Bosman ou le début de la fin

Nous sommes le 6 décembre 1992. Depuis le canapé chez mes grands-parents, je vis la première défaite politique de ma vie lorsque la Suisse refuse d’adhérer à la EEE. J’ai onze ans et je suis déjà à moitié traumatisé par la démocratie. Trois ans plus tard, l’arrêt Bosman sort de sa boîte. Depuis, je hais Bruxelles, je vomis Strasbourg, je pourrais fesser José Manuel Barroso avec une pelle.

C’est l’histoire d’un mec, Jean-Marc Bosman, qui a dynamité à lui tout seul le sport. Le football en particulier. Son club d’alors – le FC Liège – souhaitait prolonger son contrat au quart de ce qu’il touchait précédemment, tandis que le joueur veut pour sa part s’engager avec Dunkerque, en France. L’équipe belge réclame une indemnité de mutation pour le laisser filer, alors qu’il est pourtant en fin de contrat. C’est le début de la fin.Notre ami Jean-Marc se tourne alors vers la Cour de justice de l’Union européenne et c’est tout le sport roi qui va en être chamboulé. Tant au niveau des indemnités de transfert, qu’à celui des quotas d’étrangers au sein de chaque formation. Dorénavant, un joueur en fin de contrat peut s’engager avec le club de son choix, tandis que les équipes ont le droit d’enrôler autant de joueurs communautaires qu’elles le souhaitent. Avec les accords de Cotonou et ensuite l’arrêt Malaja en sus, la moitié des sportifs de la planète n’est plus, en France par exemple, considérée aujourd’hui comme étrangère.

Idoles d’enfants

Moi qui suis né dans l’adoration de Frank Verlaat, à l’époque où l’«étranger» était synonyme de renfort, vous vous imaginez bien à quel point, aujourd’hui, ça me fait tout bizarre… Eh oui, souvenez-vous de cette époque dorée où l’AC Milan faisait rêver avec sa triplette hollandaise formée de Marco van Basten, Ruud Gullit et Frank Rijkaard. Je ne vais pas vous énumérer toutes les stars qui ont bercé ma jeunesse, votre jeunesse, car rien qu’en lisant la phrase d’en-dessus, vous avez vu dans votre tête défiler vos idoles d’enfants. Ça fait vieux con peut-être, mais comme le dit si bien la marionnette de Francis Cabrel : «C’était mieux avang’.»

Dorénavant, quand je regarde les clubs du championnat de Suisse se garnir d’une dizaine de joueurs importés surtout parce que ceux-ci coûtent moins chers qu’un Suisse de niveau moyen, ça me fait bizarre. Voir le FC Sion évoluer avec une brochette improbable d’individualités venant des quatre coins de la planète, ça ne me donne pas envie de les supporter, pareil pour Neuchâtel Xamax, Bâle et compagnie. Alors voir ces formations s’étriper sur Swisscom TV à 2 balles 50 la rencontre, très peu pour moi.
Je devance vos objections en vous disant de suite que oui, suivre un match de championnat anglais où zéro – j’ai bien dit zéro – titulaire sont du pays, moi ça m’énerve aussi. Voire pire. Je me demande toujours, année après année, comment cela se fait que tant de gens sur la planète sont toujours autant fascinés par le spectacle proposé en Premier League, sachant que les clubs y vivent à crédit, dans le seul but d’acheter tout ce qui est possible et imaginable sans penser au lendemain.
Les faillites annoncés de Portsmouth, West Ham and co ne peuvent, dans un sens, que me réjouir et devraient peut-être mettre la puce à l’oreille aux pontes de la FA. Et la ligue la plus regardée du monde n’est pas la seule dans ce cas-là. Quand le Real Madrid a besoin d’un tour de passe-passe politico-financier pour éponger sa dette, les gens devraient peut-être commencer à réfléchir sur la pérennité d’un tel système. Quand la Lazio, Parme et j’en passe sont dans le même cas, on se rend compte que l’Italie aussi est touchée
Mais non, il ne faut surtout rien remettre en question, car le pain et les jeux de notre époque contemporaine, c’est la Ligue des Champions et le football sur nos petits écrans. Le susucre qui permet au smicard de supporter sa situation, c’est de regarder six matches de foot chaque week-end devant sa télé, parce que sortir en ville ses enfants et sa femme, ça coûte trop cher.

Xénophobie des terrains

Oh ne voyez rien de xénophobe dans ma haine des quotas d’étrangers sur un terrain de foot, hein, loin de là. Je vote à gauche, je vous jure, genre plutôt disciple écolo-Besancenot qu’anti-minarets primaire. Mais enfin… Qu’elle me paraît loin l’époque où je me rendais dans les stades autant pour y voir du sport, que pour y apprécier la performance du fils du voisin ou du p’tit gars formé à Echallens. A Lausanne, on peut encore le faire à peu près, c’est vrai, mais c’est sans doute l’exception qui confirme la règle. Allez donc voir une ligue plus haut et vous comprendrez.

Bien sûr, comme pour la vidéo, la FIFA assure qu’elle y pensera bientôt, un jour peut-être, c’est promis juré. Mais voilà, Jérôme Champagne, le plus fervent partisan du désormais célèbre 6 + 5 (six joueurs nationaux alignés sur les onze présents sur la pelouse), a été foutu dehors séance tenante de la machine à fric de Zurich. Une façon détournée de dire qu’il est urgent d’attendre, j’imagine. Ou plutôt que tout le monde se gave avec le système actuel et qu’il n’y a donc pas lieu de changer ce qui remplit les poches des décideurs.
Eh oui, Messieurs-Dames les grands penseurs de Bruxelles. A mon humble avis, on ne peut pas tout assimiler à de la marchandise. Si les travailleurs en sont pour vous, je ne peux que vous plaindre. Est-ce que vous délocalisez vos enfants en Pologne pour construire des voitures le mercredi après-midi ? Non, vous les envoyez se défouler sur des près verts. Est-ce qu’après cinq ans, des autres parents peuvent faire signer un pré-contrat à vos rejetons parce qu’ils ont un meilleur pied gauche que le vôtre ? J’ose espérer que non…
Alors pitié, au moment de légiférer, n’oubliez pas la spécificité du sport !
Dessin Robert Johanson

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8 Commentaires

  1. Intéressant article, néanmoins on mélange un peu. L’effet Bosman ne force aucun club a acheté étranger (en majorité) ou a contingenté 138 joueurs professionnels, les faillites récentes et à venir n’en découlent donc pas directement.
    Salutations

  2. Salut.
    Intéressant en effet.
    L’arrêt Bosman a des effets pervers, on est d’accord. Mais à la base, il s’agit d’accorder la liberté de travail aux joueurs pros ! Qui sont des travailleurs et non des marchandises.
    Mettons-nous à sa place. Il arrive en fin de contrat, son club lui propose pour la saison suivante 1/4 de son salaire. Il décide donc tout naturellement d’aller voir ailleurs. Le Club s’oppose à son départ sauf contre indemnités de transfert que son nouveau club n’était pas prêt à payer. Qu’auriez-vous fait à sa place !!! ??? Tu arrives à la fin de ton contrat dans ta boîte qui fabrique des chocolats. Elle te propose un nouveau contrat, 4 fois moins bien payé. Une boîte de sucettes t’engage pour ton ancien salaire –> tu y vas !!! et si la boîte de chocolats s’y oppose, tu l’attaques en justice, ça me paraît logique.
    Maintenant, de fait, le foot-fric et les dettes du REAL (et autre) me dégoutent mais je ne pense pas qu’il soit conséquence directe de l’arrêt Bosman… il s’agissait d’un type qui défendait son gagne-pain et je peux vous assurer que ça n’était pas millions au FC Liège en 1994 ! (ni à Dunkerque d’ailleurs)…

  3. Très bel article auquel j’adhère à 2000%. Il y a quelques contre-exemple, comme le Barça qui devient champion d’Europe avec 6 (sauf erreur) joueurs formés au club, ou ManU il y a quelques années.

    Ce qui est inquiétant, c’est que cette tendance envahit les terrains amateurs, et là, je suis juste écoeuré.

  4. En Superleague il y a quand même des équipes au quota de joueurs majoritairement suisse. Faut juste aller les chercher outre-Sarine.

    Quand je vois Sion, ça me fait vomir. CC ne rend pas service au football suisse avec sa politique. Et Xamax… ils jouent en rouge et noir, mais on cherche les rouges… Et le pire c’est que les résultats ne sont pas à la clé !

  5. Article très intéressant ! J’adhère parfaitement aux idées défenudes par l’auteur…

    Il est clair que je préférais me rendre à l’ancienne Maladière (la vraie, avec un âme, pas la cage aux folles d’aujourd’hui…) pour voir Kunz, Perret et consort, RENFORCE par Ivanov, Detaris ou encore Moldovan…

    Désormais, on doit se coltiner les Niasse, Aganovic, Fatadi, Tosi o Taljevic… Bien sur, un Brown Ideye arrve de temps à autre, mais c’est tellement rare !

    J’ai l’audace d’imaginer que le cas est pareil pour les supporters du FC Sion. Qu’il est loin le temps ou le coeur de l’équipe était composé de joueur du cru, fier de leur couleur, les Bonvin, Fournier, Wicky… Maintenant, on parle de Saborio, Vanczak, Paito ou Adeshina !!!

    Une belle bande de danseuse, tant à Xamax qu’au FC Sion… Fait pas plaisir…

  6. YB (futur champion suisse… ) : 11 bernois dans le cadre de la première équipe…

    Je crois qu’on se trompe de cible! pas grave si l’ouverture de l’Europe (ou du monde) permet à 20 étrangers de gagner avec Arsenal… si les supporters se reconnaissent dans l’équipe… surtout à Londres, ville cosmopolite et composée de peu d’anglais pur souche finalement. L’endettement des clubs et le « marché » des joueurs (et les dérives qui s’en suivent) sont à critiquer.

  7. Je rajouterais que Constantin mis à part (les valaisans sont vraiment des supporters solides pour continuer à remplir Tourbillon) qui réussit en plus à souder bon nombre de gens autour de son projet (voir le nombre d’entrée aux repas de soutien), c est la politique des dirigeants, tel Bernasconi (pas de résultat, pas de spectateurs, pas d identification à l’équipe) qui est à critiquer!

  8. « Tu arrives à la fin de ton contrat dans ta boîte qui fabrique des chocolats. Elle te propose un nouveau contrat, 4 fois moins bien payé. Une boîte de sucettes t’engage pour ton ancien salaire –> tu y vas !!! et si la boîte de chocolats s’y oppose, tu l’attaques en justice, ça me paraît logique. »

    200 % d’accord avec ça !

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