24 heures avec… le programmateur d’Eurosport

Il est des jobs plus faciles que d’autres*… Après Rafael Nadal, CartonRouge.ch va vous faire vivre le quotidien de Jean-Robert**, le malheureux type qui a accepté le poste de programmateur chez Eurosport France.

Il est 6h45, un nouveau jour se lève sur Issy-les-Moulineaux. Jean-Robert commence son travail, alors que le télé-achat tourné en Moldavie et mal doublé dans une entreprise bilingue de Dudelange au Luxembourg passe le relais à Eurosport Info. «Putain», se dit-il les yeux encore collés malgré la ligne de coke qu’il vient de s’envoyer, «encore vingt heures de programme à meubler. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir inventer aujourd’hui…» Il est vrai que ce mardi est plutôt «light» en actualité sportive. Et comme les droits TV de tout ce qui est intéressant sur la planète sport ont été achetés par des chaînes à péage et concurrentes, Jean-Robert – «JR» comme on l’appelle dans la chaîne paneuropéenne pour sa propension à faire de l’œil depuis derrière son chapeau passé de mode aux jeunes stagiaires – n’est pas dans la merde… Chaque jour, il se transforme en véritable Houdini de la grille pour réussir à vendre des espaces de pub et ainsi engraissé son patron (TF1, donc). Pire, maintenant ses chefs lui ont mis dans les pattes la petite sœur Eurosport 2, il est complètement à l’ouest et est tombé dans la drogue. Quoi de plus normal…Il cherche désespérément dans ses archives pour compléter son programme du jour. Le pauvre, aujourd’hui, le seul événement qu’il a en direct pour passer sur son antenne, c’est le tournoi WTA de Charleston. Un truc tellement peu télégénique (il se déroule sur de la terre battue verte, comme de tradition aux Etats-Unis), qu’il hésite à le diffuser en différé pour les noctambules. C’est vrai quoi ! Maria Kirilenko ou Daniela Hantuchova en live, c’est plus motivant que les vieilles Allemandes enceintes sur RTL9 (et c’est un expert qui vous le dit). Il faut dire qu’il n’a vraiment pas de bol, Jean-Robert. Les deux Françaises en lice dans le tableau  principal ont été sorties la veille au premier tour. En plus, dans le lot il y avait Marion Bartoli, dont les robes tiennent plus des rideaux du salon de ma grand-mère que du Dolce & Gabana qui semble habiller Maria Sharapova sur le circuit mondial. La façon dont elle est sapée fait à chaque fois bugger l’image et même Venus Williams est plus agréable à regarder, estime-t-il.

Rosenborg, fais-nous rêver

Alors «JR» commence par la facilité. Entre huit heures et dix heures, il va lancer son programme bouche-trou favori : un remake des quarts de finale de la Ligue des Champions de 1998. C’était un certain Rosenborg – Juventus resté dans toutes les mémoires pour les initiés (1-1). «Ça ne mange pas de pain. C’est déjà deux heures de gagnées», se dit-il. Mais comme il a balancé un match de foot sur la «une», il va devoir redoubler d’inventivité pour la «deux»… «Allez, soyons fou. Je laisse les actualités en boucle jusqu’à dix heures, de toute façon selon Médiamétrie (l’entreprise qui se charge d’estimer les parts de marché), personne ne regarde cette chaîne avant midi environ. Et encore la dernière fois que quelqu’un s’est connecté, il s’était trompé de bouton». La solution de facilité, certes… Mais Jean-Robert va le payer par la suite.
Les deux heures gratuitement évacuées aux cours desquelles il a vainement tenté de faire une première sieste (maudite coke !) touchent à leur fin, il doit maintenant commencer à établir un plan crédible pour nourrir sa bête le reste de ce jour, tout en satisfaisant en même temps des annonceurs toujours plus pressants… Eh oui, la crise est partout. Dix heures à peine et notre programmateur craque déjà. Il faut dire qu’il avait vainement postulé chez M6 et qu’à cette même heure, sur sa chaîne préférée, il y a un programme qu’il kiffe trop grave, c’est Star 6 Music. «Ah si seulement je pouvais lancer un concept pareil ici», se lamente-t-il. «Au moins on ferait du pognon avec tous ces glands qui appellent pour répondre à des questions à la con et je ne devrais pas me creuser la tête pour faire tourner cette baraque. Il suffit pourtant seulement d’une présentatrice à moitié à poil, d’une caméra et d’un centre d’appel au Maroc !»
Mais la direction de la chaîne fait fi des grandes idées novatrices de «JR». Alors pour se venger, il se décide à pourrir la journée. Juste comme ça, pour déconner. On notera qu’on a l’impression que ça fait dix ans qu’il fait ça, mais non, faut pas croire… Encore un peu ailleurs en raison des produits stupéfiants qu’il a ingurgités, il rit en lançant la cassette de l’homme le plus fort du monde (étape de Wil dans le canton de St-Gall, remportée par le Polonais Wojtek Mickiewicx grâce à une belle prestation au lever de caravane) sur la chaîne «premium» et le Championnat d’Europe de Backgammon sur l’autre. Ça le fait marrer ça Jean-Robert. De toute façon, quel est le con de chômeur qui regarde Eurosport à dix heures un mardi matin ? En fait, il l’apprendra assez vite de la bouche de son patron quelques semaines plus tard («Jean-Robert, à votre avis, quel est le con de chômeur qui regarde Eurosport le mardi à 10h ?», lui demandera son boss. «Je ne sais pas, personne ?», dira «JR». «Et bien toi demain matin», ricanera le chef)…

Bottes secrètes

Il est à peine midi et il a déjà usé ses deux bottes secrètes. Heureusement pour lui, il vient de recevoir deux épisodes de la grande saga du retour aux affaires de Lance Armstrong. Ok, ce n’est pas très glorieux de  faire l’apologie du come-back du sulfureux Américain, mais ma foi, il y a des jours où il faut faire des choix. C’est gratuit en plus, mais faut pas le dire trop fort. Au pire, ça servira de bêtisier quand, enfin, les agences anti-dopage auront chopé le Texan parce qu’il aura grimpé l’Alpe d’Huez une fois de trop en moins de douze minutes en doublant les motos et perdant au sprint contre la caravane publicitaire… Et pis bon, c’est un peu le buzz ce retour au premier plan, alors pour une fois que sa chaîne peut être un tant soit peu «trendy», il ne va pas s’en priver. «La morale, c’est pour France 3», a-t-il coutume de dire.
Pour la pause déjeuner, Jean-Robert envoie trente minutes de pubs non-stop. De toute façon, c’est ça ou rien, il a faim. Après un bout de pizza envoyé en vrac, il fait tout de même un petit tour par les toilettes pour s’enfiler un bon gros joint. «Faut pas se laisser aller», se dit-il, «il reste tout de même pas mal de boulot». Afin de maximiser les effets du cannabis, il se demande ce qui pourrait bien lui faire passer plus vite son après-midi… Concept ultime, il opte pour la rediffusion de la demi-finale du Chinese Open de Snooker. Quatre heures non-stop de boules multicolores sur tapis vert plongeraient même le pire hyperactif dans les bras de Morphée. Ce qui est terrible, c’est qu’il a tellement chargé sa cigarette-qui-fait-rigoler qu’il nous quitte avant d’avoir pu lancer la cassette des Championnats du monde féminins de bandy sur la «deux» ! «Pas grave», lance-t-il en s’éveillant juste à l’heure de l’apéro, «je virerai un stagiaire en disant que c’est de sa faute».
Après avoir entamé son troisième verre de pastis, «JR» se dit que ce serait marrant de trouver un vieux tournoi de pétanque pour faire bien avec sa boisson. Malheureusement, c’est France Télévisions qui a arraché les droits du Championnat du monde de boules pour 34 euros 50, une somme bien trop faramineuse pour son entreprise. Alors pour rester dans son idée, il doit se contenter de l’Irish Challenge de boule anglaise. Ça lui rappelle la cour d’école quand il jouait aux billes… Ça lui arracherait presque une larme d’ailleurs. Dans un tel moment d’émotion, quoi de mieux qu’un petit concours féminin de bodybuilding, hein ? Hop, sur Eurosport 2 pour la forme.

WWE vintage

Enfin notre homme voit le bout du tunnel. Comme il n’a (de nouveau) pas eu d’idées géniales, il va finir par diffuser du tennis, faute de mieux. Et il est à peine 18 heures… Après avoir meublé une petite trentaine de minutes avec une interview de Fernando Torres datée de deux mois et réalisée par la rédaction «Europe» où l’Espagnol ne balance que des banalités, il passe l’antenne à ses journalistes qui commenteront le tournoi de Charleston depuis le bureau adjacent. Mais voilà, ce n’est pas tout. Car dès 23 heures, il faut bien encore passer quelque chose. Il ne peut donc pas quitter son bureau pour rejoindre son groupe de junkies dans la boîte «El Polvo Blanco» sans avoir réglé tout cela. Lui qui est un grand fan de catch, il a découvert récemment que les combats de la WWE vieux de plus de dix ans sont désormais tombés dans le domaine public. Une aubaine pour une entreprise telle que la sienne ! Un peu comme si MTV diffusait l’intégrale de Bourvil en concert…
Notre ami rentre de boîte bien amoché vers cinq heures du matin. Ce n’est qu’arrivé chez lui, alors qu’il allume sa TV pour s’endormir d’un sommeil proche du coma, que Jean-Robert se rend compte de sa énième bourde du jour. Entre la chaîne XXL et Pink TV, il tombe par mégarde sur Eurosport 2 et à sa grande stupéfaction, il découvre du foot en direct. «Oh putain, yeeees !», crie-t-il à tue-tête, «c’est quoi ce truc ? On a acheté des droits et on m’a rien dit !» Encore sous le coup de sa jubilation, il prend en main sa bouteille de cognac. Douze gorgées plus tard, il est déjà trop saoul pour déchanter et se rendre compte que c’était de la J-League, le Championnat japonais.

* Toutes ressemblances avec une chaîne existante ou ayant existé ne serait pas vraiment franchement fortuite.
** Prénom d’emprunt

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7 Commentaires

  1. JR aurait pu sauver sa journée en diffusant l’émission dans laquelle un chien doit rattraper un frisbee lancer par son maître (de manière tactique selon les commentateurs d’eurosport). Une sorte de saut en longueur canin…

  2. Excellent =D Maintenant je connais le nom du mec qui anime mes soirées baby-sitting (quand y a pas de NHL sur ESPN)
    J’attends le prochain article avec impatience!

  3. Magnifique article… tellement vrai!! Tu aurais aussi pu citer les interminables soirées ligue 2.. avec cette saison 9 fois sur 10 l’équipe de Lens… heureusement que le public de bollaert était la pour tenir éveiller à la fois les présentateurs et les téléspectateurs dépressifs…

  4. Ohhhhhh oui. Mais le public de Bollaert est là. Et de retour en Ligue 1, enfin presque, à l’heure ou j’écris ces lignes… Quant au papier sur Eurosport, j’ai pas tout de suite pigé le degré auquel il fallait le prendre. Plus je descendais les lignes (……..) plus je comprenais !!! C’était bien le 1er degré !!! Excellent papier… Allez Lens.

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