classement, l’apport d’un grand nombre de joueurs étrangers et la volonté d’avoir des structures professionnelles.Pourtant, depuis 2-3 saisons, la LNB connaît un intérêt et une popularité qu’elle n’avait plus vécu depuis que le FC Bâle n’y joue plus. La présence de quelques clubs à fort potentiel public (Sion, Lucerne) ou au palmarès glorieux (Lausanne, Servette) n’y est certes pas étrangère mais il n’empêche que la promotion directe en LNA attire les foules. Il est clair que lorsque ni les résultats ni la qualité du football présenté ne sont au rendez-vous, l’affluence va baisser mais cela sera la même chose quelle que soit la formule. Avec l’introduction de play-offs, on va diminuer l’intérêt pour le championnat régulier puisqu’une fois la qualification acquise les matchs n’auront plus grande importance. On se souvient avec horreur de ces matchs au sommet de LNB sans enjeu, lorsque les deux équipes étaient déjà qualifiées pour le tour de promotion-relégation, où tout repartait de zéro. Il ne faudrait surtout pas réintroduire ce type de matchs.
Les play-offs ne cadrent pas avec l’esprit du football. L’impossibilité de jouer des matchs tous les 2-3 jours comme en hockey sur glace va provoquer d’interminables séries. Les clubs rapidement éliminés ou non qualifiés se retrouveraient en vacances dès le début du mois d’avril, avec le manque à gagner que cela suppose. Et une telle formule ne serait pas très équitable sur le plan sportif. Contrairement au hockey, qui ne connaît pas de coupes, le football a toujours joué sur la dualité championnat (récompensant la régularité) et coupe (récompensant les exploits d’un jour). Vouloir supprimer cette dualité démontre une profonde méconnaissance des choses du football.

Le ventre mou du classement n’est pas forcément très exaltant sur le plan sportif mais il permet de lancer des jeunes sans pression, ce qui cadre bien avec les objectifs d’une ligue qui se veut formatrice. Il est d’ailleurs plaisant de constater que le champion suisse en titre et actuel leader du classement, Zurich, va régulièrement chercher ses renforts dans la deuxième division. Cela ne sera plus possible si celle-ci est réduite à dix équipes, puisque personne ne voudra faire partie de la charrette des condamnés : pour éviter la chute, les clubs engageraient une armada de mercenaires étrangers aux références improbables, et les jeunes seraient relégués dans les tribunes. Quant à la volonté d’avoir des «encadrements professionnels», on n’a pas vraiment l’impression que cela dépende du nombre d’équipes. Il suffit de voir le folklore qui règne à la tête de certains clubs de LNA (et non Super League), alors que de petits clubs de LNB aux moyens limités sont gérés de manière très professionnelle.
En fait, avec le système actuel, le football suisse n’est pas loin d’avoir trouvé sa formule idéale. Il faudrait juste rajouter un deuxième barragiste en LNB et faire descendre les quatre derniers (au lieu de deux actuellement), comme en 2e Bundelisga (3 promus, 4 relégués et 17’000 spectateurs de moyenne). Cela permettrait de faciliter l’accès à la première division et assurerait la promotion directe aux trois champions de groupe  de 1ère ligue, plus un quatrième désigné par des finales.
Bien sûr, la formule actuelle a de nombreux détracteurs. Beaucoup souhaiteraient augmenter le nombre d’équipes en LNA. Mais, entre 10 et 18 équipes, il n’y a pas de possibilité d’avoir une formule simple pour jouer suffisamment de matchs. Une première division à 12 ou 14 nécessiterait forcément un mode de championnat boiteux : trois tours, coupe de la  ligue, play-off, tour final, toutes les solutions proposées ne tiennent pas la route. Si l’on veut une formule cohérente, c’est 10 ou 18 (éventuellement 16). Et 10 nous paraissent largement préférables à 18. Si des grands noms du foot suisse se retrouvent en LNB, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, il n’y a pas de raisons de leur faire un cadeau. Si Thoune ou Schaffhouse arrivent à réunir un budget de LNA, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas possible d’en faire autant à Lausanne ou Genève. La remontée n’en sera que plus belle.

Avec environ 80 joueurs suisses exilés à l’étranger, le réservoir est insuffisant dans notre pays pour entretenir dix-huit équipes de LNA. Les différences de niveau seraient énormes et les plus mal lotis seraient obligés d’aller chercher des renforts étrangers de troisième zone pour ne pas être ridicules, faute de trouver suffisamment de joueurs suisses de qualité. Avec une équipe de première division pour 750’000 habitants, la Suisse est déjà en dessous de la quasi-totalité des pays européens : 1 pour 4,5 millions en Allemagne, 1 pour 3 millions en France, 1 pour 2,8 millions en Italie,  1 pour 900’000 en Hollande, 1 pour 820’000 en Autriche… Il n’y a guère que le Belgique, le Portugal et le Danemark qui ont un ratio inférieur. Enfin, autre argument contre une augmentation du nombre d’équipe en LNA : cela tuerait la LNB si toutes les locomotives devaient rejoindre l’élite : Bâle, YB, Sion ou Lucerne hier, Lausanne, Servette, Ne Xamax aujourd’hui, d’autres peut-être demain, la présence de tels clubs est une formidable motivation pour des équipes aux moyens limités comme Baulmes ou Delémont.
Le principal argument invoqué contre une LNA à dix, c’est que les jeunes n’y auraient pas leur place. Rien n’est plus faux : jamais les jeunes n’ont eu autant leur chance qu’actuellement. Sous Marcel Koller, GC est devenu champion suisse avec une défense de moins de 20 ans (Jaggy, Lichsteiner, Denicola, Ziegler), Zurich et Lucien Favre doivent leur succès à leurs jeunes, même le grand et fortuné Bâle a donné sa chance à des néophytes (les Degen, Streller, Kuzmanovic, Kulaksizoglu…). Il n’y a guère que le FC Sion, avec sa politique de mercenaires vieillissants et surpayés, qui fasse figure de mouton noir sur ce plan-là. Mais on est persuadé que, une fois la page Constantin tournée, si le club existe encore, il reviendra aux valeurs qui ont fait sa légende, avec une extraordinaire école de football, grande pourvoyeuse de joueurs pour l’équipe nationale. Finalement, pour les talents un peu moins précoces, une ligue B attractive peut leur servir d’étape avant de gagner leur place dans l’élite.
Le défi actuel du football suisse avec les jeunes, c’est de parvenir à les garder au pays jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité. Et d’éviter que quelques grands espoirs de notre football aillent se brûler les ailes à l’étrangers pour être partis avant d’être titulaire en Suisse : Seoane, Vonlanthen, Gentile, Chiumento, Zambrella, Bühler, Bürki… Pour garder ces jeunes, il faut leur proposer un championnat attractif et non pas multiplier les déplacement au Kleinfeld ou au Stade Municipal. Maintenant que la Suisse est en passe de se doter d’arènes modernes et fonctionnelles, il s’agit de les remplir. Et je ne pense pas que l’on remplira les 42’000 places du Sankt-Jacob Park avec Bâle – Yverdon ou les 30’000 du Wankdorf avec YB-Wil.

Aujourd’hui les problèmes du football suisse ne viennent pas de la formule. En fait, le produit «foot suisse» n’est pas aussi mauvais qu’on veut bien le dire mais il est très mal vendu. Bien sûr, dans un pays de 7,5 millions d’habitants, on ne peut pas espérer les mêmes affluences que dans un pays de 80 millions. Néanmoins, l’exemple à suivre vient d’Allemagne. La Bundesliga est devenue le championnat le plus populaire d’Europe avec une qualité de jeu à peine supérieure à celle du championnat suisse (techniquement du moins, la différence est plus nette dans l’engagement) et des piètres résultats sur le plan européen. Les Allemands ont su faire de chaque match une grande fête populaire. Les médias sont enthousiastes malgré la médiocre qualité technique : regarde l’émission du samedi à 18h10 sur ARD, entre deux pubs, tu auras l’impression que Bochum–Aachen est un événement exceptionnel, écoute une conférence radiophonique du samedi, tu entendras les commentateurs casser leur voix à coup de «Tor, Tor, was für ein Tor» sur Mainz- Mönchengladbach. Rien à voir avec Pierre-Alain Dupuis qui s’endort en commentant Schaffhouse – Aarau. Dans les arènes allemandes, les places debout ont retrouvé droit de cité, la bière coule à flot mais il n’y a aucun problème de sécurité, pas d’attente à l’entrée du stade. Les Allemands ont su agir contre les quelques centaines de supporters à problème et les exclure des stades (ils sont obligés d’aller exercer leur violence en Regionaliga). En Suisse, on a l’impression que M. Isoz et ses sbires émettent surtout des règlements pour ennuyer les 95% de vrais fans et ne font rien contre les 5% qui posent problèmes.
Aujourd’hui, il existe des moyens pour revaloriser le football suisse mais le changement de formule n’en est pas un. Il ne sert à rien d’inventer quelque chose d’aberrant pour se rendre compte dans trois ans que ça ne va pas mieux et trouver une formule encore plus stupide. Malheureusement, les dirigeants du football suisse ont la fâcheuse tendance à croire qu’ils trouveront des solutions dans leur bureau, à élaborer des belles formules sur leur ordinateur, et donnent l’impression d’oublier que le foot, ça se joue dans les stades. Alors, M. Isoz, si vraiment vous voulez aider le football suisse (depuis le temps, on commence à en douter), sortez de votre bureau et allez voir comment ça se passe à l’étranger. Vous constaterez que, lors de ses vingt dernières années, à elle seule la Suisse a changé plus souvent de mode de championnat que tous les grands pays du foot réunis. Et si, en définitive, la formule miracle ce n’était pas simplement la stabilité d’un championnat cohérent, compréhensible par tous ?

Écrit par Julien Mouquin

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1 Commentaire

  1. Ecellent article! mais jai que lattaque contre M.Isoz est plus un rencoeur personnel quune critique sur son travail. En effet, M.Isoz et ses colaborateures essaient bien de trouver la bonne formule. Il ne faut donc pas reagire au quart de tour alors que tout ceci ne sont que des études..

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