Manifeste du nul

Nul. J’aime le nul. C’est divinement beau un nul. Ni positif, ni négatif, il contente tout le monde sur un score identique, semblable et égal. J’ai de l’affection pour les résultats nuls où il ne suffit pas nécessairement d’être zéro pour y contribuer.

L’autre jour, en rentrant d’un match de football auquel j’ai assisté, je suis tombé sur mon pote Eusèbe (ok, c’est vraiment un prénom à la con mais c’est pas de sa faute; il se tâte encore avant d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre de ses parents). Il est bien sympa Eusèbe, mais il ne s’intéresse pas vraiment au sport. Il préfère culbuter des putes sur Grand Theft Auto à longueur de journée. Il n’y a d’ailleurs que de cette façon qu’il arrive à conclure car il n’a pas assez de pognon pour s’en taper des vraies et il n’est pas assez attractif pour se goinfrer d’autres filles gratuitement. Il est un peu nul pour ça, mais bon c’est un autre problème…


Une petite idée de dessert ?

Eusèbe m’alpague donc sur le chemin du retour. On tchatche un peu de tout et de rien – surtout de rien – avant que la discussion ne s’engage sur le match du jour:
— Alors, ce match ? Me demanda-t-il.
— Match nul, 4 à 4. Répondis-je.
— Ah bon, le match était vraiment mauvais ?
— Euh… non, le match était excellent.
— Mais t’as dit match nul…
— Non. Le match était vraiment bon, mais ça s’est terminé sur un résultat nul.
— 4 à 4, c’est pas nul comme résultat !
— Non, c’est plutôt un bon résultat pour les deux équipes, n’empêche que ça donne un score nul.
— …
— Même s’il y a eu match nul, le match était très bon. Ce n’est pas parce qu’il y a eu un nul que c’est nul pour les deux équipes.
— …
Voyant que la discussion prenait une tournure irréelle voire même intersidérale, j’ai prétexté une sombre histoire de farine au blé dur pour m’éclipser sans quoi nous aurions toujours été au même stade 34 décennies plus tard.
Je me suis tout de même questionné. Pourquoi dit-on match nul s’il ne l’est pas forcément ? En italien par exemple, on dit «parità» soit parité. Pas convaincu: vu qu’en football une victoire rapporte trois points et qu’un match nul n’en vaut qu’un, c’est un partage un peu foireux. Un peu comme quand on essaie de séparer un Mars un peu trop mou en deux parts parfaitement égales. Ça foire toujours. Du coup, il passe où le point qui reste ? C’est un poil mieux en allemand: «Einstand» veut clairement dire «égalité». Cependant, on peut aussi dire «Remis». Comme lorsqu’on remise une partie; de quoi avoir la brigade anti-fraude au cul. Et s’il fallait rejouer une partie sous prétexte qu’aucune des deux équipes ne s’est départagée, la saison 1932/1933 serait toujours en cours. N’empêche que ça se fait encore pour certains matchs en Angleterre. Ils ne sont vraiment pas faits comme nous…


The Amazon vs Starman: double corde à linge simultanée !

Tiens, venons-en donc aux sujets de Sa Gracieuse Majesté. En anglais, un match nul se dit «tie» mais je ne vois pas le rapport avec une cravate. Porter une cravate, c’est nul mais ça s’arrête là. Au tennis, c’est pire: déjà que les points se comptent n’importe comment, il faut encore qu’ils inventent d’autres termes. Au cours d’un jeu, l’égalité se dit «deuce». Ça ne veut rien dire ça, deuce. On aurait très bien pu proposer «jexenstrafv», «czatopb» ou encore «bz» à la place. J’ai essayé de creuser davantage, mais le cœur n’y était pas. Au sujet du cœur, on pousse même le grotesque jusqu’à dire «love» pour zéro. Si l’arbitre dit «two-love» (deux amours dans le texte), c’est vachement tendancieux. Les sorties de placard n’ont du reste été observées que dans le tennis féminin. Amour, zéro, nul; peut-être parce que l’amour, c’est nul… Bref, je commence à m’emmêler les crayons et je ne suis pas plus avancé.

Impérialisme 1, communisme 0

Au fait, pourquoi diable supprimer cette possibilité qu’il y ait match nul dans certains sports ? C’était le cas il y a quelques années en hockey sur glace. C’était chouette, les égalités. Tout le monde récoltait un point, tout le monde était content, personne n’avait perdu. Point de frustration ni d’énervements; pas besoin de se rencontrer sur de lugubres parkings balayés par une Bise glaciale pour se foutre sur la gueule. Bon, les circonstances entraient aussi en compte et il fallait forcément chercher à éprouver de la satisfaction ou de la déception (selon la théorie du verre à moitié plein ou à moitié vide) selon qu’on se soit pris quatre buts dans les dernières minutes pour terminer à un piteux 4-4 ou alors qu’on soit revenu de nulle part pour arracher une égalité inespérée tombée comme une mûre trop mûre.
Les jours du match nul sont désormais comptés. Notre société capitaliste avide de profits toujours plus colossaux ne tolère plus les perdants. Il faut des gagnants, coûte que coûte, ainsi qu’un perdant qu’on pourra conspuer sans honte mais avec délectation. Tendance initialisée aux Etats-Unis, le hockey sur glace justement s’est débarrassé de ce concept il y a plus d’une dizaine d’années. Comme dans bien d’autres domaines, l’Europe a béatement suivi le mouvement. Pareil pour le football américain: point de match nul, même si le Canada fait encore de la résistance. Aux Echecs, les nuls (les résultats, pas les joueurs. Enfin, ça dépend. Vous me suivez ?) sont légion et personne n’en fait tout un plat. Instaurer une prolongation dans ce jeu ? Cinq jours plus tard, il y aura toujours deux cons de rois qui se font face à distance et un ou deux fous partant à l’abordage de la conquête de l’inutile comme des poulets sans tête. A ce moment, autant mettre un but derrière chaque camp et catapulter chacun cinq soldats morts au combat entre les deux poteaux. Non, cette solution est un échec.


34’294e coup: roi blanc en b4

Dans la vision populaire, un nul, c’est pas sexy. Un match, c’est comme un duel. Il doit y avoir un survivant. Le nœud du problème date de bien longtemps: nous avons tous déjà vu à la télévision, dans un western improbable, ce moment particulièrement gênant où les deux protagonistes d’un duel s’effondrent lamentablement sur l’allée poussiéreuse, devant le saloon, sous les regards médusés et perplexes des habitants. Dans ce cas-là, on fait quoi ? C’est qui qui repart avec le butin, ou la fille, ou les deux ? Il fallait trouver une solution: la mort subite. Quoique dans l’exemple précité, elle l’est toujours.
Et s’il n’y a pas de mort subite, il reste la solution des fameux pénaltys (comme dans «death penalty»: la peine de mort) ou les tirs au but. Les Québécois nomment même cela la «fusillade». On peut retourner le truc comme on veut, on en revient toujours au sujet de l’exécution. Cette fois-ci, un match nul ne peut plus être accepté. On interdit sciemment aux deux adversaires de se flinguer simultanément, mais également de rater leur cible. C’est nul, mais c’est désormais la règle. Ah tiens, le Borussia Dortmund vient de faire 0-0 contre Stuttgart. Un seul vainqueur dans cette situation, le nul !

Écrit par Mathieu Nicolet

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11 Commentaires

  1. Plaisir de lire à nouveau ce genre d’article sur CR. Ca change des comptes-rendus de matchs! D’ailleurs où sont passés les billets d’humeur?

  2. Désolé de te contredire mais le match nul en football américain est possible si personne ne marque en prolongation et forcèment en saison régulière.

  3. T’as oublié le basket, dans tes sports US, où le nul a été aboli au profit d’autant de prolongations nécessaires à départager les équipes en 1974.

  4. What about the draw / to draw in English. The game ended in a draw….
    qu’on pourrait traduire, le match s’est termine par un dessin, par une traite ou par une degaine…mais pas forcement par un match nul.

    Superbe papier, non seulement fort drole mais qui pose qq bonnes questions….

  5. Bravo ! Loin d’être nul, cet article est très divertissant et m’a bien fait rire. Un à zéro pour son auteur.
    p.s. A la place d’Eusèbe, j’hésiterai pas longtemps avant d’engager des poursuites

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