Chasseurs de Lyon bredouilles dans le Chaudron vert

Saint-Etienne – Lyon c’est un peu le LHC – Genève-Servette du football français : deux villes séparées par une petite soixantaine de kilomètres mais deux mondes différents, deux visions du sport diamétralement opposées : d’un côté, on a un club au bénéfice d’une ferveur populaire incomparable, éternellement mal géré, qui accumule les échecs, les déceptions et les allers-retours entre 1ère et 2ème division mais qui conserve la capacité d’enflammer ses supporters au moindre frémissement.

De l’autre, on trouve un club sorti de l’anonymat par la seule volonté de quelques mécènes fortunés, dirigé de manière froide et professionnelle, qui, le succès aidant, commence à attirer du monde au stade mais ne bénéficiera jamais de cette ferveur qui ne s’achète pas. Les débats entre supporters stéphanois et lyonnais ressemblent à s’y méprendre à ceux opposant Lausannois et Genevois : les uns ont une propension certaine à s’arroger le monopole de la passion et à sacraliser un public dont remettre en cause le titre de meilleur du pays équivaut à commettre un sacrilège, les autres possèdent l’arrogance d’une série de résultat positif et une tendance récurrente à vouloir donner des leçons dans un sport dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence quelques années auparavant, lorsque leur club végétait dans l’indifférence et les profondeurs du classement.

Les comparaisons s’arrêtent là car le LHC ne possède pas le glorieux palmarès de l’AS Saint-Etienne et Genève-Servette, malgré les millions investis, n’a, contrairement à Lyon, strictement rien gagné ces dernières saisons. Autre différence entre derby lémanique et derby rhodanien : alors que les dirigeants valdo-genevois font amis-amis, c’est la guerre ouverte entre présidents stéphanois et lyonnais. La hache de guerre a été déterrée avec l’affaire Piquionne lors du Mercato. On ne va pas revenir là-dessus, j’ai toujours eu tendance à penser que la valeur de l’ex-attaquant rennais était largement surestimée mais il faut reconnaître que son départ a fortement perturbé Saint-Etienne qui restait, avant le derby, sur trois défaites consécutives à domicile (Monaco, Sedan et Rennes). La tension entre les deux clubs s’est encore ravivée avec la désormais traditionnelle polémique sur la fixation de la date du match. Aulas et Lyon voulaient jouer le vendredi pour bénéficier d’un jour de repos supplémentaire avant le match de Ligue des Champions contre la Roma, le préfet de la Loire a refusé prétextant que le match devait se jouer en diurne pour raisons de sécurité et qu’un concert (c’est un bien grand mot) de Diam’s à Saint-Etienne le vendredi soir empêchait la tenue simultanée du match. Les débats se sont envenimés et les noms d’oiseaux ont fusé par voie de presse interposée.
Morceaux choisis : Aulas : «C’est ce que souhaitait Saint-Etienne, jouer contre une équipe diminuée. C’est la prime aux pleureurs qui est exaucée, comme d’habitude en France. Je regrette ce manque de fair-play.» Caiazzo (président de Saint-Etienne) : «Reprocher au président de la Ligue et au Préfet d’agir pour la sécurité dénote une absence totale de responsabilité de la part de Jean-Michel Aulas. La direction de l’ASSE demande solennellement à tous les supporters, d’être plus intelligents que le président de l’OL, en gardant calme, sang-froid et sérénité pour ce derby qui doit rester une grande fête du football.» A l’heure où, malheureusement, la violence gagne du terrain dans les stades, il serait temps de sanctionner les dirigeants qui jettent de l’huile sur le feu de derbies déjà brûlants (et accessoirement d’exclure les présidents qui agressent les arbitres de toute fonction dirigeante dans le football). Le derby sévillan avait montré ce que pouvaient provoquer les déclarations incendiaires des dirigeants, ce derby du Rhône en amènera une nouvelle preuve.

Lyon prétend devenir un grand d’Europe mais pour l’instant, au niveau de la mentalité, il demeure un nain. L’AS Roma n’a fait aucune polémique parce qu’elle devait jouer le samedi et qu’elle avait déjà eu un match le mercredi précédent alors que Lyon était au repos. Et pourtant, le contingent à disposition de Spalletti est moins pléthorique que celui d’Houiller.
Entre la ferveur et le fric, inutile de préciser que nous choisissons la ferveur. C’est donc avec enthousiasme que nous allons prendre nos places dans le kop sud, fief des Green Angels. Pour ce 93e derby rhodanien, le mythique stade de Geoffroy-Guichard affiche bien sûr complet et a revêtu ses habits de lumière avec des tifos dans toutes les tribunes. Bienvenue dans le Chaudron ! Sevrés de succès face à l’éternel rival lyonnais depuis treize ans et quatorze matches, les supporters stéphanois mettent une ambiance incroyable pour pousser leurs favoris à surprendre le quintuple champion de France en titre. C’est sans doute le seul point sur lequel les supporters des deux équipes sont d’accord : leur derby, c’est le plus grand du championnat français car la rivalité entre les deux villes est ancestrales, avant même l’invention du football, alors que l’antagonisme OM-PSG est une pure création médiatique des années 80.

Dans un chaudron vert en ébullition, Sainté tente de prendre le match en main et d’aller bousculer la solide défense adverse. Cependant, les occasions se font rares. Jean-Michel Aulas avait menacé de disputer ce derby avec une équipe B mais Gérard Houiller, qui a beaucoup plus de cervelle que son président, aligne sa formation type, à une exception près : Kallström remplace Juninho à mi-terrain. Un choix judicieux car le Suédois ouvrira le score en concrétisant la première occasion du match, profitant d’une triple erreur dans la défense stéphannoise : un dégagement raté de Janot et une tentative hasardeuse d’aile de pigeon de Perquis à 30 mètres de son but ont permis à Malouda de s’échapper sur le flanc gauche et d’adresser un centre qu’Hognon a renvoyé en plein sur Kallström qui n’avait plus qu’à marquer.
Un deuxième coup de massue s’abattra sur le chaudron à la 38e : sur un ballon qui traîne à l’orée des seize mètres stéphanois, Tiago réussit un lob somptueux au détriment d’un Janot curieusement avancé en la circonstance. Déjà qu’il n’est pas bien grand… En concrétisant ses deux seules occasions de but de la 1ère mi-temps, Lyon, monstre glacial de réalisme et d’efficacité, a bien refroidi le chaudron. Saint-Etienne n’a pas démérité, a même légèrement dominé territorialement mais s’est montré totalement improductif en phase offensive. Il y avait à chaque fois une touche de balle de trop, un contrôle approximatif ou une dernière passe imprécise pour faire avorter l’action stéphanoise. Face à une équipe aussi solide et opportuniste que l’OL, cela ne pardonne pas. Gomis prend de la place devant mais il ralentit considérablement le jeu alors que l’autre attaquant, le Brésilien Ilan, s’est montré inexistant.
Il n’y a guère eu que quelques déboulés de Feindouno puis Heinz sur le flanc gauche pour inquiéter un tant soit peu une défense lyonnaise remarquablement articulée autour de l’excellent Cris. De tout le match, outre le but de l’honneur de Gomis, Sainté ne se créera que trois occasions de goal : un coup de tête raté par Gomis sur un corner juste avant la mi-temps, un coup franc de Feindouno détourné par Coupet (58e) et une frappe de Guarin bloquée par le gardien de l’équipe de France (90e). Lyon ne s’est pas créé beaucoup plus d’occasions mais s’est montré beaucoup plus tranchant sur ses opportunités. Toute la différence entre d’honnêtes travailleurs du championnat de France et des stars de niveau international.
Au retour de la mi-temps, le kop nord a préparé un nouveau tifo somptueux : des immenses figurines d’animaux de la jungle représentant les joueurs lyonnais sont amenées dans la tribune, sur un fond jaune. En bas du kop, un chasseur armé d’un fusil et une banderole explicite «La chasse est ouverte, tuez-les !». Grandiose, même si l’on ne peut pas vraiment profiter du spectacle, vu que l’on est nous-mêmes sous la bâche du tifo du kop sud. Hélas, Müller l’hippopotame, Govou le rhinocéros, Cris le singe, Malouda la gazelle, Houiller le buffle, Fred le léopard, Juninho le zébre, Wiltord l’éléphant et leurs petits camarades ont à peine quitté le stade que Lyon plie le match sur un coup franc de Fred qui ne paraissait pas inarrêtable. Guère inspiré sur le trois réussites lyonnaises, le portier stéphanois Jérémie Janot aura été le héros malheureux de ce derby rhodanien.

C’est alors que survinrent les incidents : malgré l’avance de leur équipe, les supporters lyonnais ont déclenché les hostilités en lançant un fumigène sur les supporters des Verts (Peut-être pour se venger de s’être fait piquer, il y a de cela quelques années, une banderole fièrement exhibée par les supporters des Verts pour l’occasion). Incapables de faire entendre leurs chants, les Gones n’ont manifestement pas trouvé de moyen plus intelligent de signaler leur présence. Riposte immédiate du kop nord, les fumigènes volent entre supporters des deux camps. Des gestes regrettables et condamnables certes (comme il s’en produit tous les week-ends en Italie), mais qui ne justifiaient pas la réaction inopportune et disproportionnée des forces de l’ordre qui ont lancé des gaz lacrymogènes. Ceux-ci ont contraint l’arbitre M. Chapron, excellent dans un contexte aussi tendu, à interrompre le match, l’atmosphère étant devenue irrespirable, au propre comme au figuré.
Si M. Aulas et les supporters lyonnais portent une large part de responsabilité dans ces événements déplorables, il faut constater que les services de sécurité de Geoffroy-Guichard n’étaient pas à l’hauteur d’un match classé à hauts risques. Dans le kop sud, un supporter se baladait même avec un chalumeau produisant des flammes dignes d’un concert de Rammstein sous le regard complaisant des stadiers ! Le seul qui se réjouira de ces incidents, c’est Jean-Michel Aulas qui tenait absolument à prouver que Saint-Etienne ne pouvait assurer la sécurité du match. L’Olympique Lyonnais produit un football remarquable mais son président est imbuvable. Contrairement à ce que prétendra Thierry Gilardi, toute la France ne sera pas derrière Lyon mardi en Coupe d’Europe.
Après vingt minutes d’interruption, le match reprendra mais le cœur n’y est plus. Les formidables supporters stéphanois chanteront jusqu’à la fin du match mais le volume est descendu de quelques décibels par rapport au début de match. A partir de la 70e, on parviendra même à entendre les coups de sifflet de l’arbitre. La réduction tardive du score, signée Gomis, après un débordement de Heinz sur la gauche, ne permettra pas de rallumer la flamme. Néanmoins, malgré l’interruption et l’absence de suspense, aucun spectateur ne quittera le stade avant le coup de siffler final. Malheureusement, une fois de plus, les joueurs de Saint-Etienne n’ont pas été tout à fait à la hauteur de leur public. Pour la quinzième fois consécutive, les chasseurs stéphanois n’ont pas réussi à avoir la peau du roi Lyon et de sa ménagerie.

Saint-Etienne – Lyon 1-3 (0-2)

Geoffroy-Guichard : 35’201 spectateurs (guichets fermés, record de la saison).
Arbitre : M. Chapron.
Buts : 28e Kallström (0-1), 38e Tiago (0-2), 47e Fred (0-3), 80e Gomis (1-3).
Saint-Etienne : Janot ; Ilunga, Z. Camara, Hognon, Dabo ; Landrin (46e Guarin), Sablé, Perquis (46e Heinz), Feindouno ; Ilan, Gomis.
Lyon : Coupet ; Reveillère, Squillaci, Cris, Abidal ; Govou (70e Wiltord), Toulalan, Tiago (52e A. Diarra), Kallström, Malouda ; Fred (70e Baros).
Cartons jaunes : Malouda (39e), Cris (59e), Reveillère (63e), Toulalan (81e).
Notes : Saint-Etienne sans Perrin ni Dernis (blessés). Lyon au complet, Muller, Ben Arfa, Caçapa, Fabio Santos et Berthod ne figurent pas sur la feuille de match. 52e : match arrêté pendant une vingtaine de minutes suite à des jets de fumigène entre supporters et à des gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre.

Écrit par Julien Mouquin

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1 Commentaire

  1. Si tous les présidents étaient stupides comme Aulas, le foot français irait sans doute mieux.
    Heureusement que tous les présidents ne ressemblent pas à Caiazzo. Finalement ça pourrait être pire.

    Quant aux supers supporters des verts et aux opportunistes de lOL, les vieux mythes éculés ont la peau dure ! Je ne pensais pas quil en était hors nos frontières pour y croire. Menfin cest pas grave. La certitude de ses petits avis est tellement confortable. Par contre, il est surprenant de montrer dun côté tant de mépris pour certains et de lautre de monter sur ses grands chevaux dès quun débordement a lieu…

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