Episode 5 : les Babibouchettes

Chers lecteurs, chères lectrices,

La dernière fois que je vous avais laissés, Laurent et Jean-Marc avaient été nommés responsables de la nouvelle rubrique des sports à vocation satirique. Si le duo était emballé à l’idée de se voir octroyer un nouveau privilège, le fait de devoir assumer les responsabilités d’une telle tâche ne les enthousiasmait guère.

Laurent me confiait que c’était toujours difficile de ne pas susciter des réactions très négatives quand on se laissait aller un tout petit peu à l’écran. Il se souvenait encore d’une phrase qu’il avait dû, malgré lui, énoncer afin que nul ne doute de son son impartialité dans un duel Fribourg-Berne.
 
Pour mener à bien ce projet de chronique satirique, il allait falloir sortir des sentiers battus et ne pas permettre à des gens qui se plaignent sous l’effet de l’alcool de critiquer abusivement. C’était donc en reprenant certains principes du carnaval dont celui du déguisement à titre volontaire, que ceux que l’on confond lorsqu’on ne regarde qu’occasionnellement la TSR avaient décidé de réaliser leur projet. Et les idées viendraient ensuite. Ils les improviseraient, à la canadienne, sur une patinoire, mais sans arbitre.
 
On comprend que Marie-Laure, la première à voir arriver ses collègues fut surprise puis choquée de ces accoutrements non autorisés par le dress code plutôt permissif de la maison. Elle s’étonna surtout car elle savait que Laurent avait travaillé pour un cigarettier, mais elle ne le savait pas mêlé au trafic d’opiacés. Jean-François en profita pour rappeler d’un ton quelque peu hautain, mais surtout pour rétablir la vérité, que cette tenue, aussi douteuse qu’elle puisse-t-être,  n’avait rien à voir avec les guerres en Chine du début du siècle passé. Le dragon était l’emblème de Gottéron et Laurent avait décidé d’assumer sa partisannerie, en revêtant le costume du fabuleux monstre.
 
En cette période de Thanksgiving Jean-Marc, dans sa tenue d’aigle servettien avait plutôt l’air d’être un volatile nord-américain, chétif, qui venait d’échapper à une fin sacrificielle grâce à un long vol migratoire. Mais à ceux qui allaient trop loin dans la raillerie, il avait tôt fait de leur montrer ses serres affutées comme des couteaux de boucher et de rappeler que son œil était le seul capable de regarder l’astre orangé de face, même si ce n’était qu’une balle de tennis imprégnée de terre battue. Excédé par le ridicule de la situation, Pascal affirma que lui, ce qu’il voyait, c’était surtout Albert le vert et Ginette la poule. Cette remarque, au lieu de susciter l’indignation retenu toute l’attention et l’idée centrale de la rubrique était donc toute trouvée : elle emprunterait la popularité et un peu la forme  des « Babibouchettes ».
 
Dans la foulée, les membres présents de la rédaction se demandèrent si les Biennois pouvaient être considérés comme un club romand et s’il fallait les inclure d’une manière ou d’une autre à la fiction? Pour Jean-Marc, c’était un faux problème. Il suffirait d’intégrer une sorte de Klick Klak Photographe totalement bilingue qui servirait de fil d’Ariane à la rubrique. Pascal qui cherchait toujours à placer ses sorties, même lorsqu’elles étaient depuis longtemps dans son esprit, suggéra : « Et pourquoi pas le string de Peter pendant que vous y êtes ? ».
 
De l’avis général, cette remarque apporta moins à la discussion que la précédente et, tacitement, les protagonistes de la séance informelle décidèrent unanimement de ne pas l’avoir entendue. Il faut dire que des liens inaltérables s’étaient tissés dans le métier. C’est d’ailleurs fait pour que ceux qui n’en sont pas ne comprennent pas. Histoire de vous montrer que l’on ne rentre pas comme ça dans le cercle très fermé du journalisme romand.
 
Cependant, Pascal, refoulé comme un dragueur passé de date dans une boîte de nuit branchée du Flon, n’avait d’autre choix que de rebondir. Ce qu’il fit en parlant du nouveau qui était un as du vélo.
 
Le nouveau, c’était moi.
 
Et si j’avais en effet quelque peu vanté mes exploits cyclistes de jeunesse, c’était avant tout pour m’assurer de décrocher ce poste. Et l’homme à l’Opel Manta en rajouta en parlant de ma relation avec la Suisse allemande… Même si je pouvais certifier autant que possible être d’une souche romande assez pure, rien n’y faisait. J’étais enrôlé de force dans ce projet qui, de mon jugement ne pourrait pas avoir d’issues très favorables pour ma personne.J’étais donc chargé de racheter à Pierre Maudet le kangouroule qu’il avait utilisé à des fins électorales, et ceci pour une somme ou un temps d’antenne. Si les négociations furent âpres, c’était parce que, aux dires du magistrat, il le louait actuellement à un collègue de parti qui s’était rendu si ridicule à Infrarouge qu’il avait décidé de se retirer de la vie publique jusqu’à ce que son visage dispose d’une pilosité plus fournie et qu’il puisse prétexter être un gypaète barbu la prochaine fois qu’un canon de fusil, menaçant de lui ôter la parole pour de bon,  pointerait en sa direction.
 
La situation aurait pu rester sans issues encore longtemps si mes collègues de la rédaction des sports ne m’avaient pas appris à placer des petites phrases toutes faites qui permettent de sortir de situations parfois délicates. Sorte de transition qui, même si elles n’ont aucun fondement logique permettent de passer du coq à l’âne, sans que l’esprit du téléspectateur ne se sente troublé par la supercherie plus de quelques secondes. Mon choix se porta sur  une petite maxime que ma grand-mère, fille d’un métayer de Chalais, n’avait cesse de me répéter dans les nombreux moments difficiles de mon enfance : « celui qui se cache n’enterre maux. ».
 
Et pour être courtois, j’associai cette sentence morale à une promesse sur l’honneur de ne pas révéler l’identité de celui qui voyait dans l’assouplissement du droit de recours un moyen efficace de venir en aide à sa société. Parti en bas à la ville, il imaginait cette dernière comme composée de mangeurs de bouillie de châtaigne, décimée par le crétinisme et tenant sa merci, comme lui, dans l’immigration ou la prostitution paysagère.
 
Il ne me restait plus qu’à me rendre au service de la voirie pour récupérer le triporteur  débarrassé à l’aide de méthodes calvinistes de son contenu et l’on pourrait commencer à tourner les premières scènes. Ce fut fait sans trop d’encombres. Les employés me dirent qu’il faudrait peut-être lui rajouter un peu d’huile car depuis quelques temps, il avait tendance à « couiner ». Je répondis que ce n’était pas un problème, réglai la hauteur de la selle et d’une fréquence de pédalage assez haute, je rejoignis les studios de la TSR.
 
C’était en arrivant aux bureaux que la mauvaise surprise allait se dresser sur ma route.  Gilles Marchand, le grand sorcier de la tour, accompagné d’un exemplaire du règlement interne, m’attendait en compagnie de Romaine Jean, leurs index accusateurs. Et il n’était pas nécessaire de prononcer le nom d’Anastase pour sentir l’orage.
J’appris que j’étais muté pour une durée de 2 semaines à la technique car je m’étais rendu coupable de faire du sport dans le cadre d’une production télévisuelle sur… le sport. Si j’étais puni moins sévèrement que le cameraman pris dans la même situation cocasse, c’était parce que j’avais été spontanément dénoncé par des membres de la rédaction. En cela, je pouvais les remercier.
 
Jean-François et Philippe discutaient, l’air grave, mais avec la conscience comme sublimée par de récents événements. Lors d’un match de foot, il est difficile d’aller contre le cours du jeu ou la volonté de l’arbitre. Mais ces frustrations s’effacent vite lorsque l’occasion de faire preuve de civisme se présente aussi évidemment et que l’on peut se faire justicier, sans cape, mais sous le couvert de l’anonymat.
 
Laurent et Jean-Marc durent abandonner leur projet de babibouchettes sportives. Cela les soulagea presque car John et Eric se disputaient de plus en plus violemment le rôle de Dussac. Ce dernier, pour rappel, est un personnage secondaire qui vit une espèce de partenariat avec Ginette (ndlr : mot-valise pour « Ginève Servette »).
Finalement, je crois que personne ne se plaint vraiment de la situation. J’ai rendez-vous demain avec mon nouveau supérieur dont je ne connais pas le nom exact car tout le monde l’appelle Bolamix ici. Puisque l’univers de la technique m’a toujours fasciné, je peux plutôt me réjouir.
Légendes photos : 1 : ©troisrouesetplus.com
2 et 3 : ©costumecrazes.com
4 : Manta Driver
5 et 6 : ©Thomas Guignard

Écrit par Jean-Boris Cochet-Lamouche

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