Peut-on encore sauver la Ligue des Champions ? (2/5)

Audiences en chute libre, stades qui se vident, désengagement massif des diffuseurs historiques : la Ligue des Champions ne fait plus rêver personne et paraît à moyen terme condamnée, du moins dans sa formule actuelle. Quelques jours après la finale de Munich, état des lieux (partie 1+2), tentatives d’explications (partie 3+4) et esquisses de solutions (partie 5).

A terme, les baisses d’audience constatées par les télévisions et, dans une moindre mesure, la chute de la fréquentation dans les stades, vont sérieusement menacer l’existence même de la Ligue des Champions. Pour comprendre le problème, il faut remonter à la genèse de la compétition pour ceux qui n’ont pas connu cette époque. A l’origine, on avait trois Coupes d’Europe : la Coupe des Champions, qui réunissait les champions de chaque pays, la Coupe des Coupes, regroupant les vainqueurs des Coupes nationales, et la Coupe UEFA, réservée aux viennent-ensuite des différents championnats. On procédait à un tirage au sort intégral, le perdant au terme des matchs aller-retour était éliminé, la vainqueur continuait et ainsi de suite jusqu’à la finale. Evidemment, pour les grands d’Europe, cela pouvait faire peu de matchs et ça ne permettait pas forcément de dégager beaucoup de ressources. Par exemple, en 1987-1988, le champion d’Italie, Napoli, s’est coltiné le champion d’Espagne, Real Madrid, au 1er tour, alors que dans le même temps on avait droit à des magnifiques Aahrus – Jeunesse Esch, Shamrocks Rovers – Omonia Nicosie et Neuchâtel Xamax – Kuusysi Lahti. Quelle époque bénie !

La révolution

A l’époque, l’UEFA ne voulait pas entendre parler de réforme mais les plus grands clubs d’Europe d’alors (pas encore réunis sous la bannière du funeste G14) ont menacé de créer un championnat dissident si la formule n’était pas modifiée. Dans un premier temps, en 1992-1993, la réforme est modeste : la Coupe d’Europe des Clubs Champions devient la Ligue des Champions mais on se contente simplement de remplacer quarts et demis finales par deux groupes de quatre dont chaque vainqueur se qualifie pour la finale. Entre 1994 et 1997, sous la pression des clubs et des télévisions, qui veulent plus de matchs, on augmente le nombre de groupes (de deux à quatre).
Mais la vraie révolution intervient entre 1997 et 1999 : la Ligue des Champions devient la Ligue des pas Champions, en passant à six (1997) puis huit groupes (1999) de quatre et surtout en donnant à la possibilité à des clubs ayant terminé deuxième (1997) voire troisième ou quatrième (1999) de leur championnat respectif de participer à la plus prestigieuse compétition européenne. Depuis 1999, le nombre de qualifiés n’a pas varié (32), il y a eu une période avec deux phases de poules successives, il y a eu quelques changements dans le mode de qualifications et la répartition entres grands et petits pays mais, globalement, la Ligue des Champions actuelle est la même depuis 1999.
C’est cette formule héritée du siècle passé qui est en train de s’essouffler, une formule qui résulte d’un compromis entre l’UEFA, qui n’en voulait pas mais craignait la création d’une compétition dissidente, les grands clubs du continent, qui souhaitaient augmenter leurs recettes de manière exponentielle, et les télévisions, qui exigeaient plus de matchs pour maximiser les rentrées publicitaires et ainsi redistribuer plus d’argent à l’UEFA. Le format de la Ligue des Champions tel qu’on le connaît aujourd’hui a donc bien davantage été pensé en fonction de critères commerciaux que sportifs. Et c’est donc probablement bien davantage des critères commerciaux que sportifs qui présideront à sa réforme.

Tranquille jusqu’en 2015

Pour l’instant, l’UEFA ne pâtit pas des problèmes constatés dans la première partie de l’article, soit la baisse des audiences, les stades qui se vident et le retrait de nombreuses chaînes de télévision. Les recettes aux guichets sont encaissées par les clubs qui s’y retrouvent en majorant les prix mais surtout grâce à la manne des droits télévision. Et, lors de la récente phase de renégociation des droits télévision, ceux qui se sont retirés ont été remplacés par des nouveaux venus, style Al Jazeera en France, un peu ingénus, et qui comptent utiliser la Ligue des Champions comme produit d’appel pour lancer de nouvelles chaînes. Au total, l’UEFA va même toucher davantage d’argent et pourra donc légèrement augmenter le pactole à redistribuer aux clubs les plus fortunés du continent (et aux quelques sans grades bénéficiant des strapontins accordés par Michel Platini). Les contrats sont signés pour le cycle 2012-2015 et donc jusqu’en 2015 on va continuer à nous infliger la formule actuelle plus ou moins sans changement. Par contre, sur ce qui va se passer au-delà, tout reste à discuter.

Et après ?

Si la baisse des audiences se confirme et dans un marché publicitaire qui risque fort de se contracter avec la crise économique, il est peu probable que les télévisions qui ont lâché la Ligue des Champions aujourd’hui soient très désireuses d’y revenir dans trois ans. Et d’ici là, les nouveaux venus d’aujourd’hui, les Digital+ (Espagne), Al-Jazeera (France) et compagnie, ceux-là même qui ont permis à l’UEFA de maintenir des droits élevés aujourd’hui, risquent d’avoir à leur tour fait leurs comptes et constaté le caractère de moins en moins rentable de la Ligue des Champions. Certains pourraient même avoir disparu dans l’intervalle ou ne plus vraiment avoir besoin de la C1 pour se faire connaître. Le risque n’est donc pas négligeable qu’au prochain cycle de négociation des droits télés, soit pour la période après 2015, l’UEFA se retrouve dans de nombreux pays avec un seul diffuseur intéressé et donc en position de faire baisser les enchères. Ce qui est évidemment le cauchemar de tout vendeur de droits TV, cela a été le drame du football suisse pendant longtemps et cela a bien failli arriver à la Ligue 1, sans l’intervention providentielle des Qataris.
Or, si les droits TV baissent ou stagnent, une compétition créée dans le seul but de se répartir des profits entre une caste de privilégiés perdra sa raison d’être. Du coup, les menaces de création de ligues ou championnats parallèles vont ressurgir, surtout dans les pays qui n’ont pas profité de l’âge d’or des droits TV pour moderniser leurs infrastructures et diversifier leurs sources de revenus. Est-ce là du catastrophisme et des spéculations hasardeuses ? A priori non. C’est Zbigniew Boniek, ancien coéquipier et proche de Michel Platini qui a récemment vendu la mèche : il semble que toutes les sonnettes d’alarme aient été tirées du côté de Nyon et que des grands projets de réforme soient à l’étude. Mais avant de voir quelles solutions pourraient relancer une Ligue des Champions en plein déclin, on va commencer par voir comment une compétition considérée il y a peu comme le must absolu en est arrivée là.
Photos Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch Si tu as manqué le début : partie I

Écrit par Julien Mouquin

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5 Commentaires

  1. Autant j’ai aimé la première partie, autant celle-ci est fondée sur des spéculations difficiles à prévoir et à justifier.
    Si des chaînes ont été prêtes à payer plein pot, c’est qu’elles s’y retrouveront. A ce niveau-là, je ne peux pas croire que de si grands groupes puissent faire de telles erreurs stratégiques et jeter par la fenètre autant d’argent. Bref, rien ne dit qu’en 2015, il n’y ait encore des télé prêtes à refiler bcp d’argent pour avoir les droits.
    Sinon, merci pour le rappel historique. J’avais un peu oublié qu’il y avait eu autant d’étapes, mais c’est vrai que ca changeait de système un peu chaque année. La boîte de Pandorre fut bien sûr ouverte lorsqu’on a permis à des non-champions de jouer la ligue des champions, ce qui n’est pas le plus petit des paradoxes.Et comme dit par.Lake.Placid je crois, l’autre effet pervers fut de totalement dévaluer les coupes nationales. Quel dommage!
    En fait, la champion’s league, c’est ce qu’ont trouvé les clubs les plus riches pour gommer le plus possible la glorieuse incertitude du sport. Et bien sûr pour s’assurer ainsi un max de rentrées financières.
    De quoi dégoûter les fans de sport, c’est évident.

  2. Ah les grandes soirées de Coupe des vainqueurs de coupe! C’était le bon temps 😉

    A quand la création d’une Super Champions League pour les vainqueurs et viennent en suite des grands championnats, et une Mini Champions League pour les vainqueurs des championnats de seconde zone ne rapportant pas un kopeck?

  3. Au début, certains prônaient la formule de la CL permettant aux viennent-ensuite de participer, au motif qu’ainsi il y aurait d’avantage de matchs entre des grandes équipes, donc plus de beau foot.
    Mais, après ces 15 ans d’expérience, la réalité est tout autre. Premièrement, le fait de ne plus avoir que les champions dénature la compétition. De plus, tout le premier tour en automne constitue des matchs plus ou moins pour beurre en ce qui concerne les grands. A l’époque, un grand qui n’avait gagné que 2-1 au match aller contre un petit était en réel danger de se faire sortir, et le match retour avait un intérêt beaucoup plus grand que les matchs d’aujourd’hui au mois d’octobre. L’intensité d’un match comme Xamax-Porto, ou Xamax-Hambourg ne pourrait plus se produire aujourd’hui. Ainsi, pour éviter la surdose, je ne regarde peut-être que la dernière soirée avant la pause hivernale.
    Ensuite, lorsque la compétition devient un peu plus intéressante au printemps, on a parfois des matchs entre clubs du même pays, ce qui sonne aussi quand même un peu bizarre. Un Real – Barça ne devrait se produire que dans le cadre du championnat d’Espagne ou de la coupe du Roi.
    Peut-être que ce n’est que moi qui vieillis, mais il y a des fois que quelques jours après un tour, je ne sais plus qui a joué contre qui, je finis par confondre certaines de ces grandes équipes. C’était Arsenal-Rome, ou Chelsea-Rome ?

    C’est clair que l’arrêt Bosmann y est également pour quelque chose, car les équipes y ont perdu un peu de leur identité nationale. Les différences ce styles se sont amoindries. Quand Chelsea évolue avec un joueur anglais, ça a un peu moins de charme le Nottingham Forrest des années huitante.
    Enfin, en créant une formule hybride championnat/coupe, on a enlevé la beauté et l’essence même d’une compétition par élimination directe, où tout le monde au départ a une égalité de chance, les petits comme les grands, et qui permettait encore aux petits de soulever la coupe. Et l’aspect chance du tirage de sort rendait encore plus magique et mythique la victoire dans la compétition. On pourrait dire que ces théories relèvent d’une vision un peu idéaliste, mais les conséquences pratiques sont que qu’on a désormais beaucoup plus de chances de s’endormir devant un match de CL qu’auparavant.

  4. Merci Olmat

    Même si la finale de Munich a été très belle, il est quand même débile que Chelsea le deuxième du Championnat anglais 2011 a remporté la CL en battant Bayern, le 3ème à 10 points. En fait, on peut distinguer historiquement les Champions Champions des Champions non Champions.

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