Comme une défaite

Sur le plan comptable, le Borussia Dortmund a réussi une bonne opération en ramenant un point de Madrid après une prestation plutôt aboutie. Néanmoins, c’est avec un peu d’amertume que l’on a quitté le stade Santiago Bernabeu car il y avait largement la place pour une victoire qui aurait assuré la qualification et la première place de ce groupe de la mort avant même les deux dernières journées.

«Nous devons accepter le fait qu’un match nul à domicile dans ces moments-là se vive comme une défaite.» La déclaration émane de l’entraîneur du Borussia Dortmund Jürgen Klopp et elle date du match nul contre Stuttgart samedi dernier. Mais nous, la parité que l’on a vécu comme une défaite, c’est bien celle de Santiago Bernabeu contre le Real Madrid. Pourtant, contre Stuttgart, Dortmund concède deux points à domicile contre un adversaire au budget inférieur et perd, si ce n’était déjà fait, probablement son titre de champion d’Allemagne. A l’inverse, à Madrid, le BVB prend un point contre un adversaire dont la balance de transferts (différence achat/vente de joueurs) est soixante fois supérieure sur les trois dernières années (120 millions d’euros contre 2) et prend une sérieuse option sur la qualification pour les huitièmes de finale. Rationnellement, c’est donc le nul de Madrid qui aurait dû être fêté. Mais tu le sais déjà, rien n’est jamais rationnel avec le Borussia. Alors qu’après le match de Stuttgart, les chants des fans jaunes et noirs résonnaient dans le métro, c’est le silence de mort dans la rame qui nous ramène de Bernabeu. Mes camarades Maik et Thomas tentent bien de lancer un «Deutscher Meister ist nur der BVB» mais ils arrêtent assez vite devant le silence assourdissant et les mines d’enterrement des fans venus de la Ruhr.

Première mi-temps de rêve

Si l’on a autant de regrets, c’est d’abord parce qu’en première mi-temps, unser BVB avait fait tout juste. Tactiquement, techniquement et physiquement, les Pöhler ont dominé le Real et son équipe de superstars montée à coup de millions. Depuis l’arrivée de Jürgen Klopp au Westfalenstadion en 2008, on a vécu beaucoup de très bonnes mi-temps, la première période de Bernabeu mérite sans doute de figurer parmi les meilleures. Pourtant, après la défaite du match aller, le Real était prévenu ; on attendait des Merengue revanchards mais, avant la pause, on n’a rien vu de leur part, sinon une possession de balle stérile. La domination dortmundoise a logiquement été récompensée par deux buts, le premier sur une longue balle, une déviation de Lewandowski, une volée limpide de Marco Reus et un petit coup de pouce d’Iker Casillas, pas franchement impérial sur le coup. Le deuxième goal commence aussi par un long ballon et une déviation de Lewandowski mais là Kevin Grosskreutz, qui a bien profité des deux matchs contre le Real pour se relancer après un début de saison compliqué, transmet à Mario Götze, lequel conclut d’un lob astucieux. Enfin, ce que l’on a cru sur le moment être un lob astucieux mais Götzinho avouera que c’est bien Arbeloa qui trompé son propre gardien. Il y a eu deux buts dortmundois mais une seule unité d’avance à la pause, la faute à une mauvaise relance qui a permis à Mesut Özil de trouver la tête rageuse de Pepe. Et pourtant, on avait sympathisé avec Pepe plus tôt dans la journée : pas le footballeur mais le patron du bar dans lequel on s’est enfilé dès notre arrivée à Madrid pour en ressortir huit longues heures plus tard à l’approche du coup d’envoi. Lorsque le barman a fini son service, il y a eu un ticket facturant 56 choppes qui a fait assez forte impression. Pour un mec plutôt sédentaire comme moi, c’est une aubaine d’avoir son équipe favorite en Coupe d’Europe, ça permet de découvrir des villes inconnues et de s’enrichir culturellement.

Le réveil madrilène

Le scénario du match a changé en deuxième mi-temps. On imagine que José Mourinho n’a dû que moyennement apprécier la prestation de son équipe avant la pause et les Merengue reviennent avec un tout autre état d’esprit. En outre, avec les entrées en jeu d’Essien et Callejon pour les transparents Modric et Higuain, le Real a ajouté du muscle à mi-terrain et de la vivacité en attaque et se retrouve beaucoup mieux armé pour contrer la virtuosité des Reus, Götze et consorts. Et puis le BVB l’a joué petit bras en choisissant de défendre son avantage plutôt que de continuer à jouer. Un peu par nécessité sans doute mais aussi par choix. Les Pöhler rendent trop rapidement le ballon à l’adversaire, c’est dommage, la première mi-temps a montré que ce Borussia-là n’avait rien à envier au Real et on a l’impression qu’en insistant un peu plus, il y aurait eu moyen d’aller marquer d’autres buts. La domination madrilène se concrétise rapidement avec un but de Callejon, annulé pour un hors-jeu discutable

Très cher Bernabeu

A la 52e, pour la première fois de la soirée, on entend un chant émanant des quelques dizaines d’ados composant le kop merengue. On applaudit chaleureusement l’effort, il ne faut jamais décourager des enfants, même si l’effort est bien timide. Sinon, à part deux clameurs sur les buts, quelques sifflets et piaillées pour réclamer des pénaltys inexistants, on n’a pas entendu le public madrilène mais uniquement les chœurs dortmundois, c’était Heimspiel in Madrid. Evidemment, même dans un grand stade comme Bernabeu, le bloc réservé aux supporters adverses est trop exigu pour accueillir la marée jaune, on a pris des places au milieu des Espagnols. En arrivant, on leur explique que, d’habitude, on regarde les matchs debout mais que là, comme on est chez eux, on fera l’effort de s’assoir, même si l’on s’excuse d’ores et déjà pour la cinquantaine de fois où l’on va se lever. Les gars, ils avaient l’air de trouver très drôle et très insolite des fans que se lèvent en hurlant pour saluer un duel gagné, une touche récupérée ou un ballon perdu par l’adversaire mais finalement on s’est quitté avec des grands sourires et tapes dans le dos, c’était des bons types. On aura au moins tenté d’inculquer (© Jan Alston) la notion de ferveur à des fans espagnols mais il y a encore du boulot.
Ceci dit, cette absence d’ambiance s’explique aussi par la politique tarifaire. Selon une étude intéressante récente qu’un lecteur a eu l’amabilité de porter à ma connaissance, Dortmund est le seul club de football (version soccer) du monde dont l’affluence moyenne en championnat dépasse les 80’000 spectateurs mais un match au Westfalenstadion ne rapporte «que» 1,5 millions d’euros au BVB, alors que le Real, avec une moyenne inférieure de 6’000 spectateurs, encaisse 4,3 millions en moyenne par match. Clairement d’un côté, on privilégie des prix populaires et la fidélité du public, de l’autre les touristes et les VIP. Pour un billet troisième anneau, derrière le but, au tarif officiel, ce match m’a coûté 95 euros (28 à l’aller à Dortmund, certes avec un abonnement). Forcément, l’ambiance s’en ressent. D’ailleurs, même dans les pays où le football est une religion, comme l’Angleterre ou l’Allemagne, les clubs qui ont maximisé leurs recettes au stade l’ont fait au détriment de l’ambiance, comme à Manchester United (4,1 millions par match) ou au Bayern Munich (3,1).

Le coup franc qui tue

La domination madrilène va déboucher sur plusieurs occasions franches mais la défense dortmundoise s’est montrée héroïque, avec notamment un tir de Callejon juste à côté, un miracle de Weidenfeller devant Ronaldo et un sauvetage sur la ligne de Grosskreutz. Sur la fin, la pression merengue semblait se relâcher et l’on commençait à se dire que le gros de l’orage était passé. Mais l’égalisation va tomber sur un coup franc peu évident ; disons que si l’arbitre siffle ce genre d’accrochage, il aurait dû accorder deux pénaltys au BVB en 2e mi-temps. Même si l’intervention discutable du juge de touche sur le but annulé de Callejon compense un peu le caractère unilatéral et local de l’arbitrage, ces erreurs systématiques en faveur des équipes espagnoles sont une vraie gangrène pour le football. Il serait facile d’y remédier si un vieux cacique jaloux de ses petits privilèges ne s’accrochait pas à des postes qu’il n’aurait jamais dû occuper. S’attendant à une frappe de Cristiano Ronaldo, les fans jaunes et noirs scandent «Messi, Messi», ce que je trouve complètement idiot. Ce genre d’allumage est généralement le meilleur moyen pour que le joueur visé te plante un goal et je n’ai jamais vraiment apprécié cette mode grotesque visant à fermer les yeux sur tous caprices ou contre-performances du «gentil» Messi et à dénigrer les moindres faits et gestes du «méchant» Ronaldo. De toute façon, le coup franc était plutôt pour un gaucher et le Portugais, guère en réussite mercredi, a préféré laisser tirer Mesut Özil. Mauvais plan (ou bon, c’est selon), le natif de Gelsenkirchen (soupir courroucé…) passe le ballon par-dessus le mur pour le 2-2. Dans les discussions de bistrot d’après-match, le débat fait rage pour savoir si la responsabilité de Roman Weidenfeller est engagée sur le coup ; j’aurai plutôt tendance à dédouaner le portier du BVB, il pouvait difficilement anticiper sur ce côté-là, sachant que Ronaldo pouvait toujours frapper du pied droit sur le côté gardien.

A un nul du bonheur

Comme à Manchester contre City, Dortmund encaisse l’égalisation à la 89e sur un coup de pied arrêté contestable. Rageant ! Ceci dit, vu sa domination et ses occasions de la deuxième mi-temps, le Real n’a rien volé et le nul est équitable. Si on nous avait dit après le tirage au sort ou même après 85 premières minutes très laborieuses en ouverture de cette C1 contre l’Ajax qu’un point à Amsterdam suffirait au BVB pour valider son ticket pour les huitièmes de finale avant même la dernière journée, on aurait signé les yeux fermés. Mais là, on a quand même des regrets : assurer la première place du groupe le plus relevé de l’histoire de la compétition après seulement quatre journées, cela aurait eu de la gueule pour une équipe qui, la saison dernière, avait été tellement mauvaise en Ligue des Champions qu’elle s’était faite sortir par Marseille.
Lors de ses deux derniers déplacements à Bernabeu, le Borussia Dortmund était revenu bredouille, notamment en 1998 où il y avait perdu son titre européen dans une demi-finale restée dans les annales par l’effondrement d’un but. En revanche, les deux fois où le BVB a ramené quelque chose de Madrid (sur le terrain de l’Atletico) dans une compétition européenne, il a ensuite gagné le trophée, la Coupe des Coupes en 1965-1966 et la Ligue des Champions en 1996-1997. L’Histoire peut-elle se répéter ? Le chemin est encore très long mais disons que l’hypothèse, a priori complètement farfelue il y a trois mois, s’avère un peu moins iconoclaste après cette double confrontation contre le Real Madrid. Ce n’est pas moi qui le dit mais José Mourinho.  

Real Madrid – Borussia Dortmund 2-2 (1-2)

Santiago Bernabeu, 74’932 spectateurs.
Arbitre : M. Cakir.
Buts : 28e Reus (0-1), 34e Pepe (1-1), 45e Arbeloa (autogoal, 1-2), 89e Özil (2-2).
Real : Casillas; Ramos, Varane, Pepe, Arbeloa (77e Kaka) ; Modric (46e Essien), Xabi Alonso ; di Maria, Özil, Ronaldo ; Higuain (46e Callejon).
Dortmund : Weidenfeller; Piszczek, Subotic, Hummels, Schmelzer; Gündogan (80e Perisic), Kehl; Reus (74e Bender), Götze (91e Leitner), Grosskreutz; Lewandowski.
Cartons jaunes : 57e  Grosskreutz, 65e Hummels.
Notes : Real sans Marcelo, Khedira, Coentrao ni Benzema (blessés), Dortmund sans Blaszczykowski ni Owomoyela (blessés).

Écrit par Julien Mouquin

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16 Commentaires

  1. Super compte-rendu et quelle équipe ce BVB!! Je les suivait de très très loin en Bundesliga et de les voir plus maintenant.. mamma mia!!!
    Rapide, précis, technique, franchement, ça donne clairement envie d’en voir plus. Et Lewandowski en pivot c’est vraiment fort. Vivement le prochain match.

    J’ai le droit de dire ça ou je vais me faire tomber dessus par un Zurichois rageur tout pas bien?

  2. @Sly,

    Arrête, je ris tellement t’es drôle. Tu l’as ton article, fallait juste un peu de patience.

    Promis je te ferai une dédicace lors de mon prochain voyage à Dortmund avec Mouquin, mais tu nous laisseras le temps de rentrer du stade depuis ton canapé, sinon y a toujours lequipe.fr

  3. Pour moi Jürgen Klopp doit rendre des comptes : ce match, comme celui contre City à Manchester, était largement « gagnable » si ce n’est cette attitude de petit bras, de frilosité et d’attentisme en seconde période. il y avait largement moyen de mettre un 3e but et de clouer définitivement le bec aux madrilènes.

  4. Super article, je me suis bien marré en le lisant. « Inculquer la ferveur », j’adore!
    Je n’ai malheureusement pas vu le match, mais cette équipe de BVB fait plaisir à voir (contrairement à d’autres qui jouent par exemple contre Celtic), avec du beau jeu, de la profondeur et du spectacle. Je ne pense pas qu’ils gagnent la C1 cette année, mais qu’ils aillent le plus loin possible pour le plaisir des yeux.
    Forza Milan!

  5. Et sinon Jo, t’as quelque chose à dire sur le match, l’article ou le foot en général ou t’es juste là pour casser les couilles et agresser les gens?

    Grande Dortmund sinon!

  6. Tout est dit dans l’article et les commentaires que je partage à un bémol prêt (com. de Quickquick) « …pour le plaisir des yeux »

    Il est salement moche ce maillot de Dortmund, sérieux?!?!

  7. Quand on voit ce magnifique Dortmund , le Bayern et Schalke 04 , on se dit que les Allemands ont une solide armada en CL , de quoi nourrir des ambitions .
    Si on y ajoute Gladbach , le Bayer , Hanovre et même Stuttgart , on se dit que ce n’est pas mal non plus en EL .
    Si , en plus , on compare avec les Espagnols et les Anglais et qu’on voit ce qui se passe en Bundesliga tous les week-end , on peut même sérieusement se demander si ce ne serait aps le meilleur championnat du monde .
    C’est un fan de la Liga , fier du parcours de Malaga , qui vous le dit .

  8. « …Je n’ai malheureusement pas vu le match, mais cette équipe de BVB fait plaisir à voir… »

    En course pour le prix Champignac, voire même pour un premier prix au bêtisier de fin d’année des commentaires sur CR, l’ami Quickquick !

    Pour ma part, j’aurais bien aimé être au Celtic Park hier soir, z’avez entendu pendant les dix dernières minutes, les 60’000 spectateurs qui chantent ensemble ? ça, ça doit foutre des frissons, si vous avez la chance d’être dans le stade…ahh et puis voir le Barça se faire battre avec 76% de possession de balle…mmmm…tellement délicieux !!

  9. Mouquin, si les fans espagnols auraient su toutes les méchancetés que tu as écrit sur le football espagnol…il auraient été probablement moins aimables avec toi!

  10. Marrant, j’ai beau avoir vu ce match (certes à la TV) en direct, je ne retrouve pas certains commentaires de Mouquin. Par exemple, sur le 2ème but du Real, on voit que Weidenfeller va vers le ballon, puis s’arrête subitement car il suppose qu’il va sortir, puis remarque trop tard qu’en fait le tir est cadré et il se remet en mouvement… Et concernant l’arbitrage, il m’a semblé normal que l’arbitre siffle la faute à l’origine de ce coup franc. Enfin bon, on ne va recommencer de parler d’arbitrage, Mouquin est bien trop aveugle et de mauvaise foi pour remarquer que chaque équipe du monde peut se faire baiser par l’arbitrage. Si si Mouquin, rappelle-toi Espagne-France au Mondial 2010, c’est une simulation de Henry (avec carton jaune pour Puyol en prime) qui donne le coup franc à l’origine du 2-1 des Français. Et j’espère que tu as remarqué que récemment, Busquets a reçu un carton rouge imaginaire en CL… Bref, même si tu es beaucoup trop borné pour l’admettre, il existe une belle brochette de situations où les Espagnols se font avoir par l’arbitrage. L’arbitrage footballistique est en grande partie subjectif, comme l’est Mouquin. Ainsi, il est très facile de hurler au scandale quand la subjectivité de l’arbitre n’est pas la même que la nôtre… Et bizarrement, on ne dit rien quand elle va dans le même sens que la nôtre.

  11. La condescendance de Mouquin envers les fans espagnol fait doucement rigoler, sachant que les prétendus ados dont tu parles, les Ultras Sur, sont nés en 1980, soit bien avant n’importe quel groupe ultra du BVB.

    Alors évidemment ils sont pas beaucoup et sont perdus dans l’immensité du stade, mais ça fait 32 ans qu’ils sont là, ce qui mériterait un poil plus de respect (et c’est un fan du Barça qui dit ça).

  12. Ch. Logoz
    Je constate que tu n’as (hélas) pas changé ! Toujours ce côté anti-espagnol primaire. Tu fais vraiment la paire avec Mouquin !!!

  13. On reconnaît là le connaisseur:
    Après nous avoir affirmé que la meilleure ambiance du monde c’était à San Mames, tout en avouant que ta seule expérience de San Mames, c’est d’avoir vu un match à la TV de Bilbao à… Old Trafford, tu viens nous vanter les mérites des Ultras Sur juste parce que tu as réussi à trouver leur date de fondation sur wikipédia…
    Et je suis sûr qu’un vrai supporter de Barcelone serait assez amusé de voir un mec qui se prétend fan du Barça faire l’apologie des Ultras Sur franquistes.
    Je me répète mais va voir une fois un match dans un stade à l’étranger avant de parler de choses que tu ne connais pas.

  14. @ Ch. Logoz
    Ah oui en effet, ma phrase ne veut pas dire grand chose… J’ai oublié de préciser « vu en direct », merci les retransmissions. Bref, la bourde est faite 😛

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