Sauvons l’alcool dans les stades !

Une première tentative visant à interdire totalement l’alcool dans les villes hôtes de l’Euro 2008 les jours de match avait échoué au parlement il y a quelques mois. Mais la lutte continue et une nouvelle offensive a été lancée, avec pour but d’interdire l’alcool non seulement dans les stades lors de l’Euro mais aussi dans tous les rassemblements de fans ainsi que dans tous les stades et patinoires helvétiques même lorsque l’Euro sera terminé. Pourtant, les expériences faites à l’étranger montrent qu’une telle mesure n’a aucune justification sécuritaire. Réagissons !

Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos : je ne suis pas en train de dire que l’alcool est indispensable pour savourer un match de football, que sans bière il n’y a pas d’ambiance dans les stades ou que tous les supporters sont des alcooliques impénitents qui vont se mettre à trembler s’ils n’ont pas leur dose pendant nonante minutes. Simplement, l’alcool est en vente libre dans notre pays et son interdiction, dans quelque lieu que ce soit, représente une restriction à une liberté qui ne peut être envisagée que si un intérêt public prépondérant l’exige. Et uniquement si l’interdiction est le seul moyen d’atteindre l’objectif visé. Or tel n’est pas le cas s’agissant du football.La dernière offensive contre l’alcool dans les stades est venue de l’Office fédéral de la santé publique, se basant sur une vague étude universitaire sur les méfaits de l’alcool, et relayée par une coalition hétéroclite de politiciens allant de la gauche liberticide et hostile aux grands évènements sportifs à une droite chrétienne et moralisatrice. Bref, des fonctionnaires dans un bureau à Berne, des universitaires dans leur tour d’ivoire et quelques politicards en mal de publicité qui ont sans doute deux choses en commun : n’avoir jamais mis les pieds dans un stade de football et raisonner sur des vieux préjugés post-Heysel : supporters de foot donc chômeurs donc buveurs de bière donc violents.

Les Fan Fest allemandes avaient été un vrai succès

Ces gens-là n’entendent pas seulement interdire l’alcool dans les stades durant l’Euro, ce qui est de toute façon déjà acquis, puisque la Suisse et l’Autriche n’ont pas demandé de dérogation à l’interdiction générale de l’UEFA (contrairement à l’Allemagne qui avait elle obtenu une telle dérogation de la FIFA, sans que cela ne pose le moindre problème, bien au contraire). Ces rabat-joie entendent également interdire l’alcool dans les public-viewing ou UBS-Arena ; et pourtant, le concept des Fan Fest allemandes, qui a débouché sur des fêtes mémorables réunissant des supporters d’horizons multiples sans déplorer d’incidents, paraît difficilement applicable sans bière.
L’Euro s’annonce déjà suffisamment triste comme cela, puisque, après les qualifications, les partisans du «on vient à douze, on se terre dans notre coin pour regarder les matches et on sort klaxonner uniquement en cas de victoire de notre équipe» seront largement majoritaires par rapport aux adeptes du «on débarque à 50’000, même sans billet, on envahit bars et terrasses et, quelque soit le résultat, tout cela finira par une bonne cuite». L’interdiction de l’alcool achèvera définitivement de vider ces UBS-Arena et poserait de gros problèmes de sécurité puisque, plutôt que d’être tous réunis au même endroit, les supporters s’éparpilleraient dans les villes à la recherche d’un peu de tolérance, ce qui les rendrait plus difficilement contrôlables. Cela montre bien que l’interdiction d’alcool est davantage affaire de dogmatisme que de sécurité.

On ne boira pas de bière à St-Jacques en juin 2008

Il faut dès lors regretter que les forces de sécurité dans notre pays s’allient aux partisans d’une interdiction totale et permanente, y compris après l’Euro, d’alcool autour des compétitions sportives. Sans doute effrayés par leur propre incompétence, les services de sécurité en Suisse ne voient de salut que dans les mesures coercitives : restrictions de mouvements pour les fans, files interminables aux entrées, grillages, barbelés, interdiction en tout genre… Personnellement, cela me navre de voir les responsables du stade de la Praille venir se vanter de l’efficacité de leur système de sécurité. Pour moi, un dispositif sécuritaire véritablement efficace, c’est non seulement un dispositif qui parvient à prévenir et contenir les débordements, mais aussi un dispositif qui est passé inaperçu auprès du 99% des supporters qui n’ont rien à se reprocher. On en est très loin en Suisse.
Un tel dispositif est-il utopique ? Non, l’Allemagne l’a prouvé durant la Coupe du Monde et le prouve à chaque journée de Bundesliga : présence policière invisible, aucune attente à l’entrée et à la sortie des stades, supporters d’équipes différentes qui se mélangent et surtout consommation d’alcool non seulement tolérée mais même encouragée, puisqu’il est généralement impossible de commander une bière inférieure à 5 dl. Et pourtant, l’Allemagne ne connaît quasiment aucun problème de violence dans et autour des stades, contrairement à l’Italie et la France qui pratiquent eux une stricte interdiction de l’alcool. Il est d’ailleurs significatif de constater que l’Angleterre, en première ligne sur le front de la lutte contre le hooliganisme, a réintroduit, après l’avoir complètement interdit, l’alcool dans les stades. Avec quelques restrictions certes (souvent l’alcool est autorisé dans la buvette mais pas dans la tribune) mais réintroduit quand même.
Je dois avoir vu une cinquantaine de matches à l’étranger ces 3-4 dernières saisons, je pense donc pouvoir parler en toute connaissance de cause. Nos voisins allemands ont réussi à faire du football une immense fête populaire et  remplissent les stades tous les week-end. Les gens arrivent bien en avance au stade, boivent quelques bières entre amis et repartent sereins après le fin du match parce qu’ils ont passé un bon moment de détente, quelque soit le résultat. Le système allemand en appelle à la responsabilisation de chaque supporter qui sait que s’il ne maîtrise pas sa (sur)consommation d’alcool, il encourt une longue interdiction de stade. Et ça marche. A l’inverse, l’Italie ou le France rechignent à prendre les mesures qui s’imposent contre les véritables perturbateurs et multiplient les restrictions et les chicaneries contre les spectateurs «honnêtes». Ce qui vide les stades mais ne résout en rien les problèmes de violence. Est-ce vraiment cet exemple que l’on veut suivre ?

Ça chante, ça boit, ça fête : c’est l’Allemagne !

L’organisation d’une grande compétition sportive est l’occasion de donner une image positive et ouverte d’un pays, ce qu’avait parfaitement réussi l’Allemagne en 2006 en se montrant festive et conviviale, alors qu’on la voyait plutôt froide et austère. Bien sûr que réunir des dizaines de milliers de personnes qui font la fête va occasionner quelques menues nuisances, comme en causent un carnaval, un giron, le Paléo ou les Fêtes de Lausanne. Il n’a pourtant jamais été question d’interdire l’alcool dans ces manifestations-là. Il n’y a donc pas lieu de s’acharner sur le football. Veut-on vraiment donner l’image d’une Suisse frileuse, peureuse, qui n’ose pas s’amuser et qui considère tous les supporters qui nous rendront visite en juin prochain comme des hooligans en puissance ? Ce serait là un magnifique autogoal, à ce moment-là autant renoncer à l’Euro.
Prendre des mesures contre la violence est une nécessité mais prenons des mesures qui ciblent réellement les personnes posant problème et non pas l’immense majorité des supporters qui n’a rien à se reprocher. Faisons des stades et des patinoires des lieux de fête et non des camps retranchés. Je suggère d’obliger tous les ayatollahs qui défendent l’interdiction de l’alcool dans les stades d’aller voir un Juve – Milan, où l’alcool est prohibé, dans la Curva milanista, et un Dortmund – Bayern, où la bière et même le Jägermeister coulent à flot, dans le Kurve bavaroise. Comme cela ils auront enfin une idée de quoi ils causent et ils comprendront quelle est la voie à suivre.

Écrit par Julien Mouquin